Chapitre 11

    Je ne me suis pas trompée : en rentrant de mon deuxième rendez-vous avec Tom, j'ai rêvé de lui, et de sa veste à l'odeur de fleur d'oranger.

    Je ne saurai pas vous raconter ledit rêve en détail – pour une fois que je ne m'en souviens pas en entier –, mais je crois qu'il y avait des carottes et un cheval. Conséquence de notre discussion sur Sleipnir ? Oui, j'ai cherché le nom du cheval à huit pattes sur internet. D'ailleurs, si vous voulez savoir, le serpent géant s'appelle Jörmungand. À vos souhaits à vous aussi !

    À peu de choses près, j'ai fait le même rêve la nuit d'après, et celle d'encore ensuite : trois soirs où j'ai dormi comme un loir et me suis réveillée plus heureuse que jamais. Pour une fois que je ne faisais pas des rêves d'apocalypse ou sans aucun sens !

    S'il y a bien une chose chez moi que les gens réalisent très vite, c'est que j'ai une capacité extraordinaire à faire des rêves extrêmement bizarres ou au scénario encore plus détaillé que pour un film. Si je rêve de devenir écrivain, ce n'est pas pour rien : je puise la plus grosse part de mon imagination de mes rêves chelous. De plus, je n'ai aucun scrupule à assumer la totalité de ces derniers, peu importe à quel point ils sont étranges ou gênants.

    Trois coups légers contre la porte de la chambre me font sursauter.

    – Yes ?

    La porte s'entrouvre, et Ellie passe la tête par l'interstice.

    – I'm goin to the store, do you need anything ?

[Je vais faire des courses, tu as besoin de quelque chose ?]

    – No, thanks.

[Non, merci.]

    Un sourire éclaire le visage de mon hôte.

    – You're free, this afternoon. You could go for a walk, if you want to. Maybe you could even see your friend.

[Tu es libre, cet après-midi. Tu pourrais aller faire un tour, si tu veux. Peut-être même que tu pourrais voir ton ami.]

    Je sens mes joues rougir. Si j'ai prévenu Carl et Ellie que je me suis fait un ami ici – après tout, j'ai besoin de leur permission pour sortir, question de respect –, je n'ai certainement pas stipulé le nom de l'ami en question. Je fais tout pour éviter que ça s'ébruite, de peur que le rêve se dissolve. Je n'en ai même pas parlé à mes amis, c'est pour dire ! La seule personne au courant, c'est Mathieu, mais comme c'est mon meilleur ami...

    Pour le coup, mes hôtes sont vraiment sympa. Normalement, je devrais assurer la garde des enfants et quelques tâches ménagères, même s'ils sont en vacances. Mais aujourd'hui, Carl emmène ses enfants au cinéma, aussi je n'ai rien à faire. Évidemment, il m'a proposé de venir avec eux, toutefois j'ai refusé : cela lui laisse le temps de profiter pleinement de ses enfants, sans que je sois au milieu. En plus, je ne suis pas en manque de cinéma, bien qu'en général je ne refuse jamais une séance.

    – Who is it, again ?, continue Ellie avec un grand sourire.

[Qui est-ce, déjà ?]

    – You don't know him, je m'empresse de répondre.

[Tu ne le connais pas.]

    – Well, maybe someday you could introduce him to us. You know, in case he becomes your boyfriend.

[Eh bien, peut-être qu'un jour tu pourrais nous le présenter. Tu sais, au cas où il devienne ton petit ami.]

    Elle accentue sa phrase d'un clin d'oeil et je ris.

    – No chance he becomes my boyfriend. We literally don't live in the same country.

[Aucune chance qu'il devienne mon petit ami. On vit littéralement pas dans le même pays.]

    Et encore, si ce n'était que ça ! Nous avons également dix-huit ans d'écart, il est un acteur célèbre et je ne suis qu'une étudiante... Dois-je continuer la liste ?

    – Never say never, trust me, s'esclaffe Ellie. When I met Carl, he was having the perfect love with another girl, and I...

[Il ne faut jamais dire jamais. Quand j'ai rencontré Carl, il filait le parfait amour avec une autre fille, et moi...]

    La jeune femme soupire et passe une main dans ses cheveux, avant de reprendre :

    – Well, I was focusing on my studies. I didn't want a boyfriend, but it took us only two parties to date. And here we are, today ! So, never say never.

[Eh bien, je me concentrais sur mes études. Je ne voulais pas d'un petit ami, mais ça nous a pris à peine deux soirées pour sortir ensemble. Et nous voilà aujourd'hui ! Alors, ne jamais dire jamais.]

    – It's true, but I'm really sure of what I'm saying.

[C'est vrai, mais je suis vraiment sûre de ce que je dis.]

    Ellie rit.

    – Your smile contredicts you, but if you say so.

[Ton sourire te contredit, mais si tu le dis.]

    – What smile ?, je fais mine de m'indigner. My smile is totally normal !

[Quel sourire ? Mon sourire est tout à fait normal !]

    – Of course, se moque gentiment mon hôte.

[Bien sûr.]

    Avec un dernier regard narquois, Ellie sort de la chambre en refermant la porte derrière elle. Mes yeux se tournent automatiquement vers la fenêtre, derrière laquelle la pluie tombe à verse.

    Évidemment, Ellie n'a pas tort : je sais pertinemment que mon sourire est heureux, quand je parle de Tom. Cependant, c'était déjà le cas avant même que je le rencontre, comme ça l'est lorsque je parle d'un sujet que j'affectionne tout particulièrement. Matthew Fairchild, Leo Valdez, Peter Pan... Autant de personnages qui me font me sentir chez moi, bien qu'ils n'existent pas réellement.

    Avec un soupir, j'allume mon ordinateur. Penser à des livres m'a donné envie d'écrire un peu, il faut que j'avance au maximum mes romans si je compte les faire éditer un jour. Pour le moment, je bosse à fond sur Underwater : c'est une histoire de sirènes et de combats, que j'ai commencé à écrire quand j'avais quinze ans. Le travail sur cette histoire est donc double : terminer l'écriture d'un côté, et améliorer les premiers chapitres, dont la rédaction est plutôt bancale, de l'autre. Lorsque j'aurai terminé, je pourrais passer à la correction totale, puis envoyer le tout en maisons d'édition, en priant pour que l'une d'elles accepte mon manuscrit.

    L'écran s'allume avec un flash, et le fond d'écran apparaît alors, m'arrachant un sourire nostalgique. C'est moi, au milieu de l'image, entourée de mes amis. Malek, Kayla, Kilian etMarine, répartis de chaque côté de ma personne, sourient à l'objectif.

    Je me souviens du jour où nous avons pris cette photo. C'était il y a trois ans, en début des vacances d'été. Je venais alors de valider ma première année de fac de maths, Kayla sa première année de SVT et Marine celle de psycho. Kilian continuait sa formation dans le graphisme, et Malek attendait les résultats du bac, hésitant à continuer sur une fac de langues ou une année sabbatique. Nous étions si jeunes, à l'époque, si innocents : persuadés que tout allait se dérouler dans notre vie de l'exacte façon que nous avions prévue.

    Spoiler alerte : ça n'a pas été le cas. J'ai foiré ma deuxième année de fac de maths – involontairement le premier semestre, puis volontairement le deuxième – pour me réinsérer dans une formation de danse classique, que j'ai loupée également avant de tenter mon CAP petite enfance – que j'ai obtenu, heureusement ! – ; Malek a décroché de sa fac de langues et s'est réorienté en lycée hôtelier, depuis il travaille en alternance en tant que serveur. Seuls Kylian, Kayla et Marine ont continué sur leur voix, qu'ils poursuivent encore aujourd'hui, bien que Kayla doive monter sur Paris pour son Master.

    La photo a changé ; elles changent tous les minutes, enchaînant les unes à la suite des autres toutes celles du dossier de fonds d'écran.





    J'ai dû perdre la notion du temps, ce qui m'arrive assez souvent quand j'écris, car lorsque je lève les yeux de l'écran, l'horloge au-dessus de la porte m'indique qu'il est plus de seize heures trente. Ellie n'est toujours pas revenue du centre commercial, et Carl et les enfants doivent être en pleine séance.

    Une vibration m'avertit que j'ai reçu une notification, probablement un message, mais je suis trop concentrée dans ce que je fais pour consacrer ne serait-ce que quelques secondes à mon téléphone. Lorsque je suis en pleine phase d'inspiration, il faut que j'écrive le plus possible avant que cette même inspiration ne disparaisse.

    Une deuxième vibration me force à lancer un regard torve à mon portable. Franchement, les gens ne peuvent-ils pas me laisser travailler tranquille ? Si je ne réponds pas, arrêtez d'insister !

    Voilà que j'ai perdu le fil de mon histoire, à présent. Je ne sais plus quoi écrire, et ça me rend folle. Je déteste le syndrome de la page blanche.

    Une troisième fois, mon téléphone vibre. Excédée, je lance un coup d'oeil au centre de notifications : il s'agit du groupe snap avec mes amis. Ce n'est pas que je ne veux pas leur parler, mais je suis occupée, aussi je passe mon portable en silencieux.

    C'est trop tard, j'ai décroché de mes écrits, et je n'arrive pas à m'y replonger. Avec un soupir, je rabats l'écran de mon ordinateur portable et passe une main sur mon visage, prenant soin d'éviter mes lunettes pour ne pas les salir.

    Je me lève alors pour aller chercher un verre d'eau à la cuisine ; tout est calme dans la maison, je n'ai pas l'habitude. Le seul bruit qui vient briser le silence profond est le ronronnement de l'électroménager : frigo, congélateur, et le tic-tac de la grande horloge du salon. Je pense pouvoir m'avancer sur le fait que Carl et Ellie aiment beaucoup les horloges : on en trouve au moins une dans chaque pièce. Personnellement, ça ne me gêne pas.

    Lorsque je reviens dans ma chambre, je me décide enfin à regarder les messages que j'ai en attente. Quelle n'est pas ma surprise de voir que j'ai un appel manqué ! Surprise qui est encore plus grande quand je remarque le nom à côté du numéro : Tom.

    Je louche sur l'écran, pas certaine d'avoir bien lu, pourtant c'est indéniable. J'ai un appel manqué de Tom Hiddleston.

    Je déverrouille le téléphone et clique sur l'application des appels. Un petit point rouge en bas à droite m'indique que j'ai un message vocal. Oh mes dieux, j'ai un message vocal de Tom ? Il est inconscient, ne se doute-t-il pas que je vais l'écouter en boucle pendant au moins trois heures ?

    Les doigts tremblants, j'appuie sur l'icône de la messagerie et porte le téléphone à mon oreille. La voix de l'acteur retentit aussitôt :

    – Hello Axelle, it's Tom. I hope you're fine ? I'll have to go to USA for a few days on Friday, and I would like to know if you'd accept to meet before my departure. Just let me know if it's okay,  call me back so we can find a moment. Have a nice rest of your day !

[Allô Axelle, c'est Tom. J'espère que tu vas bien ? Je vais devoir partir quelques jours aux USA, vendredi, et j'aurais voulu savoir si tu accepterais qu'on se revoie avant mon départ. Dis-moi si c'est bon, rappelle-moi et on pourra trouver un moment. Passe une bonne fin de journée !]

    Je réécoute une deuxième fois le message, pour être sûre d'avoir tout compris. Tom part aux États-Unis vendredi, et il veut me revoir avant.

    Prenant mon courage à demain, j'appuie sur le bouton rappeler. Une sonnerie, deux sonneries, trois... Et l'acteur décroche.

    – Hello ?

    – Tom ? It's Axelle, je commence en essayant de maîtriser le tremblement de ma voix. I just listened to your voice mail.

[Tom ? C'est Axelle. Je viens juste d'écouter ton message vocal.]

    Avec un sursaut, je me rends compte que ma réaction rapide est tout sauf logique : j'ai rappelé Tom, parfait. Mais ni Ellie ni Carl ne sont à la maison, je ne peux donc pas leur demander la permission de sortir entre ce soir et jeudi soir.

    – That's cool !, s'exclame Tom à l'autre bout du fil. Do you have an answer for me ?

[C'est cool. As-tu une réponse à me donner ?]

    – Well, I do, but I just remembered no one is in the house, so I don't know when I can get out.

[Eh bien, oui, mais je viens juste de me rappeler que personne n'est à la maison, alors je ne sais pas quand je pourrai sortir.]

    – Oh, no problem ! Just tell me as soon as you know, anyway I'm free every night until Friday.

[Oh, pas de problème ! Tu me dis dès que tu sais, de toute façon je suis disponible tous les soirs jusqu'à vendredi.]

    – I will, je promets. And I'm really sorry to have called you back with no clear answer to give you.

[Je le ferai. Et je suis vraiment désolée de t'avoir rappelé sans réponse claire à te donner.]

    J'entends Tom rire de son côté.

    – Don't worry, at least I know it's okay for you. I am very pleased.

[Ne t'en fais pas, au moins je sais que c'est bon pour toi. J'en suis très heureux.]

    – So, I text you when I know, and... Well, I'll tell you then.

[Alors, je t'écris quand je sais, et... Eh bien, je te le dirai à ce moment-là.]

    – Thank you, dear.

[Merci, très chère.]

    Je ris.

    – I'll talk to you later, so.

[On se reparle tout à l'heure, du coup.]

Tom acquiesce et, après m'avoir remerciée, il raccroche ; je lève les yeux vers l'horloge. Il est dix-sept heures, Carl et les enfants ne devraient pas tarder à rentrer, tout comme Ellie je suppose. Quand ils seront là, je pourrai leur demander une permission spéciale pour sortir, bien qu'on soit en pleine semaine. Les connaissant, ils ne diront pas non, surtout après ce que m'a proposé Ellie tout à l'heure.

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