Chapitre 78

Je presse un peu plus le portable contre mon oreille, histoire de ne pas le faire tomber. À l'autre bout du salon, j'entends Laura jouer avec Matthew, et Daisy gazouiller. À presque six mois, elle a enfin arrêté de pleurer toutes les trois secondes ; elle reste néanmoins un peu compliquée sur les petits pots et les compotes, mais comme beaucoup d'enfants j'ai envie de dire. Je ne m'inquiète pas, ça lui passera avec l'âge.

J'aurais dû savoir que cette gosse m'en ferait voir de toutes les couleurs. Il n'y a qu'à voir à quel point ma grossesse a été pénible. Toutefois, je ne changerais ça pour rien au monde : peut-être que j'en ai bavé pendant neuf mois, peut-être qu'elle nous fait tourner en bourrique, mais elle reste notre fille. Tout comme Matthew, Tom et moi l'aimons de tout notre cœur.

Et contrairement à ce que pense ma mère, ça ne m'a pas dégoûtée d'avoir des enfants, bien au contraire. C'est un challenge que j'accepte volontiers et je sais que, le moment venu, nous en aurons un troisième. Et pourquoi pas, même, un quatrième ?Je ne suis pas fermée à cette idée, si Tom me le propose.

Un éclat de rire me fait sourire. Je ne sais pas ce que Laura a fait, mais visiblement, sa filleule apprécie énormément. Je n'avais jamais entendu Daisy se marrer aussi fort.

Étonnamment, ma sœur est toujours avec son Kévin – elle l'a même emmené à Londres pour fêter Noël avec nous, c'est dire ! Mathieu est toujours avec Gaëlle. Malek et Marine sont toujours célibataires, même s'ils ont chacun eu quelques relations non concluantes. Quant à Kayla et Kylian, leur mariage est prévu pour l'été prochain ; j'ai déjà hâte.

– Et donc, tu redescends quand sur Marseille ?, lance la voix dans le téléphone, me ramenant à la réalité.

Je pousse un long soupir.

– Je ne sais pas encore, Mathieu. Mais ne t'inquiète pas, tu seras le premier au courant quand j'aurai une date.

– J'ai hâte de te revoir, meuf, lâche-t-il d'une voix douce.

Un sourire s'étire sur mes lèvres.

– Moi aussi, mon p'tit Mathieu. Tu me manques chaque jour qui passe, tu sais.

Je l'entends rire à l'autre bout du fil.

– Bon. Et sinon, comment ça va chez toi ?

– Ça va. Daisy va de mieux en mieux, j'ai l'impression que les moments qu'on passe seuls avec elle, Tom et moi, lui ont fait le plus grand bien. Elle continue à refuser les trois quarts des pots qu'on essaie de lui faire manger, mais bon, les goûts et les couleurs des tout-petits, ça se discute pas. Au moins, elle mange, même si c'est toujours la même chose.

Mon meilleur ami lâche un ''mmmh'' songeur, puis poursuit :

– Et le médecin, alors ? Il a dit quoi pour ses yeux ?

– Daisy est myope comme une taupe, j'annonce avec une gaieté forcée. Je suis même pratiquement certaine que la taupe en question voit mieux que ma fille, mais bref. Pour le moment, rien à faire parce qu'on ne peut pas lui mettre de lunettes, mais dès qu'elle sera assez grande elle aura droit à sa petite paire personnalisée.

Je me demande si, au fond, le fait que Daisy ne voie rien – pas étonnant avec moins douze à chaque œil ! – n'a pas pour résultat son caractère très particulier. Enfin, si vous n'y voyiez que dalle à plus d'un centimètre de votre visage, vous aussi vous seriez irritable !

– Et... ça va, toi ? Comment tu prends la nouvelle ?

De nouveau, je pousse un long soupir qui semble aspirer tout l'air de mes poumons.

– On va être une famille de bigleux !, je tente de plaisanter.

Le fait est que, lorsque j'ai appris que ma fille était myope à un degré anormalement élevé, j'ai beaucoup culpabilisé. Je me suis demandé si j'avais fait quelque chose de mal, une simple petite erreur qui aurait pu avoir d'énormes répercussions sur mon bébé. Tom aussi s'en est voulu, mais comme nous faisions tout pour nous réconforter l'un l'autre... On a fini par comprendre que ce n'était pas de notre faute, même s'il a pour ça fallu que le médecin nous le répète quelques centaines de fois.

– Je fais donc partie de votre famille ?, raille Mathieu.

Cette fois, c'est un vrai sourire franc qui s'étale sur mon visage.

– Évidemment que tu fais partie de la famille, Mathieu ! Tu es le frère que je n'ai jamais eu.

– Aïe, la brozone !, clame mon meilleur ami.

– T'es con, je pouffe. Que dirait Gaëlle si elle était là ?

Mathieu s'esclaffe dans le téléphone.

– Oh mais ne t'inquiète pas pour ça, elle entend tout, elle est juste à côté de moi !

– Salut Axelle !, lance la voix de cette dernière comme pour confirmer ses dires. Ravie que tu aies friendzoné Mathieu tout ce temps, maintenant il est à moi !

J'aime bien cette fille. Elle est parfaite pour Mathieu, et puis... Elle n'essaie pas d'empiéter sur notre relation. Depuis le début, elle ne cherche pas à ce qu'il la choisisse elle plutôt que moi, bien au contraire : elle a tout accepté de lui, ce qui me comprenait dans le lot.

– Salut Gaëlle, joyeux Noël !, je réplique aussitôt.

Si nous avions été en visio, je lui aurais adressé un petit signe de la main. À ce stade, si Mathieu et elle rompent – ce que je ne leur souhaite certainement pas ! –, nous pourrions probablement rester amies.

– Toi aussi !

– Bon, allez, ça suffit !, râle mon meilleur ami. Meuf, je vais devoir te laisser, j'ai de la famille qui arrive. On se rappelle une prochaine fois ? Genre, pour le nouvel an par exemple ?

J'acquiesce avec un sourire qu'il ne peut pas voir.

– Parfait. À plus, dans ce cas.

Et, sans attendre ma réponse, il raccroche aussi sec ; je pose mon téléphone sur le buffet à côté de moi et me dirige nonchalamment vers le salon, où Tom discute avec les invités.

Assis sur les genoux de mon père, Matthew s'amuse à jeter une balle en plastique au sol. C'est Lucy qui l'attrape, tandis que Daisy tourne la tête dans tous les sens pour chercher une présence ; elle s'aide de son ouïe, j'en suis parfaitement consciente.

Quel tableau adorable que les trois cousins jouant ensemble ! Néanmoins, je ne m'attarde par plus sur la scène car les adultes discutent.

– Et tes parents ?, interroge Tom d'un ton amical. Ils ne t'en veulent pas de ne pas être là pour Noël ?

Kévin secoue la tête, ses cheveux châtain clair lui retombant sur le front en mèches désordonnées. Est-ce qu'il sait ce que c'est qu'un peigne, déjà ? Parce que vu le fouillis sur sa tête, je me pose sincèrement la question.

– Ma mère a décidé qu'elle ne voulait pas fêter Noël, cette année. Vu que chaque fois ça finit en pugilat à cause de Nicolas.

– Nicolas... Ton frère ?, demande Tom en haussant un sourcil.

Un regard de ma part le dissuade de continuer sur ce chemin-là. Toutefois, Kévin ne semble pas gêné, au contraire, il hoche la tête avec un léger soupir.

– Ouais, mon frère. C'est un cas désespéré, mes parents ne savent plus quoi faire, alors si je peux fuir la maison, je le fais volontiers.

Je jette un coup d'oeil à mes parents, dont la mine compatissante m'était jusque là inconnue. Wow, ils laissent Laura sortir avec un gars dont le frère a de graves problèmes d'addictions, le tout sans sourciller ? Le fait que je me sois mariée avec un acteur célèbre de dix-huit ans mon aîné leur a visiblement fait reconsidérer les choses, c'est dingue !

– Et puis, je suis pratiquement sûr que ma mère trompe mon père, achève Kévin, alors...

Il se tait soudain, conscient d'en avoir trop dit. Quant à ma sœur, elle pose la main sur l'épaule de son petit ami avec un sourire délicat. Je m'attends à ce qu'elle le réconforte gentiment, mais certainement pas à ce qu'elle déclare :

– Bah, au moins tu m'as moi.

Laura et sa finesse légendaire ! Je me demande comment j'ai pu penser qu'elle allait être sérieuse, pour une fois. Néanmoins, sa remarque cynique semble faire son effet, car Kévin sourit avant d'éclater de rire.

– C'est vrai, au moins je t'ai toi, acquiesce-t-il en tendant sa main vers ma sœur.

Il la tire vers lui et la fait assoir sur ses genoux ; Laura glousse, et je ne peux m'empêcher de réaliser à quel point elle a grandi, mûri.

C'est donc ça, prendre de l'âge ? Regarder ceux qu'on aime et qu'on a connus bébés faire leur vie ? Où est passée la petite fille casse-pieds qui passait son temps à me taper sur les nerfs ? Je comprends mieux le bouleversement de mes parents quand je leur ai annoncé mon mariage, puis mes grossesses.

Avec un sursaut, je me rends compte que ce pourrait très bien être au tour de Laura de faire de telles annonces. D'accord, elle n'a que vingt-et-un an, et la plupart des gens ne se marient ni ne fondent de famille à cet âge-là. Pourtant, je pensais pareil de moi-même quand j'avais vingt-deux ans, et regardez où ça m'a menée : j'ai vingt-six ans, je suis mariée avec deux enfants.

– Maman, regarde !, s'écrie une petite voix que je ne connais que trop bien, me ramenant sur terre.

Matthew agite ses bras vers moi pour capter mon attention.

– Allez, papi !

Un sourire amusé aux lèvres, mon père commencent à secouer ses jambes, sur lesquelles le petit garçon ballottent d'un côté, puis de l'autre.

– Je fais du cheval !, s'exclame-t-il, ravi.

Je le suis tout autant que lui, en plus d'être extrêmement émue par la scène. C'est Noël, ma famille est à mes côtés, mes enfants sont heureux et moi aussi. Je n'aurais pas pu rêver mieux. 

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