Épilogue

10 ans plus tard


– Matthew, si tu n'es pas descendu dans moins de trois secondes, je te jure que je te force à lire l'intégrale des Harry Potter d'ici à vendredi soir ! Juste à temps pour ton anniversaire, tiens !

Mon fils sait pertinemment que je plaisante, parce que comme son père avant lui, il n'a pas vraiment apprécié la lecture de cette saga que j'aime particulièrement. Je me sers de cette aversion pour le presser un peu, parce que du haut de ses quatorze ans, il a tendance à oublier qu'on l'a appelé déjà quatre fois.

Ma remarque a le don de fonctionner : le voilà qui descend les escaliers en courant, une chaussette à la main, l'autre aux pieds. Ses cheveux ont foncé avec le temps, mais ils n'ont pas perdu leur roux flamboyant, comme ceux de Daisy. Quant à Leo, il est aussi blond que j'ai pu l'être quand j'étais petite.

De même que sa sœur, le benjamin de la famille porte des lunettes pour cause de myopie. Néanmoins, rien d'aussi sévère que Daisy : la pauvre, ses verres sont tellement épais que ses yeux en paraissent minuscules !

Nos trois enfants ont chacun hérité de notre passion commune pour la lecture : classiques, fantasy, roman adolescent... Tout y passe, excepté le Yound Adult car ils sont encore un peu jeunes pour ça.

À ce stade, j'ai moi-même écrit onze romans, dont le dernier sort demain. Cependant, Tom n'en est pas au courant : c'est une surprise.

Après des années d'écriture dans le domaine du fantastique et de la fantasy, puis quelques projets dans les romans adolescent et le Y.A, j'ai fini par me lancer. M'aidant de mes notes, celles prises au début de notre relation, j'ai écrit ma première romance. Bien sûr, j'ai dû changer un peu le fond de l'histoire, ainsi que tous les personnages : il me fallait du fictif, bien que quiconque connaisse mon histoire se doutera que tout est tiré de là.

J'ai longuement bossé avec ma maison d'édition pour tout faire correspondre. Les livres paraissent toujours un mercredi, alors je me suis battue pour que le mien le fasse le dix février : comme j'ai reçu mon carton juste avant, je peux librement en offrir le premier exemplaire à Tom pour son anniversaire.

L'acteur – qui a repris sa carrière dès que Leo a atteint ses cinq ans – est un mari exemplaire : il est toujours le premier à me soutenir, à se réjouir lorsque j'ai terminé un nouveau projet et que ce dernier est offert au monde.

À peine une seconde plus tard, Daisy déboule à son tour, vêtue d'un jean et de son éternel sweat à capuche à l'effigie de Pocahontas. Quant à Leo, lorsqu'il apparaît en haut de l'escaliers, c'est un unique caleçon qu'il porte.

– Enfin Leo, qu'est-ce que tu fais ?, je m'étonne. T'es pas encore habillé !

– Mais oui mais maman, elle est où ma robe de Cendrillon ? Je peux la mettre ?

– Bien sûr que tu peux mettre ta robe de Cendrillon, mon amour. Elle est dans le dressing. Par contre, il faudra te changer pour tout à l'heure : elle est beaucoup trop longue pour aller patiner, tu risques de te casser la figure avec.

Leo hoche la tête en souriant. Je crois que c'est un peu ma faute s'il est complètement gaga des robes de princesses : il a hérité de ma passion sans bornes pour ces dernières, et surtout pour le cosplay. Déjà, à dix ans, il se délecte d'interpréter tous ses personnages préférés. Un jour, quand il sera plus grand, je lui prêterai les miens. Je sais qu'il n'attend que ça.

Quand les enfants étaient petits, je recevais beaucoup de critiques quant à notre façon de les élever. Les gens trouvaient anormal qu'on laisse Leo mettre robes, jupes et talons en plastique, se maquiller ou se faire les ongles, tandis que Daisy ne rêvait que de cheveux courts et de boxe.

Aujourd'hui, nous sommes passés au-dessus de ces critiques : ma fille porte un carré court et fait de la boxe française deux fois par semaine. Leo est inscrit dans la même école de danse que moi, même si Tom et moi allons sûrement l'inscrire au conservatoire l'année prochaine car il désire se lancer dans ce domaine plus ardemment. Quant à Matthew, il a hérité du cerveau littéraire de son père : les maths et lui, ça fait quinze.

Je suis fière de mes enfants, de ce qu'ils deviennent, et je n'ai pas besoin d'interroger Tom pour savoir que lui-aussi. Et puis, je suis fière de nous également, en tant que parents. Je ne dis pas que nous sommes parfaits, loin de là, et un peu de remise en question ne fait pas de mal. Mais déjà, laisser nos enfants être ce qu'ils veulent être, qui ils veulent être, est une bonne chose.

Quand on leur demande ce qu'ils veulent faire plus tard, les réponses sont immuables : Matthew veut faire du théâtre, Daisy rêve d'être professeur des écoles, et Leo ne jure que par la danse. Nous essayons de leur donner toutes les clefs pour réussir.

Revenant à l'instant présent, je place mes mains en porte-voix et crie :

– Le dernier à table vide le lave-vaisselle ce soir !

J'entends vaguement Leo râler qu'il n'a pas fini d'enfiler sa robe mais n'y prête pas attention : ça ne peut pas lui faire de mal de participer un peu aux tâches ménagères.



Le repas terminé, c'est l'heure du gâteau ; Tom souffle gaiement ses bougies. Parfois, quand je vois qu'il est capable de s'émerveiller de tout et n'importe quoi... Je me dis que je n'ai pas trois enfants, mais quatre. On en a quatre chacun : je me compte dans le lot.

– Joyeux anniversaire !, je lâche tout en lui tendant un paquet soigneusement emballé.

– Ça, c'est un livre ou je ne m'y connais pas !, rit Tom.

D'une main, il déchire le papier cadeau pour en sortir ledit livre. Quant à moi, j'attends qu'il me demande plus de détails.

– Dix-huit ans nous séparent, lit-il alors.

Les sourcils froncés, il se tourne vers moi.

– C'est toi qui l'as écrit, mais...

– Surprise !, je dis doucement.

Tom fronce d'autant plus les sourcils.

– Pourquoi je n'étais pas au courant de ce projet ?, demande-t-il, perplexe.

Je pointe du doigt la couverture, lui faisant signe de retourner le roman pour en lire le résumé de fin. Mon mari s'exécute à voix haute :

– En partant à Londres comme jeune fille au pair pendant tout l'été, le but de Louise était d'améliorer son anglais. Pas de se cogner dans un acteur célèbre dont elle est une grande fan. Will Heston, vous connaissez ? Ils ont dix-huit ans d'écart, ne vivent pas dans le même pays, leur histoire d'amour semble donc impossible. Et pourtant...

Levant les yeux vers moi, Tom sourit. Je vois dans son expression qu'il a compris.

– Tu as écrit un livre sur nous ?, murmure-t-il.

Je hoche la tête avec un grand sourire.

– Notre histoire méritait d'être écrite, et qui d'autre que moi pouvait le faire ? Bon, évidemment, les noms sont changés, l'histoire aussi, un peu, car il fallait harmoniser tout ça, mais...

Je n'ai pas besoin de terminer ma phrase. L'émotion que je lis dans le regard de l'acteur me serre le cœur, mais d'une façon positive.

– Il va sortir en librairie ?

J'acquiesce.

– Il sort demain.

– Demain ?! Comment ça se fait que je n'en ai jamais entendu parler avant ?

Je ris.

– C'était le but, mon cœur. Je ne te raconte pas à quel point c'était galère, d'ailleurs ! Faire la promo du livre tout en faisant attention à ce que tu ne captes rien...

Pour être honnête, il a fallu la jouer serré là-dessus. Pas d'affiches, pas de publicités, simplement une petite rumeur sourde qui devait parvenir aux oreilles des avertis mais pas du reste du monde. Heureusement, Tom a définitivement quitté les réseaux il y a quelques années, ce qui rendait la tâche un peu moins compliquée.

Pour cette histoire de réseaux... Il y a quelques années, quatre tout au plus, des paparazzis vicieux ont trouvé extrêmement judicieux de nous prendre en photo avec nos enfants. C'était lors d'un gala de danse de Leo et moi-même. Nous étions tous les deux en costume, transpirant de nos représentations, et comme bien souvent, Daisy avait enfilé un t-shirt large sur un jogging. Bref, les photos ont tourné un peu partout, et les gens se sont rebellés quant à notre façon d'élever nos enfants.

Une vague de messages haineux nous est tombés dessus, pour nous dire que c'était inadmissible de laisser Leo faire de la danse classique et Daisy de la boxe. D'autres photos sont sorties à la suite : Leo, en robe de princesse.

Tom a supprimé ses comptes dans la foulée : je ne l'avais jamais vu aussi énervé. Il s'est enfermé dans la chambre et a hurlé contre les murs pendant un quart d'heure, non stop. Quant à moi, qui n'avais pas pour coutume de poster quoi que ce soit sur mes enfants sur les réseaux, j'ai poussé un coup de gueule.

La vidéo de ce jour-là a beaucoup tourné. On m'y voit, le regard noir et les traits crispés, gueuler sur tous les vautours qui s'obstinent à prendre en photo les gens célèbres et leur famille pour grappiller un peu d'argent. Je n'y ai pas été de main morte : je crois bien que j'ai utilisé les mots connards égocentriques et putain de salopards de merde. Le tout en français, cette langue si rafinée.

Le nombre de messages de soutien que j'ai reçu ensuite m'a fait du bien, mais depuis j'ai désactivé la fonction commentaires. Je ne m'abaisserai pas à rendre mes profils privés : je n'ai pas à avoir peur des gens. S'ils essaient de toucher à ma famille, je suis prête à les fusiller moi-même.

– Will Heston..., lâche songeusement Tom, me ramenant au moment présent. J'aime bien ce nom.

Je secoue la tête pour chasser mes horribles souvenirs de mes pensées. Tout va bien à présent, nous n'avons plus eu de problème depuis – pas à ce point en tout cas, car il restera toujours des gens pour critiquer –, nous avons protégé du mieux que nous le pouvions les enfants. Ils sont forts, et font face avec fierté à ceux qui pourraient s'en prendre à eux ; il faut espérer que ce sera toujours le cas.

– C'est un diminutif, j'indique avec un sourire en coin. Son nom complet, c'est William Heston. Mais comme tu t'en doutes, le monde le connaît sous le nom de Will. Louise est la seule personne à jamais l'appeler William, en de rares occasions particulières.

Exactement comme moi, je l'appelle Thomas. D'ailleurs, la dernière fois que je l'ai appelé de la sorte... Eh bien, je préfère ne pas y penser. Pas ici, en tout cas.

Alors que Tom tourne et retourne le roman dans ses mains pour l'observer sous toutes les coutures, je le vois passer un doigt sur la reliure, l'air ému. Puis il l'ouvre à la première page pour en déchiffrer la dédicace :

– Pour Tom, qui a mis mon monde sens dessus dessous et m'a fait comprendre à quel point notre histoire valait la peine d'être vécue.

L'acteur se lève aussitôt, posant le livre à plat sur la table, et fait le tour de cette dernière. Il dépose un baiser sur mes cheveux, puis un autre sur mes lèvres. Les enfants détournent le regard, l'air catastrophés, ce qui me fait glousser. Aussi, j'attrape mon mari par le col de son t-shirt et l'attire un peu plus à moi.

– Pitié !, gémit Matthew.

Alors que je romps notre baiser, nous éclatons tous les cinq de rire.

– Râle pas, dit Tom à notre fils aîné, parce que si on s'aimait pas ta mère et moi, aucun de vous ne serait là aujourd'hui.

Matthew lève les yeux au ciel.

– Bla, bla, bla, on sait ! Vous nous avez raconté au moins mille fois tout ce qu'il y avait à savoir sur cette histoire, merci bien !

Sa remarque nous fait rire de plus belle. Quelque part, si avec le temps j'ai perdu un peu de complicité avec ceux qui m'étaient proches – Laura, mes amis, excepté Mathieu car Mathieu reste fidèle à lui-même –, je l'ai retrouvée avec mes enfants. Je sais que mes amis ont fait de même avec les leurs, ceux qui en ont.

Ma sœur s'est mariée avec son Kévin, après qu'ils aient rompu approximativement trois ou quatre fois – honnêtement, je n'ai pas retenu tous les détails de leur relation –, ils ont même eu des jumelles, Manon et Mathilde. Je suis donc la seule personne de la famille à avoir donné des garçons à mes parents qui, bien évidemment, sont néanmoins ravis d'avoir trois petites-filles.

J'ai eu la chance d'être tatie d'autres fois, également. Si Kayla et Kylian n'ont jamais voulu d'enfants, tout comme Malek et sa copine Juliette, ce n'est ni le cas de Marine, ni celui de Mathieu.

Marine, s'étant découverte lesbienne sur le tard – elle avait vingt-neuf ans quand elle l'a compris, avant ça elle pensait être pansexuelle –, a décidé avec sa compagne d'adopter un petit garçon du nom de Nicolas. Quant à Mathieu... Deux ans après leur mariage, Gaëlle a accouché d'une petite fille, qu'ils ont nommée Camille Axelle Robert. Et comme si cet honneur ne suffisait pas, c'est moi qui en suis la marraine.

Enfin, du côté de mes amis londoniens, Lucy et John n'ont pas eu d'enfants – il ne me semble pas qu'ils soient en couple, non plus. Par contre, Michael et Lizzie, qui ont fini ensemble – je suppose que c'est un des risques quand on est en coloc avec des gens de notre âge –, attendent actuellement leur premier. On ne sait juste pas si c'est une fille ou un garçon.

Il m'arrive toujours d'inviter Ellie, Carl et les enfants à la maison, sauf que maintenant Judith et Louis ne sont guère plus des enfants. Ils partent faire leur vie, comme je l'ai moi-même fait, et comme mes enfants le feront un jour. Pas trop vite, je l'espère. Je ne suis pas prête à les laisser s'en aller, pas encore.

Je ne dirai pas que tout va bien dans le meilleur des mondes, parce que ce n'est pas le cas. On connaît le deuil et la peine, les critiques, toutefois on fait face comme on peut. Il nous arrive de nous disputer, Tom et moi, y compris avec les enfants. Néanmoins, chacun de nous va bien, c'est le principal.

La roue n'arrête pas de tourner, et c'est tant mieux. Peu importe ce que me réserve l'avenir, je sais que quoi qu'il arrive, j'ai vécu la vie non pas que je voulais, mais celle qui m'était destinée. Et c'est encore mieux que ce que j'espérais. 

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