J'aimerais vous parler de... Robert Desnos

À la grande famille des gens que j'admire vient se rajouter mon nouveau bien-aimé, poète surréaliste, et amoureux de la vie : Robert Desnos

Robert Desnos, c'est drôle car ce nom, je le connais depuis très longtemps. En effet, c'est en primaire que j'en ai entendu parler, devant apprendre des poésies telles que Le Pélican (Le capitaine Jonathan, étant âgé de dix-huit ans capture un jour un pélican sur une île d'extrême orient bla bla bla) ou encore Les Hiboux (alias la poésie qui recense tous les mots de la langue française avec un pluriel en -x : genoux, hiboux, choux...) Ce qui est très curieux c'est que ce nom, Robert Desnos (Dessnoss) m'a marquée puisque si vous m'aviez demandé il y a un mois de vous citer un seul poète dont j'avais appris les poésies en primaire, c'est probablement ce nom que j'aurais répondu, peut-être même du tac au tac.

Mais ce qu'il y a d'incroyable avec la primaire, ou bien peut-être cela est simplement lié à la condition de l'enfance, c'est que nous apprenons des noms qui n'ont pas de visage. Picasso, Charlemagne, Maurice Carême, et j'en passe... Que d'artistes réduits à leur simple appellation. On ne se rend pas compte de la personne qui s'y cache derrière .

Et cette personne, je l'ai découverte récemment. Je lis en ce moment Les manifestes du surréalisme d'André Breton (CETTE PERSONNE M'AGACE AU PASSAGE il est ultra sélectif et super dictateur dans le cercle des surréalistes, Nini et moi on peut pas le saquer 😂 mais bon son manifeste est quand même pas mal) je disais donc, je lis Les manifestes du surréalisme, qui sont en fait une sorte de déclaration d'existence de ce mouvement, c'est un peu spécial et ça a un côté un peu superficiel d'ailleurs quand t'y penses, bref, et donc à plusieurs reprises je vois apparaître le nom de Robert Desnos. Alors j'active les données mobile de mon portable (j'étais au lycée) et je recherche sur Google "robert desnos dessin romeo et juliette" car le livre parlait de ce dessin qui aurait été fait sous hypnose, il me semble (de faux dessins de fou, brrrr)

Et à ce moment là je tombe sur cette photo :

Comment vous dire que ça a été le coup de foudre ?


Ce visage. Ces yeux qu'on croirait en communication avec l'au-delà. Ces cernes presque noirs. Et cette expression doucement nonchalante. Ah clairement, ce portrait me fait triper.

Alors le vendredi soir (la scène précédente s'était passé un mercredi matin) je me rends sur le Wikipedia de Robert Desnos. Et son Wikipedia est juste génial ! Je veux dire, et c'est là que tu te rends compte que les articles Wikipedia sont des articles uniques écrits particulièrement par une personne, car il est super bien écrit ! Tu as des métaphores, des euphémismes, des expressions à prendre au second degré (c'est presque déroutant dans un article Wiki xD), il y a même une référence à Proust ! Il est vraiment agréable à lire.
Et donc j'ai passé tout le week-end dessus, car c'était juste méga satisfaisant. J'y ai donc fait la connaissance d'un jeune homme dégourdi, je cite autodidacte (j'adore ce mot), qui a arrêté les cours à 16 ans afin de gagner sa vie comme il l'entend. Puis ce jeune homme rencontre les surréalistes, (il a raté le dadaïsme à cause d'un service militaire au Maroc) et là c'est tout un monde qui s'offre à lui. Ce qui est d'ailleurs particulier c'est que j'ai lu à pas mal de reprises que c'est lui qui avait apporté la notion du rêve dans le surréalisme. Mais le rêve c'est pas un peu la base, mdrr ?

Desnos, c'est un rêveur. Un dormeur éveillé, comme l'écrit Gaëlle Nohant (son livre est un roman biographique sur Robert Desnos, je l'ai commandé pour Noël, j'ai juste trop hâte de le lire aaazgjigf)

D'ailleurs j'ai découvert ce livre grâce à La Grande Librairie, je vous mettrai la vidéo à la fin du chapitre.

Desnos, donc, c'est un rêveur mais à un stade juste incroyable. Avec les surréalistes, il pratique l'écriture automatique (c'est une sorte d'écriture sous hypnose où tu laisses parler ton inconscient, et c'est ce dernier qui va commander ton crayon sur le papier) durant la période dite des sommeils et suite à cela il va produire bon nombre de faux dessins de fou (comme le dessin Roméo et Juliette cité plus haut, justement), dessins réalisés les yeux fermés, ce qui fascine André Breton.

André Breton dit de Desnos : « Cela dépasse l'entendement [...]. Depuis près d'un mois, notre ami nous a habitués à toutes les surprises et je connais de lui (de lui qui, à l'état normal ne sait pas dessiner), une suite de dessins parmi lesquels La Ville aux Rues sans nom du Cirque cérébral, dont, aujourd'hui, je me contenterai de dire qu'ils m'émeuvent par-dessus tout »
Quant à Simone Breton qui assiste à toutes les séances en prenant des notes, elle écrit à sa cousine : « Nous étions tremblants de reconnaissance et de peur [...] les passages les plus terrifiants de Maldoror te donneront seuls une idée ». Dans sa célèbre conférence du 17 novembre à Barcelone, Caractères de l'évolution moderne et ce qui en participe, Breton parle, toujours à propos de Desnos, de « miracle les yeux fermés. »

Ces séances ont profondément marqué le surréalisme naissant, comme Breton le rappelle dans ses manifestes : « Le surréalisme est à l'ordre du jour et Desnos est son prophète » « Desnos parle surréalisme à volonté », il est « celui qui, peut-être, s'est le plus rapproché de la vérité surréaliste », il est de ceux « qui ont fait acte de surréalisme absolu ».

Il s'adonne aussi à la chiromancie, l'art de deviner l'avenir et le caractère d'une personne en lisant les lignes de sa main.

Le groupe surréaliste penché au-dessus d'une feuille tenue par Robert Desnos, pendant la période des sommeils
Man Ray, 1922 ou 1923

J'adore cette photo, ça fait vraiment le petit prodige qui exerce son art et qui intrigue tout le monde au passage, regardez l'expression des visages qui l'entourent. (OH JE SAIS À QUOI ME FAIT PENSER CETTE PHOTO ! Ça me fait penser dans Le Château ambulant de Miyazaki, ce moment où Hauru répare de la paume de la main la table qui a brûlé et tout le monde autour de lui est captivé par cette magie)

Mdrrrr j'ai retrouvé, regardez à partir de 0:13

Les mains de Desnos

C'est drôle de comparer les lignes de sa main avec une autre personne, en l'occurrence je remarque que je n'ai pas du tout les mêmes lignes que lui !(Aaaah j'aurais tant aimé qu'il lise les lignes de mes mains 😌)

Mais à la fin des années 20, tandis que André Breton, Aragon, et beaucoup d'autres adhérent au Parti Communiste, Robert Desnos s'éloigne du mouvement surréaliste, justement pour cette raison. (Il me semble même que André Breton charge Aragon de le virer, je vous jure, insupportable ce gars)

C'est dans ces années-là qu'il publie ses recueils de poésie, notamment À la mystérieuse, poèmes dédiés à Yvonne George, une chanteuse de cabaret (tu la sens bien l'ambiance parisienne des années 30 ?) dont il est éperdument amoureux et qu'il continuera à aimer même après sa mort MAIS QUI NE L'AIME PAS EN RETOUR AAAAFJUUGFFDDDD

ET ÇA C'EST JUSTE

WHAO.

Je reprends mes esprits. Je veux dire par là, il a vraiment vécu une passion à sens unique, il me semble qu'il ne s'est rien passé. Rien. Et ça c'est quand même étonnant pour un artiste de ce type ! (Quand tu vois Eluard qui, d'après la légende, se serait dit "La première femme que je rencontre, je l'épouse" et, qu'en plus d'être tombé sur Nusch, elle a bien voulu de lui!)
Robert Desnos a vécu quelque chose que je connais bien (je me sens ridicule du haut de mes seize ans, quinze à l'époque, mais c'est le cas) et il le décrit de manière si vraie, et si touchante, d'une sincérité si juste... Les mots me manquent, réellement. Pour vous dire à quel point cela me touche, lors de mes premières lectures de J'ai tant rêvé de toi et Si tu savais, j'en avais les larmes aux yeux. Mais c'était si naturelle, c'est étrange.

Je vous les mets ici, lisez-les si le cœur vous en dit, mais je vous préviens : c'est absolument magnifique.

J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
et de baiser sur cette bouche la naissance
de la voix qui m'est chère ?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante
et me gouverne depuis des jours et des années
je deviendrais une ombre sans doute,
Ô balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie
et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi,
je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois
que l'ombre qui se promène et se promènera allègrement
sur le cadran solaire de ta vie.

Si vous ne voulez pas lire le poème suivant en entier à cause de sa longueur, lisez au moins les vers en gras :

Si tu savais

Loin de moi et semblable aux étoiles et à tous les accessoires
de la mythologie poétique,
Loin de moi et cependant présente à ton insu,
Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t'imagine sans cesse,
Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir.
Si tu savais.
Loin de moi et peut-être davantage encore de m'ignorer et m'ignorer encore.
Loin de moi parce que tu ne m'aimes pas sans doute ou ce qui revient au même,
que j'en doute.
Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés.
Loin de moi parce que tu es cruelle.
Si tu savais.
Loin de moi, ô joyeuse comme la fleur qui danse dans la rivière
au bout de sa tige aquatique, ô triste comme sept heures du soir
dans les champignonnières.
Loin de moi silencieuse encore ainsi qu'en ma présence et joyeuse encore
comme l'heure en forme de cigogne qui tombe de haut.
Loin de moi à l'instant où chantent les alambics, l'instant où la mer silencieuse et bruyante
se replie sur les oreillers blancs.
Si tu savais.
Loin de moi, ô mon présent présent tourment, loin de moi au bruit magnifique
des coquilles d'huîtres qui se brisent sous le pas du noctambule,
au petit jour, quand il passe devant la porte des restaurants.
Si tu savais.
Loin de moi, volontaire et matériel mirage.
Loin de moi c'est une île qui se détourne au passage des navires.
Loin de moi un calme troupeau de bœufs se trompe de chemin,
s'arrête obstinément au bord d'un profond précipice, loin de moi, ô cruelle.
Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille nocturne du poète.
Il met vivement le bouchon et dès lors il guette l'étoile enclose dans le verre,
il guette les constellations qui naissent sur les parois, loin de moi,
tu es loin de moi.
Si tu savais.
Loin de moi une maison achève d'être construite.
Un maçon en blouse blanche au sommet de l'échafaudage chante une petite chanson très triste
et, soudain, dans le récipient empli de mortier apparaît le futur de la maison :
les baisers des amants et les suicides à deux et la nudité dans les chambres
des belles inconnues et leurs rêves même à minuit, et les secrets voluptueux
surpris par les lames de parquet.
Loin de moi,
Si tu savais.
Si tu savais comme je t'aime et, bien que tu ne m'aimes pas, comme je suis joyeux,
comme je suis robuste et fier de sortir avec ton image en tête, de sortir de l'univers.
Comme je suis joyeux à en mourir.
Si tu savais comme le monde m'est soumis.
Et toi, belle insoumise aussi, comme tu es ma prisonnière.
Ô toi, loin-de-moi, à qui je suis soumis.

Je peux sentir toute la douleur, tout le désespoir, qu'il a dû éprouver à cette époque.

Il y a un partage d'émotions juste énorme. Dites-moi si vous le sentez comme moi ou non.

Yvonne George

"Rongée par la tuberculose, l'alcool et la drogue, elle disparaît au terme de dix courtes années de carrière. Elle est la première grande figure de la chanson réaliste et un archétype de l'artiste maudit."

Cette passion non-partagée a duré cinq ans, imaginez. (Faut vraiment être un poète 😂)

C'est drôle parce que du coup la vision que j'avais de cet homme a vraiment évolué. Je l'ai toujours apprécié, mais entre nous, L'Oiseau du Colorado, c'est pas transcendent. Et là je découvre que ce poète de poésie pour enfants écrit avant-tout des poèmes lyriques sublimes !

Yvonne Georges - Je te veux

Fais de moi ta maîtresse... 🎶

Y'A.RIEN.DE.PIRE.QUE.LORSQUE.TON.CRUSH.RÉCLAME.DE.L'AMOUR.

MAIS QU'IL NE VEUT PAS DU TIEN AGKIHFHKHGGRRFDD

Énorme pensée à notre poète.


Celle-ci est de meilleure qualité, autrement :

Yvonne George - O Marseille

D'ailleurs, il y a quelque chose qui me fait ironiquement sourire, c'est que dans beaucoup d'autres de ses textes, il y a, sous-entendue, cette notion d'amour non partagée, et de ce fait ça fait vraiment l'amoureux frustré qui se moque tristement de l'amour.

Autrement, les deux poèmes cités plus haut, et bien je me suis enregistré les réciter avec en fond la musique du film Un Chien andalou, et ça rend vraiment bien. Genre vraiment. (On dirait les théories du style The Dark Side Of The Moon avec Le Magicien d'Oz x))

Un Chien andalou, 1929

Si tu savais sur le morceau de 4:55 à 8:25 👌

(Pour ceux qui s'étaient toujours demandé d'où venait la référence au "chien andalou" dans ma bio, vous avez enfin votre réponse)

J'AIME CE FILM. ET CETTE MUSIQUE
(La partie tango et la partie plus "émouvante" sont justes géniales ablblbl)

Revenons-en à notre Robert.

Il a vraiment des yeux de médium

En 1928, Robert Desnos rencontre l'envoûtante Youki, de son vrai nom Lucie Badoud, qui est à cette époque l'épouse du peintre japonais Foujita.

Youki

C'est ainsi que commence un ménage à trois composé de Foujita, Youki et Desnos. Petit à petit, Robert Desnos tombe sous le charme de la femme fatale, et celle-ci devient sa muse et sa maîtresse. Le mieux dans l'histoire ? Foujita laisse son épouse au poète, la lui confie, on pourrait même dire, et quitte le ménage pour d'autres horizons. C'est fantastique ! me diriez-vous. Mais, c'est sans compter que Youki, elle, aimait bien son trouple, et continue à être volage et indépendante, ce qui rend Desnos assez triste.

Il interchange donc Yvonne George et Youki dans son esprit, ou plutôt dans son cœur, comme si son amour pour la première avait été greffé, transféré, à la deuxième.
Youki est sa sirène, tandis que Yvonne George est pour lui son étoile.

Extraits du poème Siramour

Et toi,
Te souviens-tu de cette sirène de cire que tu m’as donnée ?
Tu te prévoyais déjà en elle et dans celle qui te ressemble.
Tu ne meurs pas de la transfiguration de mon amour, mais tu en vis, elle te perpétue.
Car qui prévaut même sur toi, même sur elle.
Et tu ne seras vraiment morte
Que le jour où j’aurai oublié que j’ai aimé.

Cette sirène que tu m’as donnée, c’est elle.
Sais-tu quelle chaîne effrayante de symboles m’a conduit de toi
qui fus l’étoile à elle qui est la sirène ?
Ô sœurs parallèles du ciel et de l’Océan !
Mais toi.
Je t’ai rencontrée l’autre nuit,
Une fameuse nuit d’orages, de larmes, de tendresse et de colère
Oui, je t’ai rencontrée, c’était bien toi.
Mais quand je me suis approché et que je t’ai appelée et que je t’ai parlé,
C’est une autre femme qui m’a répondu :
« Comment savez-vous mon nom ? »

[...]

Il me semble parfois que ce n’est pas avec toi mais avec ton nouveau corps,
ton nouveau visage que j’ai vu toutes ces choses.
Regarde, regarde ton nouveau visage.
Il est aussi beau que fut le premier.
Regarde, regarde ton nouveau corps.
Je me souviens de la rencontre entre ces deux visages de mon amour, de mon unique amour.
C’est peut-être de cela que tu es morte.
Mais tu vis, vous vivez,
Amantes bien nommées, insoumises à mon amour,
Visages bien nommés, corps bien nommés.
Je pleure sur la mémoire que tu perdis en mourant, mais la mort m’est indifférente.
Moi, je me souviens.
Je te trouve semblable à toi-même,
Aussi cruelle et aussi douce,
Et ne m’accordant tellement
Que pour me faire plus violemment regretter le peu que tu me refuses.

Et ça ça me rappelle sacrément cette  citation de Proust (tout est lié) : "Un amour a beau s'oublier, il peut déterminer la forme de l'amour qui le suivra."

Jurez il a pas un air à Alex Turner

Côté professionnel, Robert Desnos devient le poète le plus écouté de France avec ses émissions radiophoniques. Il écrit également de TOUT : des critiques de cinéma aux slogans publicitaires en passant par les notices pharmaceutiques ! 😂

C'est d'ailleurs étonnamment décevant de ne trouver aucun enregistrement de lui 😕 Le poète le plus écouté de France !! Svp sur YouTube on peut trouver une récitation d'Apollinaire !

Il écrit aussi un roman Le vin est tiré...  (je crois que notre artiste est un grand amateur de vin (ceci n'est pas un euphémisme pour désigner alcoolique, il ne me semble pas qu'il l'était)) et en lisant le résumé nous pouvons nous rendre compte que Robert Desnos EST UN PUTAIN D'AVANT-GARDISTE ! On dirait qu'il avait prédit Christiane F. !

"Le présent livre essaie, sans que l'auteur croie y être clairement parvenu, de prouver que la question sociale est responsable de la diffusion chaque jour plus grande des drogues, que les intoxiqués méritent d'être rendus à la vie réelle, que les lois de répression actuelles sont absurdes, injustes, néfastes et qu'il importe, avec la collaboration du corps médical, de réformer un code barbare. [...] Dans vingt ans la drogue se sera répandue dans tous les milieux, peut-être même dans les campagnes, et il sera trop tard pour remporter la victoire sur elle." - Robert Desnos.

Je l'ai commandé pour Noël 😏

Dans les années 30, à la montée de certains régimes totalitaires, Robert Desnos se prépare psychologiquement à une éventuelle guerre (sans déconner, je crois qu'il était réellement devin), sentant éperdument que tous les problèmes ne pourraient être réglés qu'avec celle-ci.

En 1934, il adhère aux mouvements d'intellectuels antifascistes (l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires) et, en 1936, au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Choqué par le refus de Blum de soutenir la République espagnole, Desnos s'éloigne de ses positions pacifistes : la France doit se préparer à la guerre pour défendre son indépendance, sa culture et son territoire, et pour faire obstacle au fascisme.

Suite au honteux armistice de 1940 et à la mise en place du régime de Vichy, Robert Desnos s'engage dans la Résistance (on notera qu'à la même époque, André Breton s'est barré aux États-Unis). Il est membre du réseau AGIR, écrit des articles de journaux et publie des poèmes sous différents pseudonymes, notamment Le Maréchal Ducono, virulente attaque contre Pétain. Il fabrique également de faux-papiers pour les Juifs.

Le journal pour lequel il travaille est soumis à la censure allemande mais, « mine de rien », comme disait Desnos, il continue de la déjouer.

Seulement, le 22 février 1944, Robert Desnos est arrêté à son appartement, 19 rue de Mazarine. À ce moment-là, il se doutait depuis environ une semaine qu'il encourait de sérieux risques, mais il préfère rester au cas où les officiers emmèneraient Youki à sa place. Acte adorable mais ridicule, car d'après celle-ci qui ne figurait dans aucun réseau de résistance, elle ne pouvait pas être arrêtée, ou alors peu de temps. Youki ordonne alors à Desnos de quitter la ville, mais il reste. Le matin du 22 février, plusieurs soldats allemands toquent à la porte de l'appartement. L'officier blond précise avec insistance "Je suis officier allemand." (Comprendre : je ne suis pas nazi) Il demande à Youki "Robert Desnos est là ?" Elle lâche un oui, impuissante. C'est alors que l'officier répond "Ah." (Comprendre : merde, je voulais pas l'arrêter, moi) Ils entrent dans l'appartement, le fouillent de fond en comble, ET LÀ, super bien caché derrière la tranche d'un livre au fond d'une bibliothèque, qu'est-ce que trouvent les Allemands ?

La liste de A À Z DE TOUS LES RÉSISTANTS DE FRANCE.
Nom. Prénom. Adresse.

A : Aragon

Oh putain.

Oui, c'est tendu.

Desnos garde son calme, rétorque que cette liste est à propos de littérature. Les soldats ne sont pas dupes ; ils prennent la liste avec eux. Robert Desnos est menotté et conduit jusqu'au commissariat. Youki, accablée, se laisse tomber dans un fauteuil.
Elle regarde sur sa droite : là, délicatement posée près d'une statuette, la liste de A à Z de tous les Résistants, nom, prénom, adresse.

JE TROUVE CET ÉPISODE BEAUCOUP TROP ROMANESQUE.

Malgré la bonté de l'officier allemand, Robert Desnos part dans un convoi pour Compiègne, en avril 1944, puis direction Auschwitz-Birkenau. (Ça fait froid dans le dos)

Il est déporté de camp en camp, souffre de la faim, de la soif, de la maltraitance, des inhumaines conditions de vie. Mais il reste optimiste tout le long du voyage. Le soir, il organise des veillées sur le thème du surréalisme, instaure des soirées poésie (ce gars, je vous jure). Il s'adonne de renouveau à la chiromancie, et à l'oniromancie (l'interprétation des rêves) pour divertir ses camarades. Il écrit aussi à Youki, autant qu'il le peut (une fois par mois il me semble) tandis que de son côté en France, elle se bat bec et ongle pour le ramener. Elle lui envoie en réponse des colis et des vivres.

Extrait d'une lettre à Youki

"Je suis ici avec des gens très bien et gentils : communistes, gaulistes, royalistes, curés, nobles, paysans... C'est une salade extraordinaire qui te fera bien rire quand je te la raconterai"

Après être passé par Buchenwald, Flöha, et d'autres camps encore, et avoir tenu jusque là, Desnos arrive finalement en mai 1945 dans le camp de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie. Son caractère naturellement rebelle lui vaut des sentences physiques (il est par exemple fouetté pour avoir jeté une soupe au visage d'un komando)
À ce moment-là, Robert Desnos, comme tous les autres, est terriblement épuisé. Des maladies se propagent parmi les prisonniers, dont le virus du typhus, dont Desnos finit par être atteint.

Au mois de mai, quelques temps après l'arrivée au camp, celui-ci est déserté par les Allemands qui viennent d'apprendre la défaite de leur pays. Ils laissent alors les prisonniers à leur propre sort.

Les Alliés et la Croix Rouge prennent possession du camp et s'occupent des rescapés. Desnos est très malade, il est transféré à un hôpital militaire russe.

Soudain, un matin, après des mois d'anonymat, de matricules différents selon les camps, un an de chosification, voilà que Robert Desnos entend son nom.

- Connaissez-vous le poète français Robert Desnos ?

C'est Josef Stuna, un infirmier tchèque passionné de littérature et admirateur des œuvres de Desnos qui reconnaît son nom dans la liste des malades. Avec son assistante francophone Alena Tesarova, il va à la rencontre du poète.

- Oui ! Robert Desnos, le poète français... C'est moi...

Il ajoute : "C'est.... mon matin... le plus... matinal."

Malgré les soins apportés, Robert Desnos meurt le 8 juin 1945, à 5h30 du matin.

"Ce que j'écris ici ou ailleurs n'intéressera sans doute dans l'avenir que quelques curieux espacés au long des années. Tous les 25 ou 30 ans, on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J'appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée... Mais cela durera plus longtemps que beaucoup de paperasses contemporaines."
- Robert Desnos

Je me demande très honnêtement s'il savait au fond de lui qu'il allait y laisser sa vie, et que son geste, bien que héroïque, était suicidaire, ou bien s'il pensait réellement qu'il allait s'en sortir...

Josef Stuna obtient que le corps de Desnos soit incinéré individuellement. Ses cendres et sa monture de lunettes sont rapatriées en France.

Le 1er juillet, le journal tchèque annonce la mort de Desnos.

Youki apprend la nouvelle vers le 14 juillet, par une traduction de l'article.

Ses obsèques ont lieu en France le 24 octobre.

Il repose aujourd'hui au cimetière Montparnasse à Paris.

II trouva la mort parce qu'il était épris de liberté
de progrès
de justice

Quelle vie.

J'espère sincèrement que ce chapitre vous aura plus, en tout cas j'ai pris du temps mais surtout énormément de plaisir à l'écrire. Je vous annonce officiellement que ce chapitre est actuellement le plus LONG de tout mon RB, je félicite et remercie ceux qui m'auront lue jusque la fin 😂


Je le dédie à ma InesMcCaHarrison avec qui je partage des choses super cool, et née un 4 juillet elle aussi ❤

Voici la vidéo de La Grande Librairie sur Légende d'un dormeur éveillé de Gaëlle Nohant, auteure émouvante tombé sous le charme de Desnos à 16 ans, elle aussi :

J'en profite aussi pour vous partager un portrait de Robert Desnos que j'ai dessiné récemment. Je crois que je n'aurais jamais le style réaliste, mais je suppose que j'ai mon style, et j'en suis heureuse.

J'ai envie de créer une BD sur la vie de Robert Desnos.

Je n'ai pas écrit de texte sur lui cette fois-ci, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Je crois que j'arrive mieux à exprimer ce que je ressens pour lui par le dessin ou par la musique, ou bien via la passion de la parole, que par l'écriture.

Je pourrais seulement vous confier que je me sens ces temps-ci fragmentée aux mille et un endroits de sa vie, l'impression d'avoir vécu, si ce n'est vivre, certaines scènes de la tragédie que forme son existence.

C'est pourquoi je vous laisse sur ce bel et émouvant poème d'Aragon, un poème qu'on pourrait considérer comme les adieux d'un homme à son vieux pote, qui lui manquera incontestablement. Je suis si heureuse d'avoir découvert ce poème car il résume mieux que tout au monde cette curieuse atmosphère parisienne et cette fascination presque amoureuse que m'évoquent les mots Robert Desnos.
J'ai cherché, mais je n'ai trouvé aucune photographie à la hauteur des images que nous transmettent ces vers.

Complainte De Robert Le Diable,
Louis Aragon

Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval
Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t’escortait dans les Halles

Parmi les diables chargés de chair tu noyais
Je ne sais quels chagrins ou bien quels blue devils
Tu traînais au bal derrière l’Hôtel-de-Ville
Dans les ombres koscher d’un Quatorze-Juillet

Tu avais en ces jours ces accents de gageure
Que j’entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d’avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l’injure

Tu parcourais la vie avec des yeux royaux
Quand je t’ai rencontré revenant du Maroc
C’était un temps maudit peuplé de gens baroques
Qui jouaient dans la brumes à des jeux déloyaux

Debout sous un porche avec un cornet de frites
Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d’Amphitrite

Enorme et palpitant d’une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l’écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées

Et c’est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu’à l’épuisement de la nuit ton domaine

Oh la Gare de l’Est et le premier croissant
Le café noir qu’on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants

La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Coeur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarissage

Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s’assied de clocher en clocher

Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne

Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux
Qu’explique seulement l’avenir qu’ils reflètent
Sans cela d’où pourrait leur venir ô poète
Ce bleu qu’ils ont en eux et qui dément les cieux

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