Chapitre 67

La sonnette de la porte d'entrée retentit et je me redresse aussitôt. En face de moi, Michael se saisit des cartons de pizzas et les place dans le four pour être sûr qu'elles ne refroidissent pas.

    Mes anciens colocataires sont arrivés il y a presque quinze minutes. C'était Mike qui conduisait, John avachi sur le siège passager et les filles discutant à l'arrière.

    Au début, je voulais organiser une soirée déguisée. Autant fêter le nouvel an avec beauté, non ? Toutefois, comme mes amis de Marseille ont accepté de monter le fêter à Londres, je ne pouvais pas leur demander d'emporter un costume en plus de leurs affaires.

    Alors que je me dirige vers l'interphone, j'appuie sur le bouton pour ouvrir le portail. À entendre les glapissements de Bobby, il est heureux de voir encore d'autres invités. À entendre les couinements de ces derniers, la réciproque n'est pas entièrement vraie.

    Quelques coups tapés contre la porte m'indiquent que mes amis sont là. Je n'ai même pas le temps d'ouvrir la porte qu'une voix aiguë lance :

    – Salut ! Tu dois être Axelle, c'est ça ?

    Un sourire éclaire mon visage tandis que je contemple la personne en face de moi. Des yeux en amande d'un brun profond, des cheveux châtain clair relevés en une queue-de-cheval haute, et un sourire qui montre une dent légèrement ébréchée... Mathieu a l'air inquiet, je ne vois pas pourquoi : sa copine semble adorable, je sais déjà que je vais l'apprécier.

    – Et toi, Gaëlle, je dis. Bienvenue chez moi !

    Je me décale pour les laisser entrer ; lorsque Mathieu passe devant moi, il me serre dans ses bras, à m'en broyer les côtes.

    – Meuf, tu m'avais manqué !

    D'un rapide coup d'oeil, je vérifie la réaction de sa petite amie. Contrairement à beaucoup, elle n'a pas l'air jalouse : un sourire rayonnant est scotché à son visage, on dirait une maman qui contemple son enfant avec tendresse. Oh oui, je sens qu'on va s'entendre, elle et moi !

    – Tu m'as manqué aussi, mon p'tit Mathieu, je réponds en lui tapotant le dos.

    Même si on s'appelle régulièrement, rien ne vaut un véritable contact humain. Je n'ai jamais été portée sur les câlins et la proximité avec les gens, étant par nature associable – un peu trop, parfois ! –, toutefois mon meilleur ami a toujours dérogé à la règle.

    Malek, Kylian, Kayla et Marine ne devraient plus tarder à arriver : j'ai envoyé Andrew les récupérer à l'aéroport, ne pouvant assurer le trajet moi-même. Quant à Mathieu et Gaëlle, s'ils sont arrivés par leurs propres moyens, c'est qu'ils passaient déjà une semaine de vacances à Londres ; ils ont pris un taxi.

    Dix minutes plus tard, j'entends le portail qui s'ouvre sans que je ne le lui ai commandé : visiblement, le reste de ma bande est en fin d'acheminement. Encore une minute et des voix retentissent sur le porche.

    – Un doggo !, s'écrie quelqu'un dans l'allée.

    Je pouffe en m'écartant pour laisser entrer Marine, Kayla et Kylian. Quant à Malek, inutile de demander où il est, je le vois sacrément bien de là où je suis.

    Mon ami est assis par terre dehors et caresse Bobby en riant. J'avais oublié à quel point il est fan des animaux, surtout des chiens. Je m'appuie alors sur le chambranle de la porte et croise les bras sur ma poitrine, un sourire narquois sur le visage.

    – Pourquoi je ne suis même pas étonnée de ta réaction ?, je raille.

    Malek lève les yeux vers moi en souriant innocemment. Rasé comme il l'est, on lui donnerait dix-sept ou dix-huit ans tout au plus ; comme moi, il fait plus jeune, bien qu'à présent les gens ne se trompent pas quand je me balade avec Matthew.

    – Mais il est trop beau !, rétorque le blond en se redressant.

    Il époussète ses vêtements et s'avance vers moi. Alors qu'il passe justement à côté, j'ébouriffe ses cheveux d'une main ; Malek secoue la tête et fronce les sourcils.

    – Arrête, tu vas me décoiffer !

    – Parce que t'es coiffé, là ?, je ricane. Foutaises !

    Ce dernier mot que je prononce me fait automatiquement exploser de rire, à en avoir mal aux abdos. Je parle peut-être en français à Matthew de temps en temps, mais ce mot-là, "foutaises'', ça faisait un paquet d'années que je ne l'avais pas sorti.

    Malek m'observe comme si j'étais folle, avant de hausser les épaules et entrer. Les présentations ne sont plus à faire entre mes amis français et anglais ; bien qu'ils ne se soient rencontrés qu'une seule fois, lors de mon mariage, il semble qu'ils se souviennent tous les un des autres.

    Tandis que je fais visiter la maison à mes invités, je désigne les chambres d'amis que vont occuper Kayla, Marine, Kylian et Malek. Ils se les répartiront comme ils le veulent, pour l'instant, ils déposent leurs valises dans le couloir.

    – Et ton bébé, alors ?, interroge Kayla en battant des mains. Il est où ?

    Je pousse un léger soupir.

    – Matthew est avec Tom, chez sa mère.

    – Il revient tout à l'heure ?

    Je secoue la tête.

    – Non, il dort là-bas.

    Et pour cause, Tom n'a pas voulu rester à la maison : il ne voulait pas s'incruster dans ma bande de copains. C'est idiot, il ne se serait incrusté nulle part : il est mon mari, le père de mon enfant ! Toutefois, il a insisté sur le fait que ça lui faisait plaisir que je puisse un peu profiter de mes amis comme lui le fait parfois, et que sa mère serait ravie de les accueillir, Matthew et lui.

    Au début, j'ai refusé. Quelle mère digne de ce nom laisserait son mari et son bébé partir pour faire la fête avec ses amis ? Mais ledit mari a su me convaincre en me répétant que j'avais le droit d'avoir une vie, et que ça ne le dérangeait pas du tout d'aller chez sa mère.

    Vous me connaissez assez pour deviner que j'ai beaucoup culpabilisé, je culpabilise encore d'ailleurs. Cependant, j'ai fini par réaliser que j'avais vraiment envie de voir mes amis et que si Tom préférait ne pas être au milieu, c'était son droit.

    J'explique rapidement le pourquoi du comment à mes amis, qui ne répondent rien et se contentent de hocher la tête. C'est dans le silence que nous redescendons au rez-de-chaussée.

    Alors que je m'occupe de couper les pizzas en part plus ou moins égales – il faut bien que mes quelques années de fac de maths m'aient au moins servi à quelque chose ! –, Kayla et Kylian me rejoignent à la cuisine. Ils se tiennent par la main, chose dont je n'ai plus été témoin de leur part depuis le lycée.

    – Vous avez quelque chose à me dire ?, je demande en haussant un sourcil.

    La brune lève les yeux vers son petit ami avant de replonger son regard foncé dans le mien. Je pose aussitôt mes ciseaux.

    – On est fiancés, annonce-t-elle de but en blanc.

    – Vous... quoi ?!, je hurle alors, pas certaine d'avoir bien compris.

    Heureusement que j'ai posé les ciseaux quelques secondes auparavant, car sinon, je me serais probablement coupé un doigt tant je suis sur le cul. Ils quoi ? Si c'est une blague, ce n'est pas drôle !

    Kayla agite ses doigts devant son visage et je ne peux qu'admirer l'anneau doré qui brille à son annuaire. Non, ce n'est pas une blague : ils se sont vraiment fiancés !

    – Oh mon dieu !, je m'écrie en lui sautant dessus.

    Je la serre contre moi à l'en étouffer, le cœur battant la chamade. J'ai l'impression de revivre mes propres fiançailles, j'en pleure. De la main, j'attrape la manche de Kylian pour l'inclure dans notre embrassade.

    – Mais vous vous êtes fiancés quand ?, je bredouille en les relâchant.

    – Il y a à peine plus d'une semaine, avoue Kayla.

    – Oh, je suis tellement contente pour vous !

    J'essuie mes larmes d'un revers de manche.

    – Je suppose qu'ils t'ont mise au courant ?, raille Malek en entrant à son tour dans la cuisine.

    Je hoche la tête.

    – Je te rassure, j'ai pleuré aussi, renchérit Marine. Et Malek aussi, même s'il ne l'avouera pour rien au monde.

    Ce dernier lève les yeux au ciel avec un sourire en coin.

    – N'importe quoi !

    Je ne sais pas pourquoi je suis incapable de le croire. De plus, imaginer Malek pleurer comme un bébé me donne envie de rire, aussi je ne me retiens pas. Comprenant que je me moque de lui, le blond hausse les épaules et s'en va en faisant mine de bouder.


    La musique se déverse dans les enceintes, faisant vibrer tous les murs. Je sais déjà que je vais regretter ma prochaine phrase, mais... Au final, ce n'est pas plus mal que Matthew ne soit pas là. J'aime mon fils du plus profond de mon cœur, du plus profond de mon âme, mais jamais je n'aurais ainsi pu profiter de ma soirée s'il avait été à la maison.

    Est-ce que c'est mal, de trouver le moyen de s'amuser sans son enfant ? Ou est-ce juste humain ? Au fond, est-ce qu'on a pas tous besoin de moments rien qu'à nous ?

    Demain, lorsque Tom reviendra à la maison avec Matthew, je serai la plus heureuse. Chaque fois qu'ils sont loin de mou, que ce soit l'un ou l'autre, je sens qu'il me manque une part de moi-même. Mais pour le moment...

    Je passe un bras par-dessus l'épaule de Mathieu d'un côté, par-dessus celle de Michael de l'autre.

    – Les amis, je lance joyeusement.

    Tous les regards se tournent vers moi, ce qui me fait sourire. Mon cœur est gonflé de joie : je suis tellement heureuse qu'ils soient tous là avec moi. Tous mes amis, les quelques idiots qui ont bien voulu de moi, sont réunis ce soir. Ce n'est pas arrivé depuis mon mariage, l'année dernière, j'en chéris d'autant plus le moment. Même si converser à la fois en français et en anglais me donne mal au crâne.

    – Je tenais juste à ce que vous sachiez que je vous aime, tous autant que vous êtes. J'espère que notre amitié durera encore longtemps, parce que je me vois mal vivre sans vous.

    Je me tourne vers Kayla, Marine, Malek et Kylian avec un clin d'oeil.

    – Ça fait des années qu'on se connaît, je dis en français. Des années que vous me supportez, je ne sais pas comment. Toujours est-il que je suis fière de vous, de ce que vous êtes et de ce que vous devenez jour après jour. Vous avez rendu ma vie tellement plus agréable dans une période où tout n'était pas rose. Merci pour ça.

    Je me place alors face à Lucy, John, Mike et Lizzie.

    – Quant à vous..., je continue en repassant à l'anglais. Je vous serai éternellement reconnaissante de la manière dont vous m'avez intégrée, quand j'ai débarqué dans la coloc. Pour une associable comme moi, vous ne vous rendez même pas compte de la chance que c'était de tomber sur vous. La preuve, j'ai continué à vous rendre visite même une fois partie, et ça, c'est un exploit.

    Mes anciens colocataires hochent la tête en souriant, levant leurs verres vers moi comme s'ils m'acclamaient.

    – Gaëlle, je reprends en français, je sais qu'on se connaît à peine, mais je suis sûre qu'on va s'entendre. Tant que tu ne fais pas de mal à Mathieu, tout ira bien.

    Je lui fais un clin d'oeil et elle rit. Enfin, consciente qu'il attend son tour depuis le début de ma tirade, je me tourne vers mon meilleur ami. Cela fait tellement d'années qu'on se connaît, plus de douze ans pour être exacte. Si on compte, j'ai passé plus d'années à ses côtés que sans lui, à présent. Ce que je lui fais remarquer avec fierté.

    – C'est vrai, acquiesce-t-il avec un rictus légèrement moqueur.

    – T'imagine même pas à quel point tu es important pour moi, Mathieu. Je crois que tu es la personne qui me connaît le mieux sur cette planète, mieux que Tom lui-même. Ne lui répétez surtout pas, hein !, je plaisante.

    Mes amis rient tandis que je lève mon propre verre vers le plafond.

    – Sur ce..., je lance, de nouveau en anglais, après avoir jeté un coup d'oeil à l'horloge. Bonne année !

    Tous me répondent d'une même voix, d'une même langue :

    – Happy New Year !

Je n'ai jamais été aussi heureuse d'entendre ces quelques mots. C'est comme si les deux morceaux de ma vie s'étaient fusionnés pour n'en faire plus qu'un seul ; avec un soupir, j'écrase l'unique larme qui s'échappe de mon œil.

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