Chapitre 8.2 : Keir (version réécrite)
Bonjour!
Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais apparement, les modifications apportées à ce chapitre ne sont pas visibles par tous les lecteurs... Il y a dû avoir un bug :) . Du coup, pour être sûre que tout le monde ait bien la bonne version, je la publie carrément sous ce nouveau chapitre :)
Comme vous le savez, c'est surtout la deuxième moitié qui a changé, du coup, si pour vous, l'autre version se termine toujours par "Keir réalise qu'il est un connard" et "on ne sait pas ce qui arrive à Soléna", il faut lire celle-ci :) :) . Sinon, vous n'aurez pas la bonne fin!
Avec, encore une fois, toutes mes excuses! Bonne lecture!
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Putain de bordel de merde !
C'était le juron préféré de mes deux mamies. Je me l'étais approprié vers l'âge de douze ans, mais ne l'utilisais que rarement car je le jugeais réservé à des situations exceptionnelles. Or, dans mon monde, peu de choses étaient capables de m'impressionner (à part moi-même, évidemment). La plupart du temps je me contentais donc d'un « putain ! » ,d'un « bordel ! » ou d'un « merde ! » .Il m'arrivait aussi – lors de certains évènements inhabituels – d'aller jusqu'à proférer un « putain de merde ! » bien senti. Mais je pouvais compter mes « putain de bordel de merde ! » sur les doigts d'une main. Keir O'Connor n'était pas quelqu'un d'impressionnable. Et, oui, je parlais parfois de moi à la troisième personne.
Tout ça pour dire qu'outre le fait d'être en colère (en colère, bordel ! ) contre cette... fille, ce que j'étais en train de voir sur cet écran n'arrangeait en rien mon état d'esprit belliqueux. Car cette vision était incontestablement un fait que je pouvais classer parmi les situations exceptionnelles.
Heureusement, j'avais au moins eu la présence d'esprit de ne pas proférer ce juron à voix haute.
Les bribes d'émotions que j'avais laissé filtrer devant Teaghan étaient déjà une énorme erreur. Je m'en voulais de m'être laissé avoir par l'attrait de la nouveauté (et d'un joli visage). Mais j'en voulais également aux membres de mon clan d'être trop orgueilleux pour se rendre à l'évidence. Les Draoid'hean avaient appris de leurs échecs passés. Ils avaient évolués. Teaghan avait réussi à lire dans mes pensées et j'avais perdu mon sang-froid. Moi ! C'était... Je ne savais même pas comment j'avais réussi à me retenir de ne pas la tuer à ce moment-là. Enfin si. La douleur cuisante que je ressentais toujours sur le bras était là pour me rappeler que, même au bord de l'évanouissement, cette fille n'était pas du genre à se laisser éliminer si facilement.
Je lui avais dit n'avoir senti aucune magie. Ce n'était pas entièrement la vérité. Mais le type de pouvoir qui m'avait effleuré n'avait strictement rien à voir avec celui des Draoid'hean que je connaissais. Non pas que je sois un spécialiste des plantes vertes, cela dit. Mais... c'était difficile à expliquer. Nous savions tous que la magie utilisée par nos ennemis était une sorte de magie... « blanche », faute de trouver un terme plus adéquat. Du moins, une magie issue de la nature, des éléments, du soleil, des roches, des... bref, de « trucs naturels », quoi. Elle n'était ni « bonne », ni « mauvaise », mais les pouvoirs qu'utilisaient les Draoid'hean laissaient toujours une sorte de trace... comment dire... « lumineuse » ? Encore une fois, c'était surtout l'image qui s'imposait à moi quand je pensais à leur magie ou que je les voyais l'utiliser. Il n'y avait pas réellement de paillettes scintillantes ou de jolis arcs-en-ciel dans le sillage des Andrasta bien sûr, mais une sorte de lumière difficilement définissable (même pour un génie comme moi), ça oui.
Cependant, le pouvoir qu'avait utilisé Teaghan pour forcer mes pensées était très différent. Il était... l'inverse. Sombre, froid, presque flippant.
Attention, il fallait bien insister sur le « presque ». Je restais Keir O'Connor tout de même. À part de l'ennui (et peut-être deux ou trois autres trucs insignifiants), je n'avais peur de rien. Mais l'inconnu avait tendance à me déstabiliser et... à me foutre en rogne. Je détestais perdre le contrôle de la situation et de mes émotions. C'était la pire marque de faiblesse pour un maniaque comme moi. Mais cette fille avait le don de... de quoi au juste ?
Quoi qu'il en soit, même si je ne savais pas comment définir l'impression que m'avait laissé le pouvoir de Teaghan, il m'avait néanmoins permis de comprendre une chose. Les Draoid'hean s'étaient entrainés pour devenir assez dangereux pour nous causer du tort, voire même, des pertes. De notre côté, nous nous étions ramollis en nous reposant sur nos lauriers.
Et Soléna serait peut-être la première à en payer le prix.
L'image qui apparaissait à l'écran méritait amplement mon « putain de bordel de merde ! » réservé aux grandes occasions. Sous mes pieds le sol tremblait même légèrement, répercutant via mes perceptions sensorielles ce que mes yeux voyaient à l'image.
Un gobelet de terre cuite qui se trouvait sur la table se fracassa en tombant. Je ne sursautai pas, gardant mon attention fixée sur la télévision.
Car Katy – l'amie de Teaghan – venait tout bonnement d'ouvrir le sol en deux. Oui, oui. Carrément. Et elle ne s'était pas contentée de creuser un trou. Oh ça non. On pouvait même dire que la demoiselle venait de délaisser sa condition de pauvre humaine ayant peu d'influence sur la géomorphologie de notre planète, pour se transformer en... phénomène géologique de grande ampleur. Katy avait réorganisé la topographie de notre île, créant une sorte de faille béante de plusieurs mètres de large et de profondeur, le tout dans un grondement de fin du monde assourdissant. Mais le pire, c'était qu'elle l'avait fait sous les pieds de Soléna.
J'avais pu apercevoir le visage interloqué de mon ex-amie (et plus si affinités) avant que la caméra ne zoome sur la blondinette Draoid'hean à la langue bien pendue qui voyait en nous des cadavres peu attrayants. A priori, elle venait de décider que parler par métaphores n'était plus suffisant et que transformer Soléna en véritable macchabée était une bonne idée. Bien sûr, les goûts et les couleurs ne se discutaient pas, mais si mon amie s'écrasait au fond de ce gouffre, son corps n'aurait absolument plus rien de séduisant. Même pour un zombie.
Oui. Je savais ce qu'était un zombie. Je le savais car j'avais un jour déniché dans les ruines de ma « ville » une BD presque intacte. Son titre : The Walking dead. Le tome quatre pour être précis. Et les « choses » qui apparaissaient dedans (celles qui étaient mortes et qui marchaient) étaient certes effrayantes, mais elles ressemblaient encore vaguement à des êtres humains. Ce qui ne serait sans doute plus le cas de Soléna après son éventuelle chute au fond de ce trou.
— Bien joué Katy... chuchota tout à coup Teaghan si bas, que je sus immédiatement qu'elle ne s'adressait pas à moi.
Pas de bol, j'avais une super-ouïe.
— ... lâche la source maintenant et cours. Cours...
Elle avait murmuré un poil plus fort, toujours focaliser sur l'image de son amie.
Je savais que la source était l'une des nombreuses façons d'appeler leur magie.
— Allez, Katy... Allez, allez, allez...
La caméra était toujours braquée sur le visage de la Draoid'hean et je compris pourquoi Teaghan commençait à stresser.
Katy avait les yeux fermés. Ses bras étaient tendus vers le bas, paumes ouvertes vers le sol. Elle était encore en pleine transe, mais son visage était crispé et de la sueur perlait sur son front. Une sorte de lueur verte émanait d'elle, mais elle était très faible et elle clignotait comme une vieille ampoule agonisante.
Katy était en train de s'épuiser. Toutefois, le but n'était pas de faire une démonstration – certes impressionnante – de l'étendue de ses pouvoirs, mais de gagner l'épreuve des Jeux. Et si elle n'avait plus la force de courir...
— Mais bouge, bon sang !
En l'entendant abandonner carrément les chuchotements, j'en déduisis que – comme d'habitude – j'avais vu juste et que Teaghan devait en être arrivée aux mêmes conclusions que moi. Katy devait se bouger le... popotin. Bien sûr, de mon côté, j'espérais plutôt qu'elle commence à prendre racine, comme la plante verte qu'elle était.
— Tu sais qu'elle ne peut pas t'entendre ? commentai-je platement.
Teaghan me lança une rapide œillade meurtrière avant de reporter son attention sur l'écran de télévision.
Ben quoi ? Après tout, en tant que Draoid'hean, elle n'y connaissait absolument rien à la technologie et elle pensait peut-être que Katy l'entendait, non ?
Bien sûr, ce n'était pas le cas, mais Katy choisit pourtant ce moment pour ouvrir grand les yeux, reprendre son souffle et se mettre à courir à la vitesse... d'un escargot. Enfin, pas réellement à la même allure que ce gastéropode gluant, mais franchement, les Draoid'hean n'étaient-ils pas capables de se déplacer plus rapidement que ça ? La blondinette devait vraiment être épuisée.
— Vas-y, Kat... Respire... Oui, comme ça... Allez, ma belle... Accélère...
Malgré moi, un petit ricanement amusé m'échappa. Ce qui me valut un autre coup d'œil énervé de Teaghan. Je haussai un sourcil et accentuai mon rictus méprisant, l'air de dire : « Sérieusement ? Tu penses sérieusement qu'elle peut le faire ? ». Sa pote avait plutôt l'air au bord de l'apoplexie, oui... Et elle était loin d'avoir attaqué la partie de la piste avec du dénivelé.
— Katy n'est peut-être pas une athlète, me fit-elle remarquer sèchement, mais elle n'a pas vraiment besoin de l'être pour battre une adversaire qui ressemblera bientôt à un gros tas de viande sanguinolent.
Je laissai échapper un rire bref qui ressemblait plus à un aboiement. J'étais toujours en rogne contre cette fille qui osait me parler comme si de rien n'était.
— J'avais presque oublié que les membres de ton espèce avaient une fâcheuse tendance à croire aux miracles, Tel'Andrasta, arguai-je placidement.
Je la vis serrer les poings en ne lâchant pas des yeux son amie qui continuait de... mettre un pied devant l'autre sur la piste. Soléna n'apparaissait toujours nulle part à l'horizon.
— Moi, je n'avais pas oublié que les membres de la tienne avaient une fâcheuse tendance à se croire supérieurement intelligents, rétorqua-t-elle au bout d'un moment.
— Parce que nous le sommes.
— Si c'était le cas, vous ne seriez pas si arrogants.
— Je ne vois pas où est le rapport.
Elle se tourna vers moi un peu plus longuement, le temps de planter ses yeux turquoise dans les miens. Je commençais doucement à haïr ce regard-là. Encore une émotion qui n'avait aucune raison de se manifester chez moi. La haine, c'était pour les faibles. Les êtres supérieurs étaient indifférents.
— Tu le verrais, si tu étais réellement intelligent...
Quoi ?
Elle ne put voir le flamboiement de colère qui illumina mon regard, puisqu'elle reporta immédiatement son attention sur l'écran. Mais, franchement, pour qui se prenait-elle ?
— Ta théorie manque singulièrement de développement, Teaghan, ne pus-je m'empêcher d'ajouter.
C'était viscéral. Même si c'était complètement puéril, il fallait que j'aie le dernier mot. Ce n'était pas nouveau, mais c'était d'autant plus vrai lorsqu'il s'agissait de cette... fille. Surtout qu'elle se comportait à nouveau comme si je ne l'effrayais pas. Pourtant, je n'avais pas imaginé sa belle assurance se fracasser quand j'avais failli la tuer tout à l'heure...
Mouais... Je décidai de mettre son arrogance sur le compte du stress qu'elle ressentait pour son amie. Ne lui en déplaise, ma magnanimité envers elle était bien la preuve de mon intelligence surdéveloppée. Dommage que je ne puisse pas lui clouer le bec en le lui faisant remarquer...
La caméra était toujours braquée sur Katy. Elle avait posé l'une de ses mains sur ses côtes et soufflait comme un bœuf. Je souris en constatant une nouvelle fois que Soléna n'en ferait qu'une bouchée lorsqu'elle la rattraperait. Enfin... si elle était toujours en un seul morceau.
D'ailleurs, en parlant de ça... Je commençais doucement à m'inquiéter moi aussi. Parce que... qu'est-ce qu'elle foutait, bon sang ? Bien sûr, je savais qu'elle n'était pas morte, puisque les juges ou les Médiateurs auraient stoppé la course si cela avait été le cas. Mais... pourquoi ne nous la montraient-ils pas ?
Je lui en voulais peut-être de s'être comportée comme une idiote et de m'avoir trahi en allant chouiner chez ma garce de mère, mais je ne voulais tout de même pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Et puis – sérieux – ce serait quand même la honte qu'elle perde contre la blondinette, non ?
À l'écran, cette dernière – dont le teint pâle avait viré à l'écarlate – trébucha. Teaghan sursauta en poussant un juron.
Je me serais bien moqué d'elle une nouvelle fois, mais mon ricanement de hyène fut soudain couvert par le cri de frustration paniqué qui s'échappa de l'écran de télé.
Je me figeai en reconnaissant immédiatement la voix de Soléna.
La caméra choisit ce moment pour se focaliser enfin sur elle.
Mon cœur fit un bond monumental dans ma poitrine quand je découvris la mauvaise posture dans laquelle elle se trouvait. Contrairement à ce que j'espérais, elle n'avait pas pu éviter la chute quand Katy avait ouvert le sol sous ses pieds. Comme moi – et tous les autres Scienteks – Soléna avait sous-estimé son adversaire. L'effet de surprise lui avait sans doute coûté les précieuses secondes nécessaires pour échapper au piège qui ne s'était pas refermé, mais plutôt ouvert sous elle. Elle était donc tombée et s'était rattrapée in extremis en s'accrochant à la paroi de terre, de roches et de racines mêlées. Le problème, c'était qu'une des pierres qui lui servait de prise était en train de se déloger. D'où le cri de frustration... qui ne mit pas longtemps à se transformer en hurlement quand le caillou céda sous son poids.
Non !
Une exclamation horrifiée m'échappa tandis qu'une montée d'adrénaline inhabituelle me comprimait le bide. Je n'avais jamais envisagé qu'un drame de ce genre puisse réellement arriver, bon sang ! C'était impossible !
Je faillis me précipiter vers l'écran, les yeux rivés sur le visage terrorisé de mon amie. Je savais pertinemment que cela ne servait à rien, bien sûr. Je n'étais pas un stupide Draoid'hean qui n'y connaissait rien à la technologie, mais... Je secouai la tête et luttai contre cet instinct qui me poussait à agir de façon irrationnelle. Je ne pouvais pas me permettre de montrer autant mes émotions. Surtout pas devant Teaghan.
Heureusement, la peur qui m'avait saisi reflua quelque peu quand je vis que Soléna ne venait pas de tomber en chute libre. Mais le soulagement fut de courte durée...
Mon amie se retrouvait suspendue à la force d'une seule main au-dessus du vide. En tant que Scientek, je savais qu'elle avait assez de puissance pour supporter cette pression (même si Soléna pouvait être considérée comme relativement faible parmi les miens). Mais force était de constater, qu'en outre, la chance ne devait pas être de son côté.
La deuxième pierre était en train de se déloger. Couvert de terre, le visage de mon amie exprimait à cet instant une terreur pure comme je n'en avais jamais vu. Je serrai les dents pour éviter de trahir sur mon visage la même peur primale. Cela n'empêcha pas la boule d'angoisse qui enflait en moi de prendre une proportion alarmante et de me comprimer la trachée. Je dus une nouvelle fois fournir un effort surhumain pour ne pas me laisser submerger par ces émotions violentes auxquelles je n'étais pas habitué. Mais... Bordel ! Ça ne pouvait pas arriver. Les Scienteks ne mourraient pas pendant les Jeux. Jamais. Soléna – ma douce Soléna– ne pouvait pas être la première à y perdre la vie. C'était...
Ce n'était pas fini. Au moment où je distinguai avec horreur l'épuisement et la résignation briller dans les yeux de mon amie, une sorte de liane perça puissamment la paroi de pierres et de terre à environ quatre mètres au-dessus de sa tête. J'écarquillai les yeux en voyant cette grosse tige « foncer » vers elle.
Soléna hurla et mes dents grincèrent.
M'attendant à la voir lâcher prise sous les assauts de la tige, mes yeux mirent quelques temps à comprendre ce qu'ils voyaient. Mon cœur battait à toute allure quand je pris enfin conscience de ce qui venait réellement de se passer.
La liane s'était enroulée autour du poignet de mon amie.
Quand elle vit que cette ficelle végétale venait sans doute de lui sauver la vie, Soléna éclata en sanglots. Secoué – bien plus que je n'aurai pu l'imaginer par la scène à laquelle je venais d'assister – je me concentrai sur les sillons que ses larmes traçaient sur son visage crasseux pour reprendre mes esprits.
Mes jambes flageolèrent tout de même légèrement et je laissai échapper malgré moi un petit soupir de soulagement. Je... Je n'étais pas habitué à ces montées d'adrénaline et j'eus beaucoup de mal à me contrôler pour ne pas faire quelque chose de stupide sous le coup du soulagement.
Comme, par exemple, m'effondrer au sol, éclater nerveusement de rire, faire une petite danse de la joie ou... prendre mon ennemie – qui était malheureusement le seul autre être humain présent avec moi – dans les bras.
C'était officiel, les émotions violentes avaient le pouvoir de nous rendre complètement cons...
— Bordel, Kat ! Tu te fous de moi ? Tu lui fournis une... corde ?!
Hein ?
Encore déboussolé et à fleur de peau, je sursautai franchement en entendant Teaghan jurer et lui jetai un rapide coup d'œil. Ce n'était pas une bonne idée et je reportai mon attention sur l'écran. À mon grand dam, la caméra avait à nouveau délaissée Soléna pour se focaliser sur Katy.
Cette dernière était toujours à genoux, s'appuyant sur ses mains, tentant vraisemblablement de se relever. Elle haletait et son visage était crispé. Une lueur verte très pâle semblait à nouveau l'auréoler.
— Une corde... répéta Teaghan d'un air clairement incrédule. Ah, Kat...
Son ton s'était fait nettement plus doux et laissait transparaître un mélange d'agacement et de fierté. Sans pouvoir m'en empêcher, je me tournai une nouvelle fois dans sa direction. Un petit sourire éclairait ses traits.
Alors je compris ce que la Draoid'hean avait fait. Et – aussi bizarre que cela puisse paraître – cela ne me plut pas du tout. Je me crispai et mon orgueil Scientek reprit le dessus. Je repassai immédiatement en mode machine de guerre dépourvue d'émotions.
— Je comprends mieux pourquoi vous ne gagnez jamais aucune épreuve, ricanai-je en totale mauvaise foi. En plus d'être de petites choses faibles, je constate que vous êtes également profondément stupides...
Teaghan se figea. Je la vis serrer les poings, mais elle ne se retourna pas. Katy venait de réussir à se remettre debout.
— Si c'est ce que tu penses, siffla-t-elle froidement entre ses dents, c'est que tu es encore moins intelligent que je le croyais.
Je m'esclaffai en espérant que mon ton méprisant ne sonne pas aussi faux à ses oreilles qu'aux miennes...
— Je t'ai vexée ? Tu attendais des remerciements, peut-être ?
Oui. Je n'étais qu'un sale enfoiré. Bien sûr que j'aurais dû remercier sa copine. Mais elles n'étaient que des Draoid'hean, bon sang...
— Si Katy n'était pas intervenue en utilisant sa magie, ta rouquine serait morte à l'heure qu'il est, me dit-elle en tremblant d'indignation, toujours sans me regarder.
C'était vrai. Et ça me foutait en rogne. Soléna n'était pas censée devoir la vie à son ennemie. De mon côté... je n'étais pas censé ressentir cet espèce de gratitude non plus.
Bordel ! Katy était... elle n'était qu'une stupide plante verte. Pourquoi avait-elle fait ça ? À sa place, aucun Scientek n'aurait risqué de laisser filer le gain de l'épreuve pour « aider » son adversaire. C'était logique, car seule la victoire comptait... Non ?
Je secouai la tête et me concentrai sur la télévision. Ce n'était pas le moment de m'appesantir sur ce que notre esprit cartésien poussé à l'extrême révélait de nous en tant qu'êtres humains...
Les larmes de Soléna avaient cessé de couler. Elle s'essuya piteusement la morve qu'elle avait au nez et leva son visage vers le sommet du gouffre. Elle était en sécurité. Comme moi, il était temps qu'elle reprenne ses esprits et qu'elle montre à ces mages de pacotilles ce dont nous autres Scienteks étions capables.
Elle avait dégringolé d'une bonne dizaine de mètres. La « corde » de Katy ne lui permettrait pas de grimper jusqu'à la terre ferme, mais cela allait l'aider pour commencer son ascension. Son agilité et sa force génétiquement améliorées feraient le reste.
— Quand je disais que vous étiez profondément stupides... ne pus-je m'empêcher de commenter en désignant du menton la fameuse « corde ».
Teaghan se crispa à nouveau légèrement, mais décida cette fois-ci de m'ignorer.
Bon, en toute honnêteté, je devais bien avouer que je savais que tous les Draoid'hean n'étaient pas totalement idiots et que prêter main forte à un adversaire qui était sur le point de mourir par votre faute n'était pas non plus complètement stupide... Mais plutôt m'arracher une dent que de montrer à cette fille une once de reconnaissance. Surtout que je savais que, si Teaghan s'était trouvée à la place de sa copine et moi à celle de la mienne, elle n'aurait pas fait preuve du même altruisme et j'aurais sans doute fini en carpaccio.
Je réprimai un foutu sourire.
L'épreuve n'était pas finie. Katy avait repris du poil de la bête. Et même si elle avançait toujours à une vitesse risible pour le Scientek que j'étais, elle attaqua la partie pentue de la piste avec un air déterminé.
Cela me fit mal de l'admettre, mais je ne pus m'empêcher de ressentir une pointe d'admiration pour cette petite plante verte, certes idiote, mais dotée d'une force de caractère indéniable. Si Soléna ne se magnait pas le...
Tout à coup, la réalité me frappa avec la force d'un uppercut. Une nouvelle fois, Teaghan devait en être arrivée aux mêmes conclusions que moi, car le stress qui émanait d'elle quelques instants plus tôt se transforma soudain en une sorte d'excitation palpable.
— Oh la la, ma Kat... J'y crois pas...
Pour être honnête, je devais bien avouer que moi non plus.
Mais... bordel ! Où était mon amie ?
Comme si la « personne » qui gérait la caméra m'avait entendu, Soléna apparut à nouveau à l'écran et...
Je devais être en train d'halluciner. Il n'y avait pas d'autre explication. Parce que, sérieux... elle n'avait pas bougé !
Elle semblait paralysée, comme... en état de choc.
Bien sûr, cela était totalement compréhensible quand on y réfléchissait posément, mais... c'était une Scientek, nom de nom ! Elle ne pouvait pas laisser une Draoid'hean gagner !C'était, c'était...
— Oh la la, oh la la, oh la la... s'excita Teaghan à côté de moi.
— La ferme, m'entendis-je siffler à...voix haute.
Teaghan eut un hoquet de surprise, rapidement suivi d'un petit ricanement méprisant.
— Le grand Scientek serait-il un mauvais perdant ?
Je fermai les yeux de dépit. J'avais envie de me mettre des baffes tellement je me sentais stupide. J'avais réussi à ne pas laisser transparaitre mes émotions alors que mon amie était en train de mourir et je perdais le contrôle, maintenant ?
— La course n'est pas finie, rétorquai-je tout de même.
Teaghan renifla une nouvelle fois.
— Et c'est nous, pauvres Draoid'hean, qui sommes idiots ?
Je grinçais des dents, mais ne répondis pas. Sa pique... était de bonne guerre.
Complètement abasourdi, je regardai Katy continuer de gravir la pente, se rapprochant de plus en plus de la victoire...
— Vas-y, vas-y, vas-y... oui, oui, oui...
Tout comme son amie, Teaghan était soudain au bord de l'apoplexie.
Tout comme mon amie, j'étais en état de choc.
Je ne sais pas combien de temps cela dura, mais l'impensable finit par se produire. Katy... franchit la ligne d'arrivée. Soléna n'avait toujours pas bougé.
La Draoid'hean... avait gagnée.
Mon cerveau ne devait pas être le seul à trouver cela totalement inconcevable, car pendant plusieurs minutes, un silence total régna dans notre petite dépendance, ainsi que sur le terrain des Jeux.
Puis les premiers rugissements de joie des Vingtiales Draoid'hean qui attendaient leur tour pour passer l'épreuve se firent entendre à la télévision.
L'écran s'éteignit sur le visage rouge, incrédule et ébahi de Katy, laissant apparaître un nouveau compte à rebours.
Teaghan et moi restâmes figés ce qui me sembla une éternité.
Je ne savais pas quoi dire. Enfin si.
— Putain... de... bordel... de... merde !
J'écarquillai les yeux sous le coup de la surprise... et me tournai vers mon ennemie pour la dévisager.
Alors oui, c'était un fait incontestablement exceptionnel qu'une Draoid'hean ait gagné une épreuve des Jeux. Mais – putain de bordel de merde ! – Teaghan venait de me voler ma réplique!
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