Chapitre 15 : Respiration

Le matin suivant, mardi.

Aurore regardait autour d'elle d'un air perdu. Elle venait de descendre dans la cour avec ses camarades, mais elle les entendait à peine discuter du combat et du nouveau Miraculous, ne faisant même pas attention aux remarques suivant lesquelles les Miraculous des adolescents étaient manifestement basés sur le Zodiaque, et si c'était vraiment le cas, ça aurait été amusant que chacun des héros porte le Miraculous de son signe.

Elle était dans le brouillard, épuisée, elle avait à peine dormi cette nuit, son identité secrète s'entrechoquant avec son secret de cœur, la réflexion l'empêchant de trouver le sommeil, la crainte de devoir prendre les responsabilités hurlant dans le silence.

« Aurore ? Oh, eh, Aurore, ça va ?

— Oui, excusez-moi, j'ai fait une insomnie, j'suis fatiguée, c'est tout.

— Tu devrais aller voir Mme Caquet, alors, et te reposer, déclara Andromeda avec douceur, c'est mieux. Je dirais à Miss Capuletto que t'étais pas bien.

— Arrête, ce serait le deuxième cours d'Anglais du mardi que je passe à l'infirmerie en trois semaines, elle va croire que je fais exprès !

— Mais non, elle va comprendre. Tu sais qu'elle est super compréhensive, t'as pas à t'inquiéter pour ça, je t'assure.

— Merci Andro... Je vais y alleeeer, répondit-elle, son dernier mot s'étouffant dans un immense bâillement.

— Je t'accompagne ! Tu n'es pas capable de faire un pas, je le sens !

— Merci... »

Aurore laissa un sourire rêveur flotter sur ses lèvres alors qu'elle traversait la cour, sa meilleure amie la guidant, la laissant s'appuyer sur elle parce qu'elle voyait ses jambes trembler.

En toquant à la porte de l'infirmerie, Andromeda eût la surprise de voir la maîtresse du lieu venir prendre Aurore, la saisir dans ses bras et l'amener dans un des lits.

« Docteure ? Que..., s'étonna-t-elle en refermant la porte.

— Tu as vu l'état dans lequel elle est ? Crois-moi, ça fait longtemps qu'Aurore est sur la sellette, là elle craque, c'est normal. Ne t'inquiètes pas.

— Vous vous attendiez à ce qu'elle cède comme ça ?

— Oui, répondit l'infirmière en recouvrant la jeune fille déjà endormie d'une couverture.

» Tu voulais me parler ?

— Je... C'est possible ?

— Bien sûr. Je suis aussi là pour ça, pour que vous puissiez me faire part de ce qui vous tracasse. Je ne suis pas juste l'infirmière du collège, tu sais. Je suis aussi la psy. Donc bien sûr que tu peux me parler.

— J'ai peur de parler.

— Tu n'as pas à craindre. Tu demanderas à Aurore, mais je t'assure que je peux t'écouter. Alors ? Qu'y a-t-il ?

— Je... Ma mère... Est ma mère. Et je croyais qu'il était possible de revoir celle qu'elle a été quand j'étais petite mais... Avec tout ce qui se passe, j'y crois de moins en moins et... »

La voix d'Andromeda se brisa brutalement dans une cascade de sanglots, tandis qu'elle bégayait qu'elle n'en pouvait plus, la tension à la maison augmentait à chaque regard, chaque échange était plus froid et crépitant que le précédent, et son akumatisation avait creusé un vrai fossé, Mayura avait voulu corriger, expliquer à Lila comment elle devait être, mais la Franco-Italienne n'avait pas écouté un mot, fixant simplement le Miraculous sans faire mine d'entendre, comme l'adolescente avait juste fui dans sa chambre en essayant d'oublier l'attitude de celle qui lui avait donné la vie, et comme parler avec Lila devenait chaque jour plus impossible, chaque akumatisation creusait le fossé, et en plus Félix était juste absent et cette absence faisait mal, mais Andromeda ne pouvait pas dire, elle ne voulait pas craquer. Pas devant les autres, alors que tout le monde était si heureux, elle ne voulait pas les déranger. Mais trop, c'était trop, et les héros n'avançaient pas et les fossés se creusaient et...

Les sanglots étaient si violents qu'Andromeda n'arrivait même plus à articuler. La détresse qu'elle n'avait jamais osé verbaliser avait pris toute sa force dans les mots prononcés et la jeune fille n'arrivait pas à retenir les pleurs.

Mireille s'agenouilla près de l'adolescente et la prit dans ses bras avec douceur, lui manifestant silencieusement qu'elle était là, qu'elle écoutait et soutenait.

L'adulte ne sût pas combien de temps dura la crise, mais après de longues minutes, les larmes tarirent enfin, et Andromeda se redressa, s'éloigna et sécha ses joues du bout des doigts.

« Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je n'aurais pas dû...

— Ne t'inquiètes pas, Andromeda. Tu as beaucoup à porter, et il faut que tu évacues de temps en temps, sinon tu finiras par exploser. N'hésite pas à revenir me voir si tu en as besoin, je serais toujours là pour écouter et te rassurer. Et te rappeler que tu n'as pas besoin de faire la super-héroïne ultra forte devant tes amis, ils connaissent la situation et ils t'apprécient. L'amitié est un terrain de confiance, tu peux leur parler.

— Merci Madame. Pour tout, votre soutien et vos conseils.

— Ce n'est rien. Tu vas mieux ?

— Oui, beaucoup mieux, merci ! Je vais y aller, j'ai un cours d'Anglais à suivre et Miss Capuletto n'aime pas les retardataires...

— Bonne journée, Andromeda. »

La brune sourît, repassa ses mains sur son visage en espérant chasser les traces de larmes, puis sortît de l'infirmerie et se dirigea vers la classe d'Anglais.

L'adulte soupira, se disant que les adolescents du collège avaient décidément beaucoup à porter. Elle devinait qu'il y avait de nombreux poids qu'elle ne pouvait connaître, ou qu'on ne lui confiait pas. Son regard s'égara sur Aurore, toujours endormie dans le lit, sa mèche blonde enroulée autour de son index, repliée en position fœtale et semblant combattre ses rêves. Cette enfant-là portait beaucoup, de sa propre volonté de perfection à la crainte de décevoir ses parents, des secrets qu'elle partageait à ceux qu'elle enfouissait.

Mireille aurait voulu l'aider efficacement, mais elle savait à quel point c'était hors de sa portée sans les clés, alors elle détourna les yeux, se concentrant sur la mise à jour des dossiers médicaux des différents élèves. Cette tâche purement administrative et répétitive ne lui demandait absolument aucune attention, aussi elle entendit immédiatement quand l'adolescente couchée au fond de la pièce se redressa lentement, se frottant les yeux.

« Qu'est-ce que... Où je suis... Ah, l'infirmerie, marmotta-t-elle alors qu'elle s'éveillait.

— Bonjour, Aurore. Tu as bien dormi ?

— Je... Oui, merci. Ça fait combien de temps que je suis là ?

— Tu as dormi deux heures, la cloche de la pause déjeuner vient de sonner. Mais tu en avais besoin, et tes professeurs comprendront.

— Deux heures ?! Mais... Enfin... Peut-être que Madame Capuletto comprendra, mais pas Madame Schelling... Elle est très sévère.

— Je lui expliquerai que tu souffres d'insomnies à répétition, ne t'inquiètes pas pour ça. Ça ira.

— C'est Andromeda qui m'a amenée, ou je rêvais déjà ?

— Non, c'est bien grâce à elle que tu es arrivée jusqu'ici. Pourquoi cette question ?

— Vous savez très bien ! C'est juste... Savoir qu'elle m'a accompagnée, vous savez, elle m'a laissé poser la tête sur son épaule et... On était tellement proche, mais j'étais trop fatiguée pour réagir, et maintenant... Mais j'arrive pas à savoir la bonne réaction !! À la fois je suis heureuse d'avoir pu être proche d'elle comme ça sans avoir l'air trop bizarre et à la fois... Quoi qu'il arrive, je resterai juste une amie, parce que... Enfin, c'est tellement improbable... Je...

— Aurore, est-ce que tu sais à combien on estime le pourcentage de personnes homosexuelles ?

— Je... Non.

— Un quart de la population. Si on ajoute la bisexualité et la pansexualité, crois-moi, tu dois arrêter de dire « c'est parfaitement improbable que je devienne plus qu'une amie simplement parce que je suis une fille et elle aussi ».

— Pourquoi vous dites ça ?

— Je dis juste que ton argument ne tient pas. Que tu dois avoir confiance en toi, et être fière de qui tu es, même si ce n'est pas facile. Je sais, tu vas me répondre que tu n'es qu'une enfant, que tu n'as pas de quoi être fière... Tu verras au fil du temps qu'il y en a qui, à treize ans, ne sont pas capables de dire qui ils sont, où ils vont, ce qu'ils veulent. Dis-moi si je me trompe, mais il me semble que tu en as une idée assez précise...

— Oui, je sais qui je suis. Je suis Aurore Agreste-Sancœur, je suis l'enfant de la rédemption et du bonheur, je suis la plus curieuse et assoiffée de connaissance du collège, je suis aussi la plus timide mais une fois que je suis en confiance on ne m'arrête plus. Même si je suis capable de garder mes secrets jusqu'à ce qu'ils me tuent. J'ai des insomnies à répétition et ça me fatigue même moralement. Et je suis lesbienne. Pour ma meilleure amie. Je complexe là-dessus, mais j'arrive à vous en parler, et à en parler avec mes parents, alors ça va... Un peu.

— Tu vois. Ce que tu sais, tu peux en être fière. Tu es toi, et tu sais ce que ça veut dire. Et personne ne t'arrêtera. Allez, va déjeuner maintenant, sinon tu vas tomber d'inanition !

— Mm... C'est pas faux, marmonna l'adolescente avec un demi-sourire.

» Merci pour tout, Docteure. Merci de toujours m'écouter, m'accueillir et accepter que je vienne dormir ici, alors que je n'arrête pas de vous embêter...

— Le manque de confiance en soi, c'est un truc quand même. Tu ne m'embêtes pas, Aurore, et si je peux t'aider à aller mieux, j'en suis heureuse. Puis je suis là pour ça, quand même ! Crois-moi, remplir les fiches ça n'a rien de passionnant !

— Merci quand même. Bonne journée !

— Bonne après-midi. »

************

À la fin des cours.

Aurore poussa un soupir. Avec son épuisement et son besoin de dormir du matin, elle n'avait pas pu parler, et son histoire de cœur commençait à peser lourd. Suffisamment pour qu'elle ait besoin d'évacuer et d'en parler, même si elle avait l'impression de déranger. Aussi, elle se dirigea vers l'infirmerie, où le Docteur Caquet l'accueillit avec un sourire.

« Envie de discuter ?

— Oui. C'est juste... Je me demandais... Andromeda, ce matin... Elle vous a parlé ?

— Tu la connais bien. Elle a juste craqué à propos de sa mère, ce qui est normal. J'espère que les héros sauront rapidement ré-humaniser Madame Rossi, ça devient infernal pour tout le monde. Je pense que même Monsieur Graham de Vanily a besoin qu'elle arrête ça, même s'il ne le comprend pas.

— J'aimerais bien pouvoir parler avec Félix... Mais personne ne sait où il habite, sauf Lila. Même Andro ne sait pas... Vous pensez qu'il y a un moyen ?

— Sûrement. Mais je ne les connais pas. Les héros en ont sans doute un. Nous, nous ne pouvons rien faire.

— Je voudrais tellement pouvoir l'aider vraiment... Mais en même temps, j'ai peur de m'approcher d'elle, parce que mes sentiments risquent de tout faire déraper, et je ne veux pas la perdre.

— C'est compréhensible, Aurore. Ne t'inquiètes pas, tu ne la perdras pas je crois. Elle a besoin de ses amis, et elle refusera de s'éloigner de toi.

— Si vous le dites. Et encore merci de m'accueillir et de m'écouter chaque fois. Vous devez en avoir assez à force...

— Non. Je suis là pour ça, Aurore. Et ce dont les êtres humains ont le plus besoin pour vivre, c'est l'écoute et la bienveillance. Ne t'inquiètes pas. Par contre, tu devrais rentrer chez toi, ou tes parents vont s'inquiéter. Et l'inquiétude de Gabriel Agreste... Ça, je préfère éviter.

— Oups, vous avez raison ! Désolée, oui, je file ! Bonne soirée Docteure !

— Merci, à toi aussi. »

L'adulte regarda la brune s'enfuir vers la sortie, ses cheveux volant dans le vent.

Avec un soupir, elle sortit son téléphone et envoya un message à son ancienne collègue et rivale, sa partenaire de toujours, amie éternelle une fois la rancœur enterrée et compagne solide des épreuves.

Je crois que ce collège ne sait définitivement pas montrer de l'amour à ceux qui le méritent le plus, faut faire quelque chose !

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 2012 Mots.

 Enfin un nouveau chapitre, tiens... Ca faisait longtemps... (Quasi un mois. Ne me demandez pas la régularité, je sais pas faire, surtout quand l'inspi hurle des OS...)

 Bon, par contre, j'ai vraiment appelé ça Respiration ??? Nan mais... En fait, la respiration est pour l'auteure qui en avait clairement marre d'écrire des combats.

 A la base, je voulais faire craquer Aurore seulement, mais... Bah, on a l'habitude, quoi. L'inspi ne suit jamais le plan prévu si on prend trop de temps sur un texte. Ca a dérivé. Et j'ai mal pour Andro, j'lui ai vraiment mis une sit pourrie. (Ouh, ça va pas être agréable les vacances pour elle... Et c'est vendredi...)

 En espérant tenir le plan pour les deux chaps suivant au moins.

 J'espère que ça vous a plu, quand même. Dites-moi ce que vous en pensez ! J'vous attends dans les comms !

 Bises,

 Jeanne.

 (08/06/2022, 23h51 à l'heure australienne)


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