Chapitre 5 : Teaghan
— Diathan adhair, talmhainn, uisge agus teine...
Agenouillée au centre d'un cercle de pierres dressées – semblable aux lieux où nos lointains ancêtres procédaient à leurs rituels – j'attendais que les prêtres et prêtresses de mon clan aient fini leurs bénédictions.
— Deamhan beatha, nàdar agus a 'ghrian...
Ils en appellaient aux dieux et déesses des éléments – l'Air, la Terre, l'Eau et le Feu – ainsi qu'aux dieux et déesses de la Vie, de la Nature et du Soleil, pour me bénir. Moi. Celle qu'ils considéraient – à tort ou à raison – comme l'Héritière de leurs visions. Celle qui était censée réussir à les venger.
— Thoir dha an neart e gus an nàmhaid a chall...
J'avais beau ne pas être une fervente pratiquante des anciens rituels qui faisaient passer mes ancêtres (au mieux) pour des hippies new age et (au pire) pour de dangereux hérétiques/illuminés complètement tarés avant la guerre et le bannissement... Eh bien... je ne pouvais pas nier que, seule au centre de ce cercle consacré, je sentais la magie flotter tout autour de moi.
— Seo an t-oighre...
Beaucoup de magie.
— Dìon do ban-oighre...
Cette perception était vraiment enivrante.
Et le spectacle que cela offrait... très impressionnant. Car l'appel de la magie créait de magnifiques aurores boréales autour du cercle de pierres dressées.
Des volutes lumineuses d'un vert éclatant et d'un violet intense ondulaient sur le ciel noir et piqueté d'étoiles scintillantes, éclairant les visages des membres de mon clan d'une aura mystérieuse et magnétique.
— Thoir dha na cumhachdan...
Keir O'Connor et les autres Scienteks de son clan voyaient sûrement – de là où ils se trouvaient en ce moment sur notre Île – une explication rationnelle et scientifique à ce phénomène.
Mais s'ils s'étaient trouvés ici, avec nous, ils sentiraient eux aussi les pouvoirs des Draoid'hean vibrer dans l'air.
— De ar sinnsearan.
Bon... Il n'empêche... j'avais tout de même hâte que cela se termine.
Ben oui... C'est que je commençais à avoir froid moi, vêtue simplement de cette robe blanche sans manches et très – vraiment très – légère. Il ne manquerait plus que je chope la crève avant les Jeux, tiens... Je ne pourrais alors pas prouver à cet arrogant – et intriguant – Scientek que j'étais largement capable de lui tenir tête.
Et ce n'était pas la multitude de breloques que l'on m'avait collées sur les bras, autour du cou, des chevilles et sur les cheveux, qui allaient me protéger du vent glacial que la magie de nos Dieux faisait souffler sur ma peau. Ni ces peintures noires et dorées qui me recouvraient presque entièrement, mais qui n'avaient absolument aucune incidence sur les capacités de mon épiderme à maintenir la chaleur dans mon corps, actuellement transi de froid.
Et puis... ouais... j'avais mal aux genoux, aussi.
Bon allez, Teaghan ! Reprends-toi !
Sincèrement, d'habitude, je n'étais pas du genre à me plaindre ni à m'apitoyer sur mon sort. Je suis quelqu'un de plutôt dure en règle générale.
Mais si je n'étais pas vraiment pratiquante – comme la plupart des jeunes Draoid'hean – c'était pour une raison – essentiellement – pragmatique. Après tout, je n'avais pas vraiment le luxe de choisir d'être croyante ou non, puisque j'utilisais la magie de nos Déesses et Dieux quasiment tous les jours.
Non, si je ne pratiquais pas ces cérémonies compliquée et poussiéreuses, c'était parce que... eh bien... ces saletés de rituels étaient foutrement longs, bon sang !
Et franchement, quelle idée de devoir s'agenouiller dans l'herbe humide ? J'aurais très bien pu témoigner mon immense respect dû à ces Dieux généreux... mais debout, avec un pantalon, un pull, des chaussures et un manteau, non ?
Non mais je vous jure... Foutues traditions !
— Faigh a-mach ban-rìgh
Il me fallut un petit temps d'adaptation pour m'arrêter de râler silencieusement et remarquer que les prêtres et prêtresses avaient cessé de psalmodier et me dévisageaient avec insistance.
Euh... C'était quoi déjà, les derniers mots qu'ils avaient prononcés ?
Vous voyez ! Si les cérémonies étaient moins longues, je n'aurais sans doute aucun mal à rester concentrée.
— Faigh a-mach ban-rìgh... répétèrent-ils en chœur en me lançant des regards légèrement agacés.
Ah. Ok.
C'était le moment du rituel où j'étais censée me relever – c'était ce qu'ils venaient de m'ordonner dans la langue de nos ancêtres, soit dit en passant.
Pour ma défense, il fallait savoir que c'était une langue que je ne parlais pas couramment. Alors, même si j'avais consciencieusement écouté tout leur blabla, rien ne disait que je me serais levée au bon moment...
Je me dépêchai de poser mes mains sur l'herbe humide pour y prendre appui et me remettre debout. Je le fis souplement, malgré l'engourdissement qui s'était emparé de mes membres et je constatai une nouvelle fois avec satisfaction que mon entraînement physique avait porté ses fruits.
Les Draoid'hean avaient tendance à se reposer sur leur magie et n'étaient pas à proprement parler de grands sportifs. Avant mon entraînement pour les Jeux, je ne faisais pas forcément exception, même si j'avais toujours eu de l'énergie à revendre. Courir et grimper avaient toujours été pour moi des exutoires. Des moyens de gérer mon stress et ma tendance à l'emportement.
À présent, debout au milieu du cercle, j'essayais de profiter de mon « nouveau corps » plutôt affûté, pour me tenir droite, le plus dignement possible. Mais j'avais la chair de poule et je devais prendre sur moi pour empêcher mes jambes de trembler et ne pas claquer des dents. Le froid qui régnait sur cette lande était saisissant – et pas du tout habituel pour la saison.
C'était un effet du rituel.
La preuve ? Les prêtres et les prêtresses qui me dévisageaient avec condescendance, avaient tous emporté une grosse cape de laine, eux ! Alors, pourquoi diable avaient-ils insisté pour que je porte cette espèce de « nuisette » diaphane ?
Je n'eus pas le temps de chercher une réponse satisfaisante à ma question. De toute façon, elle mettrait forcément en cause un foutu patriarcat et ses idées à la con – un patriarcat inexistant, soit dit en passant, sur mon île et parmi le panthéon de mes Dieux/Déesses vénéré(e)s. Mais comme ce patriarcat avait été pendant des millénaires la source de tellement de maux, il pouvait bien encore endosser la responsabilité d'un truc idiot dont il n'était – pour une fois – pas responsable, non ? Il n'était plus à ça près...
Bref.
La prêtresse en chef franchit la limite du cercle de pierres et avança vers moi d'une démarche souple et assurée.
Sa longue cape de laine claquait autour de ses jambes – bien au chaud dans un pantalon – sa capuche rabattue sur ses longs cheveux roux.
Elle tenait dans ses mains un vieux bol en terre cuite d'où s'échappait des volutes blanches, rouges, vertes et bleues.
Une potion.
Créée avec l'essence des quatre Éléments, de la Vie, de la Nature et du Soleil.
Une potion créée avec le sang des membres de mon clan, descendants de la déesse Andraste – un tantinet belliqueuse – qui nous avait donné son nom.
Plus deux ou trois autres ingrédients un peu moins dégueu tout de même...
— Teaghan Tel'Andrasta, les Déesses et Dieux t'accordent leur bénédiction, énonça-t-elle d'une voix forte en dardant sur moi ses prunelles noisette pailletées d'or. L'acceptes-tu, elle et la mission de vengeance qu'ils t'ont confiée ?
Je fus tentée de répondre non, juste pour l'emmerder.
Mais Sandra – la grande rousse au yeux noisette, chef des prêtres et prêtresses du clan, accessoirement meilleure amie de ma mère et ma marraine – serait bien capable de me faire foudroyer sur place par toute sa clique d'encapuchonnés. Pourtant, d'habitude, elle était plutôt bon public avec mes plaisanteries foireuses. Mais... disons que son sens de l'humour plutôt caustique perdait un peu de sa superbe dans ce genre de moments officiels.
Je me contentai donc de hocher positivement la tête avec déférence. Un petit sourire furtif éclaira quelques secondes son visage sérieux.
— Les Déesses, les Dieux et le clan dans son ensemble te remercient, Teaghan. En échange de ton sacrifice, reçois ce présent.
Elle inclina sa tête en signe de respect et me tendit humblement le pot de terre cuite.
J'avais parfois un peu de mal avec cette confiance presque aveugle que mon clan m'accordait. J'avais peur de les décevoir. Même si je n'étais pas du genre à douter de mes capacités, ni à le montrer lorsque cela arrivait. J'avais travaillé assez dur pour avoir un minimum confiance en moi et savoir que j'étais plutôt douée.
Mais je n'étais pas non plus naïve et je restais réaliste quant à mes chances de tuer un Scientek en combat loyal et singulier.
Et c'était d'autant plus vrai depuis que j'avais rencontré celui qui serait mon adversaire. Celui qui – pour différentes raisons dont certaines restaient encore obscures – me fichait un peu les jetons.
Car Keir O'Connor était dangereux.
Alors oui... Comme tous les Scienteks bien sûr, mais bien plus que ce à quoi je m'attendais...
Je secouai imperceptiblement la tête et acceptai l'offrande de ma prêtresse. Puis je fermai un instant les yeux.
Des prunelles grises métalliques – presque inhumaines – et un sourire froid se mirent immédiatement à flotter devant mes paupières closes et envahirent mon subconscient jusqu'à ce que j'en frissonne.
Et merde... Pas maintenant, Teaghan !
Il fallait savoir que j'avais un peu de mal à dormir depuis que – dès que je fermais les yeux – ces prunelles gris acier et ce sourire létal me persécutaient. Et je m'étais plusieurs fois demandée s'il n'utilisait pas l'un de ses « pouvoirs » télékinésiques pour envahir mes pensées.
Mais mes barrières mentales étaient relevées à leur niveau maximum depuis notre « rencontre ». Et je savais que c'était surtout moi qui me foutais la pression et alimentais l'angoisse que je ressentais quand je « pensais » à lui.
Alors oui, il était dangereux. Mais je l'étais aussi.
J'approchai la coupe de mes lèvres en essayant de ne pas grimacer et avalai son contenu d'une traite.
Le goût n'était pas à proprement parler mauvais, mais la texture de la potion avait quelque chose de vraiment répugnant.
J'eus peur d'être saisie de haut-le-cœur, mais je n'en eus pas le temps car mes veines, ma peau... mon corps en entier s'enflamma soudain en réduisant en poussière la petite nuisette blanche qui me servait de robe. Je sentis mes cheveux voler autour de moi comme si de violentes rafales de vent soufflaient sur la lande. Les peintures qui recouvraient mon corps se mirent à briller et je dus fermer les yeux pour éviter de me brûler la rétine.
Puis cette énergie incandescente prit possession de tout mon corps. Je la sentis ramper sous ma peau, dans mes organes et dans mes os.
Je n'avais pas peur, mais la douleur était si intense que je tombai à nouveau à genou et renversai ma tête en arrière pour pouvoir hurler tout mon soûl.
Mais ce ne fut pas un cri qui franchit le seuil de mes lèvres.
À la place, un puissant rayon lumineux sortit de ma bouche.
Et quand il sembla toucher la voûte céleste, ce fut comme si mon île toute entière se mettait à vibrer.
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