Chapitre 42
La semaine a été particulièrement éprouvante. Dave n'a pas reparu, encore heureux, car j'aurai aussitôt fait une crise de panique avec aucune certitude si j'allais me calmer ou non. Quant à moi, je suis allongée sur le lit, dans le même pyjama que j'ai revêtu je-ne-sais-comment l'autre soir. Je ne l'ai pas changé depuis, appelez-moi une crasseuse si vous voulez, j'en ai rien à faire.
C'est à peine si j'ai mangé, pointant le bout de mon nez dans la cuisine moins d'une fois par jour. Je suis fatiguée, mentalement fracassée, et je ne trouve la force que pour les besoins primaires. J'ai même enchaîné deux migraines hier, moi qui n'en avais plus eu depuis des années.
Aujourd'hui, Tom revient d'Italie. Il a enfin terminé son tournage et rentre à la maison, cependant je suis incapable d'éprouver de la joie pour cette information. Je n'ai pas envie que mon fiancé me trouve dans cet état lamentable, pourtant je n'ai pas la force de remédier audit état. J'ai simplement envie de me rouler en boule et d'attendre, encore et encore.
À chaque appel de l'acteur, je me suis forcée à faire comme si tout allait bien. Je ne pouvais pas l'inquiéter alors qu'il était en plein tournage, je ne pouvais pas le déranger.
– Je suis rentré !, scande la voix de Tom, au rez-de-chaussée.
Déjà ? Je pensais qu'il arriverait plus tard. Avec peine, je m'assois au bord du lit et bascule mes jambes dans le vide.
– Axelle ?
Je suppose qu'il s'attendait à me voir devant la porte, ou au moins dévaler les escaliers comme je le fais chaque fois qu'on se retrouve. On ne s'est pas vus depuis plus d'un mois, c'est ce que je devrais faire. Pourtant, j'en suis incapable : je suis à bout de force rien que de m'être redressée.
– Eh, tu ne m'as pas entendu ?
Tom est là, debout dans l'encadrement de la porte, un grand sourire plaqué sur ses lèvres. Ses cheveux ont poussé depuis la dernière fois qu'on s'est vus, ça lui va bien.
Son regard sur pose sur ma personne, cette loque humaine enveloppée dans un pyjama sale, et ses sourcils se froncent aussitôt.
– Est-ce que tout va bien ? Tu es malade ?
La main de mon fiancé s'approche lentement de moi. J'ai déjà vu ça, ça me fait penser à Dave, aussi j'esquisse un mouvement de recul.
–Ne... ne me touche pas !
Tom me lance un regard ébahi, contemplant mes bras que j'ai refermés autour de moi-même dans un geste de protection. Il sait que quelque chose cloche, je le vois à l'étincelle inquiète qui s'allume dans ses yeux bleus.
J'ai piètre allure, j'en suis consciente. Mes cheveux retombent pêle-mêle sur mes épaules, sales et emmêlés. Mon pyjama crasseux sent la sueur, et même si je n'ai pas de miroir en face de moi, je devine sans mal les cernes sous mes yeux.
– Est-ce que... est-ce que quelqu'un t'a fait du mal ?, demande Tom en approchant doucement une main.
Je me recule vivement. Il ne me fera rien, évidemment. Il a toujours été d'une extrême gentillesse, je sais bien qu'il ne me blessera pas. Mais c'est plus fort que moi, je suis tétanisée à l'idée du moindre contact.
Les larmes me montent aux yeux et je les laisse se déverser en torrents sur mes joues. Je n'ai pas froid, pourtant je grelotte comme si j'étais gelée.
– Je...
Je suis incapable de répondre. Mettre des mots sur ce qui s'est passé, c'est revivre la situation, et ça m'est intolérable.
– Bon sang, Axelle, dis-moi ce qui ne va pas !, s'écrie Tom en se prenant la tête entre les mains.
Je ne l'ai jamais vu hausser le ton en vrai, sur qui que ce soit, mis à part lorsqu'il est en plein tournage et qu'il doit interpréter son personnage.
– PARLE-MOI !!
Les bras grands écartés, mon fiancé plante ses yeux azur dans les miens. Il est peiné par mon silence, inquiet de ce que cela pourrait signifier. Il n'a pas tort, et je m'en veux de cela.
– Ne me crie pas dessus, je murmure, incapable de parler plus fort.
– S'il te plaît..., reprend Tom avec douceur. Parle-moi.
Il s'assoit sur le lit, à côté de moi, sans tenter toutefois de me toucher ou de m'apaiser. Il a compris que quelque chose n'allait pas, et je lui suis reconnaissante de ne pas forcer.
– Je voudrais mourir, je gémis.
Les sanglots m'empêchent de respirer correctement, et je m'effondre sur l'épaule de Tom, qui approche doucement sa main. Voyant que je le laisse faire, il passe un bras autour de moi et me serre contre lui.
– Quoi ?
Mon nez et mes yeux ruissèlent sur le t-shirt de Tom, même si je doute qu'il m'en veuille.
– Je voudrais mourir, je répète, un peu plus fort.
– Non, tu ne veux pas !, rugit-il aussitôt. S'il te plaît, ne dis pas ça...
Je m'efforce de reprendre ma respiration, en vain. Mes sanglots sont trop puissants, et ma poitrine se contracte trop violemment à chacun d'eux. Les souvenirs de ce soir funeste me reviennent en mémoire, dansant dans un tourbillon d'images et de sons, et les battements de mon cœur affolé s'accélèrent à m'en faire mal.
Je sens une larme s'échouer dans mes cheveux, et mon dégoût de moi-même s'en trouve automatiquement renforcé. Je n'ai pas pu lutter, et voilà qu'à présent, je fais pleurer la seule personne qui compte à mes yeux, le seul qui m'aime réellement. Décidément, partout où je passe, je sème le désarroi ; je me hais.
– S'il te plaît, parle-moi, chuchote Tom en me serrant contre lui.
Sa présence est rassurante, il m'a manqué. Je me sens en sécurité dans ses bras, pourtant je ne peux pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Il faut que je lui avoue ce qui est arrivé, parce que sinon, cela risque bien de tout nous coûter. Il pourra m'aider, je le sais, toutefois j'ai du mal à imaginer comment.
– Je... je ne sais même pas comment le dire en anglais, je renifle.
C'est la vérité. Bien que j'aie passé plus de six mois en Angleterre, je ne peux prétendre être bilingue, je suis même très loin d'avoir un tel niveau.
Avec des gestes lents et précautionneux, Tom m'attrape par les épaules et me place face à lui. Je suis saisie d'un sentiment atroce de culpabilité devant ses yeux embués.
– Est-ce que quelqu'un t'a fait du mal ?, demande-t-il pour la deuxième fois.
Mes sanglots redoublent et je hoche la tête.
– Qui ? Comment ?
Dans le regard de mon fiancé, plusieurs émotions se disputent sans savoir laquelle va l'emporter : inquiétude, incompréhension, colère. J'aurais dû être en sécurité à la maison, nous le savons tous les deux. Mais comment pouvions-nous deviner que le danger viendrait de l'intérieur ?
– Dave..., je m'étrangle. Il...
Je suis prise d'un haut-le-coeur, comme si les mots qui refusent de franchir mes lèvres retombaient dans mon estomac pour y dérégler tout mon être.
– Est-ce qu'il t'a touchée ?, suffoque Tom. Est-ce qu'il t'a...violée ?
Je sursaute comme si j'avais reçu une gifle. Ces mots sont si durs, si...
Incapable de réprimer un énième haut-le-coeur, je vomis un flot de bile qui s'étale jusque sur le sol. Déjà que je n'avais pas grand chose dans l'estomac, ça n'arrange pas ma situation.
Tom se lève aussitôt, faisant abstraction des dégâts. Son pantalon est tâché, toutefois il ne semble pas y prêter attention.
– Je vais le tuer, crache-t-il d'une voix blanche.
Je secoue la tête et bredouille :
– Il ne m'a pas violée, mais...
Je ne peux pas finir ma phrase, j'en suis incapable. Bien qu'il n'y ait eu aucune pénétration, ce qu'a fait Dave est considéré comme une agression sexuelle. Il n'avait pas le droit de me toucher, il le savait et il en a joué.
– Je le tuerai quand même, peu importe ce qu'il t'a fait !
– Je suis désolée..., je sanglote.
La colère de mon fiancé semble retomber d'un coup et son expression devient grave.
– Quoi ?
– Je suis désolée, je répète. Je n'ai pas pu... je n'ai pas réussi à crier, ni à me défendre, et je...
– Ne dis pas ça !, me coupe Tom en s'agenouillant devant moi. S'il te plaît, ne dis pas ça. Ce n'est pas de ta faute, d'accord ? Ce n'est certainement pas de ta faute, tu n'as rien à te reprocher.
Sa main effectue des cercles sur mon genou gauche tandis que je peine à retrouver ma respiration. Je suis en pleine crise de panique, il est inutile de le nier.
– Je sais que je ne pourrais jamais ne serait-ce qu'imaginer ce que tu traverses..., s'avance Tom. Mais il faut qu'on agisse, si tu t'en sens capable. Je refuse de laisser cette ordure s'en sortir, d'accord ? Je veux que justice soit faite !
– Si votre justice est aussi parfaite que celle en France, je renifle, autant ne rien faire.
Mon fiancé me serre contre lui et je me laisse aller sur son épaule. Il a raison, bien sûr. Si nous faisons le nécessaire dès maintenant, Dave pourra être arrêté. Toutefois, il y a un pas entre la théorie et la pratique. Suis-je vraiment prête à parler à la police, à raconter ce qui s'est passé ?
– Je ne le laisserai pas s'en sortir comme ça, réaffirme Tom. Tu m'entends ? Je vais m'assurer que ce salaud soit puni pour ce qu'il a fait !
Mes pleurs redoublent et je passe mes bras autour du cou de l'acteur, le serrant un peu plus contre moi. Je ne suis même pas dérangée par l'odeur de la flaque à nos pieds, c'est dire !
– Je suis tellement désolée, honey, murmure Tom. Je n'aurais jamais dû te laisser seule, je...
– Tu ne pouvais pas savoir, je bredouille.
– C'est moi qui ai engagé Dave, j'aurais dû remarquer quelque chose.
Je sèche mes larmes d'une main ; d'autres les remplacent bien rapidement, trop rapidement.
– C'est moi qui aurais dû remarquer quelque chose, je balance. Il me faisait peur, mais je croyais que c'était parce qu'il avait un sale caractère ! Je n'ai pas su voir avant que quelque chose clochait, et maintenant...
– Ne dis pas ça !, me coupe Tom. Quoi qu'il se soit passé, ce n'est pas de ta faute, est-ce que c'est clair ?
Je renifle violemment. Doucement, mon fiancé se détache de moi et me prend les mains. Il les embrasse l'une après l'autre puis me force à me mettre debout.
– Allez, viens.
Tachant de sécher mes larmes, je le suis. Je suis une véritable madeleine, les torrents qui dévalent mes joues semblent ne pas vouloir s'arrêter.
Pas après pas, Tom me conduit jusqu'à la première chambre d'amis, jusqu'à la salle de bain. Avec des gestes délicats, il m'aide à me déshabiller ainsi qu'à entrer dans la baignoire. Je suis totalement aphasique, je ne ressens plus rien, je ne suis plus capable de rien. Je me laisse faire parce que j'ai confiance en l'acteur, mais c'est comme si mon corps ne m'appartenait plus.
Mon fiancé embrasse doucement mon front, à genoux face à la baignoire. Il braque le jet sur ma personne et me masse doucement la peau à l'aide de savon.
– Ça va aller, d'accord ? Je te le promets, my love.
Je lève les yeux vers lui, lentement : ils croisent les siens, emplis d'inquiétude. Mes sanglots redoublent et je pose ma tête dégoulinante contre lui.
– Je suis désolée...
– Non, non, ne le sois pas. Tu n'y es pour rien, d'accord ?
De nouveau, Tom dépose un baiser sur le sommet de mon crâne. Je ne peux pas nier que l'eau chaude coulant sur mon corps me fait du bien, ça me soulage un peu ; la présence de l'acteur également.
La gratitude que je ressens envers lui me frappe de plein fouet et j'ouvre grand les yeux. C'est comme si je venais subitement de me réveiller, mon cœur semble repartir et je me redresse. Pour la première fois depuis une semaine, je ressens quelque chose.
– Tom..., je murmure en glissant mes bras trempés autour de son cou.
Je le serre contre moi et inspire à pleins poumons son odeur si familière. Je me sens chez moi, en sécurité, et mes larmes arrêtent de couleur d'elles-même.
– Oh mon dieu, Tom...
Ce dernier paraît sur le point de m'embrasser, hésite, recule. D'un regard, je l'autorise à le faire : je crois que j'en ai besoin, et tant pis si je ne me suis pas lavé les dents depuis trop longtemps pour m'en rappeler.
Les lèvres de mon fiancé se posent doucement sur les miennes. D'une main, il me caresse le dos ; il tient toujours le pommeau de douche de l'autre.
– Ça va aller, d'accord ?, chuchote-t-il.
Je ne peux que le croire sur parole. J'ai confiance en lui, et maintenant qu'il est là, je sais que tout va s'améliorer. Mon regain d'énergie est le déclic qu'il me fallait.
– Je veux aller porter plainte, je déclare d'une voix forte.
Tom hoche la tête et embrasse mon front tendrement.
– On va y aller. D'abord, on finit de faire un brin de toilette, et après on y va.
Un léger sourire s'étire sur mes lèvres, chose qui ne m'était pas arrivée depuis trop longtemps. J'aime sa manière de dire ''on finit'', comme si nous n'étions qu'une seule et même personne. J'apprécie me sentir soutenue, comme si ce qui m'arrivait arrivait également à Tom.
– Je t'aime, Thomas.
Ce dernier sourit doucement.
– Je t'aime aussi, sweetheart. Et je ferai tout pour que cette histoire soit réglée correctement.
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