Chapitre 80

Je n'ai pas eu le temps de dire bonjour à Kylian et Kayla, parce qu'ils sont arrivés à peine une minute avant le début de la cérémonie.

N'étant pas croyants, ni l'un ni l'autre, ils se contentent d'un mariage civil devant la mairie. Tant mieux, cela durera d'autant moins longtemps, pour moi comme pour mes enfants.

Matthew est assis sur les genoux de Tom, juste à côté de moi, et observe de son regard émerveillé les gens autour de nous. Quant à Daisy, elle s'est endormie dans la poussette après de longues minutes de bercements intensifs. Au moins, elle dort plus facilement que lorsqu'elle était toute petite. Je suppose qu'à presque un an, elle a réussi à trouver ses marques, tout comme nous. C'est tant mieux, car les journées sont plus calmes, on passe de bons moments tous ensemble, et je suis capable d'avancer sur mes projets d'écriture.

En parlant de projets... Vous ne devinerez jamais ce qui m'est arrivé, il y a trois mois de ça. J'étais tranquillement en train d'écrire quand j'ai reçu un appel : c'était la 20th Century Fox. Autant vous dire que, quand j'ai compris qui j'avais au téléphone, je suis tombée des nues. Et quand la secrétaire chargée de l'appel m'a expliqué que la société voulait adapter Underwater en film... Eh bien, j'ai pris un rendez-vous sans plus tarder, et lorsque j'ai raccroché, j'ai fondu en larmes.

Je crois bien avoir pleuré pas loin d'une heure, j'étais complètement incapable de parler à travers mes sanglots, et Tom s'est un peu inquiété. Quand j'ai fini par me calmer, il a partagé ma joie.

Une semaine plus tard, j'avais un appel vidéo avec Chris Columbus pour discuter des modalités d'un potentiel contrat.

J'ai accepté, sous quelques conditions. Je veux absolument avoir un droit de regard sur les acteurs dépêchés, parce que j'ai une vision toute particulière de mes personnages. Ça, plus le fait que je refuse que les scénaristes ne changent trop l'histoire globale de mon roman – on se souviendra des films Percy Jackson ! –, même s'il est évident que je dois leur laisser de la marge tout de même : ils connaissent mieux que moi les rendus à l'écran, par exemple.

Pour ce faire, Tom, Daisy, Matthew et moi allons partir à Los Angeles pour un petit moment, dès que les directeurs de casting commenceront leurs recherches pour les rôles principaux. Si je ne me trompe pas, courant du mois d'août, le projet devrait débuter. J'ai deux mois pour me préparer mentalement à ce qui va se jouer.

En attendant, j'assiste au mariage de deux de mes amis les plus proches, et je ne suis pas certaine de m'en remettre. Ça fait dix ans qu'ils sont ensemble, ces deux-là !

D'habitude, Kayla et Kylian sont à Paris. Non seulement ils ont fait leurs études là-bas – enfin, plutôt Kayla –, mais à présent ils ont trouvé du boulot sur place. Ce qui explique que, la dernière fois que je me suis rendue à Marseille, je ne les ai pas vus.

Toutefois, ils ont décidé de se marier dans le sud car c'est là que se trouvent leurs familles et la plupart de leurs amis. C'était une solution de facilité, puis il est toujours plus agréable de se marier au soleil que sous un temps de grisaille.

Le dernier mariage auquel j'ai assisté... Je pousse un soupir en me rendant compte qu'il s'agissait du mien, il y a près de quatre ans. J'ai pourtant l'impression que cela remontait à hier. À l'époque, j'étais encore une enfant, âgée d'à peine vingt-trois ans, catapultée dans le monde adulte sans aucune vergogne. À présent, je vais sur mes vingt-sept ans et me suis parfaitement accommodée de la vie qui est la mienne.

Avec un sursaut désagréable, je m'aperçois que je suis plus proche de la trentaine que de la vingtaine. Où sont donc passées toutes ces années ? Elles ont filé tellement vite ! Je savais que le temps s'écoulait comme autant de grains de sable dans un sablier, mais enfin !

– Pourquoi tu fais la grimace ?, chuchote Tom en se penchant vers moi.

– Parce que je vais avoir vingt-sept ans et que dans ma tête, j'en ai encore seize en même temps que j'en ai quarante, je réponds sur le même ton.

Je le vois se maîtriser pour ne pas rire ; il ne faudrait pas qu'on se fasse remarquer, déjà que canaliser les deux gosses dans cette salle bourrée de monde n'est pas chose aisée !

– Vous pouvez embrasser la mariée, déclare enfin le maire.

Aussitôt, Kylian s'exécute. Il attrape Kayla par la taille, l'attire à lui et plaque ses lèvres aux siennes. Les applaudissements retentissent et, à côté de moi, Malek siffle dans ses doigts. Quant à moi, je suis émue comme s'il s'agissait de mon propre mariage ; j'en écrase même une larme.

La cérémonie enfin terminée, nous pouvons enfin sortir. J'attends patiemment de pouvoir féliciter en personne les nouveaux mariés.

–Voici donc la petite Daisy !, s'écrie Kayla en se penchant sur la poussette, un sourire ravi aux lèvres.

Elle prend quelques secondes pour détailler la petite fille du regard, avant de se tourner vers Tom :

– Elle te ressemble énormément !

L'acteur pouffe et hoche la tête. Avec un sourire en coin, je remarque que Kayla vient de le tutoyer : c'est officiel, même s'ils ne l'ont pas vu souvent, mes amis ont enfin adopté mon mari. Vous me direz, après cinq ans, il était temps.

– C'est vrai. Par contre, je me demande bien de qui elle a hérité son mauvais caractère, plaisante-t-il en m'adressant un clin d'oeil.

Il n'a quasiment plus d'accent quand il parle français, à présent. En même temps, vu que chaque fois qu'on voit ma famille ou mes amis, nous discutons en français, j'imagine que c'est normal.

– Clairement pas de moi !, je réplique. Et puis, ça pourrait être pire, mon coeur. Rappelle-toi au début...

Tom acquiesce avec un sourire. Il est vrai qu'au tout début, nous avions du mal à tout gérer car Daisy était un nouveau-né compliqué. À présent, ça va beaucoup mieux, même si elle reste pénible pour la nourriture – compotes, purées, petits pots, autant de variétés qu'elle refuse pour la plupart.

Cette dernière gazouille gaiement en tendant ses petits bras potelés vers Kayla, qui lui lance un regard attendri. Sa robe, d'une couleur crème qui reflète les rayons du soleil, lui descend jusqu'aux chevilles. Elle ne porte pas de voile, ses cheveux sont lâchés sur son dos.

Comme d'autres personnes tentent d'accaparer leur attention, Tom et moi les laissons s'éloigner. De toute façon, nous devons rentrer déposer les enfants à la maison, où la baby-sitter prendra le relais pour la soirée. Comme ça, ils ne seront pas fatigués, nous obligeant à rentrer plus tôt.



Bien plus tard, alors que nous sommes tous réunis dans l'énorme salle que Kayla et Kylian ont louée pour l'occasion, la fête bat son plein. Le repas était délicieux, tout comme la pièce montée – une pyramide de petits choux à la crème succulents –, à présent tous les invités dansent.

– Venez, on fait une photo tous ensemble !, s'écrire Marine en faisant de grands signes.

Avec un sourire, je me précipite vers mes amis. Kylian, Kayla, Malek et Marine... Ça fait des années qu'on se connaît, à présent, des années que peu importent les événements, on se soutient sans hésiter. Et mon départ pour Londres n'a rien changé : chaque fois qu'on se retrouve, nous sommes les plus heureux du monde, et rien n'a changé.

Je me souviens encore du lycée. À l'époque, si je ne connais pas Malek, ce n'était pas le cas de Marine, Kayla et Kylian. Et à cette époque, même si je n'aurais jamais osé le dire tout haut, je ne pensais pas que leur couple allait tenir si longtemps. Pourtant, les années ont tout fait pour me détromper : je n'ai jamais été autant heureuse d'avoir tort.

Bras dessus, bras dessous, nous sourions tous ensemble à l'objectif. Je n'ai pas besoin de nous voir pour savoir que nous sommes rayonnants, tous autant que nous sommes. Je suppose que l'alcool aide un peu.

Ça faisait des lustres que je ne m'étais pas soûlée avec mes amis. Non pas que j'en ai vraiment ressenti le besoin, ni même que je sois tellement ivre que ça – disons que je marche un peu de travers et que je suis très très joyeuse –, mais quelque part, ça fait du bien.

J'ai l'impression d'être revenue à cette époque où on avait dix-huit, dix-neuf, vingt ans, et où on sortait régulièrement tous ensemble. À présent, on a chacun nos vies, on est éparpillés dans plusieurs pays, ce qui ne nous empêche pas de profiter de ce moment, bien au contraire.

J'ai vraiment hésité à boire, ce soir. Mais Tom a insisté sur le fait qu'il voulait que je m'amuse, parce que c'est quand même le mariage de deux de mes plus proches amis. Je lui suis reconnaissante de cette liberté, bien que, de toute manière, Matthew et Daisy soient à la maison avec la baby-sitter.

L'acteur est en pleine discussion avec la sœur aînée de Kayla ainsi que son ami. Je ne sais pas de quoi ils parlent, mais le débat semble les ravir tous ; je suis contente que Tom ne soit pas isolé parmi ces invités dont il ne connaît personne. Et je suis heureuse qu'on soit capables de se tenir éloignés l'un de l'autre le temps d'une soirée : nous n'avons pas besoin d'être collés en permanence pour savoir ce que nous représentons l'un pour l'autre.

Avec un sourire, je réalise que les années n'ont rien changé à mes sentiments pour lui. Au début, beaucoup semblaient douter : j'avais vingt-deux ans quand on s'est rencontrés, il en avait quarante, je peux comprendre que les gens aient été étonnés. Honnêtement, je n'aurais jamais cru vivre tout ça. Néanmoins, si à l'époque j'avais la sensation profonde d'être née pour l'aimer, le temps n'a fait que confirmer cette théorie ; j'espère que ce sera le cas chaque jour qui passe.



Il est plus de cinq heures du matin quand nous rentrons enfin chez nous. C'est Tom qui a conduit, parce que personnellement, j'en étais incapable, légalement comme physiquement.

– Ça faisait longtemps que je ne t'avais pas vu aussi peu sobre, raille Tom alors qu'il referme la portière derrière lui.

Je souris.

– Je sais. Mais, bien que je ne cautionne pas le fait de boire pour s'amuser, tout ça tout ça, je crois que ça m'a fait du bien.

Comme il fronce les sourcils, l'air d'attendre de plus amples explications, je continue :

– Dans le sens où ça m'a rappelé les soirées qu'on faisait, mes amis et moi, avant.

– Avant..., lance songeusement mon mari.

Je hoche la tête.

– Avant nous, je dis doucement. Avant que je ne parte en Angleterre, avant que je ne te rencontre, avant que je ne tombe amoureuse de toi et décide de tout plaquer pour toi.

Je pousse un long soupir et frissonne. Nous sommes peut-être en début d'été, néanmoins le petit air qui s'est levé au cours de la nuit n'a rien de chaud.

– Ne te méprends pas sur mes paroles. Je suis la plus heureuse du tournant qu'a pris ma vie cet été-là, mais... Mes amis me manquent.

Je sens qu'une main se pose sur mon épaule ; mes yeux rencontrent ceux de Tom, et il sourit.

– Tu sais, on pourrait déménager à Marseille, si tu le voulais.

Mon coeur rate un battement, un deuxième, puis je secoue la tête. D'accord, je n'ai pas les idées tout à fait claires à cause de l'alcool, mais tout de même pas à ce point.

– Non, Thomas. J'apprécie ta proposition, vraiment, mais... On ne peut pas faire ça. Tes représentations de théâtre, tu y as pensé ? Ce n'est pas parce que tu as mis ta carrière en pause que tu ne reprendras jamais. Je ne peux pas et ne veux pas accepter. On ne va pas déménager ici juste parce que mes amis me manquent. Je les vois plusieurs fois par an, quand on descend à Marseille ou quand ils montent à Londres, c'est déjà bien. Et puis, le problème resterait le même : Mike, Lucy, John et Lizzy me manqueraient si je revenais en France. Alors bien que j'apprécie vraiment, il est hors de question qu'on fasse ça. Tu ne peux pas tout sacrifier pour moi, ce serait injuste de ma part de te laisser faire.

– Tu es sûre que tu as bu ?, plaisante Tom. Parce que tu me sembles bien sage, là.

Je lui assène mon poing sur le bras en riant.

– C'est la moi bourrée qui raisonne comme ça.

– Eh bien sache que j'aime beaucoup la toi bourrée, dans ce cas, darling.

Je pouffe et glisse ma main dans celle de Tom.

– Et moi c'est toi que j'aime, mon coeur.

Mes yeux se ferment tandis que je comble les quelques centimètres qui restent entre nos deux visages ; nos lèvres se retrouvent dans un choc mélangeant plaisir et douleur. Si je n'étais pas consciente que la baby-sitter se trouve juste derrière cette porte, je crois bien que j'aurais attiré Tom directement jusqu'à la chambre. 

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