Chapitre 2 - Partie 1

Alors que nous prîmes la direction de la voiture avec l'intention de partir à la découverte d'un restaurant, notre paternel intercepta David et le prit à l'écart, me laissant seule pour poursuivre la traversée du stationnement. Il croyait sans doute que je ne les entendais pas, mais il se mettait le doigt dans l'œil, car c'est un fait mondialement reconnu : les aveugles ont l'ouïe très fine.

— Dis, est-ce que j'ai besoin de m'inquiéter ? interrogea-t-il.

Avait-il remarqué que je n'allais pas bien ? Je redoutais le pire et je n'étais apparemment pas la seule, car David se garda de lui répondre.

— Montre-moi ton « so ».

« Ah non ! Ils ne parlent pas de moi. », me dis-je. Ceci n'expliquait toutefois pas la nature de leur discussion. Un sot comme idiot, un saut dans le sens de sauter, un seau comme un seau d'eau... à moins qu'il fût question d'un sceau ? « Argh. Fichus homophones qui compliquent tout ! »

Vu le début de la phrase, j'éliminai d'emblée le premier choix. J'avais aussi du mal à imaginer mon frère se trimballer avec un seau ou tout autre récipient. Les deux autres possibilités, par contre, pouvaient correspondre au contexte, bien que dans un cas comme dans l'autre, c'eut été étrange. Encore plus lorsque je me les figurais dans ma tête.

Je tendis l'oreille, à l'affût du moindre indice pouvant trahir la nature de ce fameux « so ». C'est là que j'entendis quelqu'un effectuer un mouvement brusque.

— Ne fais pas comme si tu savais comment ça fonctionne, rugit mon grand frère en reculant d'un pas.
— Si quelque chose cloche avec ce truc, dis-le-moi avant que les choses ne dégénèrent.
— Argh ! Lâche-moi un peu la grappe. C'est toi qui a insisté pour nous faire venir ici, je te rappelle.
— Je sais. 

Mon père soupira avant de continuer :

— Dave j'ai besoin de toi. N'oublie pas que c'est toi le deuxième tuteur de Lizy. Plus de petites crises de colère, plus de cachoteries et plus d'expériences dangereuses. C'est clair ? Ta sœur a besoin de quelqu'un de responsable pour l'aider à traverser cette épreuve.
— Tss. Parle pour toi, maugréa David.
— Qu'est-ce que tu as dit ? J'ai pas bien entendu.
— J'ai dit : Parle pour toi, renchérit ce dernier d'un ton acerbe. Depuis ce jour-là, c'est moi qui a été là pour elle. Moi. Et toi, t'étais où ? Hein ? T'es même pas foutu d'être avec nous la moitié du temps. Alors, excuse-moi, mais t'es pas le mieux placé pour parler de responsabilité. 

Je serrai ma canne avec force pour contenir ma déception. « Et nous y revoilà. » Ça ne faisait même pas une journée que nous étions là et ils se crêpaient déjà le chignons, ces deux-là.

Il était temps d'intervenir avant que la situation dégénère.

— Dites, ce serait bien de se mettre en route si on veut arriver avant la fermeture des restaurants ! prétendis-je en jouant l'innocente. Parce que je doute qu'il y en ait d'ouverts après onze heures, par ici !
— Oui, ma chérie ! approuva mon paternel. On arrive !

« Ouais. Ça sent l'orage, et pas juste dans le ciel. » Au moins, j'avais réussi à imposer une trêve temporaire. C'était déjà ça de gagné.

Nous entrâmes dans la voiture. Encore. Cela dit, il n'y avait plus de bagages pour nous gêner et cette fois, nous n'aurions pas à nous taper un trajet interminable avant d'arriver à destination. Enfin, en théorie...

Tous les restaurants étaient fermés, sauf un à l'extérieur de la ville. À la bonne heure ! Nous pourrions manger ! Il y avait toutefois quelque chose qui me chicotait chez mon père.

Il ne semblait pas du tout ravi d'être là.

Toujours est-il que nous pénétrâmes à l'intérieur de l'édifice, fatigués et poisseux de partout dû à la lourdeur de la température. Aussitôt arrivés, nous fûmes reçus par un silence qui s'éternisa. C'était comme si la planète s'était arrêtée de tourner devant les étrangers que nous étions, afin de nous observer d'un œil curieux... ou sceptique. Allez savoir. Puis, au bout d'un certain temps, tous retournèrent à leurs occupations comme si de rien n'était.

Un seul mot pouvait décrire mon ressenti : malaise.

— Bonsoir ! nous accueillit une femme en traversant la salle aussi vite qu'une flèche. Je suis à vous dans quelques instants !

Voilà une halte routière, selon les dires de mon père, qui faisait également office de bar, de station-service et de boutique souvenirs qui exposait fièrement les créations artisanales de la communauté. Le modèle tout équipé, en somme.

Nous nous installâmes à la table la plus près de la sortie. Jeremy gratifia aux locaux des salutations de politesses, histoire de faire savoir que nous venons en paix. Me savoir sous les projecteurs et devenir ainsi l'objet du regard d'autrui déclencha en moi un sentiment d'embarras. J'anticipais le jugement des autres, comme c'était le cas chaque fois que je me trouvais dans un lieu public.

Mon père me dicta le menu et je finis par arrêter mon choix sur le typique hamburger/frites. L'attente se passa plus ou moins dans le silence. Nous étions tous crevés au point d'espérer que cette journée se termine le plus vite possible, mais l'arrivée du repas contribua à réanimer nos sens. Un regain de vie se fit sentir, de quoi recharger un peu nos batteries avant de boucler notre soirée. 

Dormir... Ah. J'avais hâte de dormir. Vous n'avez pas idée.

C'est là que pour la énième fois durant ces derniers mois, je dus me farcir la fameuse question de mon père.

— Bon. Tu es prête ?

Je soupirai. « C'était trop beau pour être vrai. » 

— Argh. Pas ici. S'il te plaît.
— C'est la dernière fois que je te le demande aujourd'hui. Promis.

Je tiquai sur le mot « aujourd'hui », sachant pertinemment de quoi il en retournait. Impuissante, je déposai ma fourchette.

— Et, on ne triche pas, prévint mon père.
— Ah non. Tu abuses, là.
— Tu me remercieras un jour, ma chérie.

Le remercier de quoi ? De me harceler lors de chacune de mes sorties, et ce, depuis maintenant presque six mois ? J'en doutais. 

Comme le voulait la tradition, j'appuyai mes coudes sur la table, puis couvris mon nez et ma bouche avec mes mains. David crut bon de venir à mon secours, en disant :

— Tu ne pourrais pas lui ficher la paix, deux minutes ? Je te rappelle que c'est toi qui voulais l'inscrire à cette école.
— Si je ne peux pas toujours être avec vous, je veux au moins m'assurer qu'elle soit en mesure de se repérer en cas de problème.

« Ce n'est pas comme si je risquais de me faire attaquer dans ce fichu lycée ou de me perdre durant plusieurs jours », pensai-je intérieurement.

— Dis, c'est quand tu veux, soufflai-je, pressée d'en finir avec cette stupide épreuve.

Ma voix qui, sous mes mains, ressemblait à celle d'un canard les ramena à l'ordre. Enfin ! Non, mais... c'est que ma bouffe allait refroidir.

— Oui, oui. Désolé, fit mon père, qui s'accorda un petit moment de réflexion avant de commencer.
— Dis-moi combien il y a d'employés.

Une requête tout ce qu'il y avait de plus banale. Je tendis les oreilles, à l'affût du moindre indice, tandis que David et Jeremy ne soufflaient mot, pas plus qu'ils ne bougeaient.

J'entendis quelqu'un faire aller ses doigts sur une caisse enregistreuse, avec, comme bruit de fond, une spatule qui grattait une plaque chauffante et de la nourriture qui grésillait. En voilà donc deux. Le troisième, je ne l'entendais pas spécifiquement, mais je me souvins de la serveuse qui nous avait accueillis à notre arrivée.

— Un cuisinier, un caissier et une serveuse.
— En es-tu certaine ?
— À quatre-vingts pour cent, je dirais, répondis-je avant de me redresser et de retirer mes mains de mon visage.
— D'accord.

Bingo !

— Combien de clients ? renchérit mon paternel. Et je veux que tu me donnes tous les détails.

Cette question aurait pu être difficile à répondre, mais for heureusement, j'avais un atout dans ma manche. De plus, comme je redoutais toujours de subir les conséquences de sa paranoïa, je ne courais pas de risque et j'avais pris l'habitude de noter mentalement tous les détails susceptibles de l'intéresser dès que j'entrais quelque part.

— En nous comptant, je dirais... huit ou neuf.
— Vas-y.
— S'il te plaît ! Tu m'as promis de ne plus m'embêter !
— Finis le test, avant.
— Avec mon flair ou pas ?
— Tu peux le faire avec.

Un autre soupir, puis je m'exécutai. Je reniflai un bon coup. Enfin, pas comme une folle à lier, mais juste assez pour bien sentir les énergies autour de moi. Quand je détectai mes premières cibles, je pointai en toute discriétion vers ma gauche. 

— Un couple là-bas. L'un d'eux est amoureux et le second a des regrets. Sûrement qu'il s'ennuie et qu'il a hâte de terminer leur rendez-vous.

L'aura de mon père changea pour prendre un goût sucré. Du sucré doux sur la langue, qui me valut un soulagement. Le coin de mes lèvres se courba vers le haut. « Un point. » Une autre inspiration. Cette fois, je remuai la langue dans ma bouche afin de décrypter les effluves avec plus de précision.

— Dans la même direction, il y a une autre personne, mais elle semble se trouver plus loin, parce que j'ai un peu plus de mal à la sentir. Je crois qu'elle est dégoutée, ce qui indique qu'elle n'est probablement pas satisfaite de son repas.

Comme prédit, un homme appela la serveuse pour lui faire part de son mécontentement au sujet de la garniture de son club sandwich. Selon ses dires, le cuisinier se serait trompé dans sa commande. L'employée s'excusa et lui promit de lui rapporter un autre plat pour se faire pardonner.

— Bien, acquiesça mon père.
— Aussi, il y a deux personnes assises au comptoir, poursuivis-je après avoir senti un mince engourdissement sur ma langue. Ils boivent de l'alcool.
— Exact...

« Plus qu'un et le tour est joué. » Je me concentrai à nouveau, sondant la place comme un radar qui se met à tinter dès qu'il détecte quelque chose dans son champ de vision. Sauf que cette fois, le radar n'était nul autre que mon nez. 

Si je me concentrais, j'arrivais à détecter toutes les essences auriques des gens présents autour de nous grâce à ce dernier.

C'était un peu difficile à expliquer. C'était comme si j'étais capable de me créer une carte mentale de la salle, avec des pions imaginaires positionnés aux endroits où les clients se trouvaient. En fonction de l'intensité des saveurs que je percevais, je savais si un client était plus près d'un autre de moi et j'étais capable de savoir où ils se situaient par rapport à ma propre position. S'il venait de la gauche ou de la droite, par exemple.

Mais, tout cela était approximatif et ne prenait pas en compte les objets et les obstacles qui me séparaient d'eux. 

Par contre, si je n'étais pas trop sollicitée, j'arrivais à faire le tri lorsque les saveurs se posaient naturellement sur ma langue et je pouvais ainsi décrypter leurs émotions en fonction de ces dernières. Le problème ? La focalisation de mes sens était telle que j'en oubliais presque l'endroit où je me situais, de même que les mouvements autour de moi. Le décor s'effaçait en emportant les autres clients du restaurant dans le brouillard par la même occasion.

Là, j'étais assise. Il n'y avait donc pas de danger. Mais, utiliser mon pouvoir en marchant ou en faisant autre chose, c'était une tout autre paire de manches.

— Alors ? s'impatienta Jeremy.
— Minute. Je crois que je l'ai trouvé.

Roh. Celui-là était compliqué.

Il me semblait l'avoir senti... peut-être là ou là. Le dernier client me donnait du fil à retordre. Mon radar interne ne le détectait plus, mais sachant qu'aucun individu n'avait fait sonner la cloche de la porte d'entrée, il devait être encore dans le restaurant.

— Le huitième est parti à la toilette, déduis-je simplement.
— Impressionnant, dit une voix provenant d'au-dessus de mon épaule.

Je me raidis de stupeur. Depuis quand était-il arrivé, celui-là ? Ce qui me surprit le plus était de ne l'avoir ni entendu ni senti s'approcher de nous.

— Ah... Eddie !

Eddie ? Oncle Eddie ? 

Que pensez-vous du premier pouvoir de Leeze ?

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