Chapitre 20
Je me noie. Pas littéralement, évidemment, parce que je suis actuellement assise derrière mon bureau, dans ma chambre. Toutefois, je suis tellement submergée par mes cours à bosser pour passer mon concours d'ATSEM dans quelques mois que c'est l'impression que j'ai : je me noie.
Ce n'est pas tant que la quantité de travail soit extraordinaire, c'est même plutôt le contraire. Non, le problème, c'est que je n'arrive à me concentrer sur rien. Ça fait une semaine que je suis rentrée à Marseille, et chaque jour qui passe me rappelle un peu plus à quel point je me trouve loin de Tom.
Je ne vais pas vous mentir, mon retour a été particulièrement pénible. Arrivée à l'aéroport, j'avais le cœur meurtri, pourtant je devais paraître heureuse d'être rentrée. J'ai tenu bon, je ne sais pas comment mais j'y suis parvenue, jusqu'à ce que j'aille me coucher, le soir. À ce moment-là, je me suis effondrée dans mon lit, priant pour que personne ne m'entende, et j'ai laissé libre court à mes larmes. J'ai fini par m'endormir d'épuisement, parce que je n'arrivais pas à arrêter de pleurer.
Depuis, chaque fin d'après-midi, lorsque je sors pour m'aérer un peu l'esprit, j'appelle Tom. Parfois, il ne répond pas, parce qu'il est en pleine représentation et qu'il n'a pas son téléphone avec lui. Dans ces cas-là, nous échangeons de simples messages plus tard dans la soirée.
Oui, à la rentrée, Tom a repris le théâtre et donne quelques représentations en Angleterre. Si j'ai bien compris, le casting qu'il avait passé en début Août s'est soldé par un refus, aussi il a dû trouver autre chose en attendant un autre casting.
Je pousse un long soupir et referme mon classeur d'un coup sec. Visiblement, ça ne sert à rien de demander à mon cerveau de fournir plus d'efforts pour aujourd'hui, il a définitivement rendu l'âme. Résignée, je me lève et descends dans la cuisine me faire un thé, espérant que ça me calmera un peu.
J'observe d'un œil torve la bouilloire, attendant que l'eau veuille bien atteindre la bonne température. À ce stade, elle est si longue que si je tentais la télékinésie, ça marcherait probablement mieux.
Lorsqu'enfin, l'eau se met à bouillir, je verse le tout dans le mug et y plonge l'infuseur ; j'ai opté pour le thé vanille-fraise, un de mes préférés.
Ma tasse à la main, je m'apprête à remonter dans ma chambre lorsque ma mère m'interpelle. J'exécute un demi-tour parfait et m'aperçoit avec un sursaut que on père et elle me contemplent depuis le canapé.
Hou là, alerte rouge. Si mes parents me demandent de rester alors qu'ils sont tous les deux silencieux, c'est que quelque chose ne va pas.
– Tu as deux minutes à nous accorder ?
Je soupire mais obéis. Je pose ma tasse sur la table basse et fait face à mes parents ; je n'ai pas envie de m'assoir, je suis bien debout.
– Bon. On a remarqué que ça n'allait pas fort, en ce moment, pour toi. Tu passes tes journées enfermée dans ta chambre, tu ne manges pas beaucoup, tu as l'air tout le temps fatiguée... Est-ce qu'il y a quelque chose dont tu voudrais nous parler ? Tes études te plombent peut-être un peu ?
Je retiens mon souffle une seconde. Si seulement c'était si simple ! Si seulement la raison de mon malêtre était mon travail acharné ! Ce serait tellement plus simple pour tout expliquer à ma famille. Alors que là... Eh bien, j'ai envie de partir loin, très loin, pour ne plus jamais revenir.
– On n'est pas dupes, tu sais, ajoute mon père. On voit bien que quelque chose cloche. Dis-nous ce qui ne va pas.
Je soupire, le cœur en miettes : l'heure de vérité a sonné. Je ne peux pas repousser plus cet instant, car ça ne rend la chose que plus difficile.
– Vous n'allez pas être contents, je préviens d'une petite voix.
– Comment ça, ''vous n'allez pas être contents'' ?, s'étonne ma mère. Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
– Allez accouche, s'impatiente mon père.
Du coin de l'oeil, je vois ma sœur lever les deux pouces dans ma direction, depuis les escaliers. Ça ne m'aide pas beaucoup, mais j'apprécie sa dévotion.
– Je... j'ai laissé quelqu'un derrière moi, à Londres, je lâche enfin.
Je sens les larmes me monter aux yeux, toutefois je m'empêche de pleurer du mieux que je peux. Je n'ai pas le droit de craquer, pas encore, parce que la suite va être encore pire.
– Oh, Axelle !, s'exclame ma mère en se levant.
Elle vient me serrer dans ses bras et je fonds en larme aussitôt.
– Tu pouvais pas le dire avant ?, demande-t-elle doucement. T'as attendu une semaine entière !
– Je crois que j'ai loupé un épisode, marmonne mon père. Qu'est-ce qui se passe, au juste ? Dire quoi ?
– Enfin, Patrick, le sermonne ma mère. C'est évident, non ? Son petit ami est resté à Londres.
Mon père fronce les sourcils et tourne ses yeux vers moi. J'y lis de l'incompréhension.
– Et c'est pour ça qu'on est censés être pas contents ? Axelle, t'as vingt-deux ans, tu t'attendais à quoi sérieusement ? Si tu as trouvé quelqu'un, c'est bien pour toi ! Même si oui, Londres c'est loin, mais enfin ! On ne va pas t'engueuler pour vivre ta vie !
Mes pleurs redoublent et ma mère s'écarte de moi pour me regarder d'un œil inquiet.
– J'ai pas dit ça pour ça, je sanglote.
– Quoi, t'es enceinte ?, balance ma mère, pince-sans-rire.
– Non !, je m'écrie aussitôt.
Cela a le mérite de me faire réagir. Je me redresse de toute ma taille et fait face à mes parents.
– J'ai trouvé quelqu'un, c'est vrai, mais... C'est un acteur célèbre, je finis par avouer. Et il a dix-huit dans de plus que moi.
Le silence qui suit est assourdissant.
– Attends, quoi ?
– J'ai mal entendu, dis-moi que j'ai mal entendu ?, demande mon père d'une voix blanche. Dis-moi que tu viens pas de dire ce que t'as dit !
La violence dans sa voix me fait esquisser un mouvement de recul. Que ce soit bien clair, mes parents ne m'ont jamais battue. Je me suis peut-être reçue une gifle ou deux, mais c'était sur le coup de la colère et ils s'en sont voulu aussitôt. Cependant, devant l'énervement soudain de mon père, je n'ai qu'une envie : m'enfuir en courant. Il n'arrange pas mon malêtre en me criant dessus, bien au contraire.
– Si, je l'ai dit, je pleure. Je suis désolée, je... Ça m'est tombé dessus comme ça, d'accord ? J'ai pas choisi de tomber amoureuse de Tom, et...
– Je vais le tuer !
Je reste saisie par l'insinuation de mon père.
– Non, Patrick, calme-toi, tempère ma mère. On va se poser calmement et discuter de ça comme des gens normaux, d'accord ? Pas la peine de s'énerver, de toute façon tu ne pourras rien faire puisque qu'il est à Londres.
– Je vais le tuer, répète mon père en serrant les poings. Peu importe qu'il soit célèbre ou pas, justement c'est encore pire ! Il profite de sa position pour mettre la main sur des petites jeunes crédules, c'est répugnant !
– Papa !, je m'offusque.
Mon indignation me permet de sortir un instant de l'étrange léthargie dans laquelle j'étais encore quelques secondes auparavant.
– Tu le connais même pas !
– J'ai pas besoin de le connaître, ils sont tous pareils ! Ils profitent de leur renommée pour se taper qui ils veulent, et les gamines de ton âge tombent stupidement dans le panneau !
– T'insinues que je suis stupide ?, je m'écrie. Y a deux secondes j'avais vingt-deux ans, j'étais assez grande pour avoir droit de vivre ma vie, et maintenant je suis une petite fille idiote ?
Mon père se lève et pointe un doigt accusateur sur moi.
– Ne me parle pas sur ce ton, jeune fille !
– Et toi, ne menace pas Tom !, je m'agace en retour. Tu ne sais pas qui il est, tu ne sais pas ce qui s'est passé, tu n'as rien à dire !
– Oh si, j'ai mon mot à dire ! Je suis ton père, que ça te plaise ou non, et...
– On pourrait peut-être discuter calmement, non ?, interrompt ma mère.
Si elle aussi commence à perdre patience, je ne donne pas cher de ma peau. Toutefois, elle a raison, même si j'ai tout sauf envie de l'écouter. La peur de leur réaction a cédé la place à mon amour pour Tom, et je le défendrai bec et ongle contre mon père. Parce qu'il a beau dire ce qu'il veut, il ne le connait pas, il ne connait pas la nature de notre relation, et il ne sait pas que j'ai pris le temps de réfléchir.
– Il n'y a rien à discuter, gronde mon père. Tu vas couper les ponts avec lui, un point c'est tout.
– Certainement pas, je rétorque.
– Ce n'était pas une question, Axelle.
– Moi non plus, figure-toi.
Alors que mon père semble sur le point de renchérir, une légère toux nous fait tous sursauter. Ma sœur a descendu les escaliers et s'avance dans le salon.
– Qu'est-ce qui se passe, ici ?, demande-t-elle en prenant l'air innocent.
Comme je suis la seule à l'avoir vu nous espionner depuis tout à l'heure, je suis la seule à ne pas tomber dans le panneau.
– Laura, ne te mêle pas de ça, chuchote ma mère.
– Rien, dit mon père. C'est entre ta sœur et nous, ça ne te regarde pas.
– Vu comment ça criait, je suppose qu'elle vous a expliqué pour Tom ?
Je manque m'étouffer. Non mais à quoi joue-t-elle ? Elle veut faire empirer les choses ou quoi ? Déjà que la situation est tout sauf facile à gérer, elle n'arrange rien en se rajoutant dans l'équation.
– Tu étais au courant ?, s'insurge mon père.
Laura hausse les épaules avec désinvolture, ignorant délibérément le regard d'avertissement que je lui lance.
– Ouais, j'étais au courant, déclare-t-elle avec un calme olympien. Et peut-être que tu l'aurais été aussi, si elle avait pas deviné que tu réagirais comme un con.
Oh mon dieu, elle a osé. Je ne sais pas ce qui lui arrive, si elle s'est trouvé une paire de couilles pendant la nuit ou quoi, mais elle a osé. S'il y a bien une chose qu'on a appris très jeunes avec nos parents, c'est que le manque de respect est intolérable. Et là, Laura vient de dépasser les bornes.
– Je te demande pardon ?, demande mon père, faussement calme.
– Laura, excuse-toi tout de suite, enchaîne ma mère.
Ma sœur secoue la tête.
– Je m'excuserai quand tu te seras excusé aussi, papa. T'as pas à menacer quelqu'un que tu ne connais pas, et...
– Et toi tu n'as pas à me dire ce que je dois faire ou non ! Tu as seize ans, tu n'as pas l'âge de...
C'en est trop pour moi. Reconnaissante à Laura d'avoir tenté de m'aider, je ne peux pas la laisser s'embourber d'avantage. Quant à mon père, j'ai sacrément envie de le secouer comme un prunier, bien que je n'en ferai rien.
– Oh mais vous m'avez soûlée !, je hurle, ramenant l'attention sur ma personne. C'est quoi votre problème ? Laura a raison, papa ! Si t'étais pas aussi borné, je t'aurais parlé dès le début. Ça m'a pris une semaine pour vous expliquer les raisons de mon malêtre, tu trouves ça normal toi ? Vous êtes censés être mes parents, être inquiets pour moi, tout ça, ok ! T'es pas censé être un abruti pour autant ! J'ai vingt-deux ans, j'en ai pas quinze, et je te signale que j'ai beaucoup réfléchi avant d'accepter de sortir avec Tom ! En plus, c'est un peu facile de me parler de différence d'âge ! Rappelle-moi combien t'as de plus que maman, déjà ?
– Ce n'est pas pareil !, se défend maladroitement mon père.
Pourtant, il n'a plus d'arguments, et à son regard mauvais, je sais qu'il le sait.
– Huit ans, dix-huit... C'est du pareil au même, je réponds. Maintenant, si tu préfères que je me trouve un gars de mon âge qui soit con, qui me maltraites ou qui me donne envie de me tirer une balle, plutôt qu'un homme qui me respecte, m'aime pour qui je suis et me fait me sentir vivante... Eh bien, soit. J'ai du mal à concevoir qu'on puisse souhaiter du mal à son enfant, cependant.
Il n'en faut pas plus pour que le visage de mon père se décompose, bouche grande ouverte.
– Je ne... Ce n'est pas ce que j'ai dit !, tente-t-il.
– Axelle, ne..., commence ma mère, mais je la coupe aussitôt :
– Tu ne l'as pas dit mais c'est ce que sous-entendait ton comportement.
Ma famille se tait, bien que je sente encore la tension dans les épaules de mon père.
– Pour information : Tom m'a proposé de rester vivre avec lui, tu sais. Juste avant que je prenne l'avion, il m'a dit que je pouvais rester à Londres, qu'il subviendrait à tous mes besoins. Pourtant je suis là, non ? En train de finir mes études, de me construire par moi-même. Alors ne dis pas que je suis une petite fille crédule, parce que ce n'est pas le cas.
Je soupire longuement avant de reprendre :
– Je savais parfaitement dans quoi je m'engageais avec lui, et j'y ai vraiment réfléchi. Il ne m'a jamais forcée à rien, alors s'il te plaît, ne le menace pas. C'est la personne la plus respectueuse qui m'ait été donné de rencontrer, et pour dire la vérité... Il s'en est beaucoup voulu de l'image de profiteur qu'il pouvait renvoyer.
Je lance un sourire moqueur à mon père.
– D'ailleurs, tu t'énerves contre lui mais... Ç'aurait très bien pu être moi, la profiteuse. J'aurais pu lui avoir mis le grappin dessus pour bénéficier de son argent et de sa renommée.
– Ce... ça ne m'est pas venu à l'esprit.
– Eh bien à moi si, figure-toi. Chaque fois que je pense à Tom, je me dis que le monde entier me verra comme une petite jeune qui attend que son mari décède pour toucher l'héritage. Le jour où notre relation sera ébruitée, et elle finira par l'être un jour ou l'autre, je vais faire l'objet de milliers de rumeurs. Pourtant, je ne changerai rien à ma vie, parce que Tom... Eh bien, il me rend heureuse. Si tu es assez retors pour ne pas vouloir mon bonheur, c'est ton problème, mais sache que je ne te laisserai pas détruire ce que je m'efforce de construire. C'est déjà assez dur comme ça sans pour autant que t'en rajoutes une couche.
Ma mère tente aussitôt une approche mais je me recule.
– Chérie, on veut juste être sûrs que tu ne soies pas blessée. Ce genre de relation... Peut-être qu'il paraît tout beau, tout gentil, mais au fond, on ne connaît jamais vraiment les gens. Il pourrait te tourner le dos à la seconde même où il aura trouvé quelqu'un d'autre, une autre fille plus jeune par exemple.
Je secoue la tête.
– Je n'en reviens pas. C'est toi qui m'as appris à ne jamais juger un livre à sa couverture, tu te souviens ? Je pensais que toi, au moins, tu comprendrais. Après tout, t'avais quoi, dix-neuf ans quand t'as rencontré papa ? Il en avait vingt-sept, je trouve pas ça beaucoup plus décent.
Avec un soupir, je récupère ma tasse fumante, tourne les talons et m'éloigne en direction des escaliers. Mes parents sont au courant, c'était l'objectif principal et il a été atteint. Maintenant, je n'ai aucune envie de rester ici pour me faire sermonner, encore moins pour me faire traiter d'inconsciente. C'est déjà assez dur d'être loin de Tom, je n'ai pas envie de m'en prendre plein la gueule par-dessus.
– Attends, reviens ici !, s'écrie ma mère depuis le salon. Tu ne nous as même pas dit qui c'était ! Tu as dit qu'il était acteur, mais... On ne sait rien de lui.
– Cherche Tom Hiddleston sur google, je lâche en continuant de gravir les marches. J'ai du travail, moi.
C'est faux, j'ai déjà révisé un max mes cours aujourd'hui, mais au moins je suis certaine que personne ne viendra m'embêter lorsque je me serai enfermée dans ma chambre.
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