Chapitre 68
J'ouvre lentement un œil, puis l'autre, tout en étouffant un bâillement. La chambre est plongée dans la demi-pénombre, un unique rayon de soleil filtrant à travers les lourds rideaux.
À côté de moi, Tom dort encore, je le devine à sa respiration profonde et régulière. Me redressant sur les coudes, j'en profite pour l'observer un peu. Ses traits sont détendus, l'acteur a l'air apaisé. Il fait tellement jeune, comme ça ! Ses longs cils recourbés, les boucles châtain qui lui retombent sur le front, et son léger sourire... Il semble heureux, du moins autant qu'on peut l'être en dormant.
Nous sommes arrivés hier soir à Los Angeles, et avec le décalage horaire, il ne nous a pas fallu plus de dix minutes pour sombrer dans les bras de Morphée. Évidemment, Matthew s'est réveillé pendant la nuit et, ne reconnaissant pas son environnement, a pleuré jusqu'à ce que j'aille le calmer. À son deuxième réveil, c'est Tom qui s'est levé ; le bébé dort toujours, depuis.
Tellement absorbée par mes pensées, je n'ai pas remarqué que mon mari était réveillé. Ses yeux sont fixés sur moi et ses lèvres esquissent un sourire en coin.
– Bonjour, darling.
Je me penche doucement vers lui et dépose un baiser sur ses lèvres.
– Bonjour, mon cœur, je réponds en passant mes doigts dans ses cheveux.
J'en défais quelques nœuds en soupirant, avant d'embrasser Tom une seconde fois. Il ne lui en faut pas plus pour se redresser et me pousser sur le matelas. C'est à son tour de se pencher sur moi et capturer mes lèvres des siennes. Sa main agrippe ma taille et je souris.
– Tu sais que j'ai mes règles ?, je glisse tandis que son autre main joue avec le bas de mon t-shirt de pyjama.
– Et alors ?, réplique l'acteur. Je peux aller chercher une serviette, si c'est les tâches qui t'inquiètent.
Je pouffe.
– Je me fiche pas mal des tâches, mon cœur. C'est juste que... pas maintenant.
Tom pousse un long soupir ; pour me faire pardonner, j'embrasse son front avec tendresse.
– Désolée...
Il sourit et hoche la tête. Puis, sans prévenir, il se laisse tomber sur moi et pose sa tête sur ma poitrine.
– J'entends ton ventre qui gargouille, commente mon mari au bout d'un moment.
Comme d'habitude, j'ai envie de dire ! Je passe ma vie à gargouiller, que j'aie faim ou non, que je sois en pleine digestion ou non.
– D'accord, ça fait deux fois, là, s'esclaffe Tom. J'ai compris le message, je descends préparer le petit-déjeuner.
Alors qu'il se lève en souriant, je le retiens par le bras.
– Est-ce qu'on a de quoi faire un petit-dèj américain ? Je rêve d'oeufs au plat et de bacon !
Ma demande fait rire l'acteur – c'est pas de ma faute si je suis un estomac sur pattes ! –, qui hoche la tête.
– Je vais voir ce que je peux faire, mademoiselle.
Arg, comment suis-je censée résister quand il m'appelle ainsi, avec cet accent tranchant qui les ferait tous et toutes chavirer ?
Une vive douleur dans le bas-ventre m'arrache un gémissement.
– Putain !, je lâche en français.
C'est dans ces moments-là que je regrette l'époque où j'étais enceinte : pas de règles, pas de douleurs, pas de problèmes.
En général, je n'ai pas mal pendant mon cycle. C'est surtout le premier jour de règles qui veut ma peau, mais une fois que j'ai pris mes médicaments, le problème est résolu. Rares sont les fois où je dois reprendre un cachet, y compris dans la même journée.
– Je t'apporte tes médocs en même temps ?, questionne Tom avec un froncement de sourcils inquiet.
J'apprécie vraiment sa dévotion.
– Oui, merci, j'acquiesce.
Tant que je n'ai pas la nausée ni d'évanouissements, tout va bien. Ça m'est arrivé quelques fois, c'était tout sauf plaisant.
Alors que Tom remonte dans la chambre, son plateau sur les bras, je m'empresse d'avaler mes cachets en priorité. Je croise intérieurement les doigts pour que la douleur passe : ce soir, c'est l'avant-première de Watch Out, le nouveau film dans lequel Tom est acteur principal. Si mon utérus proteste, la soirée va être particulièrement désagréable ; déjà que j'ai tout sauf hâte de me trouver confrontée aux journalistes en furie !
Tom s'assoit sur le lit à côté de moi, picorant quelques bouts de bacon dans l'assiette. Étonnamment, Matthew n'est toujours pas debout ; ce n'est pas plus mal, au fond, ça nous permet de profiter un peu. Depuis la naissance de notre fils, nous n'avons plus une minute à nous, Matthew nous poursuit jusque dans les toilettes ! Et encore, il ne sait toujours pas marcher, sinon notre intimité serait d'autant plus limitée !
Dans moins d'une semaine, mon mari fêtera ses quarante-trois ans. Si officiellement nous n'avons rien prévu de plus qu'une soirée comme les autres, ce n'est pas tout à fait vrai. Tom n'est pas au courant, mais j'ai contacté quelques amis à lui ainsi que sa famille pour lui faire une surprise.
Je n'ai jamais été très douée dans ce domaine, parce que je suis tellement impatiente que ça me ronge de l'intérieur et que je finis par tout déballer. Toutefois, depuis un mois que j'organise tout dans le dos de l'acteur, aucune information n'a fuité : je suis tellement fière de mon travail !
Je reviens au moment présent en entendant le baby phone grésiller : notre temps de tranquillité est désormais terminé.
– Vous avez mon numéro ? Et celui de Tom, aussi ?
En face de moi, la baby-sitter sourit malgré tout. Je comprendrais qu'elle me fiche une baffe, j'ai dû lui poser vingt fois les mêmes questions, complètement stressée. C'est la première fois que je laisse Matthew à une inconnue, et bien qu'Abby ait l'air de savoir ce qu'elle fait, je ne peux m'empêcher d'angoisser.
– Oui, ne vous inquiétez pas.
Une main posée sur mon épaule, Tom soupire. Je sais qu'il est autant inquiet que moi, voire même plus. La seule différence, c'est qu'il ne le montre pas ; après des années à ses côtés, je suis capable de deviner ses états d'âme sans qu'il n'en dise un mot.
– S'il y a quoi que ce soit, appelez-moi, je continue. Ah oui, et puis, faites comme chez vous. Si vous avez faim, si vous avez soif, ou n'importe quoi... Servez-vous.
J'indique du menton la cuisine, et Abigail hoche la tête. Le double des clefs en main, elle tient la porte ouverte tandis que Tom et moi sortons. Je fais aussitôt demi-tour, mes talons claquant sur le parquet, pour embrasser une dernière fois Matthew sur le front. Il n'a pas l'air perturbé de nous voir partir sans lui : il cogne deux cubes entre eux en riant aux éclats.
– À tout à l'heure mon amour, je lance avant de sortir pour de bon.
Un chauffeur nous attend au volant d'un S.U.V noir aux vitres teintées. J'imagine déjà tous les journalistes qui seront massés derrière les barrières quand nous en descendrons. Si j'entends une seule question déplacée, je fais bouffer son micro à celui ou celle qui la pose !
Avec un sourire en coin, je réalise que ce sont mes hormones qui parlent : j'ai tendance à m'énerver très vite et très facilement, quand j'ai mes règles. Ça, ou pleurer pour rien, au choix. Je n'ai aucun moyen de prévoir à l'avance.
Je ne m'étais pas trompée, toute une brochette de vautours nous attend, et des centaines de flash m'éblouissent à peine ai-je posé un pied par terre. Le bras de Tom passé autour de ma taille, j'offre un large sourire au public.
Je n'ai pas pour habitude de me trouver belle, disons que je vois en moi-même une jeune femme tout à fait ordinaire. Cependant, je dois avouer qu'en me voyant dans le miroir, tout à l'heure, j'en ai eu le souffle coupé. Mes cheveux, préalablement bouclés, sont relevés dans un chignon sophistiqué dont quelques mèches s'échappent intelligemment. Mon maquillage est léger tout en mettant en valeur la couleur de mes yeux – je porte des lentilles de contact pour éviter les lunettes, trop encombrantes –, et je suis certaine que la maquilleuse a appliqué un produit pour blanchir un peu mes dents. Car enfin, elles ne peuvent pas briller comme ça naturellement, même en contraste avec mon rouge à lèvres carmin !
Quant à ma robe, comment dire... Elle est tout simplement sublime. Bien que nous soyons encore en plein hiver, elle est composée de mousseline rouge, avec un large dos nu qui, à peu de choses près, relèverait de l'indécence. La jupe, longue et vaporeuse, est fendue à mi-cuisse, ce qui laisse entrevoir ma jambe ainsi que ma paire d'escarpins à talons aiguilles de la couleur exacte de la robe.
Plus que mon propre reflet dans le miroir, ce qui m'a convaincue que j'étais magnifique, c'est le regard que m'a lancé Tom lorsque je suis sortie de la salle de bain. Je ne saurais pas vous décrire le moment, nous étions comme suspendus au beau milieu de l'espace-temps ; l'acteur en a perdu son latin, c'est dire !
C'est pour ça qu'à présent, en avançant sur le tapis rouge au bras de mon incroyable mari en costume trois pièces noir, je souris avec confiance. Et peut-être que je rayonne, mais c'est parce que je suis entièrement et extrêmement fière de Tom : après toutes ces années, les gens continuent de scander son nom comme avant.
Sa prise sur ma taille se raffermit tandis qu'un journaliste se tourne vers moi. Derrière, une jeune fille de quinze ou seize ans me fais signe : elle secoue un livre, dont je reconnais automatiquement la couverture.
– C'est Underwater, murmure Tom à mon oreille.
Mon sourit s'élargit encore d'avantage, si toutefois c'est possible. L'acteur a raison, et voir cette personne brandir ainsi mon roman avec un grand sourire lors d'un événement qui n'a aucun rapport... Eh bien, ça montre que je n'ai pas laissé mes lecteurs indifférents, même si ça me gêne un peu d'attirer ainsi l'attention à la place des acteurs.
Tom dépose un baiser sur ma tempe ; je me doute que la photo de cet instant va paraître demain, sans hésitation aucune. Tant que c'en est une de nous deux, ça va. Par contre, la fois où j'ai surpris un paparazzi me suivre alors que j'avais Matthew dans les bras... Je ne crois pas avoir déjà incendié quelqu'un à ce point ! Le pauvre homme a dû se prendre une frousse monumentale, mais en même temps ! Quelle idée de suivre un bébé, putain ! Des tarés, ces paparazzis ! Tout ça pour essayer de gratter une ou deux photos à vendre au plus offrant ! Ça me révolte, pas étonnant que j'aie pété un câble.
Je reviens à la réalité alors qu'une salve de cris me vrille les tympans. La deuxième tête d'affiche vient d'arriver, deuxième tête d'affiche qui n'est autre que Scarlett Johansson. C'est la première fois que Tom et elle travaillent ensemble depuis l'époque de la phase trois du MCU, autant dire que leur réunion n'est pas passée inaperçue.
Scarlett et son mari, un homme brun de haute stature répondant au nom de Colin, s'approchent de nous pour prendre la pose à nos côtés comme il se doit.
– Bonsoir, Tom, lance la blonde avec un grand sourire. Bonsoir, Axelle, je suis ravie de te revoir !
– Moi aussi, je réponds joyeusement.
Je ne m'attendais pas à ce qu'elle se souvienne de moi, pour être honnête : notre dernière entrevue remonte à plus de deux ans.
Nous restons encore un peu à l'extérieur, le temps que le reste des acteurs arrivent et se joignent aux autres. Pour quelques photos, les accompagnateurs tels que Colin et moi-même nous tenons à l'écart. Ma sociabilité non existante – ou presque – m'empêche de lancer la conversation, bien que j'en aurais envie. Toutefois, il faut vite que nous rentrions car la projection va commencer.
Je retrouve le bras de Tom avec soulagement et nous marchons ensemble sur le tapis rouge jusqu'à l'entrée. Nous sommes parmi les premiers à nous assoir, au tout premier rang. Un quart d'heure plus tard, tous les invités sont placés et les lumières s'éteignent enfin.
Le film va démarrer ; la main de Tom se referme sur la mienne.
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