Chapitre 15
– Mais arrête de te prendre la tête, meuf !
Je pousse un long soupir tandis que Mathieu, à l'autre bout du fil, continue de me sermonner :
– Profite de ta vie, Axelle ! Si t'as envie de faire quelque chose, alors fais-le ! Si ça se trouve, tu vas mourir demain en regrettant de ne pas t'être donnée à fond, alors arrête de réfléchir. Tu veux sortir avec ce gars ? Fais-le !
– Facile à dire, mais tellement moins à faire !, je rétorque.
Je suis persuadée que, si mon meilleur ami était face à moi, je le verrai se frapper le front du plat de la main, l'air exaspéré. Je peux comprendre sa réaction : cela fait presque une semaine que j'ai demandé à Tom de me laisser le temps de réfléchir à la situation, et je n'ai toujours aucune réponse à lui donner. La seule chose que j'ai pu faire pendant ces six jours, ç'a été de lui proposer qu'on se voie ce soir, mais ça s'arrête là.
– Je te jure, Axelle, si t'étais là, je te secouerai comme un putain de prunier ! Tu me rends chèvre, t'en es consciente ? T'as toujours pas compris que plus t'attends, plus c'est dur de prendre une décision ! Alors ce soir, tu vas porter tes couilles, excuse-moi l'expression, et expliquer clairement à ce gars, là, qu'il te plaît. Et si tu le fais pas, je te bute quand tu redescends sur Marseille, c'est bien compris ?
Je suis partagée entre l'envie de rire face à la menace et celle, plus embêtante, de protester. Bien sûr que Mathieu a raison, je le sais pertinemment. Mais toute cette histoire, ça me fait peur ! J'aime pas le changement, je suis du genre à garder mes petites habitudes, et là, pour le coup, c'est une énorme perturbation dans mon plan de base.
– Que serait ma vie sans toi, je me le demande !, je lance.
– Ta vie serait de la merde si j'étais pas là, tu le sais aussi bien que moi. Si je ne te poussais pas à agir, les trois quarts de tes décisions seraient encore en suspension.
Je ris, bien que ça n'ait rien de foncièrement drôle. C'est plutôt juste, quand on y pense. Si Mathieu ne m'avait pas poussée dans une direction, je n'en serais probablement pas où j'en suis actuellement.
– Content que ça te fasse rire, commente Mathieu.
Bien que je ne puisse pas le voir, j'entends le sourire dans sa voix et je me dis qu'il ne m'en veut peut-être pas tant que ça d'être un boulet, finalement.
– Oh, allez ! En plus, je sais très bien me débrouiller sans toi. Au cas où tu l'aurais oublié, j'ai passé trois ans au lycée sans ta personne pour m'éclairer.
– Ouais, le lycée, raille mon meilleur ami. Dois-je te rappeler comment t'as passé ta première année de fac, avant que je te rejoigne ?
Je soupire mais ne réponds pas. Il marque un point, là. Ma première année de fac, je l'ai assez mal vécue : pas sociable pour un sou, j'ai passé un an toute seule à espérer que quelqu'un viendrait me parler. Ça s'est amélioré en deuxième année, non seulement parce que Mathieu a décroché de sa prépa pour débarquer à la fac, mais aussi car des personnes de ma classe m'ont intégrée à leur groupe dès la rentrée. Tout ça pour que, un an plus tard, j'arrête la fac et me convertisse à la danse, avant de me réintégrer encore une fois en CAP.
Pour quelqu'un dont le chemin était tout tracé depuis l'adolescence, je n'ai pas tout à fait respecté mon premier souhait. Comme quoi, on peut très bien savoir ce qu'on veut faire comme études et se perdre quand même, comme on peut ne pas savoir, se lancer à l'aveuglette et avoir un jour l'illumination. Il n'y a pas de bon ou de mauvais parcours, quand on en vient aux études supérieures.
– Axelle, t'es toujours là ?
Je ris.
– Physiquement, je suis là. Mentalement, je suis dans une galaxie très, très lointaine.
– Est-ce qu'un jour tu vas arrêter de citer de la pop culture ?
– Enfin, Math, tu sais bien que non ! Toute ma vie tourne autour de ça. Même ma vie romantique, c'est dire !
– Maintenant que tu le dis...
C'est vrai que, moi non plus, je n'avais pas fait attention avant. Toutefois, à présent c'est évident : je suis littéralement une grande fan de Disney, Marvel, Harry Potter et compagnie, et en prime ? Je suis sur le point de sortir avec l'acteur de Loki, mon personnage préféré du MCU. Non mais qui l'eût cru ?
En même temps que je pense ça, je me rends compte que ma décision est prise, en réalité. Ce n'est peut-être pas la bonne, peut-être que tout va partir à vau-l'au et que je pleurerai comme une madeleine en m'auto-insultant pour ma bêtise, mais... Je sais ce que je veux, j'avais juste trop peur pour me l'avouer à moi-même.
Je fais part de ma réflexion à mon meilleur ami, qui jubile à travers le téléphone.
– Eh ben il était temps ! Bravo, meuf, je suis fier de toi. Maintenant, raccroche-moi ce téléphone et va t'amuser ! Et n'oublie pas de tout me raconter après, hein, dans les moindres détails !
– T'es con, je pouffe. Il y aura aucun détail croustillant, tu sais que je suis pas du genre à coucher le premier soir.
– Je te parlais pas de ça, mais soit. Maintenant, du balais ! Va rejoindre ton futur petit copain !
– C'est bizarre, ce mot... Petit copain, ça fait très adolescent, très jeune. Ça ne correspond pas beaucoup à Tom.
Dans le combiné, Mathieu souffle comme s'il essayait de vider tout l'air de ses poumons.
– Tu te prends la tête sur des sujets, des fois, je te jure ! T'es insupportable !
– Moi aussi je t'aime, je glousse. Sur ce, je te rappelle plus tard. Bye !
Sans attendre sa réponse, je raccroche.
Je jette un coup d'oeil dans le miroir et détaille mon image d'un regard inquisiteur. Je porte ma nouvelle robe, celle que j'ai achetée le week-end dernier : ce soir, je n'aurai aucune référence à la pop culture sur moi, mis à part ma montre qui affiche des fonds d'écran animés de Toy Story.
Fut un temps où me regarder dans un miroir était une chose intolérable pour moi. J'ai grandi en étant persuadée que je ne valais pas grand chose, pour ne pas dire rien, et que personne ne m'aimerait jamais. Puis j'ai fini par réaliser que la seule personne qui devait m'apprécier, c'était moi-même.
Ça n'a pas été facile, et encore aujourd'hui il y a quelques parts de moi que j'ai du mal à accepter telles qu'elles sont. Mon ventre, par exemple, est une source d'angoisse permanente. Quant au reste... Eh bien, j'ai un joli visage plutôt bien équilibré, j'ai un style qui me plaît, et j'adore mes cheveux longs. Depuis ma cure de levure de bière, ils m'arrivent presque à la taille, ce dont j'ai longtemps rêvé.
La robe que je porte met en valeur le peu de formes que j'ai : cintrée à la taille, elle épouse parfaitement ma petite poitrine ainsi que mes hanches, pour finir en une jupe style patineuse. Bien qu'il ne fasse pas très chaud, je ne suis pas obligée de mettre des collants dessous, c'est parfait.
Un dernier regard dans la glace pour vérifier le tout et je m'en détourne. Il ne faudrait pas que je commence à m'admirer et tomber dans le narcissisme, ce serait un comble !
Ce soir, Carl, Ellie et les enfants ne sont pas à la maison : ils mangent au restaurant. C'est pourquoi j'ai accepté que Tom passe me récupérer directement sur place, plutôt que se rendre à notre point de rendez-vous habituel.
Un bruit de moteur me pousse à me retourner : une voiture noire s'arrête devant le portail. Les vitres teintées ne me permettent pas de voir la personne à l'intérieur, mais alors elles s'ouvrent, et je peux enfin distinguer Tom, au volant.
Je ne sais pas pourquoi je suis tant étonnée. Évidemment que l'acteur sait conduire, je ne suis pas débile ! Quant au fait qu'il ait un chauffeur... Eh bien, il est tout aussi évident qu'il peut très bien avoir envie de conduire lui-même, sans dépendre de personne. Ce n'est pas parce que moi, je déteste conduire – en même temps, essayez de conduire à Marseille et vous comprendrez vite, bien que le pire reste encore Paris –, qu'il en va de même pour tout le monde.
Tom sort de la voiture, un sourire étalé sur les lèvres. Il passe devant, puis ouvre la portière et la retient, pour me laisser passer.
– What a gentleman, je ris.
[Quel gentleman !]
Son sourire se fait encore plus grand, ce que je ne pensais pas possible.
– Always, darling. I'm English, in case you forgot.
[Toujours, darling. Je suis anglais, au cas où tu aurais oublié.]
– If only the French guys could take an example !, je soupire. It would be nice, instead of having a bunch of creeps who only think about themselves.
[Si seulement les français pouvaient prendre exemple ! Ce serait sympa, plutôt que d'avoir une bande de malotrus qui ne pensent qu'à eux-mêmes.]
Tom s'esclaffe tandis que je m'assois, faisant attention à ce que la jupe de ma robe ne se soulève pas.
– I'm sure there must be some.
[Je suis sûr qu'il doit y en avoir quelques uns.]
C'est à mon tour de rire, toutefois je n'ai aucune répartie à servir à Tom. De plus, il a refermé la portière et retourne s'assoir sur le siège conducteur.
– There's fireworks tonight, do you want to go ? I heard it was worth it.
[Il y a des feux d'artifice ce soir, est-ce que tu veux y aller ? J'ai entendu dire que ça en valait le coup.]
Des feux d'artifice... Ça fait tellement longtemps que je n'en ai pas vus, pas de près en tout cas !
– I'd love it !
[J'adorerais ça !]
– Here we go !
[C'est parti !]
La voiture démarre dans un grondement de tonnerre et je me tasse dans mon siège. Au bruit du moteur, je devine que cette voiture n'est pas seulement faite pour de la ville, mais plutôt pour la vitesse.
– What is your car ?, je demande, curieuse.
[C'est quoi ta voiture ?]
Bien que je n'y connaisse rien en voitures, et que je ne sois ni passionnée ni même intéressée par le sujet, pour le coup j'aimerais réellement savoir.
– It's a Jaguar F-Type, répond Tom avec un sourire en coin. Do you like cars ?
[C'est une Jaguar F-Type. Tu aimes les voitures ?]
– I'm not really into cars, j'avoue. I'm happy with my Fiat Panda, I got it for my seventeenth birthday. My friends call it the cube, but it's the first car we ever used, so...
[Je ne suis pas trop fan de voitures. Je me contente de ma Fiat Panda, cadeau de mes dix-sept ans. Mes amis l'appellent le cube, mais c'est la première voiture qu'on a utilisée, alors...]
Je ris au souvenir de ma petite citadine, seule voiture que nous pouvions utiliser au début : j'étais la seule à avoir le permis, la voiture, et l'âge légal. Le temps que tout le monde arrive à ce stade, c'est ma voiture qui nous a servi pour trimballer les uns les autres dans tout Marseille.
– As long as it travels and it suits you, it's okay !I wasn't into cars either, before I worked for Jaguar. But this one... It's a good one.
[Tant qu'elle roule et qu'elle te convient, c'est bon ! Je n'étais pas fan de voitures non plus, avant de travailler pour Jaguar. Mais celle-ci... C'en est une bonne.]
Sur ce point, je suis obligée de lui faire confiance, aussi je hoche la tête.
Assis dans l'herbe, Tom et moi contemplons le ciel dans lequel quelques étoiles s'allument par-ci par-là. Il fait presque nuit, à présent, les feux d'artifice ne devraient pas tarder à être lancés.
Visiblement, le plan feux d'artifice n'était pas un hasard : Tom a vraiment tout prévu, jusqu'au drap sur lequel nous sommes installés.
Il n'y a pas à dire, le bleu est vraiment sa couleur : son t-shirt azur fait ressortir la couleur de ses yeux. Je sais bien que je ne devrais pas l'observer à la dérobée, comme je le fais, mais je suis incapable de détacher mes yeux de Tom. Je suis toujours autant choquée de savoir que j'ai réussi à lui taper dans l'oeil, moi, avec mes soixante kilos toute mouillée, mon sourire de travers et mon caractère de merde. Comment j'ai réussi cet exploit, ça, c'est un mystère, même pour moi.
Je suis reconnaissante à l'acteur de ne pas avoir abordé une seule fois notre conversation de la semaine passée. Ça signifie qu'il attend une réaction de ma part ; la balle est dans mon camp. Il respecte mon besoin de réflexion, et ça, ça n'a pas de prix. D'un autre côté, ça veut dire que c'est à moi de faire un pas vers lui, et c'est assez délicat pour moi. Je ne suis pas habituée à ce genre de situation.
Une première explosion me ramène à la réalité : le spectacle commence enfin. Des raies de lumière parcourent le ciel au-dessus de nos têtes ; je prends appui sur mes mains pour mieux lever les yeux.
Une deuxième explosion, puis une troisième, et c'est un véritable tourbillon de couleurs qui se déploie. J'avais presque oublié à quel point j'aime les feux d'artifice : fût un temps où j'en avais peur à cause du bruit, mais c'est tellement festif, tellement agréable à regarder !
Je sens une légère pression sur mes doigts. Baissant le regard, il me faut quelques instants pour habituer mes yeux à la faible luminosité. La main de Tom effleure la mienne, innocemment, et je frissonne. Je rêverais de la prendre, de la serrer, tout comme je rêverais qu'il le fasse de lui-même. Toutefois, je me contente de remuer faiblement les doigts et retourne à ma contemplation céleste.
Je ne suis que très peu attentive au reste du spectacle, déconcentrée par ce qui pourrait se produire ensuite. J'ai tellement peur d'agir, mais en même temps, j'en ai tellement envie ! Comme l'a dit Mathieu, je dois arrêter de me prendre la tête.
Alors que le bouquet final crépite au-dessus de nos têtes, Tom se tourne vers moi avec un sourire.
– It was really worth it, I think, dit-il en plantant son regard dans le mien. Especially in such a good company.
[Ça en valait vraiment le coup, je crois. Surtout en si bonne compagnie.]
Il accentue sa phrase d'un clin d'oeil et je ris tout en baissant le regard.
Je ne suis pas gênée, non, c'est plutôt comme si j'essayais de me persuader que tout se déroulera sans accroc sans que je n'aie à lever le petit doigt. Tu parles, je sais pertinemment que ça ne sera pas le cas, comme d'habitude. Rien ne marche jamais comme sur des roulettes si on ne fait pas l'effort de faire fonctionner le tout.
Lorsque je relève les yeux, ceux de Tom me fixent, brillant dans la pénombre. Je sens automatiquement mes joues rougir : l'acteur a cette manière de me contempler, c'est à la fois tellement gratifiant et tellement attendrissant !
Mon regard vacille de ses yeux à ses lèvres, et je mords la mienne inconsciemment. Il ne me faut qu'une demi-seconde pour combler le vide qui nous sépare, Tom et moi, et plaquer mes lèvres contre les siennes. Ma main se pose sur sa joue et je ferme aussitôt les yeux.
Peut-être que plus rien n'explose dans le ciel, cependant ce n'est pas le cas dans mes entrailles. Un véritable feu d'artifice se déchaine à l'intérieur de moi tandis que Tom glisse une main derrière ma taille pour me rapprocher de lui. Certes, nous sommes assis par terre et c'est tout sauf pratique, pourtant je ne peux que savourer l'instant.
Je n'ai embrassé personne depuis le lycée, j'avais oublié à quel point cette sensation est magique. J'ai l'impression de planer, mon cœur menace d'imploser ou de s'échapper de ma poitrine, au choix.
Quand Tom rompt enfin le baiser, je pousse un soupir de contentement. C'est à cet instant précis que je me rends compte que j'avais envie de faire ça depuis le premier jour, depuis cette fois où je lui ai foncé dedans, il y a plus d'un mois. Je suis idiote d'avoir hésité ne serait-ce qu'une seconde sur la direction que devait prendre notre relation : nous n'avons jamais été destinés à être amis, c'était pourtant si clair !
– I thought this would never happen, souffle Tom en souriant, but I'm glad you decided to give me a chance.
[Je pensais que ça n'arriverait jamais, mais je suis heureux que tu aies décidé de m'accorder une chance.]
– I would have been a fool to deny it to you, je réponds avec un sourire en coin.
[J'aurais été folle de te la refuser.]
Alors que Tom esquisse un mouvement pour se rapprocher de moi, sûrement dans l'espoir de m'embrasser de nouveau, un flash nous fait sursauter et je me recule vivement. Caché derrière un arbre, un homme de la quarantaine, un appareil photo en main, vient de nous mitrailler.
– Merde !, je lâche.
Je me redresse aussitôt, fusillant le paparazzi du regard. Bon sang, tout allait bien jusque là ! Et voilà que je vais me retrouver sous les feux des projecteurs, tout ce que je ne voulais pas !
Je prie tous les dieux existants pour que l'homme n'ait pas eu le temps de prendre en photo notre baiser, ou qu'il n'ait pas pu prendre mon visage. Ou encore, que lesdites photos soient floues. Tout, pourvu que je ne fasse pas la une des journaux !
À côté de moi, Tom doit sentir que la panique monte car il pose une main sur mon épaule dans un geste de réconfort.
– Please, go away, lance-t-il calmement.
[S'il vous plaît, allez-vous en.]
Le photographe ne se le fait pas dire deux fois : à en juger par l'expression de l'acteur, ce dernier ne plaisante pas et n'a de calme que l'apparence.
– I'm sorry, are you okay ?, demande-t-il en se tournant vers moi.
[Je suis désolé, est-ce que ça va ?]
– Non !, je réponds vivement.
Je suis bien consciente que défouler ma colère sur Tom n'est pas une solution, il n'a rien fait pour mériter ça. Cependant, c'est quitte ou double chez moi : soit je fais une crise d'angoisse, soit j'envoie tout bouler. Il n'y a pas d'entre deux.
– Je n'ai pas envie d'attirer l'attention, vraiment ! Les gens sont méchants face à ceux qu'ils jalousent, et je n'ai pas envie de me retrouver face à une vague de haine ! Si je ne voulais pas qu'on nous voie ensemble, c'est pour une bonne raison !
Tom fronce les sourcils. Je vois bien qu'il est touché de plein fouet par ma colère, et qu'il essaye tant bien que mal de déchiffrer ce que je viens de dire. Quand, enfin, il y parviens, un sourire moqueur s'étire sur ses lèvres.
– Why are you so afraid of being seen with me ? How am I supposed to understand it ? Am I hideous, am I a disgrace ?
[Pourquoi as-tu tellement peur qu'on te voie avec moi ? Je suis censé le prendre comment ? Suis-je laid, suis-je une honte ?]
Si je ne voyais pas le sourire qu'il arbore, je pourrais croire qu'il pense réellement ce qu'il avance. Toutefois, ç'a au moins le mérite de me faire réagir : ma colère s'évapore aussitôt et laisse place au désarroi.
– Quoi ?, je m'étonne. Tom, je ne... That's not what I'm saying !
[Ce n'est pas ce que j'ai dit !]
– I know, darling, and I understand your point of view. But you have to admit that I could question myself, though !
[Je sais, darling, et je comprends ton point de vue. Mais tu dois admettre que je pourrais me poser des questions, quand même !]
Alors qu'il commence à rire, je sens mes muscles se détendre et la tension redescendre.
– I'm sorry, je ris à mon tour. I didn't mean to be rude.
[Je suis désolée. Je ne voulais pas être méchante.]
– At least I know you musn't be upset, plaisante l'acteur.
[Au moins je sais qu'il ne faut pas te contrarier.]
Je sens mes joues rougir. Non mais franchement, il doit me prendre pour une gamine !
– Don't laugh at me, je geins.
[Ne te moque pas de moi.]
– I'm not laughing at you, I'm laughing with you. There's a nuance.
[Je ne ris pas de toi, je ris avec toi. Il y aune nuance.]
Je donne un léger coup de poing dans le bras de Tom, qui fait mine d'avoir mal.
– That's what my history teacher used to said to the class, when I was sixteen. I think we laughed more than we learned, that year, but at least he was funny.
[C'est ce que le prof d'histoire nous disait, quand j'avais seize ans. Je crois qu'on a plus rigolé que ce qu'on appris, cette année-là, mais au moins il était marrant.]
À cet instant, je n'ai qu'une envie : capturer les lèvres de Tom des miennes de nouveau. Cependant, la peur que quelqu'un nous surprenne est trop forte, aussi je me contente d'un grand sourire. Je n'en reviens toujours pas d'avoir réussi à faire le premier pas, ce baiser que nous avons échangé, il venait de moi et de moi seule. Je suis fière de moi, et je suis sûre que Mathieu le sera aussi quand je lui aurai raconté.
– I guess it's time for me to take you home ?, demande Tom en jetant un coup d'oeil à sa montre.
[J'imagine qu'il est temps de te ramener chez toi ?]
Je soupire longuement. Oui, c'est l'heure. Bien que je n'aie pas de couvre-feu imposé par Carl et Ellie, je tache de toujours être rentrée avant minuit, pour ne pas les réveiller. Cependant, je n'ai aucune envie de rentrer, là, tout de suite.
Debout, j'époussète ma robe des quelques brindilles qui s'y sont accrochées. Soudain, les mains de Tom se posent sur mes épaules, par derrière, et je dois résister de toutes mes forces à la tentation de poser ma joue sur l'une d'elle.
– Maybe you could come home and sleep there ? I'll take you home in the morning.
[Tu pourrais peut-être venir et dormir à la maison ? Je te ramènerai chez toi demain matin.]
Je souris, touchée par l'intention. Néanmoins, je me doute qu'il ne me propose pas ça dans le but de jouer aux cartes, et s'il y a bien une chose qui est permanente chez moi, c'est ma propension à prendre mon temps.
– It's nice of you, but... never the first night, je plaisante.
[C'est gentil de ta part, mais... jamais le premier soir.]
– I... I didn't think... we don't have to... you...
[Je... je ne pensais pas... on n'est pas obligés de... tu...]
Je souris. J'aime bien le voir perdre ses mots, ça le rend plus humain, plus abordable.
– You could just spend the night home !, s'exclame l'acteur en s'arrêtant de marcher. That doesn't mean we have to have sex !
[Tu pourrais juste passer la nuit à la maison ! Ça ne veut pas dire qu'on doit coucher ensemble !]
Je pouffe tandis que nous reprenons notre chemin jusqu'à la voiture.
– I'm demisexual, j'explique. It means I'll need time before... you know.
[Je suis demisexuelle. Ce qui signifie qu'il va me falloir du temps avant... tu sais.]
– I don't know exactly what ''demisexual'' means, commente Tom.
[Je ne sais pas exactement ce que veut dire ''demisexuelle''.]
– It means I can't sleep with someone unless I have a huge emotional connection to that person. No offense, of course.
[Ça veut dire que je ne peux pas coucher avec quelqu'un à moins d'avoir un énorme lien affectif avec cette personne. Sans vouloir t'offenser, bien sûr.]
– Why would I be offended ? I'm just learning something new. Besides, I respect what you are. If you tell me you'd rather go home, then I'll take you home.
[Pourquoi serais-je offensé ? Je ne fais qu'apprendre quelque chose de nouveau. De plus, je respecte qui tu es. Si tu me dis que tu préfères rentrer chez toi, alors je te ramène.]
Avec un sourire bienveillant, Tom m'ouvre la portière. Comme pour l'aller, il me laisse rentrer avant de refermer puis s'installer aux commandes. Cette fois, je ne sursaute pas au démarrage.
Tout le long du trajet, la main de l'acteur oscille entre le levier de vitesse et ma cuisse, se posant comme un papillon sur une fleur. J'adore son contact, il m'électrise et il n'est même pas conscient de le faire. Ou peut-être l'est-il un peu trop, justement ?
Lorsque nous arrivons devant le portail de la maison, Tom arrête la voiture et vient m'ouvrir. C'est si nouveau, pour moi, j'ai l'impression d'être une bonne à rien. D'un autre côté, c'est agréable que quelqu'un s'occupe de moi, pour une fois. En général, je donne beaucoup en gens sans en recevoir en retour, ça change.
Après un regard suspicieux aux alentours, sûrement pour vérifier que personne ne nous épie, Tom passe une main sur ma joue. Je la retiens de ma propre main avant qu'il ne la retire.
– When can we meet again ?
[Quand est-ce qu'on peut se revoir ?]
– I work the week, je réponds en serrant ses doigts dans les miens, but we can meet next weekend if you want.
[Je travaille la semaine, mais on peut se voir le week-end prochain si tu veux.]
– I'm looking forward to next weekend, so. Can I still call you within the week ?
[J'attends impatiemment le prochain week-end, alors. Je peux quand même t'appeler dans la semaine ?]
Je hoche la tête en souriant.
– If you don't, I'll do it myself.
[Si tu ne le fais pas, je le ferai moi-même.]
– Is that a menace ?
[C'est une menace ?]
– It's a promise, je corrige.
[C'est une promesse.]
Tom rit et m'attrape par la taille. Il me rapproche de lui et je sens mon cœur cogner contre ma poitrine comme s'il voulait s'en échapper.
– Great.
[Nickel.]
Avec un sourire, il penche son visage vers le mien et je ferme automatiquement les yeux. Nos lèvres se rencontrent et je tente du mieux que je peux de résister à la tentation de plonger mes mains dans ses cheveux. En vain. On n'a qu'une vie après tout, autant la vivre à fond !
Mes doigts se perdent dans les boucles du châtain et je soupire tandis qu'il rompt notre baiser.
– See you in one week !, s'exclame Tom en laissant sa main s'attarder sur ma joue.
[On se voit dans une semaine !]
Rapidement, sa bouche se plaque de nouveau sur la mienne, avant de se retirer aussitôt. Je suis obligée de regarder l'acteur partir, le cœur serré.
C'est moi qui ai refusé d'aller chez lui, et bien que je ne regrette pas ma décision, je dois avouer que j'aurais aimé que notre soirée dure plus longtemps. Enfin, on fait avec ce qu'on a, n'est-ce pas ? Je ne suis pas à plaindre, il me semble.
Un sourire scotché aux lèvres, je sors les clefs de mon sac pour ouvrir la porte.
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