Chapitre 19 - Le secret de Thalion (partie 2)


Thalion avait quitté sa chemise et ses protections guerrières pour se défouler dans la nouvelle salle de combat. Elle avait été aménagée par Thorondor avec l'aide de Circeï. Le jeune homme s'en prenait à un mannequin en bois qu'il rouait de coups depuis déjà une heure.

Lucy et Circeï étaient parties pour le Royaume et il avait préféré rester ici pour se remettre les idées en place.

— Je crois qu'avec une telle force de frappe tu serais capable de tuer ce pauvre mannequin. Il t'a piqué ton repas ou quoi ?

Thalion s'arrêta quelques secondes et esquissa un sourire. Il avait reconnu la voix de son meilleur ami, Boromir, gérant de la bibliothèque de l'École, et accessoirement un Loup Garou en repentir.

Il portait toujours une toge marron qui le rendait austère et lui donnait un style moyenâgeux. Ses longs cheveux bruns aux fines mèches grisonnantes, étaient attachés en une courte queue de cheval.

— Tu veux prendre sa place ?

La provocation du Bloodcat n'eut pas l'effet escompté puisque Boromir resta à le regarder sans bouger. Thalion soupira. Les yeux verrons de son meilleur ami étaient comme un livre ouvert. Pendant que sa pupille noisette le jugeait, celle qui portait la couleur du ciel compatissait à sa souffrance.

— Qu'est-ce qui te met dans un état pareil ? Tu sais que si tu ne me le dis pas maintenant tu me le diras sûrement dans une heure.

— Tu ne doutes pas de toi

— Je connais mon influence.

Boromir sourit à Thalion pendant que ce dernier allait s'installer dans un coin de la salle. Il glissa le long du mur pour s'étaler sur le sol, les jambes repliées et la tête entre ses genoux.

Le Loup-Garou vint le rejoindre et s'assit en tailleur à ses côtés. Il ne dit rien, attendant que Thalion vide son sac comme il avait l'habitude de le faire avec lui.

Cela faisait plusieurs jours que Thalion entraînait Lucy en vue d'augmenter ses performances. Elle était puissante, cela ne faisait aucun doute. Elle n'avait pourtant pas assez confiance en elle pour utiliser ses capacités au maximum. Il la poussait dans ses retranchements pour qu'elle prenne conscience de tout ce qu'elle pouvait réaliser grâce à son sang royal.

— Caliawen ?

Au moment où Boromir prononça le vrai nom de celle à laquelle il était en train de songer, Thalion se retourna brusquement vers son ami. Ce dernier haussa les épaules :

— J'ai des yeux et des oreilles partout. Et puis, j'ai toujours été curieux, tu le sais. Ça va faire des semaines que j'observe les effets qu'elle a sur toi.

— C'est faux.

— Continue de te mentir à toi-même et tu ne feras qu'empirer ta souffrance

— Je n'ai pas besoin que tu me fasses la leçon. Je ne ressens rien, et ce n'est pas près de changer. Je te signale que l'on a une apocalypse à enrayer.

Boromir soupira bruyamment et se tourna vers son ami avec une lueur de colère dans les yeux :

— Tu ne vas quand même pas me sortir le baratin que les Bloodcat ne peuvent rien ressentir ? Que vous êtes conditionnés et incapables d'aimer ou d'apprécier les choses de la vie ?

— On a besoin d'être prêts à tout sacrifier pour le Royaume.

— J'ai toujours pensé que la façon dont ils t'avaient traité était monstrueuse. S'ils voulaient des êtres sans âmes et dénués de sentiments, ils n'avaient qu'à choisir les plus vils démons des enfers.

— Arrête de dire n'importe quoi.

Sur ces mots, Thalion se leva. Épuisé par sa séance d'entraînement et son défouloir temporaire, il comptait aller s'allonger dans sa chambre.

Soudain Boromir l'interpella :

— Si tu n'avais pas de sentiments, tu ne m'aurais jamais sauvé et tu n'aurais pas aidé Siltiama.

Le jeune Bloodcat ne dit rien et préféra quitter la salle. Les sentiments lui faisaient mal, ils lui comprimaient la poitrine et l'empêchaient de réfléchir correctement. Ils étaient inutiles et un handicap pour les membres de son clan.

La chambre de Thalion se trouvait dans l'aile ouest de l'École, la partie réservée aux professeurs. Quand il passa le seuil de la porte en bois, il se rendit directement dans son lit. Il ne prit pas le temps d'enlever ses chaussures et son pantalon de toile.

Il entra dans l'un de ses sommeils peuplés de cauchemars.

*******

Les flammes lui brûlaient la peau et les chaînes qui le maintenaient cloué au mur s'enfonçaient dans sa chaire. Le chef des Bloodcat s'approcha de lui et stria d'un coup de poignard différents endroits de son torse. De larges plaies ensanglantées apparurent sur son corps qui souffrait déjà le martyre. Il n'allait pas tenir longtemps éveillé, ses yeux se révulsaient de douleur.

Thalion ! Réveille-toi !

La main de fer de son chef le frappa en plein visage. Une sorte de décharge électrique envahit toute la partie droite de son visage. C'était comme si son crâne était coincé dans un immense étau qui n'arrêtait pas de serrer, encore et encore, jusqu'à atteindre le point de rupture.

Deux petites filles étaient devant lui, des jumelles. Elles étaient agenouillées à même le sol de pierre et étaient tenues en joug par deux Bloodcat. Des larmes coulaient sur leur visage innocent et la terreur les faisait trembler. Leur corps frêle était secoué de spasmes et on pouvait distinguer les blessures qu'on leur avait déjà infligées.

Leurs cheveux de la couleur du blé en pleine floraison, étaient poisseux et le sang goûtait sur leur front. Elles se tenaient la main pour essayer d'enrayer la peur qui semblait leur vriller l'estomac.

Si tu veux les sauver Thalion, il va falloir que tu te libères.

Non, arrêtez... Vous ne pouvez pas faire ça... Ce ne sont que des enfants...

Deux filles de démons, elles seront des cataclysmes dans le futur. Tu crois qu'elle mérite de vivre ?

Elles ne méritent pas de mourir...

Ce n'est pas la question que je t'ai posée Thalion !

Je...

Le jeune homme n'arrivait plus à respirer, sa voix n'était plus qu'un murmure. Il allait sombrer dans le coma s'il ne résistait pas encore un peu à la souffrance. Il fallait qu'il se libère et qu'il sauve ces deux petites. Le chef lui donnait la possibilité de libérer ces deux âmes et il n'allait pas refuser.

C'est alors que, pris d'une vigueur nouvelle, Thalion libéra toute la force qui lui restait pour tenter de briser ses chaînes. Elles ne mirent pas longtemps à éclater et Thalion se jeta éperdument sur les Bloodcat qui gardaient en joug les deux petites filles.

Ses coups étaient précis et puissants, comme si toute la douleur qu'il avait endurée avait décuplé ses compétences au combat. Le chef ne s'interposa pas et laissa Thalion mettre à terre quatre Bloodcat, tous plus costauds et grands que lui.

Quand il s'agenouilla devant les jeunes enfants, ce ne fut pas des visages innocents qu'il aperçut mais des yeux révulsés par l'âme d'un démon. Elles n'étaient pas de jeunes filles au début de leur vie mais des monstres tous droits sortis des enfers. Elles se transformèrent en gargouilles aux ailes noires. Leurs dents acérées sortirent de leur large bouche étirée en un sourire mauvais et cruel.

Thalion se dépêcha de tourner les talons pour chercher une arme. Les seules choses qui pouvaient y ressembler étaient les chaînes restées au sol après qu'il se soit libéré. Il les fit tournoyer autour de lui alors que les gargouilles se préparaient déjà à le dévorer.

Les griffes des créatures entamaient le peu de peau qu'il avait encore intacte. Il ne ressentait plus la souffrance mais plutôt une sorte de dégoût envers lui-même pour avoir été aussi crédule. C'est alors que le chef fit apparaître deux magnifiques katanas en fer sombre. Ils étaient pour l'instant hors de sa portée, mais en roulant sur le côté Thalion réussit à s'en emparer.

Les mains sur les manches sertis d'émeraudes, il se sentait plus puissant et à armes égales face aux gargouilles. Il ne mit pas longtemps à les anéantir en leur coupant la tête. Une fois que leur crâne fut détaché de leur corps, les créatures disparurent en poussière.

Thalion respirait fort et il n'eut pas le temps de reprendre son souffle, qu'il entendit un cri strident venir du fond de la salle. Ce fut à cet instant qu'il la vit, elle le regarda les yeux remplis de terreur. Sa belle chevelure rousse tombait sur son épaule en de belles boucles. Son regard céruléen était trempé de larmes. Sa magnifique robe blanche était inondée d'un liquide pourpre. Thalion comprit ce qu'il se passait au moment où il vit la large entaille au niveau de son cou gracile.

Son amour d'enfance était en train de s'éteindre devant ses yeux, massacré par les membres de son propre clan. Il ne pouvait pas prononcer un seul mot. Alors qu'il croyait avoir subi toutes les douleurs qui puissent exister, la souffrance qu'il endurait à la vue de Gaïa se vidant de son sang, était insupportable. Il tomba à genoux, incapable de bouger et poussa un hurlement de rage.

Son chef apparût devant lui, le visage fermé et sévère. Un sourire cruel s'étendait sur son visage :

Tu aurais pu la sauver Thalion.

Vous l'avez tuée !

Non c'est toi. Tu n'as pas pris le temps d'observer ton entourage et les charmes installés autour de toi. Ta compassion et ta faiblesse d'âme ont été focalisées sur ces deux petites filles qui allaient se faire massacrer. En réalité, depuis le début, Gaïa était au fond de cette salle à te regarder souffrir. Un sortilège assez simple a permis de la dissimuler de ton regard aveuglé par tes sentiments.

Pourquoi ?!

Les Bloodcat ne sont pas des bons samaritains et des sauveurs d'âmes en peine Thalion ! Si tu veux prouver que tu vaux quelque chose au sein de notre clan, tu dois défendre le Royaume, le protéger de ses ennemis ! Ce ne sont pas avec les sentiments que tu réussiras à protéger nos mondes de l'invasion de créatures funestes et dangereuses !

Thalion se jeta aux pieds du corps de son amour et la prit dans ses bras. Il la berça doucement en lui chuchotant à l'oreille qu'il était désolé. Il caressa sa chevelure soyeuse et ferma ses beaux yeux bleus qui, encore quelques heures plus tôt, l'avaient regardé avec amour.

Pour la dernière fois de sa vie, Thalion pleura la perte d'un être cher.

Le jeune Bloodcat se réveilla en sursaut, couvert de sueur et tremblant comme une feuille. Il toucha sa joue droite et fut surpris d'y sentir des larmes. Il avait pleuré dans son sommeil. Ce n'était pas bon signe. Cette Lucy menaçait l'équilibre de son esprit, le travail de toute sa vie et la possibilité qu'il puisse sauver le Royaume. Il fallait que cela cesse et vite. 

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