Chapitre 83
– Eeeeeet... coupez !
J'entends le bruit du clapet sans vraiment le voir.
– Cut the check, je murmure, plus pour moi-même que pour les gens autour de moi.
Je suis comme ça, j'ai des références dont je me sers dans la vie de tous les jours. J'ai passé la majeure partie de ma vie à citer tous les univers que j'aime, films, livres ou autres, je ne vais pas m'arrêter maintenant.
Alors que les caméras se mettent en veille, que les acteurs soufflent, je réalise ce que tout ça signifie : c'est terminé. Après plus de deux mois de tournage, c'était la dernière scène à filmer.
Une salve d'applaudissements retentit dans la salle.
– Mesdames et messieurs, le tournage est terminé !, annonce Chris d'une voix de stentor.
Je m'aperçois qu'il tient un micro, relié à deux amplis. Normal que j'aie l'impression de l'entendre hurler dans mes oreilles, dans ce cas.
– Tu veux dire un mot, peut-être ?, me lance Chris tout en me tendant le micro.
– Euh, je... Oui, merci.
Portant ledit micro jusqu'à ma bouche, je pousse un soupir. Je me creuse la cervelle pour savoir quoi dire, mais rien ne sort. Néanmoins, personne ne semble m'en tenir rigueur, car tous attendent que je trouve l'inspiration.
– Bon, alors... J'aimerais vraiment vous remercier, tous autant que vous êtes. Vous m'avez permis de vivre une expérience unique et magique, et j'ai aimé chaque seconde passée à vos côtés.
Soudain, la porte s'ouvre sur Tom qui entre, Daisy dans les bras. Quant à Matthew, il se précipite vers moi, les bras grands ouverts.
– Maman !
– Salut, mon amour !
J'interromps un instant mon discours pour soulever mon fils, qui referme ses bras autour de moi et pose sa tête sur mon épaule. Et dire que dans un mois à peine, il aura quatre ans !
Pour le moment, comme nous étions à Los Angeles le temps du tournage, nous faisions l'école à la maison pour Matthew. Dès qu'on sera de retour à Londres, il entrera à l'école maternelle et poursuivra son cursus là-bas. Même s'il n'a que trois ans, nous trouvons nécessaire de ne pas le laisser sans rien.
En Angleterre, ce n'est pas comme en France. L'école n'est pas obligatoire, seulement l'enseignement, et surtout, ce n'est réglementé qu'à partir de cinq ans. Nous pourrions donc inscrire Matthew à partir de cet âge-là, néanmoins Tom et moi avons convenu qu'il était mieux pour lui de commencer dès maintenant. Avec des bases telles que l'alphabet, les chiffres, il sera plus simple pour lui d'entrer à l'école après.
Des gloussements attendris se font entendre, qui me ramènent aussitôt à la réalité ; l'équipe au complet attend la suite de mes paroles.
– Désolée, je souris, problèmes de maman.
Ils rient.
– Donc, comme je disais... Je vous suis vraiment reconnaissante pour tout ça, pour avoir fait de ce rêve d'enfant une réalité. Je vais vous raconter une petite anecdote à ce sujet, d'ailleurs.
J'inspire un grand coup avant de reprendre :
– J'ai commencé à écrire à l'âge de huit ans. À l'époque, j'écrivais une histoire sur Hello Kitty et la disparition de sa sœur, Mimi.
Comme tout le monde pouffe, je fais de même.
– Je tiens à vous prévenir que je ne suis jamais allée au bout de cette histoire, même si j'en ai écrit quelques chapitres. Mais pour une enfant de huit ans... C'était déjà un exploit.
Au fond de la salle, pile en face de moi, Tom me sourit. Malgré la distance entre nous, je peux clairement voir ce sourire se propager à ses yeux, et mon cœur se serre. C'est à lui que je dois d'être arrivée jusque là, je ne l'oublierai jamais, peu importe ce qu'il pourrait nous arriver demain.
– Le premier véritable roman que j'ai terminé, je l'ai écrit pendant l'été de mes douze ans. À ce moment-là, mes parents, ma sœur et moi étions en plein déménagement. Comme mes parents voulaient prendre une semaine pour faire toutes les peintures de la maison, ils nous ont laissé chez ma grand-mère. J'ai passé cette semaine entière derrière son ordinateur, à taper des mots à la suite les uns des autres.
J'ai envie de rire quant à l'histoire qui en avait découlé. Honnêtement, si je l'aime parce que c'est mon premier roman, lorsque je le relis, j'ai envie de me taper la tête contre la table.
– J'ai écrit sur mon doudou, je balance, un peu honteuse mais pas moins fière. C'était une histoire de malédiction lancée sur la Terre pour qu'aucun enfant ne puisse plus jamais se séparer de son doudou, et d'une fille de douze ans qui devait partir en mission pour enlever ladite malédiction. J'ai toujours le manuscrit que j'avais imprimé à la fin... Il compte vingt pages, en recto uniquement, police vingt-quatre au moins. Toutefois, c'était ma première œuvre terminée. Énigme des doudous de Doudouville, si vous voulez connaître le titre.
En comptant un copié-collé d'une nuit parce que j'avais la flemme d'écrire la deuxième, mais ça, ils n'ont pas besoin de le savoir.
– Un deuxième roman a suivi cette année-là. Pas énorme, tout au plus cinquante pages, mais le scénario était déjà mieux élaboré. J'étais attachée aux personnages, et je tirais le tout d'un rêve. Comme souvent quand j'écris, en fait, mais bref.
Je m'esclaffe doucement. Il est vrai qu'avec mes rêves parfaitement scénarisés et tellement impressionnants, j'ai une réserve inépuisable quant à mon inspiration.
– Après ça, j'ai continué à écrire autant que je le pouvais. Rien n'a été terminé avant longtemps, parce que je finissais immanquablement par abandonner en cours de route. Manque d'inspiration, syndrome de la page blanche... Autant de contraintes qui me tiraient vers le bas. Et puis, j'ai rencontré Tom.
J'adresse à ce dernier un petit signe de main, auquel il répond. Évidemment, toutes les têtes se tournent vers lui, comme pour vérifier qu'il est bien là.
– Je ne vais pas m'étendre à ce sujet, parce qu'il sait déjà à quel point je ne pourrai jamais assez le remercier. Toujours est-il qu'il m'a soutenue, m'a apporté la solution sur un plateau doré : j'ai pu mettre un point final à mon premier vrai roman. Roman qui a été édité, et à partir duquel nous avons travaillé ces trois derniers mois.
Je souris à tous ceux rassemblés devant moi. Certains sont des professionnels avec des années d'expérience, d'autres débutent à peine leur carrière, mais grâce à chacun d'eux, je suis comblée.
– Et aujourd'hui, grâce à vous tous, je suis enfin à même de contempler l'univers que j'ai durement créé, sur lequel j'ai planché pendant des heures, des jours, des années, prendre vie. J'aurai vingt-huit ans cet été, ce qui signifie que j'aurai passé seize ans de ma vie à écrire. Seize ans qui m'ont menée à ça. Alors oui, merci pour tout. Merci à l'équipe, qui m'a généreusement laissée assister aux auditions, qui m'a incluse dans la direction de ce projet. Et surtout, merci aux acteurs, les plus grands comme les plus petits, parce que vous avez su capturer l'âme de mes personnages comme personne d'autre ne l'aurait pu. J'ai hâte de voir les aventures d'Aurore, Luca, Raphaël et leurs amis sur grand écran. J'ai hâte que le monde voie ce que nous avons mis tant de temps et tant d'amour à construire. Et je...
Je suis incapable de continuer, une boule s'est formée dans ma gorge avec l'émotion. Je sens les larmes rouler sur mon visage, pourtant je ne fais pas mine de les essuyer : je suis fière de ces larmes, de ce qu'elles signifient.
– Maman..., chuchote Matthew, sa petite voix néanmoins amplifiée par le micro. J'ai envie de faire pipi.
J'éclate aussitôt de rire, comme le reste de la salle. Si l'atmosphère était lourde une seconde auparavant, ce n'est plus le cas à présent. Qui a dit que les enfants étaient gênants ? Dans ce cas particulier, le petit garçon nous a plutôt sauvés d'un débordement de larmes.
– Je m'en occupe !, lance Suzie en se levant.
Avec un grand sourire, la jeune fille s'approche de moi et penche sa tête vers Matthew.
– Eh, tu veux venir avec moi ? Je peux t'amener aux toilettes, si tu veux. On pourra même passer voir la salle des super-héros !
Mon fils s'écarte aussitôt de moi.
– Oui !, jubile-t-il en se tortillant pour descendre.
Je le pose au sol, où il prend la main que l'actrice lui tend et s'éloigne avec elle. Quant à moi, je rends le micro à Chris ; ce dernier nous gratifie d'un discours de remerciements que je n'écoute que d'une oreille.
Plus tard dans l'année, quand le film aura été monté en entier, je devrai me rendre à Paris pour en faire les doublages : Grace aura mes traits et ma voix, en anglais comme en français. J'ai hâte, même si j'ai un peu la trouille. Évidemment, ça ne sera jamais pire que la première fois que j'ai dû tourner face aux caméras. Si je ne me trompe pas, il m'a fallu trois prises avant de réussir à sortir mon texte, et une bonne vingtaine pour arrêter de rire ou de regarder l'objectif. Cette sale manie de planter mes yeux pile vers la caméra...
J'ai déjà fait le tour de la plupart des acteurs, parce que je tenais absolument à les remercier en personne, un par un. Autant dire que ça fait presque une heure que je tourne dans la salle.
J'ai gardé Leila, Jonathan, Liam et Joseph pour la fin, parce qu'ils interprètent les personnages principaux de cette histoire. Quand elle n'était encore qu'une ébauche dans mon cerveau surexcité, ce sont Aurore, Philippe, Luca et Raphaël qui sont apparus en premier. Les autres ont tous suivi, petit à petit, émergeant du chaos qui se formait sous mon crâne.
– Eh, Axelle !
Je me tourne dans la direction de la voix qui vient de m'appeler. C'est Liam, qui lève son verre dans ma direction, comme pour m'interpeler. Joseph et Jonathan sont avec lui, ainsi que Louis.
– Eh, les gars !
Serrant mon propre verre en carton entre mes doigts, tout en faisant attention à ne pas le broyer – bon sang, ce que c'était plus simple les verres en plastique ! Même si oui, c'était pas écologique –, et m'approche des garçons en souriant.
– T'as vraiment écrit un livre sur des doudous ?, demande Louis quand j'arrive enfin à leur niveau.
Je pouffe et hoche la tête.
– Je sais pas comment vous faites, vous les auteurs ou les scénaristes, pour avoir autant d'imagination, commente Jonathan avec un sourire en coin.
J'écarte les mains avec une moue innocente, parce qu'honnêtement, je n'en ai aucune idée non plus.
– Plus sérieusement, reprend Louis, félicitations pour tout ce que tu as accompli. Parce que partir d'un roman de dix pages sur des doudous et arriver à ça, le tout avant d'avoir trente piges... Je ne suis pas sûr qu'il y ait grand monde à qui ça aurait pu arriver.
J'acquiesce. J'en suis tout à fait consciente, et même si je sais que j'ai beaucoup travaillé pour en arriver là – pas moins de sept ans sur Underwater ! –, si je n'avais pas saisi les opportunités, je n'en serais pas au même stade.
Finalement, moi qui pensais que j'allais finir ma vie à travailler dans une école maternelle à m'occuper des gamins... Je n'aurais pas pu imaginer plus différent de ma vie actuelle ! Non pas que je m'en plaigne, bien sûr : j'adore ma vie !
– En tout cas, je dis, vous avez fourni un travail irréprochable sur ce projet, les garçons.
– On a eu de bons conseils concernant les personnages, réplique aussitôt Joseph.
– Même sans mes conseils, vous vous en sortiez très bien. Je suis juste un peu pointilleuse, parfois, et...
– En même temps, t'as le droit, intervient Jonathan. Je veux dire, c'est tes personnages, tu les connais mieux que personne.
Il n'a pas tout à fait tort. Étant donné qu'ils sortent tous de mon imagination, je suis la seule à savoir qui ils sont réellement, et ça me fait toujours bizarre de me dire que peut-être certains ne les voient pas comme moi. D'un autre côté, c'est un peu le but aussi : laissez le lecteur faire marcher son pouvoir de visualisation.
– Est-ce que tu as écrit d'autres romans que Underwater ?
Je hoche la tête.
– Oui. J'ai une trilogie aussi, dont le deuxième tome sort dans deux semaines.
Ce qui me fait penser qu'il faudrait que je termine d'écrire le tome trois, d'ailleurs, parce que mon éditrice l'attendait pour le mois dernier. Heureusement, Héléonore ne m'en veut pas si j'ai un peu de retard, mais même sa patience extraordinaire a des limites.
– Encore de la fantasy, ou complètement autre chose ?, interroge Joseph, l'air intéressé.
– Je me concentre dans la fantasy et le fantastique, pour le moment, je confirme.
– Et c'est quoi l'histoire ?
Je pousse un long soupir.
– Une famille dont les enfants ont des pouvoirs, suite à des expérimentations qu'a fait leur père sur eux. Et toute une histoire où ils doivent sauver le monde, tout ça.
Par tous les dieux, que je suis une piètre vendeuse ! Je ne donnerais même pas envie de lire à un sourd, avec ce pauvre résumé bidon ! Mais aussi, c'est délicat de parler de son travail ; personnellement, ça m'a toujours un peu gênée. De plus, j'ai peur de spoiler trop de choses, alors je me contente de la trame générale de l'histoire.
– Si un jour c'est adapté en film..., commence Jonathan. Je serais ravi d'interpréter de nouveau un de tes personnages !
Je ris. Je ne m'autorise que très peu à espérer une nouvelle adaptation cinématographique d'un de mes romans, mais pourquoi pas après tout !
– Ça, ce n'est probablement pas moi qui choisirai, je rétorque avec un sourire. Mais je serais ravie d'une telle situation.
– J'espère que tu n'es pas en train de draguer ma femme ?, lance une voix grave derrière moi.
Les garçons pouffent tandis que Tom apparaît dans mon champ de vision. Il passe ses bras autour de ma taille, par derrière, et me serre contre lui.
– Tom !, je le reprends en riant.
Il plante un baiser sur le sommet de mon crâne.
– Je plaisante, honey.
En face de nous, les garçons nous observent en souriant. Je sais qu'au début, ils étaient impressionnés par Tom. Pour beaucoup d'entre eux, ils ont été bercés par Marvel toute leur vie. Rencontrer Tom, c'était pour eux comme rencontrer R.D.J ou Chris Evans : un rêve de gosse. Comme quoi, on peut être un fan y compris avec le même métier.
– Où sont les enfants ?, glisse mon mari à mon oreille.
Je désigne du menton un endroit un peu plus loin. Matthew et Daisy sont avec Suzie, qui les fait courir autour d'une chaise en riant. Avec un coup au cœur, je réalise qu'elle me fait penser à moi à son âge : jamais vraiment avec ceux de son âge, préférant plutôt s'occuper des gamins. Mon sourire s'élargit.
J'en veux un troisième. Je ne sais pas pourquoi d'un coup, comme ça, l'envie me prend, pourtant c'est le cas. Je veux un troisième enfant, et maintenant que Daisy est plus grande, plus autonome et moins compliquée... Dès qu'on sera de retour à Londres, j'en discuterai avec Tom.
– S'il vous plaît !, crie une voix que je ne reconnais pas par-dessus le brouhaha ambiant. S'il vous plaît, si vous voulez bien vous organiser un peu, on voudrait prendre une photo pour les souvenirs de tournage !
S'ensuit un branlement de combat car chacun tâche de trouver une place. Je suis compactée au milieu de tous ces gens, mais bien vite Chris vient m'attraper par le bras.
– Viens, tu vas sur le premier rang avec les autres !,explique-t-il.
Et de fait, il ne me lâche le bras que lorsqu'il m'a placé devant le reste de l'équipe.
À côté de moi, Leila a passé un bras par-dessus les épaules de Joseph et de Liam. Jonathan est allongé par terre à leurs pieds, dans une position qui conviendrait tout à fait à son personnage ; Louis l'imite en miroir. Quant à Abby, elle est debout sur la chaise derrière nous, sûrement en train de grimacer.
Tom passe un bras autour de ma taille. Je n'ai pas besoin de demander où sont les enfants, je sais qu'ils sont en bonne compagnie : Suzie est une jeune fille adorable.
– Tout le monde est prêt ?
J'adresse mon plus beau sourire à l'objectif tandis que la personne qui tient l'appareil photo appuie sur le déclencheur.
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