Chapitre 13
Je sais que vous allez me prendre pour une folle, mais nous sommes allés à la plage, aujourd'hui. Évidemment, le temps gris ne permettait ni de parfaire son bronzage, ni de se baigner, mais au moins ai-je eu la chance de voir la mer.
Bon, en tant que marseillaise, je ne peux pas accepter qu'on appelle la Manche une mer, parce qu'elle est trop froide et trop grise pour être considérée comme telle, mais après un mois où la seule étendue d'eau que j'aie vue est la Tamise, je dois avouer que ça faisait un bien fou. J'ai même pu tremper mes orteils, mais uniquement mes orteils !
Je ne sais pas qui, des enfants ou de moi, s'est le plus amusé à faire des pâtés de sable, toutefois nous avons passé un bon moment. C'était comme si j'avais un petit frère et une petite sœur, j'avais l'impression de nous revoir Laura et moi, plus jeunes, en train de décider du meilleur emplacement pour construire un fort résistant à toute épreuve.
Bien sûr, dans le cas de ma sœur et moi, nous finissions immanquablement par nous battre à coups de pelles. C'était l'époque où se frapper l'une l'autre était encore légal ! À présent, les années ont passé, et bien que je me dispute encore avec Laura de temps en temps, nous avons fini par nous entendre. Nous nous sommes même découvert des tas de points communs, à commencer par notre amour pour la franchise Marvel et la saga Harry Potter.
Un sourire s'étire sur mes lèvres. Si seulement elle savait ! Si Laura apprenait que j'ai rencontré Tom Hiddleston plusieurs fois, que je suis sortie avec lui trois soirs, elle en verdirait de jalousie, bien qu'elle ait toujours préféré Thor à Loki. Je ne peux pas la blâmer, Chris Hemsworth a son charme également ! Comme une grosse partie des acteurs du MCU, en réalité. Ils ont sacrément bien fait leur job, les directeurs de casting !
– Why are you smiling ?, demande Judith à côté de moi.
[Pourquoi tu souris ?]
Actuellement dans la voiture, je suis assise à l'arrière entre les deux enfants. Nous en avons encore pour une heure de route au minimum, aussi j'avais pensé à dormir un peu, avant de me rendre compte que c'était peine perdue avec Louis qui gigote dans tous les sens.
– I was thinking about my sister, je réponds.
[Je pensais à ma sœur.]
– You have a sister ?, s'écrie Louis de l'autre côté.
[T'as une sœur ?]
Je ris.
– Of course ! Her name is Laura, she's sixteen.
[Bien sûr ! Elle s'appelle Laura, elle a seize ans.]
– I didn't know you had a sister, commente Judith, l'air songeur. That's great, but... Is she as annoying as Louis ?
[Je ne savais pas que tu avais une sœur. C'est cool, mais... Est-ce qu'elle est aussi embêtante que Louis ?]
– She's worst, je dis sur le ton de la confidence.
[Elle est pire.]
Judith éclate de rire tandis que son petit frère s'indigne :
– I'm not annoying !
[Je ne suis pas embêtant !]
– Nah, you're right, you're not little boy, je confirme en lui ébouriffant les cheveux d'une main.
[Nan, t'as raison, tu l'es pas mon p'tit gars.]
Little boy, c'est le surnom affectif que j'ai fini par attribuer à Louis, parce qu'on ne pouvait pas en créer un à partir de son prénom. Judith se transforme aisément en Jude, mais Louis... Mis à part Lou ou Loulou, il n'y a pas grand chose, et dans les deux cas ce sont des surnoms utilisés en français, pas en anglais.
Comme les enfants se murent dans le silence après ma déclaration, je hausse les épaules et jette un coup d'oeil par la fenêtre. Il a commencé à pleuvoir, et les gouttes s'étalent sur la vitre en longues lignes obliques, ruisselant comme autant de larmes que j'ai versé en rentrant, mercredi soir.
Lorsque Tom m'a laissée devant la porte de chez moi ce soir-là, je dois avouer que je n'en menais pas large. Je me suis effondrée au moment même où il a tourné à l'angle, et je suis allée me coucher en pleurs.
Depuis, j'ai beaucoup réfléchi à notre relation, à la façon dont je devrais l'aborder. Il est inutile de nier que je me suis attachée à lui, beaucoup trop. Je ne sais pas ce qu'il en est de son côté, mais il est évident que je ne le laisse pas indifférent.
Vous savez, les gens se disent aveugles quant à l'amour qu'on leur porte ; je ne suis pas d'accord. Je pense que personne n'est aveugle, on voit tous très bien ce qui se passe sous nos yeux. On décide simplement de faire comme si de rien n'était, par peur, par timidité, par refus de blesser l'autre. En ce qui concerne Tom, je ne suis pas plus aveugle que le serait n'importe qui d'autre : il y a quelque chose qui se passe, et je me suis accordé une semaine pour y réfléchir. Lorsqu'il reviendra des États-Unis, nous verrons ce qu'il en est.
Bien sûr, je suis terrorisée face à l'avenir incertain qui m'est réservé. Que se passera-t-il si en effet, Tom m'apprécie un peu plus qu'il n'est censé le faire ? Notre relation n'est pas faite pour marcher, comme je le lui ai dit. Nous vivons dans deux mondes trop opposés pour être compatibles. Seulement, j'ai envie d'essayer, si l'occasion se présente.
Mathieu me dit de foncer, d'arrêter de réfléchir. Je comprends son point de vue, mais penser à toutes les possibilités, y compris les pires, c'est un des plus grands traits de caractère de ma personne. C'est facile pour mon meilleur de me donner ce genre de conseil, étant donné qu'il est du genre à foncer tête baissée et réfléchir après ! Pour ma part, je dois toujours peser le pour et le contre au moins quatre cent fois avant de prendre ma décision. La plupart du temps, d'ailleurs, je n'en prends aucune et laisse les évènements me heurter de plein fouet : pas la meilleure méthode, j'en conviens.
C'est dur de trop penser, vous ne savez pas à quel point. Chaque chose qui est dite, faite, va être analysée dans tous les sens pour en décortiquer la moindre variation. On finit par s'imaginer des choses, des mauvaises en général, et on psychote là où tout va bien. C'est permanent, et ça devient rapidement invivable. J'ai perdu bon nombre de personnes dans ma vie à cause de cette faculté, parce que j'étais persuadée qu'ils m'abandonnaient à chaque fois qu'ils disaient quelque chose. Cela se voyait dans ma manière de leur parler, et cela donnait l'impression que je n'avais confiance en personne, aussi ils ont simplement... arrêté d'essayer.
Aujourd'hui, je ne vis pas plus mal sans ces personnes-là. Pour certains, j'ai simplement perdu contact. Pour d'autres, ils m'ont abandonnée dans les moments où j'avais le plus besoin d'eux, mais je me suis rendu compte avec le temps que je vivais mieux sans eux. La vie fait le tri d'elle-même, les vrais amis restent et les faux s'en vont. Mathieu, Malek, Kylian, Kayla et Marine me suffisent, à présent, parce que j'ai totalement et aveuglément confiance en eux.
De retour à la maison, j'en profite pour aller prendre ma douche. C'est sacrément agréable, parce qu'il y a deux salles de bain chez Carl et Ellie : une à l'étage, qu'utilisent mes hôtes, là où se trouvent également les trois chambres ; une deuxième au rez-de-chaussée, en face du bureau qui me sert de chambre. J'ai donc mon propre espace, et ça n'a vraiment pas de prix !
L'eau chaude qui ruissèle sur ma peau me fait un bien fou : les quelques mètres entre la voiture et la porte d'entrée ont été parcourus sous une flotte d'enfer qui semblait ne jamais vouloir s'arrêter. J'aurais presque pu sortir le savon et me nettoyer directement, avant même d'entrer dans la douche, tellement j'étais trempée !
Lorsque je sors enfin de la salle de bain, je suis totalement détendue.
– Could you go see what the kids are doing, please ?, m'interpelle Ellie depuis la cuisine. We'll be eating soon.
[Pourrais-tu aller voir ce que font les enfants, s'il te plait ? On ne va pas tarder à manger.]
Je hoche la tête et m'exécute. À l'étage, Judith et Louis sont chacun dans leur chambre, porte fermée. J'ouvre donc la première, la chambre de la petite fille.
– We'll be eating soon, j'annonce à la volée.
[On va pas tarder à manger.]
– I know you're seeing someone, I heard Mom talking to Dad about it, balance Judith alors que je m'apprête à sortir de sa chambre. Are you going to leave the house and go live with your lover ?
[Je sais que tu vois quelqu'un, j'ai entendu maman en parler à papa. Est-ce que tu vas partir de la maison pour aller vivre chez ton amoureux ?]
Elle a les sourcils froncés, et ses yeux plein d'intelligence me contemplent sans sourciller. Pourquoi cette question soudaine, ça, je ne sais pas.
– What ?, je m'étonne. Jude, what are you talking about ? First, I don't have a boyfriend. Secondly, of course I'm not gonna leave the house ! Well, not now, but... Where did you get that idea ?
[Quoi ? Jude, de quoi tu parles ? Premièrement, je n'ai pas de petit copain. Deuxièmement, bien sûr que non je ne vais pas partir de la maison ! Enfin, pas pour le moment, mais... D'où sors-tu une idée pareille ?]
La petite fille hausse les épaules et plante son regard triste dans le mien.
– I don't want you to leave us.
[Je n'ai pas envie que tu t'en ailles.]
Mon cœur se fend automatiquement. Je me suis tellement attachée aux enfants ! Louis et Judith vont énormément me manquer quand je vais rentrer en France, c'est indéniable. Toutefois, je ne m'attendais pas à ce que cet attachement soit réciproque, pas au point que Judith ne se mette à pleurer devant moi en me suppliant de rester. Je n'étais pas préparée à cette éventualité, et je serre maladroitement la petite fille dans mes bras tout en essayant de contenir mes propres larmes.
– You're gonna leave us ?, lance une petite voix dans mon dos.
[Tu vas nous quitter ?]
Je lâche automatiquement Judith pour me tourner vers son frère.
– No !, je m'exclame. I stay here until the end of August.
[Non ! Je reste ici jusqu'à fin Août.]
Je suis bien consciente que ça fait déjà un mois que je suis ici, et que dans un mois également, je serai rentrée chez moi. Toutefois, j'espère bien profiter de ces quelques semaines restantes un maximum.
– I'll be back to see you, from time to time, I promise.
[Je reviendrai vous voir de temps en temps, c'est promis.]
– Food is ready !, crie la voix d'Ellie depuis le rez-de-chaussée.
[Le repas est prêt !]
J'ignore sa remarque et serre les deux enfants dans mes bras. Louis ne pleure pas, mais je le sens fébrile, encore plus que d'ordinaire.
– I said food is... What's going on here ?
[J'ai dit, le repas est... Qu'est-ce qui se passe ici ?]
Je lève les yeux : Ellie est là, sûrement alertée par le fait que nous ne descendions pas, et nous contemple d'un œil inquiet. C'est évident que voir ses enfants pleurer dans les bras de la jeune fille au pair, qui elle-même tente maladroitement de cacher ses larmes, doit soulever quelques questions.
– Axelle is gonna leave us at the end of August, geint Judith.
[Axelle va partir à la fin du mois d'Août.]
– Aaaaawn, sweetheart !, s'attendrit la mère.
[Ooooh, mon cœur !]
Elle passe la main sur le visage de sa fille pour en essuyer les larmes.
– You know, we could go to Marseille during the holidays.
[Tu sais, on pourrait aller à Marseille pendant les vacances.]
Un sourire éclaire le visage des deux enfants, qui lâchent de concert un ''yes'' retentissant.
– But for now, it's time to eat.
[Mais pour le moment, c'est l'heure de passer à table.]
Nous suivons donc Ellie jusqu'à la salle à manger, où la table a été dressée. Un plat fumant trône au milieu et, à l'odeur, je devine qu'il s'agit de lasagnes. Parfait ! Non seulement j'adore les lasagnes, mais en prime, c'est une preuve que les anglais peuvent avoir de bons goûts alimentaires.
Les enfants sont couchés depuis un moment déjà, et je suis assise sur le canapé du salon, mon ordinateur sur les genoux. Carl regarde une émission à la télé, et Ellie est occupée à peindre un tableau. Mon hôte adore la peinture, elle y passe quelques unes de ses soirées et journées, lorsqu'elle ne travaille pas.
Alors que de la pub se lance à l'écran, Carl se tourne vers moi, sourcils froncés.
– Who's the guy you see every week ?, demande-t-il en souriant.
[Qui est le garçon que tu vois chaque semaine ?]
Je sens mes joues rougir et je baisse le regard. Pourquoi me pose-t-il cette question soudainement ?
– She won't tell us about him, lui répond sa femme en riant. I think she likes having a secret boyfriend.
[Elle ne nous en parlera pas. Je crois qu'elle aime avoir un petit ami secret.]
– That's not... He's not my boyfriend, and his name is Tom, fi you want to know !, je me récrie aussitôt.
[Ce n'est pas... Il n'est pas mon petit ami, et son nom est Tom, si vous voulez savoir !]
Mes hôtes rient.
– It's a pretty common name, commente Carl. It might as well be Thomas, by the way.
[C'est un nom plutôt commun. Ça pourrait aussi bien être Thomas, d'ailleurs.]
– It is, j'avoue.
[Ça l'est.]
– Aaaaawn, babille Ellie. You call him by his nickname, how cute !
[Aaaaawn, tu l'appelles par son surnom, comme c'est mignon !]
Je hausse les épaules avec désinvolture. Bon sang, mais ils sont aussi intrusifs que mes parents, c'est dingue ! Moi qui croyais que c'était impossible, ce genre de choses, me voilà servie.
– Actually, no one calls him Thomas, the entire world know him as Tom...
[En fait, personne ne l'appelle Thomas. Le monde entier le connaît sous le nom de Tom...]
Je m'arrête subitement. Oh, non, dites-moi que je ne viens pas de dire ce que j'ai dit !
– The world ?, s'étonne immédiatement Ellie.
[Le monde ?]
J'ai une violente envie de me taper la tête contre un mur. Putain, je suis trop conne !
– It's an expression, j'embraye. You know, to say that no one calls him Thomas, like, really no one.
[C'est une expression. Tu sais, pour dire que personne ne l'appelle Thomas, genre, vraiment personne.]
– Of course, Elle !, renchérit Carl. Axelle's not going to meet a boy who's famous all over the world, not here anyway. Maybe in Los Angeles, but certainly not in London.
[Évidement, Elle ! Axelle ne va pas rencontrer un garçon célèbre partout dans le monde, pas ici en tout cas. Peut-être à Los Angeles, mais certainement pas à Londres.]
Sa femme hoche la tête tandis que je remercie silencieusement Carl de son ignorance la plus totale. S'il savait !
C'est étrange comme, en à peine plus d'un mois, je me suis totalement habituée à mes hôtes. À présent, c'est comme s'ils faisaient partie de ma famille, un peu comme un oncle et une tante. Remarquez, ce n'est pas pour me déplaire, bien au contraire.
Avec un soupir, je rabats l'écran de mon ordinateur portable.
– I'm going to bed, je lance à la volée.
[Je vais me coucher.]
Comme Carl et Ellie me souhaitent une bonne nuit, je fais de même. Je n'ai aucunement l'intention de dormir, c'est vrai, mais au moins pourrai-je échapper à cet interrogatoire de l'enfer.
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