Armistice
Ce matin en ouvrant les volets, les oiseaux chantaient. J'ai étonnamment découvert un paysage paisible, où régnait étrangement un agréable silence, bien que un peu morbide. Devant moi, une atmosphère grise et nuageuse mais légère, le son d'une fine pluie à travers le feuillages des arbres, des corbeaux anonymes sur de longs champs stériles, dignes du mois de novembre. Un paysage intact, semblable à ceux du siècle dernier, comme si cent ans n'étaient jamais passés.
Et soudain, les cloches de l'église qui résonnent dans la campagne. La ménagère lâche son panier de linge. Son coeur rate un battement. La cloche sonne. Ce lundi dans le froid matinal de novembre, la cloche sonne. Le temps s'arrête. La guerre est finie. Nous n'y croyions plus, voilà des années que nous n'y croyions plus. Des années d'espoir, de peur et de détresse. Et tout cela pourquoi ? Pour des sourires à l'entente de cloches un lundi matin.
Il n'empêche que dans les rues des villes, c'est la fête. Certains n'ont même pas pris le temps de se parer convenablement, ils enfilent une robe de chambre à la va-vite et s'écrient "La guerre est finie !". Ces quatre mots, comme ces quatre années, ne semblent pas réels. "Alors ça y est, la guerre n'est plus, nos fils et nos maris reviennent enfin ?" Des larmes au coin des yeux, des bouches tremblantes. Mais c'est la fête dans la rue, des rumeurs se répandent comme des traînées de poudre, jusqu'à l'explosion de joie. En effet ce matin le téléphone a sonné, le ministère a appelé, la préfecture en est informé : l'armistice est signé. La place de l'Hôtel-de-Ville est remplie d'une foule sans pareil ; le maire, à son balcon, le confirme : "Nous avons gagné !" qu'il dit.
Il conclut son discours, d'une voix émue : "Les hostilités ont cessé sur tous les fronts et je n'aurai plus, comme maire, la tristesse de recevoir, chaque matin, la liste des enfants de notre ville tombés au champ d'honneur, avec cette douloureuse mission d'en faire part à leur famille... À partir d'aujourd'hui, ceux qui ont eu le bonheur de voir survivre les soldats qui leur sont chers, vont être tout à la joie d'attendre leur retour dans leurs foyers et de les presser bientôt sur leur cœur."
Une longue ovation s'ensuit.
Armistice ; ce mot résonne dans les artères.
Armistice : un goût de feu d'artifice qui palpite dans la bouche et des confettis tricolores dans le coeur.
Aujourd'hui, je pense bien évidemment à tous ces mômes, pères de famille, jeunes mariés, de toutes les nationalités, contraints d'être utilisés comme chair à canon sur le Front. Je tente mais ne parviendrais à imaginer la hauteur de leur courage, de leur bravoure, ainsi que toutes les horreurs vécues. Malheureusement, bien que survivants de la guerre, beaucoup trop y ont laissé leur esprit là-bas, et ceux-là n'ont droit à leur nom glorieusement gravé dans la pierre.
Aujourd'hui, j'imagine l'émotion des fantômes de nos villages, il y a cent ans, jour pour jour, il y a cent ans heure pour heure.
1918 - 2018
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