Le lendemain matin, durant le petit-déjeuner, Astal et Earwen tentèrent de me remonter le moral en me racontant tout un tas d'anecdotes, mais je n'avais pas le cœur à rire. Devant mon air morose et peu avenant, elles décidèrent de me laisser seule avec mes pensées sombres et perturbées.

Il allait falloir que je parle avec Circeï. Je voulais obtenir des réponses et cette fois, je refuserais d'être menée en bateau par des phrases stéréotypées et creuses.

Le cours des Combats magiques se déroulait dans la forêt enchantée, celle où je m'étais rendue la nuit dernière. De jour, elle était plus avenante mais perdait de son charme mystique. Cependant, les couleurs étaient encore plus magnifiques à la lumière du soleil et donnaient un spectacle époustouflant.

Je demandai à Astal à côté de moi qui était le professeur aujourd'hui :

_ C'est Thalion. Le Bloodcat. Je ne te l'avais pas déjà dit ?

_ Euh. J'ai dû oublier.

Maintenant je m'en souvenais mais je n'avais aucune envie de me ridiculiser une nouvelle fois devant cet homme. Il était toujours en colère contre moi et je le mettais en rage à chaque occasion qui se présentait. C'était comme si ma simple présence dans ce monde l'agaçait au plus haut point. C'était peut-être d'ailleurs le cas.

Les élèves se réunirent dans la clairière où j'avais rencontré le magnifique loup blanc. Ils étaient tous en train de discuter comme des gens normaux. Je cherchai du regard Estrid mais je me rendis compte qu'elle était absente. J'allai demander à Earwen si elle l'avait vu mais Thalion fit son entrée. La discrétion n'était pas son fort et il apparut devant nous en tombant au milieu de la clairière dans un souffle. C'était comme s'il provenait directement du ciel. Personne ne semblait étonné alors que, pour ma part, j'étais encore sous le choc de ce que je découvrais chaque jour.

Sa voix était sévère et autoritaire :

_ Mettez-vous en place rapidement.

Je ne savais pas où me mettre et je décidai de laisser les autres s'éloigner pour comprendre comment fonctionnait ce cours.

Soudain, Thalion se mit face à moi et me jaugea d'un regard intense.

_ Comme tu n'as pas de partenaire, je serai le tien et tu me serviras d'exemple pour montrer les techniques aux autres binômes.

Fantastique ! Il allait me mettre à terre devant tout le monde. J'avais peur de lui et d'après sa carrure, je n'avais aucune chance de prendre le dessus.

_ Bien, comme vous le savez le « combat magique » est différent du « combat avec éléments ». Il est interdit d'utiliser l'eau, le feu, la terre ou l'air pour anéantir votre ennemi. Il faut que vous utilisiez votre âme intérieure pour porter les coups. Voler, courir, sauter, frapper, voilà les seules actions auxquelles vous aurez le droit.

Voler ? Il était sérieux ? Évidemment je ne voyais pas Thalion plaisanter sur quoi que ce soit mais je n'avais aucune idée de comment on se mettait à voler. Je savais évidemment combattre en utilisant les techniques de différents arts martiaux humains, mais pour les combats magiques, il faudrait repasser.

_ La première technique est assez simple et nous l'avons vu la semaine dernière.

Il me regarda d'un air dédaigneux et un rictus moqueur barra son visage. C'était mieux que son air sévère mais cela me fichait quand même la trouille. Je ne savais pas ce qu'il me réservait mais quelque chose en moi me disait que cela n'allait pas être une partie de plaisir.

_ Commencez par vous placer en position de combat.

Je le suivis dans ses mouvements et plaçai ma jambe droite devant, avec la main du même côté levée en signe de protection. Je refermai mon poing gauche sur le côté de ma taille et je tendis ma jambe arrière pour maintenir un équilibre tout le long de mon corps.

_ Ensuite, basculez votre jambe arrière en direction de la nuque de votre adversaire et finissez par lui infliger un coup de poing au ventre avec votre main gauche. Je veux que vous décomposiez chaque action pour que je puisse observer vos progrès. Chargez votre énergie magique et allez-y quand vous êtes prêts.

J'observai les autres s'exécuter pour savoir comment on pouvait un sens magique à cette technique de combat. J'étais impressionnée par la force de certains. Ils semblaient voler dans les airs et leurs coups étaient d'une puissance inouïe. Beaucoup d'entre eux arrivaient à projeter leur camarade deux mètres plus loin, sans que cela ait l'air de leur coûter le moindre effort.

Je refixai mon regard sur Thalion et l'interrogeait silencieusement en haussant les sourcils. Il savait que je n'en étais pas capable.

Je tentais un maigre assaut avec les techniques humaines que j'utilisais habituellement. Il n'eut aucun de mal à rejeter ma jambe et à me faire une clé de bras, m'immobilisant pour de bon.

Je réessayais mais sans succès et son sourire s'élargissait à mesure que je tentais de le frapper avec d'autres techniques que j'avais apprises au fil des années de formation. J'étais ridicule et je le savais. Maintenant, tous les élèves nous regardaient et je sentis les moqueries s'élever parmi leurs conversations et leurs réflexions. J'étais épuisée et transpirait comme un bœuf.

_ Ça ne sert à rien ! J'abandonne ! Allez vous moquer de quelqu'un d'autre, le spectacle est fini.

Je laissai retomber mes bras le long de mon corps et refusai d'en faire davantage.

Thalion s'avança et se plaça derrière moi. Il disposa ses deux mains de chaque côté de ma taille. Il était beaucoup plus grand que moi mais il se pencha pour me chuchoter à l'oreille :

_ Il faut que tu ressentes toute la force qui est en toi. Ton aura est d'une puissance incomparable et tu pourrais anéantir d'un seul geste n'importe lequel de mes élèves. Il suffit juste que tu crois en toi. Inspire et expire.

Je ne savais pas si c'était ce dont il me parlait mais j'essayais de me souvenir de ce que j'avais ressentis lorsque j'avais touché le museau de ce loup. Je me rappelais la vague de chaleur qui m'avait envahi à cet instant, comme une lueur vive illuminant mon cœur et mon âme. Je sentis mes muscles se contracter et la sensation refit sa place dans mon esprit comme si elle n'avait jamais quitté mon corps et qu'elle était juste tapie dans l'ombre. Je me sentais puissante et quand j'ouvris les yeux, je vis que Thalion me regardait confiant. Il était en garde et semblait attendre que je l'attaque. Alors, quand je sentis que j'étais prête à combattre, j'exécutai la technique de combat qu'il m'avait enseignée quelques minutes plus tôt. Je vis mes mouvements comme au ralenti et ma jambe vint à la rencontre de la nuque de Thalion mais il l'évita rapidement et lorsque je retombai sur le sol, il me porta un coup dans le dos qui me fit mordre la poussière. Quand je me retournai sur le sol sans comprendre, avec une énorme déception qui me vrillait l'estomac, Thalion me tendit sa main. Par pure blessure d'égo je la refusai d'un geste rageur et me relevai toute seule. J'avais été humiliée et je ne supportais pas plus cela à Hidden Worldque dans le monde des humains.

Sans qu'il s'y attende je repartis à l'attaque plus enragée que jamais et bien décidée à lui donner une bonne leçon. Je me surpris à enchaîner les coups les uns derrière les autres avec une faculté déconcertante. Je ne m'étais jamais sentie aussi libre de mes mouvements. La terre bougeait sous nos assauts et à chaque fois que l'un d'entre nous était frappé, c'était comme si un souffle puissant soufflait au sein de la clairière. Thalion n'essayait pas de m'arrêter et semblait prendre plaisir au combat. Mes bras et mes jambes suivaient des mouvements précis et foudroyaient tout ce qui entrait en contact avec eux. Mon cœur battait la chamade et quand je vis à quelle hauteur nous nous déplacions, je pris conscience de la magie que j'avais réussie à développer en si peu de temps. Je pris plus confiance et dans un geste vif, je pris appui sur le sol pour sauter dans les airs et m'accrocher à une branche épaisse. Puis, dans un mouvement rapide, je tournoyai sur moi-même pour donner à ma jambe assez de force pour porter le coup fatal à mon adversaire. Thalion ne le vit pas venir et tomba à terre dans un grand bruit. Avec l'impact puissant de son corps, il avait fait un trou dans le sol.

Quand il se releva avec une faculté déconcertante, il me sourit et pour la première fois depuis que je l'avais rencontré, de la fierté animait son regard d'habitude si froid.