Chapitre 8
J'ai approximativement dix minutes d'avance sur l'heure de notre rendez-vous, comme toute personne me connaissant un minimum aurait pu le prédire. Le jour où je serai en retard, il pleuvra des chiens et des chats – dédicace spéciale à nos amis les anglais pour cette expression complètement illogique.
Heureusement pour moi, je ne me suis pas perdue cette fois. Bien que la nuit commence à tomber et que, le soir, tout semble différent à la lueur des réverbères, j'ai retrouvé facilement la rue indiquée.
Je ne sais pas quoi faire pour m'occuper le temps que Tom arrive. Les quelques passants me regardent d'un œil curieux, comme s'ils n'avaient jamais vu une jeune fille attendre sur le bord de la route. D'accord, c'est vrai qu'expliqué comme ça, ça peut porter à confusion. Mais je vous jure que lorsque je me mets sur un coin de trottoir à Marseille, personne ne trouve rien à y redire.
Je serre les pans de ma veste autour de moi. Nous sommes en été, mais nous sommes également en Angleterre, et l'air se rafraîchit énormément en soirée. Moi qui ne suis pas frileuse à la base, me voilà en train de frissonner ; je doute que cela soit entièrement dû à la température ambiante.
J'ai de la chance qu'il ne pleuve pas : quand j'ai vu les trombes d'eau qu'il tombait ce matin, je dois avouer que j'ai paniqué. Mais nous sommes en Angleterre, et le temps semble n'en faire qu'à sa tête.
J'aurais du mal à vivre ici toute l'année. Il est impossible de prévoir à l'avance le temps qu'il fera ; il peut pleuvoir, faire soleil puis du brouillard dans la même journée, et plusieurs fois en prime. Vraiment, c'est pire qu'en Normandie, et en Normandie c'est déjà une catastrophe ! Désolée pour les normands, mais c'est la vérité : j'ai passé assez de temps chez mon oncle là-bas pour être certaine de ce que j'avance.
– Bonsoir, fait une voix derrière moi.
Je sursaute et me fige automatiquement. Oh, ce timbre grave et cet accent à tomber sous le charme... Ça ne peut être qu'une seule personne.
Mon cœur bat à cent à l'heure tandis que je me retourne lentement pour faire face à mon interlocuteur. Tom, vêtu d'un jean et d'une chemise sur laquelle il a enfilé une veste de costard, me sourit.
Arg ! Pourquoi fallait-il qu'il soit beau comme un dieu ? Mon malaise n'en est que plus fort ! De plus, il s'est bien habillé, et moi... Moi, je porte mon jean, mon t-shirt Olaf et ma veste en sweat.
Je me force à respirer, prenant de longues inspirations pour calmer mes mains qui tremblent.
– Hello, je bafouille.
Je suis prise d'une irrésistible envie de disparaître ; mes poumons se compriment et la tête me tourne un peu. Pitié, faites que je ne fasse pas de crise d'angoisse, ce serait un comble !
– Je peux parler français, ce soir, si tu veux, lâche Tom.
J'hésite entre accepter, parce que je sais qu'il parle plutôt bien français, et refuser parce que son accent me déconcentre énormément. Finalement, je décide d'accéder à sa demande : un peu de français ne peut pas me faire de mal, ça fait à présent trois semaines que je ne parle qu'anglais.
– C'est gentil, j'avance.
Avec un sourire, l'acteur me tend son bras, tel un véritable gentleman. Cependant, je ne m'y accroche pas : je suis tout sauf à l'aise avec l'idée d'un potentiel contact entre Tom Hiddleston et moi-même.
L'homme retire son bras aussi vite qu'il me l'a proposé. Bon sang, j'espère que je ne l'ai pas vexé ! Ce n'était pas mon but.
– Je m'excuse, je ne voulais pas te rendre mal à l'aise.
Je soupire et passe une main dans mes cheveux.
– Non, ce n'est rien, c'est juste que tu... vous...
Une chose que je n'avais pas prise en compte avec le français, c'est l'opposition du ''tu'' et du ''vous''. Jusqu'à présent, en anglais, les deux étant la même chose, je n'avais pas de problème à m'adresser à Tom. Maintenant, je ne sais si je dois le tutoyer ou le vouvoyer, et ça me perturbe.
– Le pub n'est pas très loin, annonce l'acteur.
D'une main, il me désigne une rue un peu plus loin devant nous, d'où s'échappent quelques rires. Visiblement, nous ne sommes pas les seuls à sortir, ce soir.
Oh non ! Je viens de réaliser que si tel est le cas, des gens pourraient me voir avec Tom. Non que j'aie honte, mais enfin, il est célèbre ! Je n'ai pas envie de faire la une des journaux.
Comme l'homme se met en marche, je le suis. Au bord de l'apoplexie, mon cœur menace de s'échapper par l'interstice entre deux de mes côtes et tambourine à l'intérieur de moi.
– Je suis heureux que tu aies accepté mon invitation, lance Tom alors que nous sommes à mi-chemin.
– Oh, euh... Eh bien, c'est moi qui vous remercie de m'avoir invitée, surtout.
– Tu as le droit de me dire ''tu''.
C'est étrange. Je n'ai pas l'habitude de tutoyer des adultes qui sont de presque vingt ans mes aînés, tout du moins pas la première fois que je les vois.
– Sauf si tu préfères le ''vous'' ?, demande Tom après quelques instants.
Je suppose qu'il a interprété mon silence comme un aveu de gêne extrême. Quoi qu'il pense, je dois toutefois avouer qu'il parle extrêmement bien français.
– Non, excuse-moi, je... Je suis un peu à l'ouest.
– Qu'est-ce que ça veut dire, ''à l'ouest'' ?
Je souris, d'un vrai sourire franc cette fois.
– Mmmh... Confus ?
– Like, well... Confused, you mean ?
[Comme, euh... Confus, tu veux dire ?]
Je hoche la tête.
– Oui, voilà.
– Pourquoi es-tu à l'ouest ?
Je réprime l'envie de rire qui me prend. Sa manière de prononcer cette nouvelle expression est tout bonnement adorable, mais tellement marrante !
– Parce que tu m'as invitée à sortir, je réponds du tac-au-tac.
Je place aussitôt une main devant ma bouche. Non mais c'est dingue ça ! Je suis incapable de parler aux gens, et pourtant j'ai réussi à sortir une énormité pareille sans sourciller ? Par pitié, achevez-moi !
– Tu parles très vite, je n'ai pas tout compris, lance pensivement Tom.
– Je suis désolée, je m'excuse, bien que ce ne soit qu'à moitié le cas.
Peu importe, de toute façon nous sommes arrivés. Une vitre fait face à la rue ; des tables s'alignent derrière, et des gens y sont déjà assis.
Lorsque nous traversons la pièce pour nous diriger vers le bar, certains conversations se stoppent automatiquement et des yeux curieux convergent vers Tom et moi. J'ai envie de rentrer sous terre, c'est vrai, mais je suis également très fière d'être là. Pas tout le monde peut se targuer d'avoir été invité par Tom Hiddleston à boire un verre.
– Hello, lance Tom au patron.
Ce dernier se penche sur le bar avec un sourire.
– What can I get you ?
[Qu'est-ce que je peux vous servir ?]
Tom se tourne aussitôt vers moi.
– What do you want to drink ?, demande-t-il, repassant momentanément en anglais.
[Qu'est-ce que tu veux boire ?]
– I don't know, je bafouille. Do you have the same things as in France, or...
[Je ne sais pas. Avez-vous les mêmes choses qu'en France ou...]
Un sourire indulgent s'étend sur les lèvres de l'acteur.
– Do you trust me ?
[Est-ce que tu me fais confiance ?]
– Should I ?
[Je devrais ?]
Il rit puis se tourne vers le barman.
– We'll have two Pimm's, thank you.
[On prendra deux Pimm's, merci.]
– What's a Pimm's ?, je chuchote tandis que l'homme au comptoir se retourne pour préparer nos cocktails. 'Cause in France, Pim's is a biscuit.
[C'est quoi un Pimm's ? Parce qu'en France, Pim's c'est un biscuit.]
– Don't worry, you'll see. And no, it's not a biscuit, here : it's a cocktail.
[Ne t'inquiète pas, tu verras. Et non, ce n'est pas un biscuit ici : c'est un cocktail.]
Devrais-je m'inquiéter ? D'après ce que je peux voir du barman, il verse de la vodka dans le shaker. Tom a-t-il l'intention de me faire boire ? Bien sûr, je ne dis pas non à un peu d'alcool, surtout après tant de temps sans ne serait-ce qu'humer l'odeur d'un bon cocktail, mais tout de même...
– You seem worried, commente Tom en récupérant les verres. Come on, let's sit over there.
[Tu as l'air inquiète. Viens, allons nous assoir là-bas.]
Un verre dans chaque main, il se dirige vers une table un peu plus loin, à l'abris des regards. Je me doute que, dans le cas contraire, les gens risquent de venir nous importuner. Non seulement ils pourraient être lourds face à Tom, mais ils pourraient également se méprendre sur ma présence à ses côtés.
– Take a sit, m'encourage Tom en désignant la chaise à sa gauche d'un coup de menton.
[Assieds-toi.]
Je m'exécute en tremblant. Je ne suis pas du tout à l'aise dans la situation actuelle, il est inutile de le nier, et je suis prête à parier que l'acteur le sait. Toutefois, il ne me brusque pas, et fait mine de rien, ce dont je lui suis reconnaissante. S'il y a bien une chose contreproductive avec les timides maladifs, c'est de leur rappeler à quel point ils sont introvertis.
Tom s'assoit à son tour et pousse l'un des deux verres vers moi. Je l'attrape entre mes doigts, bien contente de pouvoir les occuper ; ils auraient rapidement terminé leur course dans mes cheveux autrement.
– J'espère que tu aimeras, dit Tom en pointant du doigt vers mon cocktail.
Je souris. Il y a peu de cocktails que je n'aime pas, pour parler franchement, sauf peut-être ceux à base de Gin ou de menthe. Par exemple, je déteste le Mojito. Ce que je m'empresse de faire remarquer à mon cavalier.
– C'est bien que j'aie commandé autre chose, alors, commente-t-il en riant.
– On le saura quand j'aurai goûté.
Je ne sais pas pourquoi je commence à me sentir à l'aise, en général j'ai beaucoup de mal à agir naturellement avec les inconnus. Toutefois, c'est comme si je connaissais Tom depuis toujours : peut-être que j'ai vu assez d'interviews et de moments volés à l'acteur pour lui accorder ma confiance.
Quelque part dans mon esprit, la voix de Mathieu me crie de ne pas me fier trop facilement à l'homme, parce qu'il a quarante ans, que j'en ai vingt-deux, et qu'il pourrait très bien avoir simplement envie de faire de moi un coup d'un soir. Toutefois, je me connais assez pour savoir que je n'accepterais pas, même totalement ivre. Je suis demisexuelle, le problème est par conséquent vite réglé.
– Vas-y, goûte, répond Tom en me faisant signe de la tête.
Je porte le verre à mes lèvres et boit prudemment une petite gorgée.
– C'est pas mauvais, j'avoue. En plus d'être super coloré et tout, c'est bon !
Un sourire illumine le visage de Tom.
– Comment on dit, en français, ''cheers'' ?
– Santé ! Ou on peut dire tchin, aussi.
– C'est drôle, tchin. J'aime beaucoup. Alors tchin, Axelle !
Je ris et lève mon verre en direction de l'acteur.
– Tchin, je confirme.
Nous buvons tous les deux une gorgée puis reposons nos verres comme un seul homme.
– Tu sais, je voulais te dire à quel point j'ai...
Tom cherche ses mots.
– À quel point j'ai apprécié ton respect.
Je hausse un sourcil.
– Mon respect à propos de quoi ?
– Well... Les gens ont l'habitude de venir sur moi dès qu'ils me voient, sans penser à ce que je peux ressentir. Mais toi... Tu as vu l'humain que je suis, pas juste l'acteur ou le personnage. Pour toi, je n'étais pas Tom Hiddleston, ni même Loki, j'étais juste... moi. Je suis touché par cette attention, et même si j'aime signer des autographes, je suis touché que tu penses d'abord à mon ressenti qu'à l'autographe.
Je ne pensais pas avoir autant affecté Tom avec ma façon de penser. Pourtant, au vu de son expression, il ne doit vraiment pas avoir l'habitude de tomber sur des gens sensés. Attention, je ne me vante pas, mais enfin, quand on voit à quel point certains fans peuvent devenir toxiques, il ne faut pas s'étonner ! Ce gars a perdu foi en ceux qui auraient dû le porter vers le haut, je trouve ça désolant et tellement triste.
– Je le pense vraiment, tu sais, je dis en souriant.
Peut-être que l'alcool fait déjà son effet sur moi, après tout je n'ai pas bu depuis très longtemps et déjà de base je ne tenais pas l'alcool. Toujours est-il que je me sens assez en confiance pour parler franchement.
– Les gens se rendent compte de rien tant que ça ne les concerne pas, et c'est un réel problème. Comment peut-on vouloir faire avancer le monde si on ne se concentre que sur sa petite personne ? Je l'ai déjà dit, et je continuerai de le répéter : tu es un humain, donc tu as des droits. La vie privée en est un, celui de ne pas te faire harceler dans la rue en est un autre.
Je soupire ; j'espère que j'articule assez pour que Tom me comprenne, je sais qu'il est plutôt doué mais sait-on jamais.
– Il faudrait que les gens comprennent que ce n'est pas parce que tu es un acteur célèbre, qui incarne un personnage aimé par la plupart, que tu leur appartiens.
Je porte de nouveau mon verre à mes lèvres pour le terminer.
– C'est exactement ce qui me plaît chez toi, lâche Tom. Cette façon de voir les choses, c'est... c'est nouveau. J'ai l'impression d'être vu pour qui je suis, pour la première fois depuis longtemps.
J'essaie de ne pas paniquer quant à la signification de son ''qui me plaît chez toi'', mais peine perdue. Je suis sûre que je suis actuellement rouge pivoine.
– Je ne devrais pas être une exception, j'assure.
– Tu préfères être comme tout le monde ?, raille Tom.
Je ris.
– Non, je suis unique en mon genre, évidemment, je réponds en haussant les épaules.
– J'ai remarqué.
Ouf, pourquoi fait-il si chaud tout d'un coup ? Est-ce parce que l'alcool me monte à la tête, parce que Tom flirte ouvertement avec moi, ou juste parce que la pièce a dépassé les vingt degrés ?
Oh mon dieu, Tom flirte avec moi ! Comment suis-je censée réagir ?
Mes yeux croisent ceux de l'acteur et je sens tout mon être fondre sur place. Comment est-ce juste possible d'avoir cette couleur bleu azur dans laquelle on pourrait se noyer ?
– Je ne suis peut-être pas le seul à avoir remarqué. Un petit ami, peut-être ?
J'ai envie d'éclater de rire mais je me contiens du mieux que je peux. Un petit copain, moi ? Le dernier en date remonte à ma dernière année de lycée, il y a quatre ans. Depuis, ma vie sentimentale est d'un calme plus plat que ma petite poitrine, et c'est pas peu dire !
– Non, pas de petit ami, je confesse.
– J'ai donc une chance ?
– Peut-être bien, je lance.
J'essaye tant bien que mal de paraître un peu mystérieuse, mais je ne suis pas certaine que cela fonctionne. Quant au fait que Tom me drague, c'est totalement évident à présent. Je ne sais pas vraiment quoi en penser, mais de toute façon, je ne suis plus très capable de penser tout court, actuellement. Je ne peux que me contenter de glousser bêtement.
C'est vraiment très étrange de discuter avec Tom comme je discuterai avec n'importe qui de mon âge. Quand il est en face de moi et qu'il rit, agit de la sorte, je n'ai pas l'impression qu'un fossé nous sépare. Je n'ai pas l'impression qu'il a dix-huit ans de plus que moi, c'est comme si au contact l'un de l'autre, nous évoluions chacun vers un âge moyen. La sensation est particulière, encore plus parce que j'y pense sans être sobre.
Peut-être qu'avoir une grande différence d'âge, ce n'est pas si grave finalement. Peut-être que justement, cela permet au plus jeune de mûrir plus facilement, et au plus âgé de retrouver une seconde jeunesse en quelque sorte.
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