J'ai regardé... How to Save a Dead Friend (2022)
Alors le voilà, mon chapitre sur How to Save a Dead Friend, bien que personne n'ait répondu à mon message haha. J'espère que ça intéressa tout de même quelques curieux qui n'ont pas tout à fait quitté le navire.
How to Save a Dead Friend. Une sorte de documentaire autobiographique, une fille qui a filmé toute sa vie pendant plus de dix ans en pensant initialement filmer ce qui serait sa dernière année avant son suicide. Je l'ai trouvé par pur hasard, par pure sérendipité, alors que je regardais ce que proposait le site d'Arte parce que j'avais envie de regarder un truc, n'importe quoi, pour me changer les idées.
Marusya a seize ans quand elle rencontre Kimi, un garçon qui a un an de plus qu'elle et est en licence d'histoire. Entre deux bières, sa figure blonde se détachant de ses posters de Joy Division et de Kurt Cobain (dont il a sûrement copié la coupe), dans cette petite cuisine de Boutovo-Nord, dans la banlieue de Moscou, la « succursale de l'Enfer » comme l'appelle Kimi sans en cacher une certaine fierté dans la voix, alors qu'il raconte à quel point Alexandre le Grand est un mec génial car il n'avait posé aucune limite à sa liberté, la réalisatrice tombe amoureuse.
Et c'est alors que s'empilent comme des bobines de vieux films, les souvenirs avec Kimi. Ces journées passées dans ces terrains vagues et cet HLM de Boutovo, à jouer de la guitare, à philosopher, les chats qu'ils adoptent ensemble, les fêtes, le défilé dans les rues, vodka à la main, pour la coupe du monde de football parce que la Russie est en quart de final. Mais aussi les émeutes, dans cette Russie dans laquelle Poutine vient d'arriver au pouvoir, les vœux de bonne année sur fond de feu d'artifices, alors que sa milice tabasse les jeunes avides de liberté. Si Marusya reprend goût à la vie grâce à sa caméra, Kimi, son fidèle ami (j'ai presque envie de dire son tout, mais absolument pas dans le sens de l'amour-passion, loin de là ; c'est un meilleur ami, une épaule, un fiancé, un reflet ; un tout. Par ailleurs, j'adore l'euphémisme évasif du « friend » dans le titre) Kimi, lui, trouve son échappatoire dans des drogues de plus en dures.
Il y a une vraie vibe Christiane F. dans ce documentaire (que j'ai absolument adoré). Je ne sais pas si c'est du fétichisme, je sais que plus d'un pourrait me reprocher de romantiser la chose, mais je vous jure que cette atmosphère me parle, et me plaît. En fait, c'est drôle parce que pour beaucoup (du moins aujourd'hui, à l'École du Louvre - ce n'est peut-être pas le cas pour les gens qui me suivent ici depuis longtemps) je suis la fille avec l'aesthetic bien châteaux, peinture française, art rocaille, préciosité, petits fours autour d'un thé, etc. Et ce n'est pas faux. Mais au fond de moi, je suis aussi et surtout une putain de grunge qui a écrit des trucs bien noirs dans son adolescence et qui rêvasse au sujet des autoroutes et des HLM. (J'ai relu Doll au passage)
Moi qui aime tant la cohérence, ce n'est pas toujours facile de concilier les deux. Mais j'ai trouvé la clef de voûte. C'est la Russie. C'est dingue comme j'aime autant la Russie, et tous les aspects de ce pays. Autant la dimension romantique et délicate, ses grands espaces de campagne, les romans de Tolstoï et ceux de Tourgueniev (je lis L'Antchar en ce moment, quel délice), avec ces palais, ces stucs, que ces immeubles de la Pérestroïka, ses nuages gris, son asphalte, et sa jeunesse désenchantée des années 2000.
Mais c'est que tous ces aspects ont en commun une gravité, une dignité, et une poésie typiquement russes dans lesquels je me retrouve si bien. On souligne souvent mon côté « drama queen », on me reproche d'être trop tragique, mais en fait je crois simplement être russe dans l'âme. C'est fou de se dire que ce n'est même pas un courant temporel, une pensée ancrée dans un siècle, comme l'était justement le romantisme, mais bel et bien une conséquence géographique, je dirais même plus, une identité nationale. D'ailleurs, le documentaire ouvre sur cette phrase : « Quand on dit que la Russie est pour les Russes, c'est de la connerie. La Russie est pour les tristes, on le sait. Du moins, les réalistes. ».
Ce qui devait servir d'archives à sa dernière année passée sur Terre devient en fait celles de son ami Kimi.
En effet, au lieu de douze mois, Marusya filme en fait pendant dix ans, le cinéma étant l'antidote à son envie de mourir. Parce que, forcément, filmer sa vie implique d'être vivant. Vous comprenez la profondeur psychique du mécanisme, aussi inconscient soit-il ?
Et justement, je retombe dans une espèce d'éloge à la culture russe mais, ce truc de filmer sa vie pour la rendre plus supportable, ou même juste de manière générale cette envie de tout filmer, de numériser le réel, j'ai l'impression que c'est réellement russe.
Déjà, on pourrait considérer ce concept comme des sortes de stories insta avant l'heure (nous sommes en 2005 au début du film) et, suivant cette logique, ça m'a rappelé les stories de Huanitta (cf : Laissez-moi vous parler de... huanitta ou Se prendre un vu ça fait mal (huanitta que je stalke toujours mdr)) mais justement si je regarde encore son compte et ses stories, c'est parce que j'aime leur authenticité, j'aime leur côté « éraflé » (je ne sais pas pourquoi c'est ce mot qui me vient en tête), cette réalité à couper du verre, je sens que je tourne autour du pot sans vraiment mettre le doigt sur le mot juste (en fait c'est surtout le mot "rough" qui me vient à l'esprit, rêche, âpre, brut) mais bref tout ça pour dire que cette Huanitta, elle demeure pour moi une source d'inspiration encore inégalée, et je lui dois énormément pour ma propre esthétique.
Comme si je sentais que j'avais ça en moi mais que je ne réussissais pas à l'appliquer avant de découvrir son compte. Le cadrage brut de ces stories, ces moments intimes, des fragments de dîners entre ami.e.s, la vue de sa fenêtre à Saint-Pétersbourg alors que le temps est froid et gris, l'ennui des trajets en voiture, cette réalité pas du tout idéalisée (totalement l'opposé de ces vidéos d'influenceuses où l'on ne veut montrer que ce qui va bien, on règle la lumière, on montre ses meilleures vacances, son meilleur visage, cette idéalisation « à l'américaine », j'ai comme envie de dire) donc dans le cas de huanitta, cette réalité dénuée de toute idéalisation mais qui de ce fait dégage un charme indescriptible. Eh bien, mine de rien, je ne la retrouve pas ailleurs que chez les Russes, pas de cette manière, et j'ai l'impression que ce documentaire vient complètement solidifier ma thèse.
Et le plus dingue, c'est qu'en creusant un peu plus, j'ai aussi fait le lien avec les débuts du cinéma (vraiment merci à mes cours de prépa) et notamment avec le film L'Homme à la caméra (1929) de Dziga Vertov et ce concept de « ciné-œil », l'idée que l'œil humain serait une caméra qui filmerait tout. Est-ce que ce ne serait pas carrément le résumé (du moins technique) de How to Save a Dead Friend ? Je trouve ça dingue tous ces rapprochements.
Le documentaire se clôt sur la phrase « Tu me manques », une phrase si dépouillée, si nue, à la syntaxe si simple, qui, lorsqu'elle est sincère comme elle l'est ici, déchire le cœur et fait éclater les sanglots. Car, comment ne pas comprendre ce vide béant que Marusya ressent après ces dix années auprès de Kimi quand, après une heure quarante passée auprès de lui, Kimi me manque aussi ? C'est vraiment con à dire mais je me suis tellement attachée à eux deux. Je crois que ce film m'a aussi renvoyé à ma propre enfance, ce temps qui a coulé si vite, entre nos doigts, et c'est drôle mais lorsqu'ils fêtent tous la nouvelle année 2012 dans la salle à manger kitsch de la maman de Kimi, je me suis dit « Et dire qu'en France, ce nouvel an que je fêtais l'était également quelque part en Russie par ces personnes que je découvre désormais. » J'ai senti comme une sorte de proximité émouvante.
Ce qui est terrible, c'est cette nostalgie que l'on ressent au visionnage du film (et dont l'épilogue traduit parfaitement le sentiment) de constater les changements physiques de Kimi, alors qu'il y a une heure il était encore si fringant et si jeune. Être témoin impuissant, en tant que spectateur, de sa diminution, comme l'était Maryusa, car comment sauver un ami déjà mort.
Mention spéciale aux chansons choisies (je vous ai partagé celle du générique en média) et aux musiques qui portent la voix apaisée et rétrospective de Marusya à son plus haut degré.
J'ai bien chialé.
Je trouve ça encore incroyable qu'une pépite pareille existe, tout est parfait dans ce film, du début à la fin, même jusque dans le titre la perfection est présente (How to Save a Dead Friend, comme le dit si bien le site d'Arte - je remettrai ici ses termes parce que la phrase ne peut pas être mieux tournée - « l'impossible défi annoncé par le titre du film ne laisse aucun espoir pour un heureux dénouement ». Comment sauver un ami déjà mort. Ce titre dont la question ne comporte même pas de point d'interrogation tant elle est irrémédiable et inutile).
Cette œuvre a gravé son intaille dans mon être, c'est bouleversant, c'est si intime, à la fois génial et dévastant car, déjà tu es témoin d'une jeunesse opprimée, une génération gâchée, silencieuse sous peine d'être matraquée, et de cet arrachement de liberté naît un état de dépression et de mal-être généralisé. Et puis déchirant aussi parce que dès le début il y a cet accord tacite entre le film et toi comme quoi tu vas regarder les moments de la vie de quelqu'un qui ne fait plus partie de ce monde (je repense à cette phrase de Marusya qui, quand je l'accole à son « Tu me manques » final, me serre la gorge et me met les larmes aux yeux : « Je ne peux imaginer un monde sans Kimi »).
Je ne saurais vous dire autre chose que d'aller la visioner (vous m'en reparlerez, si vous voulez). Elle est disponible sur le site d'Arte jusqu'en février.
J'ai envie de regarder le film, encore et encore. Regarder, comme Marusya le dit si bien (c'est si poétique) « cette vie après la mort, numérique, éternelle, sous forme de pixels, dont chaque moment se répète à l'infini ».
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