J'ai lu... Lolita de Nabokov (et je mets les choses au clair)

Mes chers lecteurs ! Messieurs les jurés ! Je l'aimais !

Plus sérieusement, je ressors de ma lecture de Lolita et j'avais envie d'en faire un petit chapitre parce que je sais qu'ici je suis entourée de gens cultivés qui l'ont éventuellement déjà lu, ainsi je vais pouvoir partager précisément mon avis.

Tout le monde connaît l'antonomase Lolita. Une lolita c'est une gamine aguicheuse qui séduit de ses charmes alors qu'elle n'en a pas l'âge, et particulièrement les hommes plus âgés. Ou du moins qui fait naître le désir chez un homme plus âgé de part sa féminité précoce, pour reprendre les mots du dictionnaire en ligne.


Mais certains ne connaissent pas l'origine de ce terme, et elle n'est autre que le roman éponyme de Vladimir Nabokov. Petit aparté : je trouve ça incroyable que ce terme si célèbre dans le monde vienne réellement de ce roman. L'œuvre de Nabokov s'est inscrite dans une telle postérité, et quand tu lis les dernières lignes de celui-ci, c'est encore plus dingue.


Bref tout ça pour dire que le nom (propre, puis commun) de Lolita est archi connu et il en va de même pour les grandes lignes de l'histoire.

Pour ceux qui ne sauraient vraiment pas, Lolita narre l'histoire d'un homme d'une quarantaine d'années – 37 ans au début du livre – ayant choisi pour pseudonyme Humbert Humbert et qui raconte lui-même comment il s'est entiché d'une jeune fille de douze ans, une nymphette, Dolores Haze sur les pointillés, mais dans ses bras elle sera toujours Lolita.

Oui, on est clairement sur un bail pédophile.

Mais maintenant comme d'habitude ça va spoiler parce que j'ai vraiment envie de creuser le sujet. Je vais me baser sur des détails très avancés du livre (je risque même de spoiler la fin) donc j'invite ceux qui l'ont lu (ou du moins vu) à rester, sinon tant pis !

En fait le truc qui m'a donné envie de vous écrire ce chapitre c'est que je suis tombée par hasard sur différents posts sur les réseaux sociaux concernant Lolita alors que j'étais en train de le lire, et ça me choque de constater que les lecteurs puissent encore douter du statut de victime de Lolita.

En fait personnellement j'ai vu l'adaptation filmiques d'Adrian Lyne (celle des années 90 donc) il y a deux ans, donc je m'en souviens plus très bien, il faudrait que je la revois, en plus à l'époque je l'avais regardée en trois fois à cause de ma non-organisation, etc. Mais je sais qu'en effet il y avait une certaine ambiguïté dans la relation Humbert / Lolita, les intentions de Lolita n'étaient pas claires ; les images étaient suggestives et le film plus implicite.

Mais les mots sur le papier ne trompent pas. Ainsi je croyais peut-être à cette fameuse ambiguïté après mon visionnage du film, mais certainement pas durant ma lecture du roman.

Et quand je tombe sur des choses comme ça :

Je n'arrive pas à croire que ces personnes aient lu le livre.

Ou alors elles l'ont survolé, ou elles sont débiles, je ne sais pas.

Si tu as lu le livre la confusion, l'amalgame sont impossibles. Certains passages sont bien trop explicites pour que notre interprétation diffère des uns des autres.

En fait, on a trop l'idée reçue comme quoi on ignore les pensées de Lolita, on ne sait pas trop comment elle vit la chose, c'est flou, c'est ambigu... Mais je suis désolée y'a aucun doute là-dessus !

Je me souviens qu'avec ma review sur Les Liaisons Dangereuses, certains avaient comparé le roman de Laclos avec Lolita. Dans Les Liaisons Dangereuses parfois en tant que lecteur il t'arrive de te réjouir de trucs horribles, et ça grâce à la géniale technique du point de vue. Quand Merteuil raconte comment elle manipule Cécile, quand Valmont se délecte de sa victoire sur la Présidente... Nous prenons soudain compte du sourire complice qui s'est inconsciemment tracé sur nos lèvres et regrettons instantanément de nous réjouir du malheur des autres personnages !

À quel moment tu te réjouis dans Lolita ?

Je veux dire, clairement, c'est pas comparable. Je ne peux pas me réjouir de ce qu'il advient de Lolita, vraiment je peux pas, et ce même en lisant l'intrigue à Je et donc en m'identifiant inconsciemment à Humbert. Et pourtant je ne suis pas une personne facilement choquée, je suis même trop laxiste parfois. Mais douter du malheur de Lolita, croire en une romance entre les deux personnages...

Ils ont lu le livre les gens qui disent ça ?

Parce que justement le plus frappant est la lucidité de Humbert Humbert à propos de ses propres actes. Il est parfaitement conscient de sa pathologie, du mal qu'il produit, et il en souffre presque. Du coup en tant que lectrice, je ne me suis pas sentie comme une complice perverse de Humbert mais plutôt comme une avocate qui tenterait de prendre sa défense. Et d'ailleurs le vocabulaire judiciaire est très présent.
Je m'imagine en robe de magistrate :
"Messieurs les jurés, veuillez comprendre ! C'est Lolita qui l'a embrassé en premier ! Messieurs les jurés ! Le pauvre Humbert est resté traumatisé par la mort d'Annabel, son premier amour de jeunesse disparue trop tôt !"

C'est sûr qu'avec le procédé de la narration à la première personne, nous ne voyons pas Humbert comme un réel monstre comme on pourrait penser des pédophiles dont on parle au journal télévisé. Imaginez :
"Anne-Sophie Lapix : [...] Il avait kidnappé sa belle-fille pendant plusieurs années et avait sexuellement abusé d'elle dès l'âge de douze ans...
Nous : Ah berk quel gros porc !"

Notre avis sur H.H est bien plus nuancé. On a de l'empathie pour lui. On le connaît. Ce n'est pas la bête anonyme qu'on insulterait aveuglément. Et c'est là que réside tout le génie de Nobokov. Il a réellement créé une psychologie qui fabriquerait aux crimes de Humbert des circonstances atténuantes.

Mais justement avant de me plonger dans le livre, j'avais tellement en tête le cliché comme quoi le récit serait subtil, métaphorique, ambigu... Je pensais tellement que je finirais presque à croire à un amour réciproque QUE J'AI ÉTÉ ESTOMAQUÉ PAR L'EXPLICITÉ DE CERTAINS PASSAGES.

Et je suis choquée que cette idée reçue à propos du roman soit aussi tenace parce qu'au bout d'un moment, le doute n'est plus possible.

Les gens qui pensent réellement que c'est une histoire d'amour ils ont sauté des pages krkrkrk

Alors oui, le style d'écriture de Nabokov (ou de H.H si je puis dire, je ne sais pas trop parce que je n'ai pas lu d'autre livre de Nabokov pour comparer mais maintenant j'en ai bien envie) sa plume est magnifique. J'ai été époustouflée par sa manière d'écrire. C'est suuuper beeeeau, il a un vocabulaire richissime, emploie des images méga inspirantes (clairement ses descriptions c'est mon tableau Nostalgia and Melancholy sur Pinterest), parvient vraiment à te créer une atmosphère onirique digne de la nymphette qu'est Lolita. Sa peau à la carnation d'abricot, ses cheveux de miel, sa robe tartan éclatante à motif de cerises, ses yeux gris pâle, son duvet blond et soyeux, ses bras fluets...

Honnêtement Nabokov a été un véritable professeur de littérature. Il m'a appris à décrire. Et je vous jure que j'ai fait des progrès énormes grâce à lui. (J'ai tendance à écrire ce que je lis (17.. = Proust + Nabokov haha))

Mais là n'est pas le propos. Ce que je voulais dire c'est que, le style a beau être métaphorique et chatoyant, il y a certaines phrases qui ne trompent pas. Et personnellement ce qui m'a vraiment frappée c'est le malheur flagrant de Lolita. C'est bizarre ce que je vais dire mais, c'est comme si j'avais été plus choquée par le viol, par l'abus, par le chantage, que par la pédophilie même. Je veux dire par là, des hommes qui couchent avec des gamines, c'est horrible. Mais parfois la gamine est paumée, on a l'impression qu'elle est manipulée et donc qu'elle ne se rend pas compte de ce que cela signifie vraiment. Je pense un peu à Christiane F. qui se prostituait à 13 ans """de son plein gré""".

Lolita est parfaitement lucide de ce qui lui arrive, et elle en souffre considérablement. On la viole, clairement.

Et j'ai eu tellement de pitié pour elle à certains moments. Et Dieu sait qu'elle est pourtant agaçante. Mais à la lecture de certaines lignes, j'ai éprouvé tellement de compassion.

Lolita souffre. Et en plus Humbert le sait.

Il y a un exemple frappant, c'est à la page 300 très exactement :

Lolita pleure toutes les nuits au moment où elle croit Humbert endormi.

En vrai sa situation est tellement horrible. Elle n'a aucun échappatoire. Sa mère est morte, elle est prisonnière du joug de son "beau-père", elle n'a nulle part où aller, le peu d'économies qu'elle tente d'accumuler, H.H le découvre et lui pique...

Lolita est une victime. Mais t'as pas à te faire une piqûre de rappel pour l'intégrer, genre en tant que lecteur tu n'as pas à bourrer ton crâne de : "N'oublie pas que ce que fait Humbert est mal... Tu ne devrais pas t'en rejouir..." T'en as pas besoin parce que bah, quand tu comprends qu'elle est obligée de lui tailler des pipes autrement elle est privée de sortie, je trouve ça déjà très explicite.

Clairement à un moment c'était répugnant, Humbert racontait qu'à chaque chose que Lolita désirait (mais vraiment n'importe quoi genre prendre le petit-déjeuner, voir une amie...) elle devait d'abord lui faire des trucs sexuels.

J'étais là en mode "Et y'a encore des gens qui sont dans le flou après ça... ?"

Alors, je le conçois, y'a quelques zones d'ombres. Déjà ce qui est ambigu, là c'est vrai, c'est qu'en général Humbert honnêtement il le dit cash quand il abuse de Lolita. C'est dit subtilement, mais c'est dit sincèrement. Il est même la première personne à se dégoûter (il se compare parfois à une bête velue aux mains immondes, ce genre de trucs...) Pourquoi dans ce cas il serait allé inventer, alors qu'il nous explique depuis des paragraphes qu'il veut violer Lolita droguée aux somnifères durant son sommeil, que c'est elle finalement qui a pris les devants pour coucher avec lui ?

Là j'avoue que je savais pas quoi en penser.

C'est comme leur premier baiser, comme disait la magistrate tout à l'heure, c'est Lolita qui l'a embrassé en premier.

À ce moment-là, c'est assez confus.

C'est comme vers le début, quand Lolita est sur ses genoux ou je sais plus quoi et qu'elle lui provoque du plaisir sans le savoir, là je peux comprendre la délectation du lecteur, mais elle est surtout provoquée par l'érotisme qui s'en dégage plus que part la situation même.

Mais si on se focalise sur la deuxième partie du roman, je suis désolée y'a aucun flou, aucune ambiguïté possible.
Lolita veut clairement se barrer et elle trouve intelligemment un moyen de le faire.

Peut-être que j'ai mal interprété l'avis des autres lecteurs et qu'en fait ils pensent comme moi, je ne sais pas, dites-moi ce que vous en pensez.

Il n'empêche que je retiens cette phrase de Lolita à Humbert, Lolita désormais âgée de 17 ans, enceinte et mariée, Lolita qui a perdu son teint hâlé, ses joues, sa magie :

"Il [Quilty] a brisé mon cœur. Toi tu as simplement brisé ma vie."

Je vois même pas à quel moment on devrait préciser que ce roman n'est pas une histoire d'amour.

Réciproque du moins, parce que, j'en conviens, Humbert est sacrément émouvant sur la fin, et la dernière page lue, la dernière phrase lue, est emprunte d'une nostalgie, d'un cri de tristesse, d'un remord, tout bonnement troublants.

En fait ce qui est spécial c'est de se dire que même adulte, même une fois qu'elle a perdu sa quintessence de nymphette, Humbert continue de l'aimer.

Et là, ok, y'a ambiguïté. Ambiguïté dans les sentiments de Humbert !
Mais pas dans ceux de Lolita.

Par ailleurs, concernant la fin, j'ai trouvé ça absolument saisissant de réaliser que si tu lis actuellement ce roman, cela signifie que Lolita est morte. Car Humbert qui rédige ses mémoires en prison n'autorise leur publication qu'à la mort de Lolita. Alors il nous explique explicitement que si on est en train de le lire présentement, lui et Lolita sont désormais morts. Depuis le début, on lit l'histoire de deux morts, immortalisés par le pouvoir de l'art.

/!\ Je partage ici la dernière page du livre ! Scrollez si vous ne voulez pas la lire /!\

« Ainsi donc, aucun de nous deux n'est en vie au moment où le lecteur ouvre ce livre. Mais tant que le sang continue de battre dans cette main qui tient la plume, tu appartiens autant que moi à la bienheureuse matière, et je puis encore t'interpeller d'ici jusqu'en Alaska. Sois fidèle à ton Dick. Ne laisse aucun autre type te toucher. N'adresse pas la parole aux inconnus. J'espère que tu aimeras ton bébé. J'espère que ce sera un garçon. J'espère que ton mari d'opérette te traitera toujours bien, parce que autrement mon spectre viendra s'en prendre à lui, comme une fumée noire, comme un colosse dément, pour le déchiqueter jusqu'au moindre nerf. Et ne prends pas C.Q. en pitié. Il fallait choisir entre lui et H.H., et il était indispensable que H.H. survive au moins quelques mois de plus pour te faire vivre à jamais dans l'esprit des générations futures. Je pense aux aurochs et aux anges, au secret des pigments immuables, aux sonnets prophétiques, au refuge de l'art. Telle est la seule immortalité que toi et moi puissions partager, ma Lolita. »

En conclusion, Lolita est un roman que j'ai beaucoup aimé. On ne s'ennuie jamais en le lisant, il se lit relativement vite, j'ai vraiment été incroyablement surprise par la plume admirable de Nabokov à qui je suis redevable par ailleurs, et puis honnêtement c'est un récit touchant. De plus, il est très intéressant d'un point de vue psychanalytique.

Mais je ne dirais pas qu'il fait parti de mes livres préférés, je ne sais pas, il manquait un certain coup de cœur. Peut-être de part sa trop grande notoriété je n'ai pas réussi à me l'approprier, ou alors il traite d'un sujet trop dérangeant (avec des passages explicites, n'est-ce pas) qui font que je ne peux pas le considérer comme mon livre préféré.

Je n'ai pas vraiment approfondi mon analyse de l'œuvre, j'aurais pu vous faire une review plus poussée mais mon intention était vraiment juste d'insister sur le fait que, normalement quand tu lis le roman, tu comprends sans difficulté que Lolita est une victime et que les gens qui le précisent ne devraient pas avoir à le faire.

*

Concernant les adaptations filmiques ! Je ne vais pas m'y pencher trop longtemps simplement parce que faut que je les revois et que j'ai un peu la flemme de détailler mon avis. Mais il faut savoir que celui d'Adrian Lyne (celui des années 90) est pour moi le plus réussi. Clairement. Il a su transposer visuellement les mots de Nabokov. Certains le trouvent trop kitsch, pourtant l'atmosphère créée est parfaitement fidèle à celle suggérée dans le roman ! Vraiment, c'est réussi. En plus Jeremy Irons dans le rôle de Humbert est crédible, et Dominique Swain en Lolita l'est encore plus.

À l'inverse, bon j'avoue je l'ai pas vu en entier, j'ai dû voir le tier, mais celui de Kubrick je le trouve pas fou fou. Déjà le truc est en noir et blanc donc pour les jeux de lumières (le soleil sur la peau de miel de Lolita, les nuages teintés d'orange du crépuscule, ses vêtements colorés...) tout ça c'est cramé. En plus le mec qui joue Humbert physiquement je trouve que ça marche pas. Là où Irons est parfait dans son personnage maniaque et presque trop délicat, James Mason a un physique trop viril à la Clark Gable qui va pas du tout. Et puis Kubrick a ajouté des scènes que j'aime pas genre le bal au début là pff

J'espère que vous aurez aimé cette petite mise au point et que vous me comprendrez ! N'hésitez pas à me partager votre avis, même s'il est différent du mien. Tout ce que je demande ce sont des arguments.

Bisous bisous 💕

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