À part la profonde blessure à l'abdomen, Penny ne portait aucune trace de lutte. La pauvre jeune femme ne s'était pas défendue et avait subi son sort sans se débattre. Pourtant, d'après le rapport de police, son talon droit était cassé. Cela ne pouvait signifier qu'une chose : elle avait tenté de fuir. Je retournai délicatement le corps de la jeune femme sur le côté. Une énorme ecchymose lui envahissait tout le haut du dos, signe qu'elle était tombée lourdement sur le sol. De longues griffures lui descendaient jusqu'en bas des reins, comme si elle avait été traînée sur le sol. On pouvait voir des traces de crocs sur sa cheville droite et une autre morsure sur le mollet.

Pensant avoir fait le tour de mes constations personnelles, j'allais rentrer au poste de police. Soudain, alors que je remettais le corps de Penny à plat sur la table d'autopsie, une fine lueur rouge éclaira sa poitrine. Elle n'y était pas il y a quelques minutes, j'en étais absolument certaine. Plus mes yeux se focalisaient sur cette lumière, plus elle amplifiait.

Un vacarme assourdissant me fit bondir de terreur. J'étais certes téméraire, mais l'environnement d'une morgue n'était pas vraiment propice à des démonstrations de courage.

Alors que j'avais cru avoir tout vu aujourd'hui, un immense jeune homme se tenait face à moi. Le bruit provenait de la chute d'un plateau chirurgical. Il avait sûrement tenté de s'approcher de moi discrètement : échec total.

Il tenta de s'avancer mais je le stoppai net. J'avais levé une de mes mains en l'air. Crédule comme je l'étais, je pensais sans doute que j'allais par ce simple geste l'empêcher de me faire le moindre mal.

Méfiant, il plongea ses yeux couleur caramel dans les miens. Il tenait dans l'une de ses mains un immense poignard, plus brillant que la pleine lune elle-même. Son accoutrement était étrange et hors du commun. Le haut de son corps était recouvert d'un plastron en cuir, attaché autour de son torse grâce à des lanières. Il portait un pantalon de lin aussi noir que la nuit, des bottes de guerrier tout droit sorties d'un film steampunk, et un immense manteau faisant l'effet d'une cape. Sa prestance et son assurance étaient presque effrayantes, à la manière d'un prince des ténèbres. D'ailleurs, ses cheveux noirs, légèrement ébouriffés, amplifiaient ce look hors du temps et absolument grotesque. Qui se promenait ainsi dans les rues de Chicago sérieusement ?

_ Euh. Si vous souhaitiez vous rendre à une soirée cosplay vous avez dû vous trompez de bâtiment.

J'essayais de garder mon calme mais mon cœur tambourinait si fort dans ma poitrine qu'il menaçait d'exploser ma cage thoracique. D'un mouvement à peine visible, je dirigeai ma main vers la crosse de mon arme, prête à intervenir. Mais à peine mon doigt se posa sur mon holster que l'inconnu fondit sur moi. Sa main gantée était posée sur ma bouche et devant mes yeux exorbités il fut obligé d'expliquer son geste. Mes jambes ne me portaient pratiquement plus. Il semblait fort et dangereux. Face à une musculature de compétition et une taille immense, même le plus doué des Marines aurait du mal à le mettre à genoux.

_ Je ne vais pas vous faire du mal mais il faut que vous m'écoutiez.

Non c'était vrai, pourquoi je m'inquiéterais ? Il avait un accoutrement de psychopathe qui se prenait pour un guerrier du seigneur des anneaux, mais sinon tout allait pour le mieux ! Je devais me montrer réaliste, je n'avais aucune chance de m'en sortir face à cet homme. J'avais beau avoir les meilleurs scores dans les combats rapprochés à l'université du FBI, là, j'allais devoir m'avouer vaincue. Je n'avais plus qu'à espérer qu'un des membres du personnel de la morgue allait faire irruption dans la pièce et appeler les renforts. Mon cerveau carburait pour trouver un moyen de m'échapper. Mais alors que mes yeux regardaient partout autour de moi à la recherche d'une possibilité de repli, il me serra plus fort contre lui et m'obligea à plonger mon regard dans le sien.

_ Hochez la tête si vous me promettez que dès que j'enlèverai ma main de votre bouche vous ne hurlerez pas.

Qu'est-ce que cela allait me coûter de l'écouter ? Après tout, si j'avais la bouche délivrée je pourrais parlementer avec ce malade. Mon talent de persuasion pourrait peut-être me servir. Une fois que je l'eus écouté, il lâcha enfin sa prise. Je repris mon souffle et décidai pour le moment de rester silencieuse. Il ne me laissa pas vraiment me remettre de mes émotions et d'une voix sombre commença à s'expliquer :

_ La jeune femme que vous avez devant vous va se réveiller

Heu. Ok. J'étais vraiment face à un psychopathe. Je ne croyais pas trop au commencement de l'ère « Zombie » personnellement. Mais devant la gravité de son ton je fus quand même obligée de le laisser continuer.

_ Elle a été mordue par une créature féroce et elle est contaminée. Elle ne pourra pas survivre dans votre monde si je ne lui donne pas un antidote. Vous voyez cette lueur rouge sur son torse ? C'est un signe que sa transformation a commencé.

_ Sa transformation ? Vous êtes sérieux ?

Ma gorge était sèche et l'anxiété commençait à gagner du terrain dans mon esprit. Le jeune homme prit une grande inspiration pour me signifier qu'il n'avait pas le temps de tout m'expliquer. Au lieu de me répondre, il sortit une fiole de sa poche. On aurait dit un instrument volé dans le laboratoire de Merlin l'Enchanteur. Il contenait un liquide violet foncé et une sorte de fumée noire se mélangeait au produit.

_ Ok, monsieur. Je ne sais pas qui vous êtes et si je suis victime d'un coup monté, mais je ne vais pas croire les bêtises de quelqu'un qui se prend pour un magicien ou je ne sais quoi d'autre. C'était marrant, vous avez bien joué votre rôle mais vous devez partir maintenant, des renforts ne vont pas tarder à arriver.

_ C'est important Lucy.

Pardon ? Comment m'avait-il appelé ? J'étais trop sous le choc pour répondre quoi que ce soit. Je ne connaissais pas cet homme, j'en étais sûre, alors pourquoi, lui, semblait savoir exactement qui j'étais ?

_ Tu as toi aussi vu cette lueur rouge, ne dis pas le contraire. C'est le signe qu'elle va muter et il faut empêcher qu'elle ne massacre tout le bâtiment en...

Il arrêta brusquement de parler et alors que je croyais que les évènements d'aujourd'hui ne pourraient pas être aussi éprouvants pour mes nerfs, je me retournai vers ce qui était autrefois le cadavre de la jeune Penny.

Jamais je ne m'étais préparé à une telle scène. La terreur me frappa de plein fouet quand je vis la créature qui avait remplacé le beau visage de la jeune blonde. Certes, je reconnus ses longs cheveux couleur blé, mais ses yeux étaient d'un rouge profond, sa bouche s'ouvrait sur une mâchoire composée de crocs acérés et, ses ongles parfaitement manucurés, ressemblaient maintenant à des griffes d'animal. Un son monstrueux sortit de sa bouche et un parfum putride emplit la pièce. Si la mort avait une odeur, c'était celle-ci.

Le monstre que j'avais en face de moi regardait autour de lui, cherchant probablement la raison de sa présence ici. Il semblait perdu et affamé. Alors que je ne m'y attendais pas, l'ancienne Penny fixa à nouveau ses yeux sanguins vers moi, sa bouche carnassière étirée au maximum.

Elle n'eut pas le temps d'initier son attaque, que le jeune homme lui fonça dessus à la manière d'un félin, brandissant dans sa main droite son immense poignard. Mais la créature était plus rapide que lui, elle ne faisait que le faire tourner sur lui-même sans qu'il puisse l'atteindre. Elle renversait tout sur son passage, passant du sol au plafond, longeant les murs à la manière d'une araignée. Elle choisit un moment où le guerrier était dos à elle pour me sauter dessus. Je tombai à terre, basculant sous le poids impressionnant de ce monstre. Ses crocs, recouverts d'un liquide noirâtre, étaient à quelques centimètres de mon visage. Je tentai de la repousser du mieux que je le pouvais et, alors que mes forces semblaient vouloir m'abandonner, une chose étrange se produisit. Je pensais sincèrement que ma dernière heure était venue mais un immense éclair blanc traversa ma poitrine pour percuter de plein fouet la créature. La puissance de la lumière la projeta loin de moi, la réduisant en cendres.