Chapitre 87
Comme je m'y attendais, j'ai eu droit à une troisième césarienne. Je pense qu'à ce stade, si j'accouchais encore quinze fois, j'y passerais à chaque fois, parce que les médecins préfèrent éviter de tenter le diable : ma cicatrice pourrait s'ouvrir si j'accouchais par voie basse, il est plus prudent de s'abstenir.
À présent, le troisième enfant de la famille Hiddleston dort paisiblement dans son berceau en plastique. Leo James Hiddleston, de son nom complet, est, à l'instar de son frère aîné, un petit gabarit : quarante-neuf centimètres exactement, et trois kilos cent tout rond. Il est né avec une semaine d'avance, juste pour débuter correctement ce mois de novembre.
Mes parents et ma sœur sont venus me voir hier, surlendemain de mon accouchement. Néanmoins, ils ne pouvaient pas rester bien longtemps : Laura a ses études, et mes parents leur boulot. Je sais qu'ils devaient repartir ce matin.
Diana aussi est venue, avant-hier. Quant à Tom, évidemment, il est venu tous les jours. Si j'ai bien compris, il amènera Daisy et Matthew avec lui tout à l'heure ; j'ai hâte de revoir mes deux amours, et surtout de leur présenter leur petit frère.
Si les deux aînés sont venus au monde avec un duvet roux sur la tête, ce qui leur vaut l'honneur d'être de mignons petits rouquins à présent, ce n'est pas le cas de Leo. Nous n'avons aucune certitude quant à sa couleur de cheveux, pour la bonne et simple raison qu'il n'en a aucun sur le crâne. Il est plus chauve que mon père, et ce n'est pas peu dire puisque mon pauvre papa a perdu tous ses cheveux au cours des deux années précédentes.
Des coups contre la porte me font lever les yeux. Je suis prête à parier tout ce que j'ai que c'est un de mes enfants qui cogne pour entrer. Et en effet, voilà Matthew qui entre, tout guilleret, suivi de Tom qui tient Daisy dans ses bras.
– Maman !
Ni une ni deux, Matthew grimpe sur le lit pour se serrer contre moi. Quant à Daisy, elle s'accroche à son père comme à une bouée de sauvetage, et observe d'un œil méfiant le berceau où dort Leo.
J'embrasse doucement mon fils aîné sur le front tandis que Tom s'approche du nouveau-né.
– Tu vois, explique-t-il à Daisy, c'est ton petit frère, Leo. À présent, tu n'es plus la plus petite, tu es une grande sœur.
– Leo ?, demande la petite fille en fronçant les sourcils.
Elle pointe un doigt vers son petit frère, qui remue mais ne se réveille pas. Craintive, Daisy se recule en écarquillant les yeux.
– Papa !
Elle niche sa tête dans le creux de l'épaule de l'acteur, qui rit doucement avant de venir s'assoir sur le bord du lit. J'ai à peine le temps d'embrasser ma fille que celle-ci se colle contre son père en marmonnant quelques mots incompréhensibles.
Daisy, c'est la fille à son papa : toujours dans ses pattes, à le suivre partout sans jamais le laisser respirer. Je ne dis pas que je ne suis pas proche d'elle, bien au contraire ; c'est simplement que le lien entre Tom et elle est incomparable. Je suppose que c'est en quelque sorte un complexe d'oedipe prématuré. C'est pour cette même raison que Matthew est plus demandeur de moi que de son papa, et je suis prête à parier que ce sera le cas de Leo également. On ne change pas la nature humaine.
– Comment s'est passé la nuit, sweetheart ?, demande Tom en posant une main sur ma cuisse.
Je pousse un long soupir.
– Bien, je crois. Leo a pleuré quelques fois pour réclamer à manger, mais rien de bien méchant.
Je ne me prononcerai pas tout de suite pour ne pas nous porter la poisse, mais ça ne m'étonnerait pas que Leo fasse rapidement ses nuits. Tant mieux.
Chaque jour, je remercie le ciel car je m'estime chanceuse. Certains ne peuvent pas avoir d'enfants, d'autres enchaînent les fausses couches avant de parvenir à toucher leur rêve du doigt... Je n'ai pas eu ce genre de problèmes, que ce soit pour Matthew, Daisy ou Leo. Chaque jour, je pense à ces femmes et ces hommes qui attendent un miracle : je prie pour qu'il le leur soit accordé le plus vite possible.
Le soir-même, me voilà de retour à la maison. Comme pour mes deux accouchements précédents, Tom a veillé au grain : la vaisselle est faite, la maison est rangée, nous n'avons plus qu'à coucher les enfants et je pourrai me reposer. Trop de fois, j'ai surpris des femmes expliquer que lors de leur accouchement, leur mari n'avait rien fait à la maison, et qu'elles avaient dû faire toutes les tâches ménagères à peine rentrées.
Si Matthew et Daisy sont partis se coucher sans faire d'histoire et dorment à présent, chacun dans leur chambre, ce n'est pas le cas de Leo. Le bébé n'a pas l'air fatigué pour un sou, il a hurlé quand je l'ai déposé dans son berceau. Pour le moment, il dormira dans notre chambre, mais dans un mois ou deux tout au plus, il élira domicile dans son propre nid.
Avec un long soupir dans lequel j'expulse tout le stress accumulé ces derniers jours, je m'assois dans le canapé. Tom fait de même, Leo contre sa poitrine. Ce dernier semble apprécier le contact humain, ses traits sont carrément détendus.
– Tu sais que ton interview est sortie sur Youtube aujourd'hui ?, demande Tom avec un demi sourire.
Je hoche la tête. En effet, j'ai bien réalisé une interview exclusive pour la chaîne de Samuel Ambres, le jeune journaliste qui m'a défendue lors de l'avant-première de Underwater. Il a été d'une politesse et d'une gentillesse admirables, ça m'a redonné foi en l'humanité. Chacune des questions qu'il me posait concernait mon travail, mes projets professionnels, rien qui ne concerne ma vie privée.
Samuel m'a demandé ce que ça faisait d'avoir vu Underwater sur grand écran, et si j'avais quelques anecdotes de tournage à raconter. Je lui ai détaillé en long, en large et en travers comment Leila, gênée par son costume aux jambes pleines de capteurs, avait dû chuter au moins quarante fois en se rattrapant chaque fois in extremis à la personne la plus proche. Joseph a même perdu une poignée de cheveux à cause de ça, un jour. J'ai aussi raconté comment Jonathan et Liam s'amusaient à échanger leurs répliques parfois, rendant fous les scénaristes ; personnellement, ça me faisait mourir de rire.
Il y a tout un tas d'autres anecdotes que j'aurais pu raconter, mais trop pour que je puisse me souvenir de toutes. Même aujourd'hui, je ne me rappelle pas de chacune, preuve que ma mémoire n'est pas infaillible.
– Tu sais..., commence Tom d'une voix douce.
Il est interrompu par un gazouillis de Leo, ce qui le fait sourire. Mon cœur fond un peu plus face à tant de mignonnerie.
– Quand je t'ai proposé de venir vivre à mes côtés pour que tu puisses te concentrer sur ton rêve, je ne me doutais pas que tu arriverais jusque là. Non pas que je n'ai pas confiance en toi, ajoute-t-il précipitamment, comme si je risquais de mal prendre ses paroles.
Je souris. Comme si je doutais de la confiance qu'il place et a toujours placé en moi ! Il est celui qui m'a le plus encouragée, sans jamais montré un seul signe de dissidence.
– C'est juste que je n'imaginais pas à quel point les gens répondraient à ton appel. Je dois bien avouer que je suis extrêmement fier de toi, de tout ce que tu as accompli en si peu de temps. Le tout en accouchant de trois enfants pendant le processus !
Je pouffe.
– Avec la césarienne, je ne suis pas certaine qu'on puisse considérer ça comme un exploit, je commente en riant.
Il lève un sourcil.
– Tu plaisantes ? On t'a perforé le ventre par trois fois pour en extraire un nouveau-né, et tu ne considères pas ça comme un exploit ! Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, darling ?
Je m'esclaffe de plus belle.
– D'accord, c'est vrai. Tu as raison : je suis formidable.
– Exactement !
– Tellement formidable que je vais te laisser aller nourrir ton fils, je dis en désignant d'un coup de menton Leo, qui commence à s'agiter.
Je sais qu'il va avoir faim d'ici quelques minutes. Tom ne proteste pas, ne discute pas : il se lève et s'en va préparer le biberon du nourrisson. Lorsqu'il revient, je peux l'observer le lui donner, souriant comme un dingue.
– Est-ce que tu doutes toujours d'être un bon père ?, j'interroge avec un brin de malice.
Il rit.
– Je n'arrêterai jamais de douter, honey.
Oh ça oui, j'en suis persuadée ! Néanmoins, s'il y a une chose dont je suis encore plus certaine, c'est que Tom était né pour être père, tout comme je l'étais pour être mère. Il ne s'en est peut-être jamais rendu compte, mais moi j'ai l'oeil pour ces choses-là.
Le repas de Leo terminé, il lui fait faire un petit rot puis nous montons le coucher dans la chambre. À peine posé dans son berceau que déjà il pleure ; je sais ce qui va se passer ensuite sans avoir besoin de poser la question.
– I stormsvarte fjell jeg vandrer alene, commence Tom d'une voix claire.
Je connais cette chanson par cœur ; à l'époque où Daisy avait du mal à dormir, son père la lui chantait pour l'apaiser. Aussi, je joins ma voix à la sienne :
– Over isbreen tar jeg meg frem, I eplehagen står møyen den vene. Og synger : når kommer du hjem ?
Nous ne chanterons pas le reste, car c'est cet unique passage qui est assez calme pour servir de berceuse. Toutefois, notre mission est réussie : Leo s'est endormi. Sur la pointe des pieds, Tom et moi ressortons de la chambre en refermant la porte derrière nous.
C'est étrange, malgré mon séjour à la maternité, je ne suis pas fatiguée. Au contraire, je me sens en pleine forme, malgré la douleur sourde qui évolue dans mes entrailles.
Nous voilà de retour sur le canapé, dans le silence presque improbable de la maison. Pas de télévision, pas de téléphone, et pas de pleurs ou de cris d'enfants pour nous vriller les tympans : juste le calme.
Prenant une grande inspiration, je pose ma tête sur l'épaule de Tom en respirant son odeur à pleins poumons. Je ne me lasserai jamais de ce mélange de fleur d'oranger et de bergamote. Je me souviens encore de la première fois que je l'ai vraiment sentie : c'était lors d'un de nos premiers rendez-vous, j'avais froid et Tom m'avait prêté sa veste. Comme ces instants semblent remonter dans le temps, à présent !
– Tu sais que je t'aime, n'est-ce pas ?, je murmure en m'appuyant un peu plus sur mon mari.
– Je t'aime aussi, sourit Tom. Plus que tout.
Il soupire et passe une main dans mes cheveux. Ses yeux ont cet éclat particulier, celui qui prouve qu'il serait prêt à décrocher la Lune si je le lui demandais.
– Tu m'as donné tout ce que j'ai toujours voulu. L'amour, une famille, et tellement plus encore. Je te suis tellement reconnaissant, je ne sais pas si je pourrais jamais assez te remercier pour ce que tu m'as apporté.
– Je pourrais dire la même chose de toi, tu sais. Tu m'as donné la famille dont j'ai toujours rêvé.
Qu'aurais-je pu rêver de mieux ? J'ai vingt-huit ans, je suis mariée à l'homme de ma vie, nous avons trois magnifiques et merveilleux enfants, et tout va bien dans notre quotidien.
Parfois, quand je repense à celle que j'étais avant de rencontrer Tom, je suis prise de nostalgie. J'étais jeune, innocente, et j'ai été propulsée dans une vie d'adulte très vite. Pourtant, je ne changerai rien à tout ce que j'ai vécu. J'étais née pour cette vie, je le sais. Rien n'aurait pu mieux se dérouler.
Avant de rencontrer Tom, je n'aurais jamais pensé mettre un pied dans ce monde auquel j'appartiens à présent malgré moi. J'ai vécu la vie dont beaucoup de jeunes filles rêvaient. Et si je l'ai fait, pourquoi ne le pourraient-elles pas elles-aussi ? Après tout, je n'étais personne, simplement une petite française perdue dans Londres, et la vie a placé sur mon chemin cet homme parfait que j'ai fini par épouser.
Tout ça alors qu'à la base, je n'étais qu'une simple Hiddlestoner.
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