Chapitre I - Un étrange cadavre
Une attaque de loup en plein Chicago. C'était surréaliste. Je venais d'obtenir mon diplôme pour être enfin agent du FBI. Je ne m'attendais pas à ce que ma première affaire concerne une jeune femme massacrée sous les dents d'une créature sauvage. D'ailleurs, je ne comprenais pas pour quelle raison on nous avait assigné cette enquête. Pour ma part, cela semblait plutôt être du ressort de la police locale. Éric, mon supérieur, m'avait expliqué quelques minutes plus tôt qu'ils avaient besoin de nos observations expertes. C'était un grand bonhomme à la forte corpulence. Sa barbe grisonnante et ses cheveux ébouriffés lui donnaient un look de Rockstar à la retraite. Il m'avait pris sous son aile dès mes premiers stages. Il savait comment gérer mon sale caractère et moi j'étais ravie d'être dans les petits papiers du « Mr Grognon ». Effectivement, s'il fallait lui donner l'un des noms des sept nains, ce n'était sûrement pas celui de « Joyeux » mais plutôt celui de « Grincheux ».
Je me nommais Lucy Rogers et j'avais toujours rêvé de rentrer au FBI. Comme je n'avais que vingt-cinq ans, je faisais partie des plus jeunes recrues et je devais évidemment encore faire mes preuves. D'autant plus, qu'étant une femme, les autres étudiants masculins n'avaient pas forcément été tendres avec moi pendant ma formation. Mais je n'étais pas du genre à me laisser marcher dessus et peu de choses pouvaient me faire flancher. Je m'étais concentrée sur mes études de manière à pouvoir être la meilleure de ma promotion et prouver à tout le monde ma valeur. À l'orphelinat, les choses étaient identiques, on tentait de me mener aux pleurs par l'humiliation ou la violence physique. Mais vous savez quoi ? Personne n'a jamais réussi à me voir verser une seule larme. Ma vie avait été un combat et j'avais remporté beaucoup de batailles.
Le centre médico-légal du County Cook se trouvait en bordure de la ville et était aussi accueillant que l'antre des enfers. Le bâtiment était gris et austère. La façade avant étaient ornée de multiples vitres teintées. En bref, si je devais organiser une fête, ce ne serait pas le lieu que je choisirais.
Alors que l'aspect général de l'institut médico-légal m'avait refroidi, ce n'était rien à côté de l'ambiance qui régnait dans les couloirs. Quand Éric et moi présentâmes notre plaque à l'accueil, la secrétaire releva à peine le nez pour savoir à qui elle avait à faire. Elle nous pointa juste d'un mouvement las la direction de la morgue B3. Nos pas raisonnaient sur le sol carrelé et aucun d'entre nous n'osait parler. Nous avions déjà l'esprit dans l'enquête et, pour ma part, j'appréhendais ce que nous allions découvrir.
Le médecin légiste n'était pas plus affable que ses collègues. Il nous serra brièvement la main et nous invita à prendre un masque chirurgical et des gants en latex. Il poussa enfin la porte de la morgue qu'il referma tout de suite derrière lui. Le corps de la jeune femme était recouvert d'un drap blanc et le temps semblait s'être arrêté. Même si j'avais vu plusieurs cadavres durant mon apprentissage, je ressentais de la peur à l'idée de voir le visage de cette pauvre victime. Selon son dossier, elle avait succombé à l'énorme blessure que lui avait infligé un loup. D'après les écritures du médecin légiste, elle avait été littéralement dévorée.
Quand Éric demanda à ce que l'on soulève le drap pour constater l'état du cadavre, mes jambes eurent du mal à me tenir devant l'horreur. C'était une belle femme, des cheveux d'un blond cendré bien entretenus, un visage fin et attrayant, des lèvres pulpeuses mais hélas devenues d'un bleu mortel. Toute une partie de son abdomen avait été arrachée, la coupure n'était pas nette et la peau pendouillait de tous les côtés de la plaie. L'aspect du corps confirmait l'hypothèse qu'elle avait bien été attaquée par une bête sauvage.
_ Savez-vous quel type d'animal a pu faire cela ?
Même Éric, qui tentait de rester professionnel, avait tremblé en posant la question au médecin.
_ Nous savons que des témoins ont vu un loup blanc s'enfuir de la scène de crime, les babines encore recouvertes du sang de cette pauvre jeune femme
_ Elle s'appelait Penny Winsted.
Je m'étais sentie obligée de couper le médecin légiste dans sa tirade. J'étais tellement touchée que je refusais que l'on déshumanise cette victime. Je m'efforçais, à chaque fois que j'étais sur une enquête, de rendre leur dignité à ces personnes qui étaient tombées sous les coups d'un monstre. Penny n'avait que vingt-quatre ans, un an de moins que moi, et rien que ce constat me faisait froid dans le dos.
_ Eh bien. D'après mes premières conclusions, Penny a été attaquée par un loup. Là où le bât blesse, c'est qu'il n'appartient à aucune espèce recensée dans notre écosystème. Donc, soit c'est un plan de la part du tueur pour nous faire croire à une attaque animale, soit c'est une nouvelle espèce apparut sur notre planète. Néanmoins ce serait vraiment exceptionnelle qu'il ait sévi en priorité dans notre ville de Chicago.
Les questions se bousculaient dans ma tête et je n'arrivais pas à trouver une logique. Éric, aussi démuni que moi, n'avait pas dit un mot depuis au moins deux minutes, jusqu'à ce qu'il envisage exactement la question à laquelle j'avais pensé :
_ Qu'est-ce qui vous fait dire que cette espèce de loup n'existe pas ?
_ Je vais vous demander d'approcher pour observer ce que j'ai pu découvrir dans l'abdomen de cette... de Penny.
Le médecin légiste nous montra ce qui ressemblait à des dents d'animal. Elles étaient énormes et effrayantes mais c'est surtout leur longueur qui m'impressionna. Certes je n'étais pas une spécialiste des loups mais en voyant ce genre de crocs, je ne pouvais pas raisonnablement penser que c'était un animal ordinaire qui avait attaqué Penny. Le médecin continua son explication d'une voix monotone :
_ Comme vous pouvez le constater, ces incisives ne sont pas celles que l'on peut trouver sur un loup. J'ai d'ailleurs recherché en priorité dans la base de données géologique des espèces vivant dans l'Illinois et ses alentours. Même les zoos de la ville nous ont fournis une liste et aucune fiche ne correspond à notre coupable. Si vous observer de plus près, vous pourrez voir de légers crans sur l'émail. Ces derniers pourraient servir à déchiqueter la chaire de manière plus rapide et efficace. Tout ce que je peux conclure c'est Penny Winsted a été tuée par un animal qui n'existe pas.
_ Ce que je ne comprends pas c'est que des témoins ont affirmé avoir vu l'animal s'échapper. Ça ne peut pas être une coïncidence ou une hystérie collective, ça parait insensé.
_ Lucy, je crois que l'on devrait rentrer au poste pour savoir s'il y a eu des cas similaires dans la région.
Je sentais qu'Éric ne supportait plus de voir ce corps étendu sur un chariot, complètement défiguré.
_ Vas-y, moi je reste ici. J'ai besoin de réfléchir et de prendre quelques informations supplémentaires.
Je me retournai vers le médecin légiste qui s'occupait en rangeant divers instruments derrière nous :
_ Ça ne vous dérange pas docteur si je reste un moment pour rechercher plus d'informations ?
Il s'interrompit dans sa tâche et me regarda par-dessus ses verres :
_ Pas le moins du monde, même si je trouve bizarre qu'une aussi jeune fille comme vous n'aie pas peur de rester seule avec un cadavre dans une salle d'autopsie.
_ Ce n'est pas plus étrange que de passer ses journées à découper des corps sans le moindre état d'âme. Vous avez d'ailleurs fait plus de dix ans d'études pour cela, c'est dire à quel point c'est plus une passion qu'un métier.
Le médecin ne répondit pas à mon attaque et quitta la salle sans un mot. Éric m'observa d'un œil désapprobateur et je ne pus m'empêcher de soupirer :
_ Excuse-moi, j'y ai été un peu fort.
_ Non, tu crois ?
_ C'est tout juste s'il ne m'a pas traité d'aliénée !
_ Eh oh ! Du calme Harley Quinn, je pense que tu es un peu trop susceptible. N'oublie pas que je suis une des rares personnes à supporter ton sale caractère.
_ Hum. Mouais. Mais tu es aussi le plus cool alors je le prends comme un compliment.
_ Je te laisse ici Sherlock, mais ne fais pas de vagues en mon absence ok ?
_ Je serais aussi sage qu'une image mon capitaine !
Il rit et quitta lui aussi la salle d'autopsie. Je savais qu'Éric avait raison. J'étais trop impulsive et tout le temps sur la défensive. Durant mon enfance, j'avais toujours rêvé de prouver ma valeur. Grâce au FBI, j'avais eu cette chance inouïe de montrer de quoi j'étais capable. Les seules choses que j'avaient encore du mal à intégrer c'était le respect de la hiérarchie et le jugement des autres. Le sentiment de rejet que j'avais ressenti pendant des années m'avait endurci. Peu de personnes arrivaient à passer les murs érigés autour de moi et Éric était un des rares à ne jamais m'avoir déçu.
Je secouai la tête pour arrêter le fil de mes pensées et me concentrai à nouveau sur Penny. Je me jurai intérieurement de trouver celui qui lui avait fait cette horreur. À chaque enquête, je me sentais missionnée. Il fallait absolument que je découvre et fasse payer les meurtriers. Aussi longtemps que je vivrai, je n'aurais pas d'autres objectifs.
_ Alors belle Penny, voyons ce que tu vas pouvoir me dire.
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