Chapitre 1 - Partie 1

Le Guide Du Sorcier, Article 1

Trois pour cent de la population portent le gène d'une ou plusieurs souches magiques ; Médium, Élémentaire, Psychique ou Surhumain, qui sont elles-mêmes divisées en plusieurs catégories.

Leeze
Canada, 10 Ans Plus Tard

Vingt-deux. Voilà le nombre d'heures passées dans la voiture, incluant les pauses pipi et les arrêts pour se dégourdir et se ravitailler en nourriture. Bref, une éternité. 

J'étais assise sur la banquette arrière, coincée entre la portière et la pile de bagages, tandis que mon frère aîné siégeait à côté du conducteur, notre père Jeremy. Fait étonnant : ils ne s'étaient pas encore chamaillés, ces deux-là. Vingt-deux heures sans prise de bec, ce devait être un record. 

Mais pour arriver à un tel exploit, s'ignorer l'un l'autre était de mise. Ô, ils se gratifiaient bien sûr de brefs intermèdes selon les exigences du moment. Par exemple, lorsque le GPS faisait des siennes et que l'aide d'un copilote devenait essentielle ou lorsque l'un d'entre eux avait besoin de quelque chose. Cela ne durait toutefois pas longtemps. Une fois que le nécessaire était dit, leur mutisme contraignant revenait en force.

De mon côté, je me sentais prise entre les deux et puisque mon rôle de médiatrice ne servait visiblement à rien, j'avais dû me résigner et accepter le fait que le trajet se déroulerait en silence. C'est pourquoi je passai la moitié du voyage à dormir, histoire de me distraire avec le peu de ressources dont je disposais. Durant la seconde partie, c'est la musique qui devint ma meilleure amie, mais au bout d'un moment, je me suis lassée de repasser les mêmes pièces de mon répertoire. J'avais besoin de m'occuper l'esprit.

Un petit pshiiit retentit alors que je me débattais pour sortir mon ordinateur portable de mon sac.

— Tu as soif ?
— Minute.

Quelques acrobaties miraculeuses supplémentaires et une fois assise aussi confortablement que possible, je tendis le bras pour quérir la canette que mon père voulait me prêter. Je me permis uniquement une gorgée, toute petite, afin de ne pas me retrouver avec un autre appel de la nature qui retarderait une fois de plus notre itinéraire. 

Après une si longue route, n'importe qui aurait eu hâte d'arriver.

Sur ce, je voulus reprendre mes occupations là où je les avais laissées. Hélas, mes mains restèrent figées sur le clavier de mon ordinateur portable. Je me grattai la tête sous mes écouteurs, puis tressautais du doigt, cherchant l'inspiration susceptible de me sortir du syndrome de la page blanche.

Pourquoi hésitai-je ? Une lettre par jour, ce n'était pas la mer à boire. « N'oublie pas que tu as promis de le faire », pensai-je afin de me motiver. 

Mon psy, rectification : ex-psychologue, avait tenu à ce que cette démarche cruciale soit incluse dans la dernière étape de ma réhabilitation sociale. Comme c'était le seul moyen de me débarrasser de mon statut de patiente, j'avais accepté de me soumettre à cette volonté fort ennuyante. 

En même temps, pourquoi je me donnais autant de soucis ? C'était pas comme si j'avais encore des comptes à lui rendre. J'étais libre de faire ce que je voulais, désormais.

La liberté. Aïe. Ça faisait longtemps que je n'y avais pas goûté et je ne savais pas trop comment l'appréhender. D'un autre côté, je n'avais rien de plus intéressant à faire. Alors, autant me botter les fesses et m'appliquer.

La voiture traversa un nid de poule, nous faisant cahoter violemment dans son sillage. Sitôt après, une boîte glissa sur mon épaule.

— Merde !
— Besoin d'aide ? m'interrogea mon paternel.

Je sentais déjà l'automobile ralentir. Je secouai la tête en lâchant un mmh pour lui signifier que tout allait bien. 

Peu importe si j'étais limitée dans l'espace et si je devais me tordre dans tous les sens pour récupérer les babioles éparpillées autour de moi, il était hors de question que nous nous arrêtions en raison d'un incident aussi futile !

Je heurtai le bras de mon frère, David, qui voulut m'aider dans cette tâche fastidieuse. Tentatives réussies. La boîte retourna en haut de la pile avec tout son contenu, et le véhicule reprit son rythme normal.

Restait plus qu'à se mettre au travail, maintenant. Je fis craquer mes doigts et laissai les premiers mots s'imposer d'eux-mêmes.

« Bon après-midi, maman.

Tu vas bien ? Ça fait un bail que nous n'avons pas parlé, toutes les deux. », commençai-je à écrire ma lettre.

J'eus un moment d'hésitation. Était-ce correct de débuter de cette manière ? Sinon, comment ? Ah, puis zut. On s'en fichait. Personne n'allait lire cette fichue lettre, de toute façon. Ainsi donc, je continuai sur ma lancée.

« Pour tout te dire, je me sens perdue depuis notre départ. C'est la première fois que j'affronte officiellement le monde extérieur depuis... Enfin, tu sais. Mais, je ne regrette pas de quitter Toronto. Loin de là. J'espère d'ailleurs que tu ne nous en veux pas d'être partis de l'endroit où nous avons grandis, David et moi. Nous devions repartir à zéro. »

Tandis que l'orateur automatique me dictait les derniers mots tapés, je sentis une boule d'émotions me monter à la gorge et mes yeux se remplir d'eau. 

J'ouvris la fenêtre à l'aide du petit bouton électrique que je trouvai après avoir tâtonné la portière. Dès lors, le vent pénétra dans l'habitacle et fit battre ma tignasse brune, presque noire, au gré de ses gambades. Fidèle à lui-même, il emporta aussi un concert olfactif aux combinaisons de fleurs, de céréales et d'herbe fraîchement fauchée qui m'enveloppa de son délicat manteau. 

Voilà qui contrastait avec les odeurs de pollution, de gaz d'échappement des voitures, de goudron chauffé ou d'ordures en pleine décomposition !

Je pris une grande inspiration et fermai les yeux. Des champs et des prairies se succédaient sans doute autour du véhicule. Je me trouvais bien loin de la vie urbaine, désormais ; là où mes sens étaient sollicités au maximum, allant même jusqu'à me rendre folle lorsque je mettais le pied dehors.

Je sortis ensuite une main dehors, comme pour m'imprégner davantage de l'atmosphère. Un vol plané dans le courant s'ensuivit. Ma main montait et descendait telle une valse dansée au rythme du vent. La chaleur du soleil qui caressait ma peau me dévoilait une journée ensoleillée, mais l'humidité de plus en plus étouffante prédisait de la pluie pour bientôt, peut-être même un orage, compte tenu de la lourdeur qui se pressait sur moi.

Pour l'heure, le temps était magnifique. Enfin, il semblait magnifique. Et c'était ce qui importait. Tout était si beau, si calme. En tout cas, dans ma tête, ce l'était. Je laissai mon imagination vagabonder et embellir la scène comme si j'étais la maîtresse de mon propre univers, de mon propre conte de fées.

Cela aurait été cependant plus agréable de pouvoir en voir davantage, d'outrepasser les limites qui me clouaient dans ma propre créativité. Oui. Beaucoup plus agréable.

« Les Normaux croient qu'un récit aussi étrange ne peut pas exister dans une réalité comme la nôtre. Rassure-moi. Les choses que nous avons faites ne découlent pas de notre imagination. La sorcellerie existe vraiment, n'est-ce pas ? continuai-je ma lettre.

D'une part, j'aime croire que nous ne sommes pas fous. J'aime croire que la magie est là, partout autour de nous, qu'il y a un monde dont nous sommes les seuls à percevoir les rouages. Même si ce monde demeure dangereux et effrayant. Ça me convainc que notre vie n'est pas une comédie.

Mais... D'autre part, j'aimerais que tout ceci soit un cauchemar inventé par un esprit malade. J'aimerais ne pas être l'une de ces créatures qui hantent les contes de notre enfance. Tu sais, les sorcières ? Ces choses que les gens trouvent laides et démoniaques ? »

L'inexorable moment finit par arriver ; une larme coula. Voilà la preuve de ma détresse intérieure qui ne voulait pas partir, même après cette pause bien méritée, même après m'être abandonnée à la rêverie pour feindre la réalité. D'un geste furtif du bras, j'essuyai aussitôt ma joue humide, puis je me remis à l'ouvrage.

« Enfin bref, concentrons-nous sur le moment présent, veux-tu ? Pour l'heure, c'est la meilleure chose à faire. »

La voix du chauffeur s'éleva à nouveau, rompant ainsi le silence tranchant des démons intérieurs qui nous rongeaient tous à notre manière.

— Jensfield.

Je crus entendre un soupir s'échapper de la bouche de mon frère aîné. Je me libérai de mes écouteurs afin de mieux entendre mes interlocuteurs, mais comme personne n'ajouta quoi que ce soit, je dus prendre les devants :

— Comment est-ce ?
— C'est fan-tas-tique, lança mon frère avec une pointe de sarcasme bien aiguisée.
— David. Je t'en prie, le sermonna notre père.

Plus aucun mot de la part du frangin. Sa frustration portait un goût désagréable. Mais, malgré le fait qu'il fût aisé pour n'importe qui de deviner sa colère, même pour un Normal ou un Sans-Pouvoir, par exemple, mon père préférait ne pas en ajouter davantage.

— Nous sommes sur la rue principale, nous informa ce dernier. Je crois que c'est la seule rue commerçante de la ville. Si mes souvenirs sont bons, on devra traverser huit ou neuf feux de signalisation avant d'arriver dans les quartiers du sud.

La voiture s'arrêta, puis repartit un peu moins d'une minute plus tard. « Numéro un », pensai-je en essayant de me situer dans ma tête. Nous continuâmes ensuite notre route sans dire un traître mot. Moi, en replongeant dans mes écrits et les deux autres en observant sûrement la vue qui s'offrait à eux.

Huit feux et deux ou trois intersections plus tard, mon père coupa le moteur.

— Nous y sommes. 

Sur ces mots, je quittai mon ouvrage et recommençai mes acrobaties pour ranger mes affaires. David, quant à lui, ne perdit pas de temps. Il se détacha, puis débarqua aussitôt du véhicule. La porte claqua violemment, m'arrachant un sursaut du même coup.

Que lui prenait-il, encore ?

Je l'entendis s'éloigner d'un pas lourd. Il avait probablement décidé de partir à la découverte du quartier. Pour ma part, avant de m'extirper à mon tour de la voiture, je me mis en quête de mon bien le plus précieux.

— Où est ma canne, déjà ? demandai-je.
— Attends. Je vais aller la chercher.

Mon père termina d'étirer ses muscles ankylosés tout en poussant un gémissement soulagé. Le bruit de ses pas firent le tour de l'automobile, puis je le sentis s'allonger derrière moi. Ma canne était sûrement coincée entre deux boîtes de carton, car il dut tirer un bon coup afin de la déloger de sa cachette.

Il me la refila et je pus enfin mettre le pied à terre. L'anxiété que j'éprouvais à ce moment-là pouvait se résumer à un leitmotiv ressemblant à : « Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité. »

« Pourquoi avoir choisi de déménager dans cette ville pittoresque, perdue dans les confins du Manitoba ? C'est simple. Le lycée de Jensfield a établi un programme pour les malvoyants sévères et les non-voyants.

Papa a jugé que c'était la bonne chose à faire pour moi.

En mêlant les jeunes de notre condition avec les élèves ordinaires, l'école permet aux jeunes souffrant de cécité partielle ou complète de vivre au sein de la société dite « normale » tout en leur offrant les outils nécessaires pour accéder aux études supérieures. Un jour, peut-être, si nous avons vraiment de la chance, nous pourrons trouver un emploi décent et vivre une vie ordinaire. Enfin, presque.

Alors, voilà. Bien que je ne puisse plus vivre de grandes aventures en raison de mon handicap, je suis comme le personnage d'un roman qui doit se trouver de nouveaux repères pour s'orienter. Et comme lui, je dois puiser en moi pour trouver le courage d'affronter tous les obstacles qui se présenteront sur ma route. »

Voilà ce qui conclut la première partie du Chapitre 1 😃

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