Chapitre 4
– You took a map, didn't you ? I don't want to get lost again.
[Tu as pris une carte, n'est-ce pas ? Je n'ai pas envie qu'on se perde encore.]
Je baisse les yeux sur Louis, qui m'observe comme s'il attendait le messie. Non, il attend juste ma réponse, mais sa provocation ne me donne pas envie de la lui donner.
Depuis qu'on s'est perdus à même pas trois cent mètres de la maison, deux jours auparavant, les enfants ne cessent de me répéter qu'il faut que je fasse attention, et que je dois toujours emporter une carte pour retrouver ma route. Ce qu'ils n'ont pas compris, c'est que 1) cela ne m'arrivera plus parce que mon égo en a vraiment pris un coup, surtout après la rencontre avec Tom Hiddleston ; 2) il faudrait déjà que je sache lire une carte, et ça n'est pas le cas.
– Don't worry, je finis par répondre au petit garçon, ma fierté mise de côté. We're not gonna get lost again, I swear.
[Ne t'inquiète pas. Je te promets qu'on ne se perdra pas une deuxième fois.]
Louis ne répond pas, toutefois je vois dans son regard et dans celui de sa sœur qu'ils sont sceptiques. Génial, je crois que le rôle de l'incapable va me coller à la peau jusqu'à la fin de mon séjour ici.
– Do you even know where the library is ?, enchaîne Judith.
[Est-ce que tu sais où se trouve la bibliothèque, au moins ?]
Je pousse un long soupir et serre les dents pour ne pas lancer une répartie cinglante. Je ne suis pas avec mes amis, je ne peux pas les envoyer bouler en rigolant : mes interlocuteurs ont 7 et 9 ans, je dois avant tout rester professionnelle.
– Trust me, I always know where the library is, je commente simplement.
[Fais-moi confiance, je sais toujours où se trouve la bibliothèque.]
Ce qui est entièrement vrai. Quand on est une lectrice assidue comme je le suis, la bibliothèque et la librairie sont les deux premières destinations que l'on recherche en arrivant dans une ville inconnue.
– I'm not really sure if we can trust you, continue Judith.
[Je ne suis pas certaine de si on peut te faire confiance.]
Décidément, je la sens bien passer, cette semaine ! Entre le non respect affolant des gosses envers ma personne, ma manière de m'être affreusement ridiculisée devant un de mes acteurs préférés, il ne manquerait plus que je me ramasse devant une caméra et que je passe à la télé partout dans le monde pour compléter le tout. Touche du bois que ça ne m'arrive pas, on ne sait jamais !
Je fais mine de ne pas avoir entendu la réflexion peu agréable de la petite fille et continue mon chemin, tenant les enfants par la main. Heureusement que j'ai de la patience, à ce stade on pourrait même me remettre le titre de personne la plus patiente sur cette fichue planète.
– Tiens, regarde !, je lance en désignant l'autre côté de la rue, devant nous. Look !
Le panneau bleu indique ''North Kensington Library'' et derrière se dresse la bibliothèque, grands murs de briques rouges parsemés de fenêtres aux moulures blanches.
Elle n'a peut-être rien de bien impressionnant, elle n'est peut-être pas immense comme certaines bibliothèques anciennes que l'on peut rencontrer dans quelques endroits du pays, pourtant je suis heureuse de me trouver devant. Carl et Ellie n'ont que peu de livres chez eux, et pour que je me sente bien, j'ai besoin d'être entourée de tonnes et de tonnes de pages à l'odeur familière.
– Stop, wait !, s'écrie alors Louis en tirant sur mon bras.
[Stop, attends !]
Alertée par ses cris, je m'arrête aussitôt.
– What's happening ?, je demande, inquiète.
[Qu'est-ce qu'il se passe ?]
Le petit garçon se met à pleurer soudainement, sans que je comprenne pourquoi. Paniquée à l'idée que quelque chose soit arrivé, je m'accroupis face à lui.
– I lost my watch, pleure l'enfant en frottant ses yeux.
[J'ai perdu ma montre.]
– You... what ? Where ?
[Tu... quoi ? Où ça ?]
Je me sens aussitôt stupide. Vraiment, demander à quelqu'un où il a perdu un objet n'aidera personne, tout le monde le sait !
Je me retourne pour faire face au trottoir que nous avons parcouru.
– There !, je m'exclame.
[Là-bas !]
Un peu plus loin, ladite montre est posée par terre. Je ne l'aurais probablement pas remarquée, moi qui suis myope comme une taupe, mais au moins je sais que mes lunettes sont toujours à ma vue.
Les enfants et moi nous précipitons pour la récupérer, et j'enjoins Louis à la ranger dans son sac à dos. L'effervescence passée, nous nous apprêtons à retourner à la bibliothèque.
– I think I really love you, Axelle, balance Louis alors que nous sommes à mi-chemin de notre but.
[Je crois que je t'aime vraiment.]
Je m'arrête sans attendre. Est-ce que je viens bien d'entendre ce que j'ai entendu ?
– What did you say ?
[Qu'est-ce que tu as dit ?]
– I said I loved you, because you found my watch.
[J'ai dit que je t'aimais, parce que tu as retrouvé ma montre.]
Voilà. Si vous cherchiez une raison pour laquelle j'adore les enfants, une raison pour laquelle je veux travailler à leurs côtés... Elle est là. Les enfants sont spontanés, ils disent ce qu'ils pensent sans filtre, et si vous êtes gentils et prévenants avec eux, ils vous donneront tout l'amour que leur petit cœur possède.
J'en pleurerais presque, c'est juste tellement adorable ! Les enfants sont si innocents, si purs... Leur cerveau n'est pas câblé comme le nôtre, ils ne connaissent pas les notions de différences, surtout lorsque ce sont des tout-petits. Ils vous rendent l'amour que vous leur donnez au centuple, et c'est ça qui me plaît chez eux.
Travailler avec les enfants a toujours été une évidence pour moi. J'ai d'abord commencé par une fac de maths, parce que je voulais me diriger vers un master pour être professeur des écoles. Toutefois, comme la deuxième année s'est relevée trop compliquée et que la fac n'était pas ma tasse de thé – il me faut un encadrement, si je dois travailler seule, je me perds facilement et ne retrouve plus le fil –, j'ai décroché en milieu d'année. Je me suis tout de même pointée aux cours du deuxième semestre et aux examens de fin d'année, par respect pour mes parents qui avaient payé l'inscription.
Après ça, j'ai tenté une formation pour devenir professeur de danse classique, cette dernière étant une de mes passions. Mais je me suis blessée en cours d'année, et j'ai dû arrêter ce parcours pour diverses raisons personnelles. Aussi, quand je me suis inscrite au CAP petite enfance, ç'a été une révélation : je voulais être ATSEM dans les écoles maternelles, je le voulais plus que je n'ai jamais rien voulu dans ma vie. C'est le déclic qui m'a fait prendre conscience que j'étais dans la bonne voix.
J'ai donc suivi un cursus d'un an de formation à distance du CAP, et j'ai passé mes examens début juin. Aujourd'hui, j'attends d'avoir mes résultats pour savoir si je peux me présenter au concours d'ATSEM en octobre.
C'est dans la continuité de mes études que j'ai choisi d'être jeune fille au pair cet été. Il me fallait un job, et je voulais quelque chose en rapport avec mes centres d'intérêt. Être jeune fille au pair... C'était partir deux mois loin de tout ce que je connais, perfectionner mon anglais, gagner de l'argent et gagner de l'expérience. C'était la chose à faire, j'en suis convaincue. Et je n'aurais pas pu tomber sur mieux que Carl, Ellie et les enfants.
– Watch out !, crie Judith en me tirant vivement en arrière.
[Attention !]
Je n'ai pas le temps de m'arrêter que déjà, je me cogne dans quelqu'un qui sort de l'allée menant à la bibliothèque. Bon sang, il faut vraiment que j'apprenne à regarder où je marche !
C'est la deuxième fois que je percute un inconnu en l'espace de trois jours. Toutefois, je ne m'écrase pas au sol comme mercredi, parce que la personne en face de moi me rattrape in extremis.
– Don't you ever watch where you're going ?, lance une voix moqueuse au-dessus de ma tête.
[Tu ne regardes donc jamais où tu vas ?]
Je me fige aussitôt. Cette voix, je serais capable de la reconnaître entre mille... Je n'ai même pas besoin de lever les yeux pour comprendre qui est la personne que j'ai percutée de plein fouet. Décidément, je m'enfonce un plus plus à chaque fois !
– I'm so sorry !, je m'exclame en retour.
[Je suis tellement désolée !]
Non mais c'est dingue ça ! Quelle était la probabilité pour que je croise mon acteur préféré deux fois, et qu'à chaque fois, je lui rentre dedans ? À ce stade c'est pas de la malchance, c'est de la méga poisse !
Je me recule vivement en tâchant de ne pas croiser le regard de Tom Hiddleston.
– Are you lost again ?, demande l'homme d'une voix égale.
[T'es-tu encore perdue ?]
Je sens le rouge me monter aux joues. Et voilà, quelle idiote je fais ! Dans son esprit, je resterai pour toujours la petite française au sens de l'orientation défectueux !
– That's not funny, je gémis.
[Ce n'est pas drôle.]
– I'm sorry, I didn't mean to be mean.
[Je suis désolé, je ne voulais pas être méchant.]
Son ton a changé, à peine, mais suffisamment cependant pour que je le remarque. Je me force donc à lever les yeux vers Tom. Il semble... dépassé par les évènements.
– No, it's just... Look, forget it. I'm really sorry to have bumped into you twice.
[Non, c'est juste que... Écoutez, laissez tomber. Je suis vraiment désolée de vous être rentrée dedans deux fois.]
– That's okay. I didn't want to make you uncomfortable, I apologize.
[Ce n'est pas grave. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, je m'excuse.]
Il soupire et reprend immédiatement :
– I shouldn't laugh. If you're French, it's natural that you don't know the city.
[Je ne devrais pas me moquer. Si tu es française, c'est normal que tu ne connaisses pas la ville.]
Un sourire timide s'étire sur mes lèvres. Exactement comme l'a dit Marine l'autre jour, l'acteur est adorable. Je m'en doutais, évidemment, mais le voir en vrai est totalement différent.
– I take it these aren't your kids ?
[Je suppose que ce ne sont pas tes enfants, du coup ?]
Je hoche la tête.
– They're... Well, I'm juste their nanny.
[C'est...En fait, je suis juste leur nounou.]
– She's the best !, intervient Louis.
[Elle est la meilleure !]
Il détache son sac à dos et en sort sa montre, tout fier de lui. Il la balance sous le nez de Tom avec un grand sourire.
– She helped me find my watch ! I thought I lost it, but Axelle found it !
[Elle m'a aidée à retrouver ma montre ! Je pensais que je l'avais perdue, mais Axelle l'a trouvée !]
– That's great !, répond Tom en frottant affectueusement les cheveux du petit garçon.
[C'est super !]
Bon. Peut-être que l'acteur va se rappeler de moi pour mon obsession à rentrer dans les gens, ou pour mon manque d'orientation, mais au moins la confession de Louis me fait paraître un peu plus normale.
– So..., continue Tom en se tournant vers moi. Your name is Axelle ?
[Alors... Ton nom est Axelle ?]
– Euh, oui..., j'acquiesce en oubliant momentanément de parler en anglais.
Mon prénom dans sa bouche, avec son accent et cette voix grave... C'est plus que je n'en peux supporter. J'ai officiellement accompli ma mission sur terre, c'est bon. Je peux mourir en paix.
– I like it, déclare l'homme. I mean... It's typically French.
[J'aime bien. Je veux dire... C'est typiquement français.]
Je manque m'étrangler avec ma propre salive. Quoi, pardon ? Tom Hiddleston, qui avoue aimer mon prénom ? Suis-je en train de rêver ? Ça ne peut pas être possible !
– Thank you, je murmure.
J'ai soudain très très chaud. D'accord, nous sommes en plein milieu de l'été, mais nous sommes également en Angleterre. Le temps est gris, il ne devrait pas faire la chaleur d'un four tournant à plein régime.
– By the way, just curious, but... May I ask you why a young French girl like you is here in London to babysit children ?
[Au fait, juste par curiosité... Est-ce que je peux te demander pourquoi une jeune française comme toi se trouve ici à Londres pour garder des enfants ?]
– I needed a job, and I needed to improve my English, so... And, also, I've always loved children.
[Il me fallait un travail, et j'avais besoin d'améliorer mon anglais, alors... Et aussi, j'ai toujours aimé les enfants.]
– Aren't you too young to be in charge of children ?
[Tu n'es pas un peu trop jeune pour avoir la charge d'enfants ?]
Je ne le montre peut-être pas, mais je suis piquée par sa remarque, bien qu'elle n'ait rien de méchant. D'accord, quand j'aurai quarante ans et que j'en ferai trente, je serai heureuse. Mais actuellement, les gens me donnent en moyenne quinze ou seize ans, ça en devient lassant.
– I'm twenty-two !, je réponds vivement.
[J'ai vingt-deux ans !]
– No way ! Really ? I'm sorry, I thought you were, like, sixteen ? Seventeen ?
[Pas possible !C'est vrai ? Je croyais que tu avais, genre, seize ans ? Dix-sept ans ?]
Je pince aussitôt les lèvres. Génial, mon acteur préféré me prenait pour une pauvre petite adolescente écervelée.
– I beg you pardon, lâche Tom en passant une main dans sa nuque. I didn't mean to offend you.
[Je te demande pardon, je ne voulais pas t'offenser.]
– You're not the only one who thinks that.
[Vous n'êtes pas le seul à penser ça.]
À côté de moi, les enfants commencent à s'impatienter. C'est vrai que nous devions nous rendre à la bibliothèque, pas taper la causette avec Tom Hiddleston. En même temps c'est Tom Hiddleston, et vu les quelques mots auxquels s'est limité notre précédent échange, Louis et Judith pourront attendre quelques minutes.
– Well, I'm sorry I was wrong, darling. Did you want to go to the library ? I'm not gonna keep you any longer.
[Eh bien, je suis désolé de m'être trompé, darling. Vous vouliez aller à la bibliothèque ? Je ne vous retiens pas plus longtemps.]
Alors que Tom me fait un signe de tête respectueux et s'apprête à partir, Louis se jette sur lui.
– Can I have your autograph ?
[Je peux avoir un autographe ?]
– Louis, j'interviens aussitôt. First, you could ask more politely. Second, Tom can have a life. If he doesn't want to give you his autograph, that's his right. He's an human, like you and me. Just because he's famous doesn't mean you can harass him in the street. Do you understand ?
[Louis, premièrement, tu pourrais demander plus poliment. Deuxièmement, Tom a le droit d'avoir une vie. S'il ne veut pas te donner son autographe, c'est son droit. C'est un humain, comme toi et moi, et ce n'est pas parce qu'il est célèbre que tu peux le harceler en pleine rue. Tu comprends ?]
Le petit garçon hoche la tête.
– It's okay, don't worry. Do you have a piece of paper, or something else ?
[C'est pas grave, ne t'inquiète pas. Est-ce que tu as un morceau de papier, ou autre chose ?]
– Yes, of course, je réponds en souriant.
[Oui, bien sûr.]
Je sors aussitôt mon carnet de mon sac et en arrache une page.
– Same notebook as wednesday, huh ? Why do you keep a notebook in your purse ?
[Le même carnet que mercredi, hein ? Pourquoi gardes-tu un carnet dans ton sac?]
– I dream of being a writer, j'explique tout en tendant la feuille de papier à l'acteur. I have to keep this notebook wherever I go, so I have something to write on if I have ideas.
[Je rêve d'être auteure. Je dois donc emmener ce carnet partout où je vais pour avoir quelque chose où écrire si j'ai des idées.]
– A writer... It's hard, isn't it ?
[Une écrivaine... C'est dur, n'est-ce pas ?]
Je prête mon stylo à Tom, qui s'appuie contre un mur pour écrire sur la feuille.
– It is indeed, but I'm passionate so it's fine.
[Ça l'est, en effet. Mais je suis passionnée, donc ça va.]
– Passion is one of the keys to success.
[La passion est l'une des clefs de la réussite.]
L'homme déchire le papier en trois morceaux. Il en donne un à Louis, un à Judith – bien que silencieuse, il était clair qu'elle rêvait d'un autographe de Tom également –, puis me tend le dernier.
– I... I didn't ask for anything, je bredouille.
[Je... je n'avais rien demandé.]
Tom me fait un clin d'oeil en me rendant le stylo.
– You'll just have to sell it on the internet, if you don't want it, plaisante-t-il.
[Tu n'auras qu'à le vendre sur internet, si tu n'en veux pas.]
Je sens le rouge me monter aux joues.
– That's not what I'm saying, je me défends automatiquement.
[Ce n'est pas ce que j'ai dit.]
Comme si j'allais vendre l'autographe de Tom Hiddleston ! Je vais surtout l'encadrer et le coller au mur de ma chambre, oui !
– Well, it's been a pleasure to meet you again, Axelle. I hope you can fulfill your dream !
[Bon, eh bien, ce fut un plaisir de te rencontrer de nouveau, Axelle. J'espère que tu réaliseras ton rêve.]
– Thank you, je réponds en souriant. It's been a pleasure too. Have a nice day !
[Merci. Ce fut un plaisir également, passez une bonne journée !]
– Goodbye !, s'écrie Louis en secouant sa petite main en direction de Tom.
Ce dernier sourit et répond à l'enfant. Puis il tourne au détour de la rue et disparaît de mon champ de vision.
– Daddy is gonna be so proud of us !, lâche Judith. We got Tom Hiddleston's autograph !
[Papa va être super fier de nous ! On a eu l'autographe de Tom Hiddleston !]
Je souris et serre le papier entre mes doigts. Effectivement, on a eu l'autographe de Tom Hiddleston. Je n'en reviens toujours pas.
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