Chapitre II

-Je suppose que tu te demandes comment j'ai fait pour connaître ton prénom. Eh bien, sache que ton carnet était sur la rambarde.

-Je vois. Ça veut dire que je vais devoir m'en acheter un nouveau...

Ça fait maintenant presque deux semaines que j'ai repris conscience. Je quitterai ma chambre dans deux jours. Je me sens beaucoup mieux et je peux bouger librement sans prendre le risque de craquer mes os.

J'ai hâte de retrouver ma chambre. Le blanc de l'hôpital me donne envie de vomir. Ils ne peuvent pas peindre les murs en gris ?

Mes parents m'ont rendu visite. Maman était plutôt inquiète, papa s'en fichait un peu, mais ça ne m'a pas dérangée. Je n'y avait pas vraiment prêté attention, et j'avais ignoré la majorité des longues tirades de ma mère.

Plusieurs amis de Xavier sont venus. J'ai appris qu'ils jouaient tous au foot, un sport plutôt lassant selon moi. En plus, je les avaient déjà vus à la télévision lors d'un FFI. Je n'avais rien à faire ce jour-là.

Aretha venait presque tous les jours après le lycée pour me donner les cours et les devoirs. C'est bien gentil à elle de faire 47 km tous les soirs à vélo pour de la paperasse...

Un jeune stagiaire me coupe dans mes pensées.

-C'est votre déjeuner, mademoiselle Grown.

-Merci.

Xavier n'arrêtait pas de se plaindre sur la nourriture infecte de l'hôpital.
Moi, ça ne me dérange pas, tant que j'ai à manger.
Il y a une chose que je n'aime pas: que l'on m'appelle mademoiselle Grown.

Ce n'est pas que je n'aime pas la famille Grown (quoique si, en réfléchissant bien), mais j' ai toujours cette impression de ne pas être à ma place, surtout quand ma grand-mère paternelle me toise de haut en bas chaque fois qu'elle me voit.
Exactement cette même impression quand je me pose des questions existentielles sur la vie, comme si mon cerveau me disait que je n'étais pas à ma place parmi les vivants.
Je suis Ophélie Grown, la dépressive étrange, la suicidaire dangereuse, celle qui a été vendue pour devenir la fille de Tom et Zoé, la myope isolée. Pourquoi devrai-je vivre parmi ces vivants qui ont fait de moi cette fille repoussante ?

Il faut que j'arrête. La psychologue me gronde toujours sur ce point : mes pensées dépressives...
Je ne trouve pas ça dépressif du tout. C'est mes questions existentielles, qui me permettent d'avancer.

-Ophélie ?

Aretha vient d'arriver et en toute sincérité, je ne suis pas d'humeur à discuter.

-Rhooo... Toujours en train de rêver, cette fille ! grogne ma camarade de classe.

-Elle doit avoir une imagination débordante !

Xavier...
Je ne sais pas pourquoi, ce garçon m'intrigue vraiment, au point de me tourmenter durant mes nuits. Je ne dit pas qu'il est étrange, au contraire ! C'est peut-être l'une des rares personnes à me comprendre.

-Bonjour.

-Ah ! Elle nous parle enfin ! Tu sais que tu pars demain ?

-Oui, je sais Aretha...

-Tes parents ne pourront pas te chercher et moi non plus, désolé !

Le gouvernement devrait penser à placer des hôpitaux à la campagne. En toute sincérité, 47 km à pied, ça ne m'inspire pas...

-C'est pas grave Aretha, je trouverai une solution.

Elle semble réfléchir.
Je viens juste se remarquer qu'elle porte un T-shirt jaune canaris. Argh, mes pauvres yeux de myope n'avaient rien demandé...

-Bon. J'imagine que tu n'as aucuns amis qui pourrait te chercher...

-Depuis quand est-ce que j'ai des amis moi ?

-Il n'y a pas de gare dans notre village... L'arrêt de bus est trop éloigné... Mes amis ont peur de toi... Je ne trouve aucune solution...
-Pas grave Aretha... Je me débrouil~

Le visage de ma voisine de classe s'illumine.

-JE SAIS ! J'ai une cousine sympa qui vit ici ! Elle s'appelle Mélaine ! Tu pourrais loger chez elle ce week-end !

Bof. Ça serait trop facile, mais pourquoi pas ?
Dans le pire des cas, je pourrais traîner avec Xavier, la seule personne avec qui j'ai réussi à sociabiliser...

-Tant que les murs de chez elle ne sont pas roses, ça me va.

Xavier éclate de rire. Qu'est-ce qu'il y a de drôle ? Le rose, c'est affreux.

-Tu parles bien de Mélaine O'Malley ? demande-t-il.

-Oui, tu la connais ?

-Bien sûr ! Elle est dans le même collège que moi, dans la 3e C je crois.

Xavier est en 3ème. Je vois, il doit avoir 14 ans. Pourtant il fait plus.

Aretha passe un coup de fil à sa tante, Mme O'Malley pendant que j'appelle mes parents.

"Allô ?
"Maman, quand est-ce que vous pourrez me chercher ?
"Ophélie ? Comment vas-tu ? Tu as mangé ? Ta nuque ne te fais plus mal ? Aretha est passée ?
"Oui, oui, justement... Du coup, tu réponds à ma question ?
"Eh bien... Je suis désolée chérie, mais ce soir ton père est moi sont invités à une réception... Nous dormirons tout le week-end chez des amis...
"C'est pas grave maman. Aretha m'a proposé de dormir chez sa cousine. Elle vit à côté de l'hôpital.
"...
Je ne sais pas Ophélie... Je vais en parler à ton père.

Elle marque une pause.

"Je suis contente que tu t'entende bien avec Aretha Franklins, c'est une gentille fille.
"Je sais.

Sans lui laisser le temps d'ajouter un commentaire, je lui dit au revoie et raccroche.

-Alors ? me demande Aretha, La mère de Mélaine est d'accord, mais elle aimerait d'abord en discuter avec tes parents. Ça serait possible ?

-Bien sûr, ma mère va en parler avec mon père.

-Génial ! Bon, je dois acheter quelques trucs, je reviens tout à l'heure !

Aretha quitte ma chambre d'hôpital, me laissant seule avec Xavier.
Je délaisse mon lit pour la chaise près de la fenêtre. Même si le paysage est horriblement moche, je préfère ça à la blancheur des hôpitaux.

-J'espère que tu pourras passer le week-end à Inazuma, murmure Xavier en s'installant à côté de moi.

Je ne répond pas, ne sachant que dire. Ça ne me dérange pas de loger chez une inconnue, du moment que j'aie un toit et à manger. Je sais que je dis souvent cette phrase, mais c'est un peu ma raison de vivre:
Contentes-toi de l'essentiel, car rien est extraordinaire dans ce monde.

-Tu sais où est allée Aretha ? demandai-je.

-Elle avait parlé d'acheter du vernis tout à l'heure.

Du vernis. Je ne vois pas à quoi ça sert.
Pourquoi se peindre les ongles ? Le résultat est tellement laid !

-J'ai l'impression que tu vas mieux, remarque Xavier.

-Bien sûr, je vais quitter l'hôpital demain.

-Je parlais de ton mental. On dirait que tu te sens mieux, tu parais moins chamboulée.

-Parce que j'étais chamboulée ?

-Bien sûr ! Tu semblais perdue sur le pont.

C'est faux. J'étais déterminée à mourir, jusqu'à son arrivée.

...

Mais si j'y réfléchis bien, il a un peu raison. Une toute partie de mon esprit voulait qu'une personne comme lui se manifeste pour m'empêcher de sauter.

-Tu as peut-être raison.

-Tu as de la chance d'avoir une amie comme Aretha, murmure-t-il.

Son souffle est chaud. Je le sens contre ma nuque, et je déteste la chaleur. Pourtant, je ne bronche pas.

-Je ne sais pas si je dois la considérer comme une amie. Je ne veux pas d'amis.

-Malheureusement, tu ne peux pas l'ignorer, Aretha est ton amie et elle est chère à tes yeux.

Décidément, Xavier est vraiment un garçon remarquable. Je le vois bien psychologue.
Le pire, c'est qu'il a raison. Je ne peux l'ignorer, j'apprécie Aretha. J'apprécie.
C'est vraiment une première...

-Toi aussi Xavier. Toi aussi, tu es mon ami.

Il rosit légèrement.

***~***

-Bienvenue chez nous, Ophélie ! me lance une femme d'une quarantaine d' années.

Madame O'Malley sûrement.
Mélaine se tient juste derrière sa mère, le sourire aux lèvres.

-Salut ! Viens, je vais te montrer ta chambre !

On passe rapidement devant le salon. Les murs sont peints en gris, ça me convient parfaitement.

Nous passons à l'étage. Les escaliers sont blancs. Tout va bien, ce ne sont que les escaliers.

-Tu vas dormir dans la chambre de ma soeur, Amy. Elle étudie à Tokyo, tu ne la rencontreras sûrement pas. Tu as des affaires ?

-Oui.

Elle me laisse m'installer.
La maison est simple. Une salle de bain, trois chambres, une table dans la cuisine ouverte sur le salon et un petit cagibi.
La chambre d'Amy (petit jeu de mot) est plus petite que la mienne, mais elle est plus chaleureuse. Sûrement les murs jaune moutarde qui font cet effet.
Je n'aime pas trop cette couleur, mais avec les meubles gris foncés, l'ensemble rend assez bien. J'ai un petit faible sur tout ce qui est design, je l'avoue.

Je pose mes affaires dans un coins de la pièce puis je descends au rez-de-chausser.

-Merci beaucoup, madame, de m'accueillir chez vous ce week-end.

-Mais de rien Ophélie ! Tout le plaisir est pour moi ! Mel t'as fait visiter la maison ?

J'hoche la tête. "Mel" est sûrement le diminutif de Mélaine.

Madame O'Malley me propose des Granola que je refuse poliment. Je n'ai pas faim et je n'aime pas le chocolat.

Je finis par sortir en ville pour retrouver Xavier et Aretha, accompagnée de Mélaine.

-Je t'en prie ! Appelle-moi Mel ! insiste la cousine de mon "amie".

-Mouais...

Nous nous retrouvons au centre-ville. Xavier est venu avec un de ses amis. Jordan si je m'en souviens bien.

-Bonjour tout le monde ! Salut Jordan ! lance Mélaine d'une voix joviale.

-Tu connais Jordan ? chuchotais-je à ma colocataire.

-Oui, nous sommes dans la même classe, dans le collège Raimon !

Ah, ce légendaire collège Raimon et son équipe de foot que j'ai vue à la télé...

Nous nous rendons dans une boutique de yaourts glacés. C'est comme ça que j'ai appris que Jordan aime beaucoup manger, surtout les yaourts glacés (à cause de son ex, une certaine Yessica).

Je n'aime pas ce genre de choses. C'est beaucoup trop froid, je préfère le thé sans sucre.
C'est seulement par pure politesse et parce que Mélaine m'a payée que je termine mon pot à contre-coeur.

-Sinon, Ophélie, tu as quel âge ? m'interroge Mélaine.

-Comme Aretha, j'ai 16 ans.

Elle pouffe de rire. Qu'est-ce que j'ai dit encore ?

-Euh... Ophélie, j'ai 15 ans, corrige mon amie brune, J'ai sauté une classe.

Je ne savais pas.
Voilà qui change bien des choses ! C'est pour ça qu'Aretha passe la plupart de son temps avec des élèves de seconde !

-Et qu'est-ce que tu aimes faire dans la vie ? continue Mélaine.

-Rien.

-Rien ? Vraiment rien ?

Aretha lui fait signe d'arrêter. Est-ce qu'elle sait qu'elle n'est pas discrète ?

-Non, je ne fais rien dans ma vie.

-Ah, je vois.

Je sais que Mélaine veut en savoir plus, mais Aretha lui a donné un coup de pied sous la table.
Autant lui donner des réponses non ?

-Avant d'aller à l'hôpital, j'ai tenté de me suicider parce que je n'ai rien à faire ici, lançais-je tout simplement.

-Ah, désolée alors, murmure O'Malley.


Jordan semble s'étouffer avec sa petite cuillère. Il a l'air particulièrement gêné à cause de ma tirade.

-Est-ce que ça va Jordan ?

-Oui, bien sûr ! Pourquoi ?

-Pour rien.

Et puis, pourquoi devrai-je m'en soucier ? Je le connais à peine.

-Est-ce qu'on pourra parler après ? me chuchote Xavier alors que Mélaine et Jordan faisaient un boucan pas possible en débatant sur le meilleur goût de yaourt glacé.
-Oui, si tu veux.

Après nous être excusés, nous sortons dehors sous le regard méfiant d'Aretha.


-C'est en rapport avec Jordan ? demandai-je une fois dehors.

-En quelques sortes...

J'hoche la tête pour l'inviter à continuer.

-Je voulais t'en parler il y a bien longtemps...

-Oui ?

-Il faut que tu répondes sincèrement à ma question.

-Très bien. C'est promis.

Il hésite légèrement. Ça m'agace.

-Mmh... Si je décidai de me suicider, tu m'encouragerai dans cette voie ?

Je cligne des yeux quelques secondes avant de nettoyer mes lunettes, petit tique qui m'arrive quand je suis étonnée.

-Eh bien... Tout dépend de la cause...

-Je sais. Les autres m'ont toujours dissuadé d'entreprendre toutes tentatives. Mais j'ai mes raisons. Tu es la seule à pouvoir comprendre !

-Effectivement, je comprends.

Un petit silence passe.

Sans vouloir passer pour une égoïste, je n'aimerais pas que Xavier meure alors qu'il aurait été mon premier ami.
Il est peut-être le seul obstacle entre moi et la mort.
Même Aretha est moins importante que lui, on se ressemble trop.
Et puis, c'est quand même la personne qui m'a empêchée de mourir qui me demande une chose pareille !

Malheureusement pour moi, il semble déterminé. Enfin presque.

-Écoutes Xavier. Si tu meurs, je meurs aussi.

-Tu... Vraiment ?

-Oui.

-Mais Ophélie, tu ne peux pas mourir juste pour suivre une personne !

-Pourquoi pas ? Si tu meurs, rien ne me retiendra ici.

-C'est ridicule ! Tu sais, je suis sérieux, j'ai de bonnes raisons ! Et puis comment ça "Rien ne me retiendra ici"?

-Mmh... On va dire que tu es ma seule raison de vivre ? Tu es la seule personne à me comprendre ! Ça ne m'est jamais arrivé depuis mes 6 ans et demi ! Exactement, tu es ma raison de vivre !

-Mais je... Attend... Quoi ?

Génial, il se met à rougir maintenant. Ce que j'ai dit n'a rien de romantique, c'est du sérieux !

Tu... Es... Ma... Raison... De... Vivre !? Mais attendez... Qu'est-ce que j'ai dit !?

-Qu'est-ce que tu... Ophélie ? Est-ce que ça va ? Où est-ce que tu vas ? Ophélie !?

Trop tard. Je suis déjà en train de vomir aux toilettes en regrettant toutes mes paroles.

€€€€€€€€€€€€

Hiiii, guys !

Comment ça va ?

Et oui ! C'est bien la suite que vous avez là ! À vrai dire, vous m'avez fait tellement de compliments lors du chapitre précédent que je n'arrêtais pas de stresser à l'idée que ce chapitre ne soit pas à la hauteur... ^^'

Avant tout, je tiens à préciser que Xavier et Ophélie se connaissent depuis, quand même, assez longtemps (plus de trois mois !) alors je me suis autorisée à ajouter un peu de sentiments dans ce couple de dépressifs. #TuEsMaRaisonDeVivre bien niais par exemple ! (oui, je sais qu'il faut y aller progressivement mais quand même : 3 mois et demi, c'est bon !)

Mais bon, j'en suis un peu satisfaite :)

Drôle de fin n'est-ce pas ?

J'ai mis une image de Mélaine et Aretha sur le média.
Mélaine est la fille aux cheveux courts châtains.

Dans cette histoire, j'ai utilisé les niveaux français pour le lycée.
Xavier est en 3e et Ophélie en 1ère.

Bon, j'ai fais le tour !

Kiss, kiss
Une valise

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