Chapitre 6

Une semaine.

Cela fait exactement une semaine que, toutes les trente secondes approximativement, j'ouvre mon téléphone pour vérifier que ma conversation avec Tom Hiddleston a bien eu lieu. Évidemment, à ce stade, ça tourne à l'obsession, mais essayez de me comprendre : vous oseriez y croire, vous, si vous aviez parlé avec un acteur célèbre pendant toute une soirée ?

Je soupire et verrouille le téléphone. J'essaie tant bien que mal de me forcer à le lâcher un peu plus, à profiter un peu mieux de ce qui m'entoure – je suis quand même à Londres ! –, toutefois l'affaire se révèle compliquée. On ne s'en rend peut-être pas compte, mais on passe notre journée sur les écrans, et on oublie de s'émerveiller de ce qui se trouve autour de nous.

Dans moins d'une heure, je vais devoir aller chercher Judith à son stage d'activités. De même qu'en France, pendant l'été, les enfants ont la possibilité de s'inscrire en stages d'une semaine ou deux lors desquelles ils font en quelque sorte une découverte de toute une ribambelle d'activités sportives et culturelles. Louis n'ayant pas voulu s'inscrire, il reste avec moi à la maison tandis que sa sœur s'éclate.

Aujourd'hui, heureusement, il fait beau. Le petit garçon s'amuse dans le jardin – il y a une balançoire et un trampoline –, tandis que je profite un maximum du soleil. Déjà que je ne suis pas bronzée de base – c'est même un euphémisme, car je suis carrément blanche comme un cul ! –, si je reviens à Marseille à la fin de l'été en ayant perdu deux tons, mes amis vont grandement se ficher de moi.

– Where is your mom ? 

[Où est ta maman ?]

Je lève les yeux vers Louis, qui me regarde avec sérieux. Ses sourcils froncés sur ses yeux marrons lui donnent l'air d'un lutin en colère.

– My mom ?, je demande, pour être certaine d'avoir bien compris sa question. 

[Ma maman ?]

Il hoche la tête.

– My mom is in France. 

[Ma mère est en France.]

– Is she nice ?, embraye Louis. 

[Est-ce qu'elle est gentille ?]

Je souris. Ma mère est plutôt cool, tant qu'on ne la contrarie pas. Dans le cas contraire, elle peut se transformer en véritable dragon tyrannique, et mieux vaut ne pas se trouver sur son chemin.

– Yup. 

[Ouep.]

Le petit garçon sourit ; il a perdu une dent mercredi, et arbore fièrement le trou laissé à la place.

– Mine is really nice, I think. My friends say their moms aren't nice, but mine is. 

[La mienne est vraiment gentille, je pense. Mes amis disent que leurs mamans ne sont pas sympa, mais la mienne l'est.]

– I agree, your mom is cool. And trust me, I know a lot about mothers. 

[Je suis d'accord, ta maman est cool. Et crois-moi, j'en connais un rayon en terme de mères.]

De nouveau, un sourire éclaire le petit visage rond de l'enfant. Je ne sais pas ce qu'il cherchait au juste en me posant cette question, s'il essayait de se rassurer ou de démontrer que ses amis ne sont pas vraiment reconnaissants envers leurs mères, mais en tout cas Louis semble satisfait.

– Dad's cool too, I love when we watch movies with him. 

[Papa est cool aussi, j'adore quand on regarde des films avec lui.]

C'est à mon tour de sourire. Il est vrai que Carl, du haut de ses trente-cinq ou trente-six ans, est un véritable cinéphile, en particulier des univers tels que Marvel, Star Wars ou Le seigneur des anneaux. Pour le coup, je suis vraiment tombée dans la meilleure famille d'accueil, moi qui suis fan des Disney, de Marvel et de la saga Harry Potter – en plus de les avoir lus au moins dix fois chacun.

– And tonight is movie night !, clame Louis. 

[Et ce soir c'est le soir du film !]

J'acquiesce. En effet, tous les vendredi soirs sans exception, la famille se réunit pour regarder un dvd tous ensemble. Bien que ça ne fasse que trois semaines que je suis là, j'en ai déjà pris l'habitude et compte bien continuer une fois rentrée chez moi. Ma sœur partageant mon obsession pour les Marvel et Harry Potter, on trouvera bien quelque chose à regarder.

Toutefois, regarder un film avec des gens est pour moi une épreuve. Je suis du genre à pleurer devant tout ce que je regarde, y compris les dessins animés Disney ; je déteste pleurer devant des gens. Du coup, je finis par retenir mes larmes du mieux que je peux, et j'ai la désagréable sensation d'étouffer.

– I hope we watch one with Loki, I love him ! 

[J'espère qu'on va en regarder un avec Loki, je l'aime trop !]

Je ris. Depuis qu'on a croisé Tom Hiddleston deux fois, la semaine dernière, Louis est complètement obsédé par son personnage. Il aurait été un peu plus âgé, je lui aurais présenté le club des Hiddlestoners, et on aurait pu rire un peu. Cependant, il n'a que sept ans, autant le préserver encore un peu. Les fans de Tom Hiddleston ne sont pas tous très sains dans leur esprit. Est-ce que je me compte dans le lot ? Absolument !

Un coup d'oeil m'indique qu'il est l'heure de partir récupérer Judith. Je préviens Louis, qui râle pour la forme mais obéis tout de même. Le temps d'enfiler une veste, mes chaussures et mon sac, et nous sommes prêts à partir.

– Come on !, s'exclame Louis à peine avons-nous mis un pied dehors. Maybe we'll meet Loki again ! 

[Allez !Peut-être qu'on va encore rencontrer Loki !]

– It's unlikely to happen, je commente. Besides, I already explained to you that his name is not Loki, but Tom. If you wear a Spiderman suit, your name is still Louis, isn't it ? 

[Il y a peu de chance que ça arrive. En plus, je t'ai déjà expliqué qu'il ne s'appelle pas Loki, mais Tom. Si tu mets un costume de Spiderman, tu t'appelles toujours Louis, n'est-ce pas ?]

Le petit garçon hoche la tête.

– Well, it's the same thing for Tom. He may dress up as Loki, but his name is still Tom. Do you understand ? 

[Eh bien, Tom, c'est pareil. Il a beau se déguiser en Loki, il s'appelle toujours Tom. Tu comprends ?]

Je sais bien que c'est dur pour un enfant de faire la différence entre un film et la réalité, mais tout de même, Louis n'a plus trois ans.

Mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon pantalon. Comme je ne peux pas m'occuper de mes messages tout de suite, je décide de jeter un coup d'oeil quand j'attendrai Judith devant le centre aéré.

Louis n'arrête pas de parler, se déplaçant en sautillant. Cet enfant a toujours de l'énergie, ça peut vite devenir épuisant. De plus, lorsqu'il parle sans s'arrêter, il est de plus en plus compliqué de le comprendre : j'ai donc stoppé mon écoute. S'il me demande quelque chose, je serai incapable de lui répondre ; tant pis.

Comme d'habitude, j'ai un quart d'heure d'avance. Ma mère m'a élevée et habituée à arriver trop en avance, à grand renfort de ''on sait jamais ce qui pourrait arriver''. En soi, elle n'a pas tout à fait tort, mais tout de même ! Il m'arrive encore, parfois, d'arriver une heure trop tôt.

J'en profite pour sortir mon téléphone et manque m'étouffer avec ma propre salive. Non, ça ne peut pas être vrai ? Je suis forcément en train de rêver, hein ? Parce que j'ai encore reçu un message de Tom Hiddleston !

J'essaie de reprendre ma respiration, qui s'est déréglée au moment même où je me suis aperçue de ce que signifiait la notification.

– Excuse me... Are you okay ?, demande le papa d'une des copines d'école de Judith. 

[Excuse-moi... Est-ce que tout va bien ?]

Je ne me souviens plus de son nom, parce que je ne suis pas du genre à discuter avec les gens. Associable, moi ? Si peu !

Je hoche doucement la tête tout en forçant l'air à entrer et sortir lentement de mes poumons.

– Yes, thank you, je réponds. 

[Oui, merci.]

J'ai dû faire une tête plus étrange que je ne le pensais, sinon il ne se serait jamais inquiété.

Mes mains tremblent et je n'ose pas ouvrir l'application. Pourtant, il le faudra bien, à un moment ou à un autre.

Je suis tentée d'envoyer un message à Mathieu, mais si je le fais maintenant, il va falloir que je me pose. Actuellement, ce n'est pas possible, il vaut mieux que j'attende d'être rentrée.



De retour à la maison, alors que les enfants se précipitent dans le jardin pour profiter du soleil encore un peu, je me contente de m'assoir sur le transat et de sortir mon téléphone.

– Mathieu, à l'aide ! J'ai reçu un message de Tom Hiddleston ! –, j'écris à mon meilleur ami, totalement paniquée.

Comme c'est vendredi soir et que la France a une heure d'avance sur Londres, je sais déjà que Mathieu n'est pas en train de travailler. Cela se confirme lorsque sa réponse me parvient, quelques secondes après mon propre message.

– Hein quoi ? Comment ça ? –

– Je te jure ! J'ai pas encore ouvert mais j'ai reçu un autre message de lui ! –

Aussitôt, mon téléphone se met à vibrer, signe que je reçois un appel. Je décroche sans même regarder le nom : il ne peut s'agir que d'une seule personne.

– Meuf, c'est dingue !, s'écrie une voix dans mon oreille. Je sais pas comment t'as fait, c'est juste... J'ai même pas les mots.

– Mathieu, tu veux que je te dise ? Je sais pas moi-même comment j'ai fait, je suis toujours persuadée que ce n'est qu'un rêve et que je vais me réveiller avant toute cette histoire.

– Allez, arrête de me faire poireauter pour rien, je sors dans moins d'une demi-heure ! Lis-moi ce message !

– Ok, alors...

J'ouvre aussitôt l'application et vais sur la conversation avec Tom.

Tom – Hi, Axelle, I hope you're fine. I really enjoyed our conversation the other night, and I was wondering if you would agree to have a drink with me tonight or tomorrow night? We could talk a little more, it's always more pleasant in person. What do you think ? 

[Bonjour Axelle, j'espère que tu vas bien. J'ai beaucoup apprécié notre conversation de l'autre soir, et je me demandais si tu accepterais de boire un verre avec moi, ce soir ou demain soir ? Nous pourrions discuter un peu plus, c'est toujours plus agréable en personne. Qu'en penses-tu ?]

Je lis le message à mon meilleur ami, dont les cris étranglés dans le combiné me font penser à ceux d'un animal en détresse. Lorsque j'ai terminé la traduction, ce dernier soupire longuement. Moi-même, j'ai du mal à croire ce que je vois. Pourtant, les preuves sont bien là, ces mots écrits en noir sur blanc.

– Meuf, t'es sûre que c'est bien Tom Hiddleston avec qui tu parles ?

Je suis subitement prise d'un doute. Mathieu a raison : et si ce n'était pas lui ? Toutefois, on a discuté de nos rencontres dans la rue, ce ne peut pas être quelqu'un d'autre que lui !

– Donc si on récapitule, un acteur américain célèbre t'a invitée à boire un verre !

– Il est anglais, je le coupe.

– Ouais c'est pareil, tu m'as compris.

Il rit.

– Bah dis donc, tu fais pas les choses à moitié toi ! Donne-moi ta technique, que je puisse moi-aussi en profiter ! J'ai plusieurs actrices que je rêverais de...

– J'ai pas besoin des détails, merci, je l'interromps avant qu'il ne m'explique en long, en large et en travers ce qu'il aimerait faire avec ces personnes.

J'ai dit plus tôt que Mathieu était très respectueux, et bien que ce soit vrai, il en reste tout de même un mec : s'il pouvait baiser toutes les femmes célèbres qui lui plaisent, il le ferait.

– Arrête de faire ta prude, là, se moque mon meilleur ami. Qu'est-ce que tu vas lui répondre, à ton homme ?

– Premièrement, ce n'est pas mon homme, je lâche. Deuxièmement, je ne sais pas.

Je soupire longuement.

– Je ne peux pas accepter, je finis par expliquer. Je passerai pour une profiteuse, c'est certain.

– Mais qu'est-ce que tu racontes ? Une profiteuse de quoi ? C'est lui qui t'a proposé ! En plus, on s'en fout de si tu passes ou pas pour une profiteuse !

– Bien sûr !, je raille. Sérieux, Mathieu. J'ai vingt-deux ans, il en a quarante. Tu crois vraiment que les gens ne vont pas se poser des questions ? Tout le monde va penser que j'essaie de lui mettre le grappin dessus parce qu'il est célèbre, comme ces petites midinettes qui attendent que leur vieux mari riche crève pour toucher l'héritage.

J'entends mon meilleur ami pousser un soupir exaspéré, à l'autre bout du fil.

– Tu te prends trop la tête, s'agace-t-il. Tu te plains que jamais personne ne veut de toi, mais quand un mec te propose de sortir boire un verre, tu refuses.

– En même temps on parle de Tom Hiddleston, là !, je me défends. C'est pas n'importe quel mec. Et de toute façon, je n'ai aucune chance avec lui, tu le sais aussi bien que moi.

Je sais que Mathieu a raison, bien sûr. Je ne peux pas pleurer que je ne trouve personne si je ne fais pas un effort. Mais pour le coup, c'est d'un acteur célèbre dont il est question, un acteur que j'affectionne particulièrement. Je ne peux pas agir de la même manière avec lui qu'avec tous les autres mecs que je pourrais rencontrer.

Je suis un paradoxe ambulant, c'est dingue. Je m'évertue à expliquer que les gens célèbres sont des personnes comme les autres, qu'ils ont le droit d'avoir leur vie, mais en même temps j'agis différemment avec eux. Non, je pense que le vrai problème, ce n'est pas tant la célébrité, mais plutôt le côté différence d'âge. J'aurais rencontré un acteur célèbre de la vingtaine, je n'aurais peut-être pas tant rechigné. Mais là, il y a cette histoire de profiteuse qui me retient.

– Axelle, je t'entends réfléchir depuis Marseille, plaisante Mathieu. Arrête de faire tourner ton cerveau et accepte sa proposition. Après tout, tu risques quoi ? Si ça se trouve, il veut juste discuter, rien de plus.

– Je sais pas, Mathieu, je... Tu te rends pas compte de l'état dans lequel je suis, je crois. On est en train de parler de Tom Hiddleston, bordel !

– Bordel ?, lance Louis à côté de moi. What does that mean ? 

[Bordel ? Ça veut dire quoi ?]

– Nothing, forget it, je lui réponds en songeant à Carl et Ellie. 

[Rien, oublie ça.]

S'ils se rendent compte que Louis apprend des gros mots français à cause de moi, je ne suis pas sûre qu'ils apprécient.

– Et alors ? C'est pas toi qui disais, y a encore une semaine, que ce n'était qu'un humain comme les autres ?

– Il est là le problème !, je m'écrie. Mathieu, je suis même pas sûre que je lui aurais parlé s'il n'avait été qu'une personne lambda ! C'est pas mon genre de flasher sur des gens plus vieux, tu le sais ! Je n'ai crushé sur Tom que parce qu'il joue Loki, et que je l'ai découvert par le biais des interviews que je regarde. S'il avait été un total inconnu, je ne l'aurais probablement même pas regardé. Comment veux-tu que j'agisse comme s'il était n'importe qui ?

Je prends une grande inspiration et continue :

– Évidemment que c'est un humain comme un autre, je ne dis pas le contraire. Mais je ne peux pas accepter sa proposition aussi facilement, je me sentirais mal si je le faisais.

– Mais Axelle, on s'en fout de comment t'en es arrivée là ! On s'en fout, de savoir si t'aurais crushé sur lui ou pas s'il n'avait pas été célèbre ! On est au moment présent, là ! Il t'a invitée à boire un verre, et je pense sincèrement que tu devrais y aller. Et avant de penser que c'est toi la profiteuse, dis-toi que c'est peut-être l'inverse.

Mathieu se tait quelques secondes, le temps que son information fasse son chemin jusqu'à mon cerveau. Il n'a pas tort : peut-être que c'est Tom qui veut profiter de moi. Je n'avais pas songé à cette option, mais c'est une possibilité. Après tout, il a quarante ans, j'en ai vingt-deux. Toutefois, cela ne correspond pas au profil de l'acteur.

– C'est vrai que je n'avais pas vu les choses sous cet angle, j'avoue à demi voix.

– Après, c'est toi qui vois, reprend mon meilleur ami. Je ne veux pas te forcer, mais au moins, tu sais ce que j'en pense.

– Et je t'en remercie.

– Bon... Je vais devoir y aller, mais tu me tiens au courant, d'accord ? Et fais attention à toi. Je sais à quel point tu as l'air de penser que Tom est quelqu'un de bien, je n'en doute pas mais... sait-on jamais.

– C'est promis, je dis avant de raccrocher.

Bon, je ne suis pas beaucoup plus avancée, parce que je ne sais toujours pas ce que je dois dire ou non. Aussi, je décide de parler librement à Tom de mes craintes.

Axelle – Hello Tom, I'm not sure if it's a good idea. I'd feel I was taking advantage of you and your fame, and that's not what I want. 

[Bonjour Tom, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. J'aurais l'impression de profiter de vous et de votre célébrité, et ce n'est pas ce que je veux.]

Tom – Oh no, you must not think that ! I invited you, after all. Moreover, I have the impression that I am the one who takes advantage of you, not the opposite. However, if your decision is to refuse my offer, I'll respect it. 

[Oh non, tu ne dois pas penser ça ! Je t'ai invitée, après tout. De plus, j'ai plutôt l'impression que c'est moi qui profite de toi, pas le contraire. Cependant, si ta décision est de refuser mon offre, alors je la respecterai.]

Il est tellement prévenant, tellement gentil et respectueux ! Comment un homme comme lui peut-il vraiment exister sur cette terre ?

Toutefois, mon problème reste le même : je ne sais toujours pas si je dois accepter ou non. 

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