Chapitre 70
– Joyeux anniversaire, mon amour !, je lance gaiement.
En face de moi, assis dans son lit à barreaux, Matthew tend ses bras vers moi en souriant. Aujourd'hui, c'est son anniversaire, même s'il n'en a pas conscience. Quant à moi, j'ai du mal à accepter l'idée qu'un an auparavant, j'étais à l'hôpital en train d'accoucher. Ça me semble si proche, et pourtant si loin !
– Mama...
Un sourire s'étend sur mes lèvres. Depuis quelques jours, Matthew essaie de prononcer certains mots. Mama, dada, pour papa et maman, ainsi que ''Bee'' pour Bobby. Chaque fois que j'entends sa petite voix de bébé, mon cœur fond un peu plus. Il est tellement adorable ! De plus, c'est un enfant sacrément calme, il ne fait pas de colères ou de crises – je touche du bois pour que ça continue ainsi.
– Dada ?
Je soupire avec un demi-sourire.
– Non, chéri, papa n'est pas là. Il est parti courir et n'est pas encore rentré.
Matthew affiche un air déçu, ce qui me conforte dans l'idée qu'il comprend parfaitement ce que je lui dis. On a tendance à l'oublier, mais les bébés sont loin d'être bêtes.
Alors que je soulève mon fils du matelas et le prends dans mes bras, il pose sa tête sur mon épaule dans une tentative de câlin. Je place une main sur sa tête pour caresser ses cheveux ; Matthew soupire de satisfaction.
De ma main restante, j'ouvre les rideaux ainsi que la fenêtre pour aérer un peu la chambre. Je reviendrai ouvrir les volets plus tard, lorsque je n'aurai plus un petit être dans les bras.
Dans la cuisine, il ne me reste plus qu'à faire chauffer le biberon de Matthew. Si en journée il mange de véritables repas, adaptés à son âge évidemment, ce n'est pas le cas du petit-déjeuner, pour lequel il continue le bib. La seule différence, c'est qu'à présent il ne boit plus du lait en poudre mais du lait de vache. Ça fait ça de moins à acheter pendant les courses.
En général, c'est moi qui m'occupe desdites courses. La journée, Tom a ses répétitions pour le théâtre – il n'a pas encore de tournage, le prochain étant prévu pour avril, mai et juin. Moi, j'avance lentement mais sûrement sur mon prochain roman, tout en m'occupant de Matthew.
Quand il est nécessaire de remplir le frigo, Tom et moi dressons ensemble la liste de ce qu'il nous faut. Le lendemain, je m'occupe de me rendre au supermarché ou de faire une commande. Je suis moins fan de cette deuxième option, car les frais de livraison sont plutôt élevés. De plus, même si je n'aime pas faire les courses en soi, j'adore voir Matthew s'émerveiller de tout ce qui l'entoure dans les magasins. Ça, plus le fait que chaque fois des gens s'arrêtent pour le gratifier de quelque gazouillis, ce qui le fait rire aux éclats.
Les gens ne nous reconnaissent pas toujours, parce que seule, je passe plutôt inaperçue. Ça ne me dérange pas, au contraire : un peu de répit fait toujours du bien. Toutefois, si cela se produit et que la personne en face est un peu trop insistante, j'ai ma technique secrète et infaillible : faire comme si de rien n'était et partir en courant. Ça marche à tous les coups.
Je pense que j'aurais eu du mal à être célèbre. Vraiment célèbre, je veux dire, comme par exemple Tom ou autres acteurs mondialement connus. Avec l'essor de mon premier roman, les gens commencent à connaître mon nom, mais rien de comparable à la vraie célébrité. Être suivi par des paparazzis dès qu'on met un pied dehors ? J'en serais devenue folle, à la longue. Heureusement ce genre de situation, bien que récurrente, n'est pas si régulière que ça pour moi.
Je reviens au moment présent alors que Matthew cogne son biberon en plastique sur la tablette de la chaise haute, réclamant mon attention. Je suis aussitôt prise d'un doute : est-ce vraiment une si bonne idée de le garder moi-même la journée ? Que va-t-il se passer le jour où il rentrera à l'école maternelle ? Ne serait-il pas mieux de le placer au contact d'autres enfants, pour le sociabiliser un peu ?
Oh, bien sûr, nous allons au parc de temps en temps, quand la météo le permet. Mais nous sommes en février, il fait froid, il pleut souvent, ce qui rend nos sorties bien trop compliqués.
Je récupère le biberon des mains de Matthew en me promettant de discuter du sujet avec Tom. Peut-être pourrions-nous inscrire notre fils à la crèche pour un jour ou deux dans la semaine ? Ça lui permettrait de s'adapter un peu à la vie en collectivité.
En parlant de Tom... Voilà la porte d'entrée qui s'ouvre sur l'acteur, dégoulinant mais souriant. Le bout de son nez est rougi par le froid et il porte son bonnet enfoncé jusqu'aux oreilles. Après s'être déchaussé et découvert, Tom avance jusqu'à la cuisine pour m'embrasser doucement du bout des lèvres. Puis il se tourne vers Matthew et dépose un baiser sur le sommet de son crâne.
– Joyeux anniversaire, fils !
Je ris. Depuis quelque temps, mon mari a pris l'habitude d'appeler notre bébé ''fils, c'est adorablement mignon.
– Je monte prendre une douche, annonce Tom.
Je fais mine de froncer le nez et rétorque :
– Carrément ! Tu pues, là.
Il me tire la langue, en tant que bon gamin qu'il est, et je pouffe. Si au début je n'aimais pas particulièrement l'odeur de sa sueur, à présent je m'y suis habituée. J'ai lu quelque part que les odeurs corporelles sont particulièrement importantes dans un couple : je ne peux que confirmer cette théorie.
– Attendez-moi pour les cadeaux !, s'exclame Tom depuis les escaliers.
– Cours toujours !, je plaisante.
Sa réponse se perd entre le premier étage et le rez-de-chaussée, et je souris. Nous sommes des gosses, c'est vrai, mais au moins nous sommes heureux.
Mon téléphone sonne à l'instant même où je place la dernière assiette dans le lave-vaisselle. Avec un soupir, je m'essuie les mains et m'en vais le récupérer. L'écran affiche un appel vidéo sous le nom de ''F*cking sista'' : je suppose que mes parents sont avec elle et appellent pour Matthew. Je lisse donc mes cheveux d'une main avant de décrocher.
– Salut !
Les visages de mes parents et ma sœur apparaissent aussitôt, serrés les uns contre les autres dans le minuscule rectangle de la caméra.
– Axelle !, s'écrie Laura en éclipsant, l'espace d'un instant, les autres.
Mon père la repousse avec un grognement. Quant à ma mère, elle sourit de toutes ses dents.
– Matthew est dans les parages ?, demande-t-elle.
Je hoche la tête.
– Il est là, je dis en déplaçant le téléphone vers la chaise haute. On vient juste de finir de manger.
Je pointe du doigt vers l'écran.
– C'est papi et mamie, j'explique à Matthew.
Ce dernier a l'air passionné par l'objet, il tente de l'attraper mais je le tiens à bonne distance de ses petites mains potelées.
– Et tata Laura, je continue avec un sourire vicieux.
Je sais que ma sœur déteste qu'on l'appelle tata, moi aussi d'ailleurs. Cependant, j'adore l'embêter un peu, d'autant plus qu'on ne se voit pas souvent.
– M'appelle pas tata !, proteste-t-elle sans attendre.
Je lui tire la langue. Au même moment, Tom se glisse derrière moi pour saluer ma famille ; j'étouffe un cri de surprise. Le traître ! Il en a profité pour me chatouiller au niveau de la taille !
À travers l'écran, je vois ma sœur qui hausse un sourcil, pourtant elle reste coite. Étonnant de sa part, j'imagine que mon père veille au grain.
– Comment va mon grand garçon ?, gazouille ma mère.
Je suis prête à parier que si elle était vraiment là, elle gratifierait Matthew de mimiques, telle la bonne grand-mère qu'elle est.
Matthew s'est rapidement désintéressé du téléphone, étant donné que je ne lui permets pas d'y toucher. J'essaie tant bien que mal de ramener son attention sur l'écran, le temps que ma famille lui souhaite un joyeux anniversaire au moins.
– Tu as bien reçu mon virement ?, s'inquiète ma mère.
Je souris et acquiesce.
– Oui, maman, ne t'inquiète pas. Je lui ai acheté une paire de chaussures, comme il ne va sans doute pas tarder à marcher, je pourrai lui mettre.
– Bon, tant mieux. S'il a besoin de quoi que ce soit d'autre...
– Ne vous inquiétez pas, intervient Tom dans un français qui a tout d'irréprochable. Je crois que Matthew n'a besoin de rien, avec tout ce qu'il a eu à Noël.
Ma mère hoche la tête.
– Parfait.
– En tout cas, c'est très gentil d'avoir téléphoné.
Je lève les yeux vers Tom en souriant un peu plus. Ses progrès en français sont phénoménaux, c'est dingue à quel point. Même si son accent est encore perceptible, j'ai l'impression qu'il commence à le perdre, de la même façon que j'ai perdu mon accent français quand je parle anglais. Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou pleurer : j'adore quand Tom parle avec son accent à couper le souffle.
S'ensuit une discussion entre ma famille et l'acteur dont, pour être tout à fait honnête, je décroche bien rapidement. Je suis actuellement en pleine digestion, si je m'écoutais, je ferais une sieste.
Je reviens à la réalité alors que Tom me tend mon téléphone. Il n'y a plus que Laura à l'écran, et à son visage grave, je devine qu'elle a quelque chose à me dire.
– Je vais coucher Matthew, chuchote Tom, avant de me laisser.
Je me retrouve seule, face à face avec ma sœur, qui se tortille avec l'air mal à l'aise.
– Toi, t'as un truc à avouer, je remarque.
Laura jette un coup d'oeil à quelque chose que je ne peux pas voir de là où je suis. Comme le décor derrière elle est sa chambre, je suppose qu'elle vérifie si la porte en est bien fermée.
– Ouais... T'as cinq minutes à m'accorder ?
Je fais mine de consulter ma montre, ce qui la fait rire. Je sens qu'elle en a besoin, elle a l'air nerveuse.
– Bon, tu me tues pas hein ?
Je hausse un sourcil en l'encourageant à continuer.
– J'ai un petit copain.
– Et c'est ça ton grand secret ?, je ne peux m'empêcher de réagir.
– Ouais, je sais, mais...
– Il est comment ?, je la coupe éhontément.
Un sourire s'étire sur son visage ; j'ai l'impression de me voir moi-même, au début de ma relation avec Tom. Non pas que j'aie l'air moins heureuse maintenant qu'avant, bien au contraire, c'est simplement le sourire typique qui veut dire ''j'ai réussi à trouver quelqu'un prêt à m'aimer tel que je suis''.
– J'aurais aimé te le présenter en vrai, mais... Oh, je suis sûre que tu l'aimerais ! Il est fan de Marvel, tu sais. Et de Disney aussi.
– Je l'aime déjà !, je certifie.
À condition qu'il ne fasse pas de mal à ma sœur, parce que sinon, je l'étriperai, fan de Disney/Marvel ou pas. Mais ça, je me garde bien de le dire.
– On s'est rencontrés à la fac, pendant les cours en amphi. Il était assis juste derrière moi, il a fait tomber son stylo, je le lui ai rendu, et il l'a refait tomber approximativement quinze fois pour m'adresser la parole.
J'ai envie de rire mais me contient. Sérieusement ? Je ne connais pas ce gars, mais s'il a des plans foireux comme ça, j'ai hâte de le rencontrer en vrai.
– Il s'appelle Kévin, d'ailleurs.
– Aïe, un mauvais point pour lui, je souffle.
Laura lève les yeux au ciel, pourtant je la vois clairement sourire.
– Et depuis quand vous êtes ensemble ?, je continue sur le ton de la conversation.
– Un peu moins de deux mois.
– Deux mois ?!, je m'indigne. T'es sérieuse ? T'as attendu tout ce temps pour m'en parler ? Laura !
Elle fait semblant de me fusiller du regard.
– Tu peux parler, toi ! Combien de temps t'as mis à me parler de Tom ? Ah oui, c'est vrai, tu l'as pas fait, il a fallu que je te tire les vers du nez !
– Tu m'as rien tiré du tout, je conteste, j'ai choisi de te mettre dans la confidence.
Laura éclate aussitôt de rire.
– Axelle, t'as rien choisi du tout ! Je savais déjà tout avant même de t'appeler, je voulais juste voir à quel point tu étais prête à t'enfoncer !
– Quoi ? Tu m'as piégée ? Espèce de garce !
Ma sœur hoche fièrement la tête, pas étonnée pour un sou de ma fausse insulte.
– Je lis en toi comme dans un livre ouvert, et je te reconnaitrais même de dos dans la nuit la plus noire qui soit. C'était évident dès la première photo que c'était toi et pas quelqu'un d'autre.
Dire que ce jour-là, je pensais que son appel n'était qu'une coïncidence ! En fait, depuis le début, elle me manipulait pour me faire avouer ce qu'elle savait déjà !
– Bon, évidemment, j'ai encore rien dit à papa et maman...
– Laura..., je soupire avec un sourire en coin. T'as peur de leur annoncer, sérieusement ?
Cette fois, je ris carrément. Je n'ai aucunement l'intention de me moquer de ma sœur, je ne suis pas en train de le faire d'ailleurs, c'est juste que... sa réaction me fait penser à la mienne, quand je devais parler de Tom à nos parents.
– Te moque pas !, geint Laura.
– Je ne me moque pas, j'affirme, c'est juste... T'as vraiment la trouille de leur dire que t'as trouvé un petit copain, après la bombe que j'ai lâchée en rentrant d'Angleterre ? Tu te souviens de leur réaction, non ? Et regarde où on en est maintenant, ils sont les premiers fans de Tom, et de Matthew aussi.
Ma sœur opine du chef.
– C'est vrai que dit comme ça...
Elle soupire, moi aussi. Si seulement j'étais réellement à côté d'elle ! Je lui aurais fichu un coup de poing dans le bras en riant, et nous aurions plaisanté comme nous le faisions si souvent. Dorénavant, nos échanges se limitent à quelques appels par-ci par-là, quand nous avons le temps. Ça me serre le cœur rien que d'y penser.
– Bon, je vais te laisser !, scande Laura à l'autre bout du fil. T'as l'air en train de t'endormir, dis-le si je t'emmerde !
– Tu m'emmerderas jamais, Laura...
Cette dernière lève les yeux au ciel.
– Ça devient trop sentimental par ici, j'me tire ! Allez, ciao !
Sans attendre ma réponse, elle lève une main dans un signe d'au revoir et raccroche. Un léger sourire flotte sur mes lèvres ; lorsque je relève les yeux, je m'aperçois que Tom m'observe sans un mot.
– Quoi ?
Il secoue la tête.
– Non, rien.
M'armant de la première chose qui me tombe sous la main – une serviette en papier –, je la lui lance au visage.
– Oh tais-toi !, je raille.
Tom me fait un clin d'oeil et je sens une boule d'amour exploser dans mon être tout entier.
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