J'ai lu (et vu) les Liaisons dangereuses
Comme promis, voici le très long article sur ce monument de la littérature française.
J'y fais des petites références depuis environ janvier, je l'ai enfin terminé : voici venu le temps de parler des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos !
Chef-d'œuvre du roman épistolaire, classique français (et pourtant pas si connu que ça, je trouve !) les Liaisons dangereuses paru en 1782 est un recueil de 175 lettres mettant en scène un couple de libertins autrefois amants et dorénavant complices, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont, qui, pour occuper leurs journées et préserver leur réputation, vont manipuler perfidement leur entourage afin d'obtenir ce qu'ils désirent.
Plus concrètement, qu'est-ce qu'il se passe ?
La formidable édition de mon CDI (c'est même pas ironique en plus, je surkiffe ce livre en particulier, j'aimerais même le leur acheter 😂😭)
Je vous recopie le résumé mais en y ajoutant quelques détails :
La Marquise de Merteuil a, jadis, été abandonnée par le comte de Gercourt. Elle demande à son ancien amant, Valmont, de séduire la gracieuse et pure Cécile de Volanges qui vient tout juste de sortir du Couvent et qui est promise au comte. Ce dernier sera ainsi la risée de Paris. Cependant, Valmont, don juan toujours en chasse, poursuit un autre but tout aussi maléfique : il veut séduire une femme célèbre pour son esprit religieux, sa pudeur et sa chasteté, la Présidente de Tourvel (qui plus est déjà mariée, vous imaginez le challenge et l'exploit escompté).
Chacun jouant avec le cœur de pauvres gens qu'ils séduisent sans scrupule, la Marquise et le Vicomte s'échangent ainsi bon nombres de lettres pour conter à l'autre ses exploits et tenter de l'impressionner.
Il était l'an dernier au programme des lectures complémentaires pour le bac de français, mais j'ai fait le choix de le lire cette année par pur plaisir, et je n'en suis que plus satisfaite. (J'ai cette fâcheuse manie de moins aimer quelque chose lorsqu'elle tombe dans le domaine scolaire, c'est terrible. Par exemple, si l'on m'avait forcée à écrire une critique des Liaisons dangereuses, j'y serais peut-être allé à reculons, alors que là vu que ça vient de mon plein gré, je m'y plonge avec bonheur. Ça vous arrive à vous aussi ?)
On voit donc a priori deux intrigues différentes qui vont pourtant se rapprocher dangereusement tout au long du livre jusqu'à n'en former plus qu'une.
Quelques choses à préciser en premier lieu (de plus qu'elles ne spoilent pas du tout, contrairement au reste de mon chapitre aaaaaaah) :
○ Tout d'abord, j'ai été agréablement surprise par la contemporanéité de la langue du XVIIIème siècle. Honnêtement, ce aurait pu être écrit hier. Enfin, évidemment, le style est soutenu, parfois précieux, avec beaucoup de détours et de politesses. Mais c'est moderne, quoi ! On comprend réellement tout, rien à voir avec le français du XVIème notamment. Ça, ça m'a vraiment bluffée.
Je le précise pour ceux qui seraient rebutés à l'idée que c'est un roman de 1782, et j'avoue que j'étais un peu comme vous au début. J'avais peur que ma lecture soit vraiment rendue difficile à cause du niveau de langue et des tournures de phrases. Hé bien, pas du tout. Bien au contraire : quel plaisir, mais quel plaisir, de lire des lettres aussi bien écrites.
○ Ensuite, c'est un roman qui traite de libertinage, mais d'une manière si peu vulgaire, pour ne pas dire pas du tout ! Il n'est absolument pas sadien. Les actes charnels sont mis sous silence ou, lorsqu'ils sont évoqués, sont enveloppés dans de belles périphrases et euphémismes qui feraient presque douter de la véritable nature du sujet. (Il y a même certaines fois où je n'étais pas sûre d'avoir bien compris et c'est le film, plus expéditif, qui a confirmé ma pensée.)
○ Enfin, c'est un roman avant-gardiste, premièrement en terme d'analyse psychologique, mais aussi en matière de féminisme. Oui, cette œuvre est très féministe, malheureusement cette manière de pensée est incarnée par la Marquise de Merteuil, ce qui à la fois me la fait remonter dans mon estime (je trouve son combat contre le « sexe fort » admirable, elle veut dominer les hommes, qui dominent en général ; les femmes ne sont pas que des morceaux de chair condamnés au silence, elles peuvent s'amuser et ont le droit de s'exprimer elles aussi) et en même temps cela me fait « rougir d'être femme, quand on en voit une capable de semblables
excès. » (Madame de Rosemonde au Chevalier Danceny - Lettre CLXXI)
Aussi, je voulais quand même attribuer une mention spéciale à Laclos, militaire d'une quarantaine d'années qui a passé quatre ans à écrire des lettres d'amour entre deux garnisons, je trouve ça fou. Ça fait un peu Mystère Henri Pick ; le gars qu'on ne soupçonnerait pas du tout être écrivain et qui pourtant monte toute une intrigue incroyable pièce par pièce dans sa tête, pour enfin donner naissance à ce sublime chef-d'œuvre, catharsis, et critique de la société aristocratique de son temps, glauque, cruel et tragique. En fait ce qui est intéressant c'est de faire le rapprochement entre la profession de Laclos et les métaphores militaires consacrées à l'amour durant tout le roman. Merteuil est stratégique. Les amants sont des conquêtes. L'amour est une guerre.
Je reviens à ce que je disais un peu plus haut : Les Liaisons dangereuses, on ne va pas se mentir, c'est quand même super glauque.
C'est particulier parce que c'est un livre que tu prends beaucoup de plaisir à lire, et en même temps il peut t'arriver tout à coup d'avoir un flash de lucidité qui te fait dire : "Mais c'est horrible. Je ne devrais pas me réjouir de ça."
Parce qu'en fait le délire, c'est que c'est un roman épistolaire. Donc chaque personnage qui écrit une lettre à un destinataire est un narrateur ; il donne sa version des faits, avec son point de vue, et cela sur son ton. Parce que chaque personnage a sa propre plume, et ça c'est vraiment du génie. De ce fait, on peut avoir un événement conté naïvement par la petite Volanges, puis ce même événement sera ensuite raconté cette fois par Merteuil à Valmont, et on se rendra compte que c'est elle qui a tout manigancé dans l'ombre.
C'est une des nombreuses clés du roman épistolaire.
Le lecteur se fait ainsi complice des horribles manigances en se délectant de leur réussite et des malheurs des victimes. Et le pire est lorsqu'il constate, impuissant, les proportions que tout cela prend, de manière drastique.
La fin laisse une impression douce-amère, car l'issue de certains personnages est tragique, mais en même temps, je trouve qu'il y a une espèce de justice qui s'instaure tout de même. Le dénouement est assez ambigu, en fait, mais j'y reviens bien plus tard, pour les fins connaisseurs ou encore les téméraires qui n'auraient pas peur d'être spoilés.
Sérieusement, je pourrais commenter chaque page de ce livre. Il y a tant à dire. Et j'aimerais tant que vous l'ayez tous lu afin de pouvoir vous partager tout ce que j'ai écrit plus bas. Je pense que ce qu'on va faire c'est que je vais m'arrêter là pour ceux qui auraient vraiment trop peur d'être spoilés (et je comprends parfaitement, parce que, quel délice de découvrir le dénouement avec les lettres si bien agencées de Laclos). Cependant, je reparle du film à la toute fin, donc si vous n'avez pas lu Les Liaisons dangereuses mais que vous l'avez vu, scrollez mes amis !
Je laisse donc les autres ici. Retenez bien que c'est un livre que j'ai adoré, qui m'a absolument chamboulée, et qui je pense m'a marquée à tout jamais haha. Je vous partage à la fin de mon chapitre une vidéo AMV consacrée à l'histoire Valmont / Tourvel qui est juste SUBLIME PUTAIN (pour ceux qui me suivent sur insta, vous savez peut-être déjà de quoi je parle), c'est vraiment elle qui m'a hypée pour regarder le film, et même lire le livre. (Car oui, j'ai vu des extraits du film de Stephen Frears avant de lire le roman, mais comme ça je pouvais coller les beaux visages des acteurs sur les protagonistes de Laclos, et ça m'a énormément plu)
DONC MAINTENANT GROS SPOIL, JE PARLE DE LA FIN DU LIVRE, ALLEZ OUSTE SI TU NE VEUX PAS TE SPOILER ET RDV À LA TOUTE FIN DE MON CHAPITRE SI TU VEUX
Hey coucou toi, si tu es là c'est que tu as de très bon goûts ou juste que tu n'as pas froid aux yeux ; dans tous les cas, très heureuse de te retrouver.
Je voulais approfondir davantage mon avis sur la fin du livre.
Elle est en réalité très ambiguë. Notamment l'image qu'on garde de Valmont après sa mort. Vous vous souvenez, le Chevalier Danceny le provoque en duel car il apprend via la Marquise les aventures qu'il a entretenues avec Cécile et souhaite ainsi se venger. Lors de cet affrontement, Valmont perd la vie, mais ce qui m'a frappée, ce sont les réactions de son entourage par rapport à sa mort.
Sa vieille tante, Madame de Rosemonde, qui semblait au courant de sa réputation de libertin un peu pervers sur les bords, le défend pourtant bec et ongle et va jusqu'à intenter un procès au pauvre Danceny. Tout le monde semble oublier qu'il fait initialement parti du "camp des méchants", comme s'il n'avait jamais fait de mal à personne et qu'il ne méritait pas ce qui lui arrivait. Valmont paraît comme exempté de tout péché, lavé de ses souillures, honoré par la vengeance à laquelle Danceny a fortement contribué puisque, ensemble, ils font tomber la Marquise de son piédestal grâce à deux lettres rendues publiques et dans lesquelles sa perfidie éclate au grand jour.
Valmont, de manière posthume, devient presque héroïque – c'est un peu comme si tous les personnages se liguaient enfin contre l'affreuse mégère qu'est Merteuil, car c'est elle la véritable méchante, celle qui tire les ficelles depuis le début.
Et pourtant, il ne faut pas oublier de sitôt que le Vicomte est loin d'être un enfant de choeur. Il a été, certes, lui aussi d'une certaine manière, manipulé par la Marquise de Merteuil (que ce soit par la cruelle stratégie de celle-ci ou encore par l'aveuglement complet dans lequel son amour pour elle l'avait plongé).
Mais au fond, s'il l'avait vraiment voulu et que son orgueil n'avait pas été si démesuré – il le dit lui-même il me semble, « la vanité est le pire ennemi de l'amour » - il aurait pu préserver sa liaison avec la Présidente et ne pas lui faire autant de mal. Il aurait pu rompre définitivement les liens avec cette mégère.
Et puis, même, évidemment, Valmont est de nature libertine et assez perverse ; il s'amuse bien de briser le coeur des femmes, et cela même sans l'aide de la Marquise. Ainsi, je l'ai trouvé étonnamment bien blanchi après sa mort, comme si tout le mal qu'il avait pu faire n'avait plus lieu d'être.
Après, je vous avoue qu'étant donné mon amour pour ce personnage, qu'on le place symboliquement aux côtés des autres protagonistes pour faire tomber la Merteuil m'a fait très plaisir.
Oui, car j'aime Valmont.
Scénaristiquement, du moins.
Déjà, il est drôle, mais vraiment très drôle. (J'ai ris en lisant les Liaisons dangereuses, je vous jure, ne passez pas à côté de l'ironie, s'il vous plaît)
Et ce que j'adore chez lui justement c'est ce sarcasme et ce recul sur sa personne – qui viennent par ailleurs paradoxalement jurer avec son orgueil. J'ai crée dans les mémos de mon portable une rubrique spéciale Best-of Valmont et dans laquelle j'y ai recopié quelques pépites parce que vraiment, il y en a des géniales. Je vous en partage quelques unes :
Lettre VI Valmont à la Marquise de Merteuil :
"En vérité, vous êtes cent fois plus mauvais sujet que moi, et vous m'humilieriez si j'avais de l'amour-propre." (le personnage est résumé en une phrase)
Lettre XXV Valmont à la Marquise de Merteuil au sujet de la Présidente :
"À onze heures j'entrai chez Madame de Rosemonde ; et, sous ses auspices, je fus introduit chez la feinte malade, qui était encore couchée. Elle avait les yeux très battus ; j'espère qu'elle avait aussi mal dormi que moi."
Lettre LXXXIV Valmont à Cécile Volanges : "Je hais tout ce qui a l'air de la tromperie : c'est là mon caractère." (il bute sur un mot quand il le dit dans le film, pour vous dire)
Lettre CXV Valmont à la Marquise de Merteuil :
"Que n'aurai-je pas fait pour ce Danceny ? J'aurai été à la fois son ami, son confident, son rival et sa maîtresse !"
J'avais oublié à quel point ce passage était drôle. L'ancien lecteur y a même encadré quelques phrases.
Ce qui me plaît autant c'est que, dès le départ, il affirme que c'est un connard. Et il s'en amuse. C'est tout l'inverse de ces personnages qui sont censés être super gentils et là ils vont tromper leur femme et berk ça y est le gars baisse dans ton estime à tout jamais. (C'est un peu le rôle de Danceny d'ailleurs, je trouve – bien qu'il se rachète énormément à la fin du livre)
Là Valmont, c'est tout l'inverse. Dès le début, on nous le vend (il se vend!) comme un libertin sans foi ni loi qui n'hésite pas à clamer ses horribles succès au profit de pauvres femmes, alors quand tout à coup il se prend dans son propre piège en devenant réellement fou amoureux de la Présidente, c'est exquis. Et par ailleurs drôlement émouvant.
En effet, quelque chose de troublant, ce sont ses paroles, autrefois hypocrites, qui deviennent progressivement véridiques au fil des lettres. Il en vint à penser les mensonges qu'il débitait naguère, comme lorsqu'il écrit à Merteuil au sujet de la Présidente : "Je ne sortis de ses bras que pour tomber à ses genoux, pour lui jurer un amour éternel ; et, il faut tout avouer, je pensais ce que je disais." (Lettre CXXV)
Ou encore lorsqu'il fait croire qu'il veut se repentir de ses péchés dans une lettre au Père Anselme qui, étrangement, résonne de sincérité : "Je vous autorise, Monsieur, au cas que vous le jugiez convenable, à communiquer cette Lettre en entier à Madame de Tourvel, que je me ferai toute ma vie un devoir de respecter, et en qui je ne cesserai jamais d'honorer celle dont le Ciel s'est servi pour ramener mon âme à la vertu, par le touchant spectacle de la sienne." (Lettre CXX)
Ce pastiche trop parfait du style dévot peut introduire le trouble dans l'âme du lecteur : la fausse dévotion ressemble trop, finalement, à la vraie.
J'aime le fait que Valmont et Madame de Tourvel soient tous les deux morts en même temps, sans que l'un ne survive à l'autre ; j'ai la naïve impression qu'ils vont pouvoir se retrouver au Ciel et qu'il lui expliquera tout, avant de tomber dans ses bras. De plus qu'elle lui a pardonné avant de mourir. Mais quelle grande dame que la Présidente.
Michelle Pfeiffer et John Malkovich dans l'adaptation de Stephen Frears
Par ailleurs, concernant la mort de la Présidente : d'un côté, elle ne me surprend pas (je l'avais présagée avant même de commencer le livre).
Elle ne pouvait pas ne pas mourir, du moins d'un point de vue scénaristique. Son seul échappatoire ne pouvait être autre que la mort, il fallait une issue proportionnelle à sa passion, une fin à la hauteur de son amour et de son désespoir, et simplement la faire se retirer du monde en allant au Couvent aurait été trop simple (de plus que ce sort est réservé à Cécile).
Elle ne pouvait que mourir. Mais j'ai à la fois trouvé ça hyper radical. C'est déchirant. Et le plus déchirant est même peut-être la folie dans laquelle elle plonge juste avant. Ça honnêtement je sais pas si c'est correcte médicalement parlant. Non mais, sérieusement, la lettre de rupture l'a tellement anéantie qu'elle en perd la mémoire et la raison. C'est vraiment trash. Je me demande presque de quoi est-elle morte, concrètement.
En fait c'est curieux parce que, avant même de commencer le roman, je me doutais que la Présidente et Valmont allaient mourir (j'avais même carrément une théorie comme quoi la Marquise demanderait à Valmont de la tuer, ce qui aurait été vraiment gore, mais d'un certain côté, c'est vraiment ce qui arrive...) donc je disais, je pressentais la mort de ce personnage. Mais jamais, j'aurais pu penser qu'elle tombe dans la folie et le délire. Ça m'a achevée.
Et lors de sa mort, elle reste tellement digne. Alors qu'elle est sur son lit de mort entourée du Père Anselme, de quelques autres femmes et de Madame de Volanges, celle-ci raconte dans une lettre adressée à Madame de Rosemonde :
« Ce spectacle, toujours si imposant et si douloureux, le devenait encore plus par le contraste que formait la tranquille résignation de la malade, avec la douleur profonde de son vénérable Confesseur qui fondait en larmes à côté d'elle. L'attendrissement devint général ; et celle que tout le monde pleurait fut la seule qui ne se pleura point. » (Lettre CLXV)
Elle incarne vraiment le personnage le plus tragique de tout le roman selon moi, celle qui pâtit le plus de toutes ces horribles manigances. C'est vraiment celle qui prend le plus cher, et cela de manière si gratuite. (C'était un ange 😭)
Autrement, en parlant de grande dame, on est d'accord que Madame de Rosemonde, c'est clairement la best. Putain. On peut parler de ce personnage, s'il vous plaît ?
J'adore son évolution tout au fil du roman. C'est vraiment ingénieux. Au départ, elle est juste cette vieille tante très secondaire, presque inutile et ennuyante. Je ne sais pas pourquoi mais je trouvais son personnage presque bateau et j'avais l'impression qu'elle retarderait l'intrigue. MAIS QUELLE ERREUR.
La révélation pour moi - comme pour beaucoup, j'imagine - a vraiment été lorsqu'elle devient la confidente de la Présidente, sa tendre et chère mère spirituelle ; j'ai découvert là une femme si bonne et si brillante !
Pendant toute la lettre où la Présidente explique les raisons de son départ inopiné, où elle explique qu'elle aime follement un homme ainsi qu'elle doit partir ; à aucun moment elle ne cite Valmont, mais Madame de Rosemonde comprend immédiatement que c'est de lui dont il s'agit. À partir de ce moment-là, j'ai compris qu'elle serait géniale et que son importance dans l'intrigue serait de plus en plus cruciale. Et je ne m'étais pas du tout trompée. (C'est que j'ai de très bon pressentiments, dites donc!)
La fin laisse une impression douce-amère, car l'issue de certains personnages est tragique, néanmoins les "méchants" sont quand même punis, la vérité éclatant au grand jour, salissant de ses bavures la réputation de la seule et unique marionnettiste.
Les personnages les plus secondaires deviennent les acteurs de ce dénouement, alors que Cécile, Merteuil, Valmont et Tourvel gardent le silence. On pourrait pousser la réflexion encore plus loin en décrétant que les personnages qui n'écrivent plus sont morts. Alors, c'est véritablement le cas pour le Vicomte et Madame de Tourvel, mais concernant Cécile : morte de honte et traumatisée par tous les événements, elle trouve sa seule issue dans sa dévotion à la Religion, quant à Merteuil : bientôt morte aux yeux de la société mondaine, dans laquelle elle avait autrefois tant brillé.
Néanmoins, loin d'emporter leurs secrets dans la tombe, les lettres survivent aux personnages et parlent d'elles-mêmes. Seulement, ces mêmes personnes qui les écrivaient ne répondront plus. J'insiste là-dessus car ça m'a vraiment frappée avec la mort de Valmont ; j'ai pensé : "Mais alors ça veut dire qu'on ne recevra plus de lettre de lui, c'est fini ?" C'est particulier d'expérimenter la mort d'un protagoniste dans un roman épistolaire. C'est la mort d'un interlocuteur, d'un correspondant. C'est la mort d'un narrateur.
Aussi, au lieu de faire intervenir de nouveaux personnages dans le dénouement, des personnes qui ne sortiraient de nulle part et qui ne serviraient qu'à celui-ci, au lieu de ça, je me répète : ce sont les personnages les plus secondaires qui en deviennent les acteurs. Et ça, mais ça, je l'ai trouvé magistral. Se dire que les deux intrigues, initialement opposées, se rejoignent finalement si tragiquement, que le Chevalier Danceny en vient à écrire à Madame de Rosemonde. C'est juste grandiose.
Et le fait de savoir que toutes les lettres sont remises dans le plus grand secret à Madame de Rosemonde, la vieille et discrète Madame de Rosemonde qui devient alors le personnage le plus puissant car en détention de toutes les versions des faits, et que c'est pour ça, c'est parce que toutes ces lettres ont été regroupées et sagement gardées que tu peux aujourd'hui les lire, C'EST JUSTE OUF.
Tu détenais les lettres entre les mains depuis le début sans le savoir ! Ça peut paraître évident, dit comme ça, mais ce que je veux dire par là c'est que la mise en abyme est incroyable. L'histoire prend une dimension matérielle, et ce recueil, ce livre, cet objet, que tu tiens entre les mains depuis le début te donnerait presque l'impression d'être en possession de lettres qui témoigneraient de liaisons historiquement véridiques. Ils ont poussé le concept tellement loin que tu en viens à te demander si toute cette histoire n'a pas réellement existé !
Il faut imaginer que c'est comme si toi, descendant de Madame de Rosemonde, tu retrouvais des décennies plus tard toutes ces lettres dans une malle.
Quelque part en France, en 17.. et quelques (j'adore le fait que l'auteur reste dans le flou ! Il ne s'embête pas avec des références géo-politiques ou quoique ce soit, il se contente juste de planter le décor puis le reste du travail se remet à ton imagination) des personnes se sont aimées jusqu'à se détruire. Rien que la mention du mois d'août juxtaposée à un 17.. et un Du château de... me fait rêver. J'ai tout de suite eu en tête ce genre de décors :
Photos de hugues.mr (pseudo instagram)
D'ailleurs, petit aparté, j'adore le délire qui consiste à ce que tous les protagonistes logent sous le même toit.
D'un point de vue narratif déjà c'est vraiment risible (tu te rends compte que Valmont n'a aucun scrupule à séduire Madame de Tourvel dans les allées du jardin puis à foutre en cloque Cécile dans la pièce d'à côté).
Mais même en règle générale – ça ne s'applique pas qu'à ce film - j'aime réellement cette ambiance lorsque plusieurs personnes plus ou moins proches habitent un même endroit et vaquent à leurs occupations, en lisant dans la salle de séjour ou alors en écrivant tranquillement dans leur chambre respective, puis tout ce petit monde se retrouve pour le dîner, la table illuminée par les derniers rayons de soleil du mois d'août. Personnellement j'ai la chance de retrouver cette ambiance lorsque je passe mes vacances dans la grande maison de mon oncle et ma tante en Provence, et lorsqu'il y a beaucoup de gens de ma famille, j'adore ça.
Et justement c'est ce cadre suggéré que j'ai également tant aimé dans le roman.
Je pense que j'aurais pu m'étendre sur encore davantage de sujets tant il y a de détails à soulever, d'analyses intéressantes à faire, d'avis à partager, mais je vais m'arrêter là pour le livre ! Juste, (re)lisez-le.
Passons brièvement au film ! (si vous êtes toujours là)
JE PARLE DU FILM
par contre ça spoil quand même l'intrigue, donc je m'adresse ici à ceux qui l'ont vu ou ceux qui s'en battent littéralement
Alors, j'ai visionné le film hier soir (l'adaptation de Stephen Frears de 1988 qui est sûrement la plus fidèle), alors que je venais de refermer la dernière page du livre dans l'après-midi. De ce fait, c'est fort probable que cela ait influencé mon avis car j'ai été malheureusement un peu déçue par le film. Je pense que j'ai tellement aimé le livre (que je venais tout juste de finir!) qu'en regardant son adaptation à l'écran je ne voyais que ce qu'il y manquait, et non ce qu'il avait.
C'est que tant de scènes, de détails, d'informations sont zappés ! Je l'ai trouvé bien trop expéditif ! À tel point que je me mettais à la place de quelqu'un qui n'aurait pas lu le livre et j'avais l'impression qu'il ne comprendrait pas, du moins, ne saisirait pas tous les enjeux. Mais tout n'est pas à jeter non plus, bien au contraire, le film compte de très bonnes choses. Notamment le casting, que j'ai adoré.
Par contre je suis pas spécialement fan de Glenn Close perso
En fait, personnellement ce que j'ai fait c'est qu'en lisant le livre, ayant déjà vu des extraits du film, et bien j'ajoutais mentalement le physique des acteurs aux protagonistes et j'ai adoré pouvoir coller les traits de John Malkovich à Valmont, et ceux de Michelle Pfeiffer à la Présidente. (Cette femme est magnifique, je ne vois personne d'autre qui aurait pu être Tourvel mise à part elle, de plus que je trouve qu'elle a une beauté intelligente, à aucun moment elle ne paraît niaise ou totalement stupide (pas comme Cécile, mais en même temps c'est son rôle))
Son expression est horrifiée à en faire peur (selon moi c'est réellement celle qui joue le mieux)
Néanmoins, je trouve que les êtres de papier sont meilleurs acteurs que les vrais. Je pense justement à Malkovich qui est génial, mais en même temps trop froid. Trop brut. Au début, lorsqu'il harcèle (disons-le clairement) la Présidente et qu'il l'inonde de son amour, je ne l'ai malheureusement pas trouvé crédible. C'est parce qu'à ce moment-là, ce qu'il dit est encore hypocrite, me direz-vous. Mais justement, il est censé faire croire à la Présidente que ce qu'il dit est vrai, et sur ce point j'ai trouvé le Valmont du livre bien meilleur.
Dans le film, il se comporte avec Tourvel comme il en parle dans les lettres avec la Marquise de Merteuil, alors qu'il est censé jouer l'amoureux transit ! Je sais pas, j'ai pas accroché.
De plus, Malkovich rend Valmont beaucoup plus gamin qu'il ne l'est déjà, transformant son charmant côté enfantin en quelque chose qui tend plus vers le ridicule.
Sérieusement ? 😂😭
EN REVANCHE, où le film se rattrape extrêmement bien, c'est lors de la scène du duel. Ô cette scène, mon Dieu. Clairement la plus belle de tout le film.
ALORS ÇA SPOIL VRAIMENT BEAUCOUP LÀ DONC TU PEUX PASSER SI TU VEUX
Les plans sur Valmont, entrecoupés par les souvenirs où il faisait l'amour à Madame de Tourvel, son visage pensif, égaré, comme s'il réfléchissait déjà à un moyen de se tuer – car c'est un suicide déguisé – et alors ensuite, le Chevalier qui accourt aux pieds du Vicomte après avoir enfoncé son épée dans le flan de celui-ci.
Et là, agonisant dans les bras de M. Bertrand, Valmont remet à Danceny toutes les lettres de Merteuil, et lui demande une dernière prière :
rendre visite à Madame de Tourvel qui, il le sait, est gravement malade, et lui dire qu'il ne saurait expliquer par quelle aberration il l'a quittée et que, depuis cet acte insensé, son existence a perdu sa raison d'être, et enfin d'ajouter que son amour aura été le seul bonheur qu'il aura connu sur cette Terre.
C'est réellement la scène la plus poignante du film, qui surpasse même le livre. (Ah j'étais à deux doigts de pleurer, j'aurais même sincèrement aimé que les larmes viennent)
Par contre, pardonnez-moi ce changement d'ambiance soudain mais, on en parle que Keanu Reeves qui joue le Chevalier Danceny (il est méga chou, déjà je l'avais trouvé beau dans Matrix mais là il est adorable PTN) il ne change jamais d'expression. Il joue toutes les émotions avec la même tête.
En réalité, il ne faut pas opposer les deux œuvres mais plutôt les fusionner, car elles se complètent très bien. En effet si cette scène marche très bien dans le film, même mieux que dans le livre, c'est tout simplement car elle est comme passée sous silence dans l'ouvrage. T'as la lettre de provocation en duel de Danceny qui tombe d'un coup, tu sais pas d'où elle sort, tu l'as pas vue venir, BAM ! Puis juste après, la lettre suivante est celle qui nous apprend la mort de Valmont. C'est donc bien là l'avantage du film : il nous montre ce qu'il est impossible de voir dans le roman épistolaire.
En fait le roman fonctionne assez comme une pièce de théâtre. On y trouve, d'une certaine manière, le respect de la règle des trois unités : les lieux sont relativement restreints (Paris et le château de Mme de Rosemonde), la temporalité est comme limitée (l'ensemble de l'intrigue se déroule du 3 août au 14 janvier, soit environ 5 mois), et l'unité d'action : au départ, on a l'impression qu'il y a deux intrigues indépendantes l'une de l'autre mais finalement elles se rejoignent pour n'en former qu'une. Et aussi, comme au théâtre, on y retrouve la règle de bienséance.
Ainsi, voir le duel, qui dans le livre est rapporté implicitement dans une lettre destinée à la vieille tante de Valmont, ce serait un peu comme assister réellement à la mort d'Hippolyte dans Phèdre qui est rapporté postérieurement dans la pièce par règle de bienséance.
Et c'est vraiment là que réside l'utilité du film, à mon goût. Il nous montre ce que les lettres ne peuvent pas. Il en est de même pour les scènes d'amour, de baisers, etc. Elles ne sont pas très explicites dans le roman, ainsi, si vous shippez Valmont et Tourvel comme moi haha → film.
En fait il faudrait en faire une série, sérieusement. Étant donné le nombre de lettres, il y aurait vraiment matière à en faire une, ce serait mieux exploitée, moins expéditif, plus piquant, et aussi plus tragique
– peut-être.
Parce que c'est réellement ça que je reproche le plus à l'adaptation filmique : elle est trop rapide. Sincèrement, je n'ai vu aucune intrigue amoureuse entre Cécile et Danceny dans le film, alors que je m'en suis farcie des lettres dégoulinantes d'amour entre les deux dans le livre. (Tu me diras, c'était tellement cucul que le scénariste a peut-être préféré les virer) N'empêche qu'au moins dans le roman, tu vois réellement que les deux jeunes sont amoureux, et les manigances de Merteuil et de Valmont n'en paraissent que plus cruelles.
D'autres détails ont été trop vite expédiés, à mon goût. La relation entre Valmont et la Présidente de Tourvel n'a pas le temps d'être développée comme il se doit (ainsi, on a presque l'impression qu'elle ne résiste pas tant que ça aux avances de Valmont alors que dans le livre il met 400 pages à la pécho) et aussi la mort de cette dernière : aucune folie, juste de la fièvre, puis au moment où on lui ferme les yeux, on dirait qu'elle est toute fraîche, je n'ai pas aimé comment ça a été montré.
FIN DU GROS SPOIL
Si ça vous intéresse, il existe d'autres adaptations du livre, notamment une version teen-movie qui s'appelle Cruel Intentions et qui replace l'intrigue dans un lycée américain durant les 90s (oui oui).
Je vous laisse sur quelques citations qui m'ont particulièrement touchée (parmi tant d'autres).
"Croyez-moi, Madame, la froide tranquillité, le sommeil de l'âme, image de la mort, ne mènent point au bonheur ; les passions actives peuvent seules y conduire ; & malgré les tourments que vous me faites éprouver, je crois pouvoir assurer sans crainte, que, dans ce moment même, je suis plus heureux que vous." - Lettre XLVIII, Valmont à la Présidente de Tourvel
"Il ne faut se permettre d'excès qu'avec les gens qu'on veut quitter bientôt." - Lettre X, La Marquise de Merteuil
"[...] aussi, c'est qu'il me semble que rien que le regarder suffit pour embellir. Je le regarderais toujours, si je ne craignais de rencontrer ses yeux." Lettre XIV, Cécile au sujet du Chevalier Danceny
"En effet, si c'est être amoureux que de ne pouvoir vivre sans posséder ce qu'on désire, d'y sacrifier son temps, ses plaisirs, sa vie, je suis bien réellement amoureux. - Lettre XV Valmont à Merteuil au sujet de Tourvel
"Je rencontrai ses yeux, et il me fut impossible de détourner les miens." - Lettre XVIII Cécile au Chevalier Danceny
"Il fallait bien lui apprendre le prix du temps, et je me flatte qu'à présent il regrette celui qu'il a perdu." - Lettre LXIII La Marquise de Merteuil à Valmont, au sujet du chevalier Danceny
"Non, Madame, je ne serai point votre ami ; je vous aimerai de l'amour le plus tendre, et même le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l'anéantir.
De quel droit prétendez-vous disposer d'un coeur dont vous refusez l'hommage ? Par quel raffinement de cruauté, m'enviez-vous jusqu'au bonheur de vous aimer ? Celui-là est à moi, il est indépendant de vous ; je saurai le défendre. S'il est la source de mes maux, il en est aussi le remède." - Lettre LXVIII Valmont à Tourvel
Comme toujours, n'hésitez pas à commenter, me donner votre avis sur le livre, le film, les deux, et ayez en tête que tout ceci ne sont que ma propre opinion et ma propre analyse de l'oeuvre ! Je vous partage aussi comme promis la magnifique AMV à la fin de ce long chapitre (officiellement le plus long de ce RB ptn), et je remercie infiniment ceux qui m'auront lue jusque la fin !
Cette. AMV. Est. Meilleure. Que. Le. Film.
AIMEZ-MOI
À GENOUX
J'EN SUIS FOU
ET N'OUBLIEZ
JAMAIS QUE
JE JOUE
CONTRE VOUS
Aaaaaarghhh les chills.
BONUS : 👑
Behind the scenes
J'adore cette image. Michelle Pfeiffer est trop cute avblihysehgdd (en plus apparemment elle et Malkovich ont vraiment eu une liaison lors du tournage ptn)
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