Chapitre 9

Nous avons bu un deuxième verre. Je n'étais pas très sûre que ce soit une bonne idée, vu ma faible capacité à tenir l'alcool, mais au final je ne m'en sors pas si mal. Je me sens juste particulièrement bien, comme ça ne m'était pas arrivé depuis très longtemps.

À présent, Tom et moi marchons dans la rue, le ciel étoilé au-dessus de nos têtes et les réverbères nous éblouissant à chaque pas. Il a proposé de me raccompagner quand on est sortis, tel le parfait gentleman qu'il est, et cette fois j'ai accepté de prendre son bras. Évidemment, il a aussi insisté pour payer l'addition, bien que j'aie protesté pendant cinq minutes au moins.

Autour de moi, tout semble plus lumineux et plus coloré. Je sais pertinemment que c'est dû à l'alcool que j'ai ingéré, mais putain, c'est beau !

– C'est beau, Londres, quand il ne pleut pas, je claironne.

– On dirait que tu penses qu'il pleut tout le temps, rétorque Tom.

Je lève les yeux au ciel en riant.

– L'Angleterre, c'est comme la Normandie, j'explique. Il peut faire beau tous les jours, mais il pleut forcément tous les jours aussi. Le pire, ici, c'est qu'il y a le brouillard qui s'ajoute.

– Il ne pleut pas, là où tu habites ?

De nouveau, je m'esclaffe bruyamment.

– Si, bien sûr. Mais pas beaucoup. À Marseille, on connait la chaleur, le soleil et la plage.

Je pousse un long soupir.

– La mer me manque.

– En Angleterre, nous avons la mer aussi, tu sais.

– Oui, merci, mais on ne peut pas s'y baigner, l'eau est gelée.

– C'est parce que tu n'as pas l'habitude, commente Tom en haussant les épaules.

En même temps, qui pourrait s'habituer à se baigner dans une eau à douze degrés en plein été ? Vraiment, les anglais sont étranges. Tout compte fait, les nordistes de la France ne sont pas beaucoup mieux, mais eux ont le mérite de : 1) ne pas avoir des expressions bizarres comme il pleut des chats et des chiens ; 2) avoir une alimentation normalement constituée, et pas du porridge ni de la gelée.

– Et dire que j'aurais pu rester à Marseille et profiter de la plage et du soleil avec mes amis, je souffle.

Tom rit.

– Mais tu dois améliorer ton niveau d'anglais.

– Mais je dois améliorer mon anglais, je confirme en souriant.

– Depuis combien de temps es-tu ici, déjà ?

– Trois semaines.

L'acteur reste songeur quelques secondes. Quant à moi, j'en profite pour détailler un peu plus les alentours. Bien qu'il ne soit pas si tard que ça, peut-être vingt-trois heures voire vingt-trois heures trente, beaucoup de fenêtres ne laissent filtrer aucune lumière. Quelques voitures circulent sur la route principale, mais pas assez pour me rappeler un soir d'été chez moi. À Marseille, il y a du monde en permanence sur la route, y compris à quatre ou cinq heures du matin.

– Tu parles vraiment bien anglais.

– C'est gentil, je le remercie. À vrai dire, j'avais plutôt des problèmes de compréhension. Le vocabulaire, tout ça, je l'avais déjà, mais comprendre à l'oral ? C'est une autre histoire.

Il est vrai que, parce que je lis en anglais des livres que je connais déjà par cœur en français, j'ai réussi à me faire tout un répertoire de mots plus ou moins utiles, mais néanmoins variés. Cependant, j'ai toujours eu du mal à comprendre ce qu'on me dit dans une autre langue que le français, surtout dans un débit normal. Parlez lentement, il n'y aura aucun problème.

– Tu parles très vite, en français, continue Tom.

Je ris.

– On me le dit souvent, même les français, j'admets. Ce n'est pas trop dur de me comprendre ? On peut parler en anglais, autrement.

Tom secoue la tête.

– Ça va. J'aime bien les défis, et toi, tu es un défi.

Je sens mes joues chauffer, signe que je rougis. Vite, quelque chose d'intelligent à répondre, sinon c'est l'alcool qui va parler pour moi, et je ne suis pas sûre de vouloir entendre de telles âneries.

– On me l'avait jamais faite, celle-là, je murmure, plus pour moi même que pour l'acteur.

– Il y a un début à tout, réplique Tom.

Je souris. Me dire que je suis un défi, est-ce sa manière de flirter ? Remarque, tant que je suis un défi agréable, ça devrait aller. Je peux vite me révéler être chiante, parfois, et le défi peut virer au cauchemar.

– Et donc, qu'est-ce que tu fais dans la vie ? Tu travailles ?

Je m'esclaffe et lève les yeux vers les étoiles.

– Non, je réponds. Je viens de finir mes études, en fait.

– Oh ! Des études de quoi ?

– Si je te dis, tu ne sauras pas de quoi je parle.

Tom hausse les épaules.

– Dis-moi.

– J'ai fait un CAP petite enfance.

– Un... What ?

Je glousse et lance un regard moqueur à l'acteur, dont les sourcils sont froncés au-dessus de ses jolis yeux bleus.

– C'est un truc pour pouvoir travailler avec les enfants, j'explique. Et en octobre, je passerai mon concours pour travailler dans les écoles maternelles, ça s'appelle ATSEM.

– Les enfants, c'est ton domaine, du coup ?

Je hoche la tête.

– Oui, c'est même une passion. On peut pas tous kiffer le théâtre comme toi !

– Qu'est-ce que ça veut dire, ''kiffer'' ?

– Aimer, ou adorer. Par exemple, toi, tu kiffes le théâtre. Je me trompe ?

Tom secoue la tête en riant.

– J'aime beaucoup le théâtre, c'est ma passion, affirme-t-il. Et toi, c'est les enfants. Est-ce qu'il y a une raison en particulier ?

Je soupire tout en réfléchissant à ce que je peux répondre. Il n'y a pas vraiment de raison à mon attachement aux gamins, c'est et ça a toujours été naturel chez moi. Ma mère étant assistante maternelle, je suis née dans le milieu, et ça m'a paru être une évidence dès que je me suis lancée là-dedans aussi.

Je m'empresse de le faire remarquer à Tom. Bon sang, il ne délaisse donc jamais son sourire ?

– Et toi, alors ?, j'enchaîne. Comment t'es venue ta passion pour le théâtre, le jeu d'acteur, tout ça ?

– Je crois que j'ai toujours aimé, dit-il, l'air songeur. Je suppose que, toi et moi, on était né pour ce qu'on fait.

Bien qu'il soit à côté de moi, mes yeux plongent dans les siens et je suis incapable de décrocher mon regard. Je n'ai pas l'habitude d'agir de la sorte, mais là j'ai bu, et mon comportement évolue fortement sous alcool, même à faible dose.

– C'est une bonne chose, je finis par lâcher, détournant les yeux. Tu es un très bon acteur, j'espère que tu le sais.

Soudain, les lumières de la ville ne me semblent plus si colorées, si jolies. Tout paraît s'assombrir tandis que je réalise avec tristesse que, justement, Tom est un acteur célèbre. Moi, je ne suis qu'une pauvre petite étudiante française qui s'est perdue dans Londres.

– Tu as l'air triste, intervient Tom. Est-ce que tout va bien ?

– Je... Oui, ça va. Je suis juste un peu fatiguée.

– Tu es sûre ?

Tom n'est visiblement pas dupe, il a dû comprendre que quelque chose m'a poussée à changer de comportement. Quant à moi, je ne peux que m'en prendre à moi-même. Chaque fois que j'ai de l'alcool dans le sang – ou la plupart du temps, dirons-nous –, je finis par me sentir mal. Attention, pas me sentir mal dans le sens vomir ou quoi, non. Je parle ici de me sentir mal mentalement. Si j'ai la moindre réalisation désagréable, je peux finir par chialer ma race jusqu'à avoir complètement éliminer l'alcool de mon corps.

J'apprécie beaucoup la compagnie de Tom, il est encore plus extraordinaire en vrai qu'à travers un écran et des interviews. Toutefois, je sais très bien qui nous sommes, l'un comme l'autre, et ça me fait mal.

– On est arrivés, je fais alors que la maison de Carl et Ellie apparaît au détour d'une allée.

Nous comblons les quelques mètres qui restent en silence. Je me plante alors devant le portail et me tourne vers l'acteur.

– Merci de m'avoir raccompagnée.

Il sourit.

– Avec plaisir. J'ai beaucoup apprécié ta compagnie, ce soir, et j'espère qu'on pourra se revoir.

Mon cœur se fissure sur ses paroles. Non, pitié ! Qu'il ne me donne pas d'espoir !

Tom prend ma main et y place un baiser sur le dos, comme le ferait n'importe quel gentleman. Puis, avant de la relâcher, il sort un stylo de sa poche. Toujours prêt à signer des autographes, je vois !

– Can I... can I write something on your hand ?, demande-t-il en repassant en anglais. 

[Est-ce que... est-ce que je peux écrire quelque chose sur ta main ?]

Je hoche la tête, consciente que s'il s'exécute, je ne laverai peut-être plus jamais cette fameuse main.

L'acteur écrit une suite de numéro à l'encre noire puis remet le capuchon sur son bic. Un nouveau baise-main, et il sourit.

– Call me when you want, and we'll meet again.

[Appelle-moi quand tu veux, et on se reverra.]

– Thank you for everything. 

[Merci pour tout.]

– You're welcome ! Have a good night, Axelle.

[Pas de soucis ! Passe une bonne nuit, Axelle.]

– You too, je réponds tandis que Tom s'éloigne.

[Toi aussi.]

Alors que l'homme tourne au coin de la rue, disparaissant de mon champ de vision, une larme roule sur ma joue. Est-ce exagérer que de dire que j'ai vraiment adoré cette soirée ?Honnêtement, c'était l'une des plus belles de toute ma vie.

Mon cœur se comprime tandis que je sanglote en silence. Malheureusement, il n'y a personne pour me réconforter. Mathieu a bien précisé qu'il n'était pas joignable ce soir, aussi je me contente de rentrer en étant le plus discrète possible.

Peut-être que si je dors, je vais réussir à me calmer. Il faudra cependant que je parvienne à m'endormir, et avec la soirée de dingue que j'ai passée, cela ne va pas être une mince affaire. 

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