Chapitre 44

    J'ai du retard dans mes règles. Je ne sais pas pourquoi, ni comment c'est possible, mais j'en suis certaine. Je m'en suis aperçue ce matin, alors qu'une douleur me prenait en plein dans le ventre. Avec un sursaut, j'ai réalisé que j'avais plus d'une semaine de retard. Comment ai-je pu passer à côté d'un détail si important ?

    C'est pourquoi je me trouve actuellement à la pharmacie, un test de grossesse dans les mains, prête à passer à la caisse. Je n'ai pas averti Tom, après tout ce pourrait être une fausse alerte et je ne veux pas l'inquiéter pour rien. De plus, il est sorti avec Bobby, ce matin, et ne rentrera que vers midi. Ça me laisse amplement le temps de retourner à la maison, faire mon test tranquillement, et aviser en fonction du résultat.

    Je ne sais pas trop si j'espère qu'il soit positif ou négatif. D'un côté, j'ai toujours rêvé de fonder ma propre famille, et maintenant que mon mariage est fixé – le dix-sept septembre prochain, si vous voulez savoir –, le moment est peut-être le bon. Néanmoins, je vais avoir vingt-trois ans dans moins d'un mois, ne suis-je pas un peu trop jeune pour avoir un enfant ?

    Je pousse un soupir tout en tendant quelques pièces de monnaie à la pharmacienne, qui me sourit doucement. Elle tire un papier depuis l'autre côté du comptoir et me le tend. Je baisse lentement les yeux dessus et lis la carte ; c'est une annonce pour un centre d'aide aux jeunes mamans, qui aide également les jeunes femmes à avorter si besoin.

    – Si jamais vous avez besoin de conseils, ou d'aide, appelez là-bas, ou passez-y directement. Ils sont spécialisés dans les cas comme le vôtre.

    Non mais de quoi elle se mêle ? D'accord, c'est très gentil de sa part de s'enquérir de mon état, tout ça, mais si je suis tombée enceinte, c'est mon problème ! Les cas comme les vôtres, non mais, et puis quoi encore ? Qu'est-ce qu'elle sous-entend par là ?

    Avec un sourire exagéré, je passe ma main sur mon menton, choisissant délibérément celle où brille ma bague de fiançailles. Je veux qu'elle sache que je ne suis pas une jeune midinette de dix-sept ans tombée enceinte par accident, effrayée à l'idée de devoir annoncer à un adolescent qu'il va être papa. Non, je suis fiancée, dans une relation stable avec l'amour de ma vie ; si je suis réellement enceinte, nous aviserons ensemble, lui et moi.

    – Merci, je dis tout de même.

    Je vois que les yeux de la femme se posent sur mon anneau et elle hoche la tête. Enfin, elle me tend mon paquet, glissé dans un sac en papier imprimé du logo de la pharmacie, et je m'éloigne en direction de la porte de sortie.

    Dans la rue, les gens marchent de tous les côtés. Il fait beau aujourd'hui, chacun profite des quelques rayons du soleil qui percent. Évidemment, pour un début de juin, la météo n'a rien à voir avec celle de Marseille. Chez moi, il fait sec et chaud, déjà. Ici, il fait humide. Mais ici, n'est-ce pas chez moi, à présent ?

    Je me sens bien à Londres, en réalité. Je me sens comme chez moi, mais... Je pense que Marseille me manquera toujours, lorsque je suis loin d'elle. J'ai beau râler sur les marseillais et leur application inexistante du code de la route, et autres broutilles, Marseille reste tout de même la ville qui m'a vue naître, grandir. Je me suis forgée là-bas, c'est impossible de l'oublier. Quant à la mer... Oh, je donnerais tout pour tremper un pied dans la Méditerranée !

    Si tout va bien, je devrais redescendre pour quelques semaines, en début du mois prochain. Tom a quelques scènes à tourner au même moment en Amérique Latine, aussi il me rejoindra à la fin de mon séjour. J'ai hâte de revoir mes amis et ma famille, surtout que ce sera la dernière fois qu'on se voit avant mon mariage.

    En parlant de mariage... Marine, Kayla, Laura et moi profiterons de mon séjour dans le sud pour faire des essayages de robes de demoiselles d'honneur assorties. Je sais déjà à quoi va ressembler ma robe, plus ou moins : j'ai fait les premiers essayages hier.

    Vous vous en doutez, c'est une robe de princesse, tout droit sortie d'un rêve de petite fille. Le bustier en cœur est brodé de centaines de petites perles nacrées, épousant parfaitement la forme de mon buste. Moi qui n'ai pas de seins, ce n'est même pas un problème : les baleines maintiennent le tout en place, pas de soucis de glissement de bustier, du coup. À la taille, une ceinture de brillants argentés surmonte les fronces du jupon, bouffant à souhait. Ce dernier est constitué de plusieurs couches de tulle fin, parsemé de petites paillettes. Un lacet vient compléter le dos, me permettant de prendre ou perdre un peu de poids d'ici là.

    Il ne me faut qu'un bon quart d'heure de marche avant d'arriver devant le portail de la maison. Depuis que Tom a renvoyé Dave, nous n'avons plus de chauffeur, c'est pourquoi je me contente de mes pieds. Un jour, peut-être, on achètera une deuxième voiture. En attendant, je n'ai pas envie d'abîmer celle de mon fiancé, aussi je marche ou prends les transports en commun.

    Je ne le dirais jamais assez, mais ma petite citadine me manque. Dommage qu'elle n'ait pas le volant du bon côté, je l'aurais ramenée à Londres sinon.

    C'est drôle comme, au début, je n'arrivais pas à m'habituer à monter du côté gauche en tant que passagère. Également, il m'est arrivé deux ou trois fois de conduire la voiture de Tom – avec ce dernier à côté, évidemment – : nous avons beaucoup rigolé. À présent, c'est quand je retourne à Marseille que j'ai presque du mal à me réhabituer à la conduite à gauche.

    J'enlève une chaussure, puis l'autre, les balançant à travers l'entrée sans y prêter plus attention. Tom va sûrement râler qu'elles sont au milieu quand il rentrera, mais ce n'est pas grave. J'aime bien être un peu bordélique, parfois. Serrant le sac en papier dans mes mains, je monte à l'étage, jusqu'à la salle de bain.

    Assise sur les toilettes, je contemple sans un mot le test encore vierge. Il faut que je fasse pipi dessus, mais la pression m'en empêche. Pour quelqu'un qui a une petite vessie et doit aller aux toilettes toutes les trois minutes, je trouve que j'ai un peu trop de mal actuellement !

    Avec un soupir, je ferme les yeux et tâche de m'imaginer ailleurs. Je fais même couler le robinet, en général ce bruit aide. C'est finalement le cas, après cinq minutes sans résultat, voilà que ma vessie décide de se manifester. Aussi, je place la barrette de plastique sous le jet.

    La notice indique d'attendre quelques minutes, ce que je fais. Je suis trop stressée pour me rhabiller, je reste assise sur la cuvette, observant d'un œil torve l'objet dans mes mains.

    Une minute passe, puis deux, puis trois. Enfin, le test affiche le résultat, et je retiens mon souffle.

    C'est impossible ! Ce n'est juste pas possible, Tom et moi faisons super attention, il porte son anneau tous les jours justement pour éviter que je ne tombe enceinte ! De plus...

    Oh. Oh, ça y est, je sais. Comment ai-je pu ne pas y penser avant ? Comment avons-pu oublier tous les deux ce léger détail ?

    Pendant deux mois, je refusais que Tom me touche. Pendant deux mois, il a arrêté de porter son anneau pour cette même raison. Et bien sûr, il y a eu le soir de la condamnation de Dave. Nous ne nous étions pas préparés à cette éventualité, ni lui ni moi. Nous ne nous sommes même pas aperçus du problème.

    Et voilà que maintenant, les deux petites barres bleues semblent me fixer avidement. Si elles pouvaient parler, je suis sûre qu'elles me nargueraient sur mon idiotie.

    Je ne sais pas quoi penser. Est-ce que je suis heureuse ? Est-ce que je ne le suis pas ? Fonder une famille, c'est ce que j'ai toujours voulu, mais suis-je prête à avoir un enfant maintenant ? Et Tom...

    Oh, Tom va être ravi, j'en suis certaine. Je sais à quel point ça lui tient à cœur, d'avoir des enfants un jour, même si ce n'était pas encore prévu pour nous.

    Un sourire s'étire sur mes lèvres tandis que mon cœur se gonfle de joie. Je vais avoir un bébé ! Oh mon dieu, je vais être maman !

    J'ai du mal à réaliser que c'est réel, que c'est vraiment en train d'arriver. Je suis tombée enceinte ! Moi qui croyais qu'il fallait plusieurs essais pour ça, j'ai réussi du premier coup, alors que je ne cherchais même pas à avoir un enfant.

    Mon cœur se serre à la pensée de toutes celles qui essayent depuis des lustres, sans résultat. C'est injuste que j'aie eu droit à quelque chose qui ne leur est pas accordé, encore plus par accident. Toutefois, je ne peux m'empêcher d'être heureuse un minimum.

    Peut-être que ce n'était pas prévu au programme, c'est vrai. Mais j'ai toujours rêvé de ce moment, depuis que je suis toute petite. J'ai le droit de savourer un peu ce bonheur, non ?

    Avec un rire nerveux, je baisse les yeux sur mon ventre. Bien sûr, il est toujours le même qu'avant, la question ne se pose même pas. Mais savoir que là derrière commence à se développer un petit être... C'est enivrant, en même temps que c'est effrayant.

    Des aboiements dans le jardin m'avertissent que Tom est de retour. J'expire longuement avant de me lever et me rhabiller, puis je tire la chasse.

    – Je suis rentré !, crie mon fiancé depuis le rez-de-chaussée.

    – Je suis en haut !, je réponds sur le même ton.

    Il ne faut qu'une minute à Tom pour me rejoindre. Il a les joues rouges d'avoir tant marché, et ses yeux brillent avec force. Je ne me remettrai probablement jamais de leur couleur phénoménale, et j'ose espérer que le bébé aura les mêmes. Le bébé...

    – Tes chaussures étaient au milieu, souffle l'acteur en me lançant un regard sévère. Encore une fois.

    Je prends mon air de chien battu ainsi qu'un petit sourire angélique.

    – Je suis désolée, je minaude.

    Tom lève les yeux au ciel en souriant.

    – Tu ne l'es pas du tout, non, commente-t-il.

    – Non, tu as raison, je ris. Mais j'ai quelque chose à t'annoncer.

    Mon fiancé fronce les sourcils et plante son regard dans le mien.

    – Je t'écoute.

    Je cherche le meilleur moyen de balancer mon information, sans pour autant la trouver. Et Tom attend, dans l'exacte position qu'il a adopté en entrant dans la pièce.

    – Tom, je...

    Je prends une longue inspiration avant de reprendre :

    – Je suis enceinte.

    – Tu... quoi ?

    – Je suis enceinte, je répète avec douceur.

    Les yeux de l'acteur s'agrandissent sous l'effet de la surprise et il ouvre la bouche pour dire quelque chose ; rien ne sort.

    – Je l'ai appris ce matin, je continue. J'avais du retard dans mes règles, et...

    – Oh mon dieu, est-ce que tu es sérieuse ?

    Je recule, perplexe.

    – Quoi ? Bien sûr que je suis sérieuse, Tom !

    Une main sur sa poitrine comme s'il faisait une attaque, mon fiancé tente maladroitement de s'assoir sur le lit. À peu de choses près, il le manquait et s'affalait par terre.

    – Tu es vraiment enceinte ?

    Je hoche la tête en souriant.

    – Oui, mon cœur. Je suis vraiment enceinte.

    Les yeux brillants de larmes, il se lève et me serre dans ses bras. Il niche son visage dans mes cheveux, comme un enfant, et inspire longuement.

    – Je ne sais pas quoi dire, bafouille-t-il, je... je suis tellement heureux !

    – Je sais, Tom.

    D'un geste lent, je saisis ses joues et plaque mes lèvres contre les siennes. Il répond aussitôt à mon baiser, ses mains posées derrière ma taille. Nous n'avons pas besoin de mots : chaque émotion nous transperce comme une décharge électrique fourmillant dans nos lèvres.

    Lorsqu'il rompt le baiser, il s'écarte un peu de moi. Son expression a changé, on dirait qu'il n'est plus du tout sûr de lui à présent. Quelque chose a dû lui passer par la tête, mais quoi ?

    – Est-ce que... est-ce que tu veux avorter ?, demande-t-il d'une voix blanche. Je sais que c'était pas prévu, et je peux tout à fait comprendre que...

    – Tom, je le coupe. Je n'ai aucune envie d'avorter, accident ou pas.

    Comment le contraire pourrait-il être possible ? Si le moindre doute subsistait en moi encore quelques instants auparavant, il a été balayé par la joie de mon fiancé. Son sourire, l'éclat de ses yeux bleus... Ce bébé, c'est une bénédiction, pour lui comme pour moi. Je ne peux pas priver Tom de ce bonheur, lui qui rêve de ça depuis si longtemps. De toute façon, je n'en ai pas envie : je veux garder cet enfant, j'en suis certaine à plus de deux cent pour cent.

    – Tu es sûre ?

    – Oui, Thomas. J'en suis certaine.

    Avec un sourire, je le guide jusqu'à la salle de bain. Le test est là, posé sur le rebord du lavabo ; je le lui tends. Il le prend d'une main tremblante et jette un œil dessus.

    – Je...

    Sa voix se brise avant qu'il ne puisse continuer. S'il pleure, je vais pleurer aussi, aucun doute là-dessus.

    – Je t'aime...

    Il me tend maladroitement les bras et je m'y blottis.

    – Je t'aime aussi, mon cœur.

    Tom me serre trop fort, toutefois je ne dis rien. Quelque part, j'aime cette douleur : je suis sûre, de cette façon, que l'acteur tient à moi.

    – Tu sais que mon père va nous tuer, n'est-ce pas ?, je ris.

    Ça a le mérite de le faire réagir, il me relâche pour me contempler, mi-sérieux mi-amusé.

    – Je te parie dix livres qu'il va surtout pleurer comme un bébé, quand il saura.

    Il n'a pas tout à fait tort, au fond. J'adore taquiner mon père sur le fait qu'il n'appréciait pas du tout ma relation avec Tom, au début ; je me souviens néanmoins qu'il était ému, quand je lui ai annoncé nos fiançailles.

    Aujourd'hui, Tom et moi allons nous marier et fonder une famille ; c'est un rêve devenu réalité.

    – Pari tenu !, je réplique en souriant. Par contre, je préfère attendre un peu avant d'en parler. Si tu es d'accord, j'aimerais l'annoncer à ma famille de vive voix. Et j'aimerais qu'on le fasse tous les deux, quand on sera sur place le mois prochain.

    Tom hoche la tête.

    – Bien sûr. Comme ça, ton père pourra m'enterrer dans le jardin.

    Je pouffe.

    – On n'a pas de jardin, mon cœur.

    – Connaissant ton père, il trouvera une alternative.

    Je ris de plus belle.

    – Tu ne l'as vu qu'une seule fois, Tom !

    Il hausse un sourcil.

    – C'est pas toi qui as parié il y a une minute à peine qu'il allait nous assassiner ?

    – Si, mais... Non, en fait, mon père est tout à fait capable de nous zigouiller tous les deux et de nous ficher dans la citerne à eau sous la cuisine.

    – La quoi ?, s'étonne Tom.

    C'est vrai que ce n'est pas commun, comme truc. Toutefois, il y a bien un grand réservoir vide sous la cuisine de chez mes parents, qui servait autrefois pour y mettre de l'eau en cas de pénurie. Aujourd'hui, tout est à sec, ce n'est plus qu'une cavité vide dont les parois sont en fer. J'explique donc le pourquoi du comment au châtain, qui fronce les sourcils.

    – C'est original, comme idée. Et tu dis que ton père nous balancerait là-dedans ?

    Je hoche la tête.

    – Oui, vu qu'on n'a pas de jardin. C'est toi qui as dit qu'il trouverait une alternative !, je m'exclame.

    Tom s'esclaffe.

    – C'est vrai, mais je ne pensais pas... Il va vraiment être mécontent ?

    Un sourire tendre s'étire sur mes lèvres et je passe ma main sur la joue de mon fiancé.

    – Il va sûrement faire la gueule les premiers jours, comme à son habitude, avant de se rendre compte qu'en fait il est heureux de la nouvelle.

    – Tant que je vis assez longtemps pour connaître le bébé, lance Tom en souriant.

    Doucement, il pose un genou à terre et se penche vers mon ventre, qui est absolument le même qu'auparavant. J'ai du mal à croire qu'il y a un enfant, là, derrière la fine couche de peau et les organes.

    L'acteur place les mains sur ma taille pour me rapprocher de lui.

    – Eh, salut p'tit gars !

    Fronçant les sourcils, il lève les yeux vers moi.

    – Ou petite fille ? Qu'est-ce que tu préfèrerais, toi ?

    Je hausse les épaules en souriant.

    – Peu importe, tant qu'il est en bonne santé.

    – C'est vrai.

    Avec un sourire ravi, Tom pose ses lèvres sur mon ventre. Même à travers le tissu de ma robe, je peux sentir son souffle chaud, et suis aussitôt prise d'une envie de pleurer. Pas de peine, non, plutôt de bonheur.

    – J'ai hâte de te rencontrer en vrai, murmure le châtain avant de se redresser.

    Cette fois, ce sont mes lèvres que les siennes viennent chercher, et je réponds aussitôt à son baiser, passant mes bras derrière son cou. Les yeux fermés, je sens une larme rouler sur ma joue. Néanmoins, ce n'est pas la mienne.

Une main passée derrière ma taille, l'autre posée sur mon visage, Tom pleure comme un bébé ; je le serre un peu plus fort contre moi.



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Nda : Hello ! Une p'tite note de fin de chapitre cette fois, parce que je pouvais pas la mettre avant sans vous spoiler. Alors, est-ce que vous vous y attendiez ou pas du tout ? Et maintenant qu'Axelle est enceinte, avez-vous une idée de qui va être nommé parrain/marraine du bébé ? (je veux voir si vous commencez à bien connaître Tom et Axelle ou pas du tout 😉). Bref, merci d'être toujours là, vous imaginez pas à quel point vos commentaires, votre engouement me font plaisir ! J'vous kiffe mes p'tits pingouins 🐧Bisous, coeur sur vous et sur ceux que vous aimez ❤️

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