Chapitre 27

Je pense n'avoir jamais autant chanté les louanges de mes parents que pendant le repas. J'ai dû les remercier approximativement quarante-cinq fois, les larmes aux yeux. En plus de ça, j'ai mangé rapidement – plus que d'habitude, on va dire –, parce que j'étais pressée de remonter dans ma chambre pour appeler Tom. J'ai tellement hâte de le prévenir !

Lorsqu'enfin nous avons fini de débarrasser la table, je me précipite sur mon téléphone. Il est vingt heures trente, ce qui donne dix-neuf heures trente à Londres : parfait, mon petit ami n'a pas encore commencé sa représentation.

Je ferme la porte de ma chambre derrière moi, histoire que ma famille n'entende pas ma discussion. Les murs ont beau être épais, ils ne filtrent aucun son, à tel point que parfois, j'ai l'impression que les passants dans la rue sont avec moi dans la pièce. Un avantage non négligeable de sortir avec un anglais est le suivant : bien que ma famille ait les bases, ils ne comprennent pas tout ce que je raconte, si bien que je peux librement parler avec Tom.

J'ouvre l'application téléphone et cherche le numéro de l'acteur. J'appuie dessus, puis colle le portable à mon oreille droite. La tonalité résonne, cependant Tom a décroché avant la fin de la première.

– Hello, darling ! 

[Salut, darling !]

Je souris automatiquement : c'est un effet inéluctable de la voix de mon petit ami sur ma personne.

– I'm coming, je lance de but en blanc. 

[J'arrive.]

– You... what ? What are you talking about ?

[Tu... quoi ? De quoi tu parles ?]

Au ton de sa voix, je devine qu'il est perplexe, ce que je peux aisément comprendre. Je ne lui ai même pas dit bonjour que déjà je le mets devant le fait accompli : il ne sait même pas de quoi je parle.

– I'm moving to London. 

[Je vais emménager à Londres.]

– What ?, s'exclame aussitôt Tom. What does it mean, you're moving to London ? 

[Quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire, tu vas emménager à Londres ?]

Un sourire éclaire mon visage, je peux le voir dans le miroir de ma coiffeuse.

– I talked with my parents. They agreed to find an apartment in London, as long as I get a job and am independent. We haven't started looking yet, but we'll start tomorrow. 

[J'ai discuté avec mes parents. Ils sont d'accord pour trouver un appartement à Londres, tant que je trouve un travail et suis indépendante. On n'a pas encore commencé à chercher, mais on s'y met demain.]

– Are you serious ?, s'étonne mon petit ami à l'autre bout du fil. 

[Tu es sérieuse ?]

– Yes !, je m'exclame.

J'ai beaucoup de mal à contenir mon excitation.

– This... this is amazing !, bredouille Tom, à qui je semble avoir levé toute faculté à parler. 

[C'est... c'est génial !]

Je l'entends s'adresser à quelqu'un, hors combiné, et ne comprends pas tout à fait ce qu'il dit ; sa voix me parvient trop faiblement. Lorsqu'enfin, il revient dans la discussion, il déclare :

– But you know you could live with me, huh ?

[Mais tu sais que tu pourrais vivre chez moi, hein ?]

Je souris, bien qu'il ne puisse pas me voir le faire.

– I know, and I thank you for the offer. However, I really want my independence. 

[Je sais, et je te remercie pour la proposition. Cependant, je tiens vraiment à mon indépendance.]

– I understand. Anyway, I'm glad you're moving to London, darling. 

[Je comprends. En tout cas, je suis ravi que tu viennes vivre à Londres, darling.]

– You have no idea how happy I am, too !, je me récrie. I hope this will be done quickly. 

[Tu n'as pas idée à quel point je suis heureuse aussi ! J'espère que ce sera fait rapidement.]

J'entends Tom rire à travers le téléphone.

– I hope too. Unfortunately, honey, I have to hang up. My performance starts in five minutes. 

[J'espère aussi. Malheureusement, honey, je dois raccrocher. Ma représentation commence dans cinq minutes.]

Je soupire longuement.

– Honey ?, je m'étonne avec un sourire en coin. I didn't think you'd give those cute nicknames, but I like it. 

[Honey ? Je ne pensais pas que tu donnais ces surnoms mignons, mais j'aime ça.]

– I'm full of surprises !, s'exclame l'acteur. But I really have to go. 

[Je suis plein de surprises ! Mais je dois vraiment y aller.]

Oh, ça oui, je m'en étais aperçue ! De bonnes surprises en plus !

– So, as we say in France... Merde ! No, don't say thank you, it's bad luck. 

[Bon, comme on dit en France... Merde ! Non, ne me dit pas merci, ça porte malheur.]

De nouveau, Tom rit.

– I won't thank you, then. Tell me when you have news, I love you. 

[Je ne te remercierai pas, dans ce cas. Dis-moi quand tu as des nouvelles, je t'aime.]

– Of course !, je réponds. Love you too...

[Bien sûr ! Je t'aime aussi...]

Je prends une grande inspiration avant de continuer, sous le coup d'une impulsion soudaine :

– ... mon cœur, j'ajoute en français.

Mon petit ami glousse avant de raccrocher. Quant à moi, je sens mon cœur faire un bond dans ma poitrine : c'est la première fois de ma vie que je donne un surnom de couple à quelqu'un. Même Valentin n'y avait pas le droit. Cependant, j'ai senti que c'était le bon moment : je ne regrette rien.

La sensation est étrange, j'ai l'impression d'infantiliser l'acteur, ce qui n'est pas du tout mon intention. Toutefois... Est-ce qu'au fond, ce n'est pas un peu le but des surnoms affectifs ?

Je pousse un profond soupir et contemple d'un œil inquisiteur mon meuble à dvd. J'ai envie d'en regarder un, après avoir vu Thor cet après-midi, mais lequel ?

Aucun rapport avec Disney et les Marvel, je finis par choisir de lancer Bohemian Rhapsody. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis tombée amoureuse de ce film dès la première fois où je l'ai visionné. Il n'y a aucun suspenses, parce qu'on connaît tous la fin de Freddy Mercury, cependant... La musique, les acteurs – j'ai toujours apprécié Rami Malek, depuis que je suis gosse et regardais alors La nuit au Musée –, l'ambiance... Il y a quelque chose que j'adore là-dedans.

Assise sur mon lit, je me munis de la télécommande et démarre le film.



Comme je l'ai dit à Tom, mes parents et moi commençons la recherche d'appartement dans Londres le lendemain. J'étais loin d'imaginer que c'était si long et si compliqué, nous y sommes depuis plus d'une heure et nous n'avons encore rien trouvé d'intéressant.

Les prix sont exorbitants, j'en suis complètement retournée. À moins de mille euros, on ne trouve rien du tout en tant qu'appartement ou petit studio. Mille euros, pour vingt mètres carré ! C'est abusé ! Si nous voulons moins cher, il s'agit de colocations. Même à Marseille, les prix ne sont pas si élevés, c'est dingue !

– Ça pourrait être une solution, lâche mon père en pointant du doigt l'écran de l'ordinateur.

Encore une chambre privée dans une colocation. Je préfèrerais de loin avoir un appartement à moi toute seule, toutefois je suis consciente du tarif élevé des locations. Je n'ai pas envie de ruiner mes parents, et encore moins de me ruiner moi-même par la suite.

– Oui, mais comment savoir comment sont les autres occupants ?, demande ma mère.

Je soupire.

– Je suppose qu'on doit pouvoir demander à faire un visio avec eux, tu sais, histoire d'avoir un premier contact. Sinon, il faudra monter à Londres et voir sur place, mais ça risque d'être galère.

Je hausse les épaules. Faire un appel vidéo me semble la meilleure option, c'est évident.

Mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon jean et je l'en sors aussitôt. C'est Mathieu.

– Meuf, des nouvelles pour ta recherche d'appartement ? –, demande mon meilleur ami.

– C'est chiant au possible, je vais finir en colocation avec des inconnus à ce stade. Le moindre truc coûte la peau du cul, c'est à vous rendre vous ! –

– Axelle, tu peux te concentrer deux minutes ?, lance sèchement ma mère. Je te signale que c'est pour toi qu'on cherche, si ça ne t'intéresse pas, on peut s'arrêter là.

– Excuse-moi, je marmonne.

Ma mère peut être adorable, tout comme elle peut être désagréable lorsque quelque chose la contrarie.

– Après, ça me dérange pas de vivre en colocation, j'avance doucement. Si c'est moins cher, c'est peut-être mieux, surtout pour un début. Parce que mettre mille euros dans un appart... C'est le prix de location au mois si on faisait louer notre maison !

Au moment même où je dis ça, je me rends compte de la véracité de mes propos. Et moi qui pensais que les loyers étaient chers par ici ! Londres, c'est autre chose, bien que le salaire moyen y soit plus élevé également.

– On va d'abord regarder si on trouve pas un appartement moins cher, et si vraiment y a pas, alors on se rabattra sur les chambres en colocation, annonce mon père.

Je hoche la tête. Cela semble un bon compromis, et peut-être arriverons-nous à trouver quelque chose de potable en cherchant un peu mieux.

La porte d'entrée s'ouvre soudain sur ma sœur. Elle a les cheveux en pétard et les joues roses d'avoir marché jusque là – le bus ne passe pas ici, il faut marcher plus de dix minutes pour trouver le premier arrêt.

– Bah, qu'est-ce que vous faites ?, demande-t-elle en balançant ses chaussures et son sac à dos à travers l'entrée.

– On cherche un appartement pour ta sœur, répond ma mère sans même lever les yeux de l'ordinateur.

– Trop cool ! Je pourrai prendre sa chambre quand elle sera partie ?

Je lance un regard noir à Laura.

– Certainement pas !, je m'exclame. C'est ma chambre, t'as la tienne.

– Ouais mais la tienne est plus grande, c'est de la triche, se plaint ma sœur.

Je hausse les épaules avec un demi-sourire.

– Fallait naître avant, je la nargue.

Au fond, je sais qu'elle fera ce qu'elle veut, que ça me plaise ou non. D'un autre côté, si je pars à Londres, il y a une chance pour que je ne revienne jamais sur Marseille plus tard, alors... Je n'aurai probablement plus besoin de ma chambre.

Cette idée me déprime aussitôt. Bien que je sois très heureuse de partir en Angleterre et de rejoindre Tom, je m'apprête également à laisser derrière moi tout ce que j'ai jamais connu. Mes amis, ma famille, mon quotidien... Rien ne sera plus jamais comme avant. Je n'avais pas réalisé à quel point toute ma vie allait être chamboulée, avant aujourd'hui.

– Tu fais une drôle de tête, murmure Laura en fronçant les sourcils.

Visiblement, mon changement d'humeur n'est pas passé inaperçu. Je tente de retrouver une expression normale du mieux que je peux ; c'est compliqué. Je n'ai jamais aimé les prises de conscience intempestives.

– Est-ce qu'on peut faire une pause ?, je soupire. J'ai besoin d'aller faire pipi, et je commence à avoir mal à la tête.

Mes parents soufflent mais acquiescent. Je suppose qu'eux aussi commencent à en avoir marre : nous pourrons nous y remettre tout à l'heure, ou encore demain.

Je n'attends pas plus : je me précipite jusqu'aux toilettes et, une fois sortie, je reprends mon téléphone. J'ai un message en attente de mon meilleur.

– C'est vraiment si cher que ça ? –

– Mathieu, cher c'est un euphémisme ! Marseille, à côté, c'est de la gnognotte –, je réponds.

– Tant que ça ? –, s'étonne-t-il.

Je ris.

– C'est du mille balles le mois pour un appartement d'une pièce. –

–Ah oui, quand même ! T'es sûre que tu veux pas rester ici, du coup ? –

Un sourire s'étire sur mes lèvres. Je sais bien que Mathieu ne tente pas réellement de m'empêcher de partir, au contraire : il était très heureux hier soir, quand je lui ai annoncé la nouvelle. Néanmoins, je suppose qu'il a réalisé comme moi qu'une fois partie, tout sera différent, même s'il restera toujours mon meilleur ami. Je suis partie presque un an en Normandie, l'année dernière, et ça n'a rien changé à notre relation. L'Angleterre, c'est simplement un peu plus loin.

Tu sais que je suis pressée de rejoindre Tom. –

– Oui. D'ailleurs, je comprends toujours pas pourquoi t'as pas simplement accepté sa proposition. Meuf, il t'a proposé de vivre chez lui, tu pourrais avoir la belle vie ! Y aurait pas de problème de loyer trop cher, et puis j'imagine qu'il a une maison de rêve non ? –

Je secoue la tête avec un sourire tendre. J'adore mon meilleur ami, mais il n'a toujours pas compris que ce genre de réaction ne fait pas partie de moi ?

– Mathieu, tu sais très bien que je ne peux pas. J'aime pas dépendre de quelqu'un, et puis imagine s'il arrive quoi que ce soit à notre couple, je fais quoi moi ? Non, c'est trop risqué. Je préfère avoir mon indépendance, parce que s'il arrive une merde, je suis safe. Et puis, je ne suis pas une profiteuse. –

– C'est vrai que dit comme ça... Mais je continue à penser que t'aurais dû accepter. –

Je pouffe. Évidemment, il n'a pas tout à fait tort : ce serait la solution de facilité. Mais ce n'est pas la bonne solution, j'en suis persuadée.

– T'es un matérialiste, mon p'tit Mathieu ! –, je me moque.

– Et toi t'es un boulet, on se complète comme ça –, rétorque Mathieu.

Il a raison, en un sens, et c'est ça que j'aime dans notre relation. Cette faculté à être différents tout en étant étrangement semblables... On s'est bien trouvés, lui et moi, il n'y a pas lieu d'en douter. 

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