Chapitre 2 : Teaghan
— Où as-tu trouvé ces choses ?
Assise face aux membres du conseil, je n'en menais pas large.
Surtout que je sentais toujours le regard – lourd de reproches – de ma mère, posé sur moi. Apparemment, elle n'avait pas trop apprécié de devoir me « sauver ».
Moi, j'avais bien aimé sentir sa magie m'envelopper comme un cocon familier pour ralentir ma chute et me déposer sur le sol en un seul morceau.
Mais sur le chemin qui nous menait à la loge du conseil, elle n'avait pas cessé de lever les yeux au ciel et de me reprocher mon manque flagrant de maturité. Et quand elle m'avait vu lorgner du côté de la clairière, où les autres Vingtiales étaient en train de préparer le barbecue géant de ce soir, elle m'avait même donné une petite tape sur la tête. Katy et Dan, mes deux meilleurs amis, m'avaient alors adressé une petite grimace d'encouragement. Mais de loin. Ils n'étaient pas assez cinglés pour s'approcher de Moira Tel'Andrasta quand elle était fâchée après moi.
— Teaghan ? Tu es toujours avec nous ?
Je sursautai et hochai la tête.
Le conseil de notre clan siégeait dans une loge troglodyte située au cœur de notre ville principale.
Enfin, quand je disais ville, cela ne voulait pas vraiment dire ville. Du moins, pas au sens de celles qui existaient avant que mes ancêtres et ceux des Scienteks décident que se détruire mutuellement pour gouverner le monde était une bonne idée.
Andraste n'était donc pas une mégalopole faite de tours et de gratte-ciels, mais comme elle regroupait la majorité des membres du clan, pour moi, c'était tout comme.
Notre habitat se fondait parfaitement dans notre environnement : une vaste forêt que nous avions choisie pour établir notre territoire sur l'île des Bannis. Nos maisons étaient creusées à même la roche, dans les collines qui nous entouraient, construites au sommet des arbres et reliées entre elles par un réseau de passerelles et d'échelles savamment organisé, ou bâties en pierres et en bois dans les vastes clairières de notre domaine.
Pour les Scienteks, c'était différent. Ils avaient préféré installer leurs villes, dans les ruines des anciennes cités du « monde civilisé ».
Je reportai mon attention sur les membres du conseil. Au nombre de sept, ils étaient assis derrière une énorme table en pierre, sur laquelle était disposée divers objets. Des objets que j'aurais peut-être dû mieux cacher...
— Teaghan, nous étions d'accord pour que cette année, notre champion subisse un entraînement physique un peu plus poussé, c'est vrai. Pour qu'il soit en mesure de tenir tête au O'Connor qu'il devra affronter. Mais nous n'avons pas autorisé ça ! Qu'est-ce qui t'a pris ?
Ma mère darda sur moi ses prunelles bleu turquoise si semblables aux miennes. Elle était vraiment impressionnante quand elle revêtait ses habits de chef de clan. Là par exemple, j'étais à deux doigts de chouiner comme un bébé devant son autorité écrasante. Ça ne se voyait pas – enfin, je l'espérais – mais ma mère était la seule à avoir le don de me foutre les jetons.
— Je... je me suis dit que ce serait un bon entraînement justement.
— Quoi ? Te jeter dans la gueule du loup ?
— Non, je...
— Et s'ils t'avaient attrapée ? intervint Shona, la première conseillère. Notre plan serait tombé à l'eau, avant même que nous ayons eu l'occasion de simplement essayer de le mettre à exécution. C'est ce que tu veux Teaghan ?
Là, tout de suite, ce que je voulais se résumait surtout à lui balancer une boule d'énergie dans le visage, juste pour effacer son petit sourire suffisant. Mais je ne le fis pas. Contrairement à ce qu'elle pensait, je n'étais pas complètement dénuée de bon sens.
— Non, Shona. Ce que je veux, c'est être assez forte pour que le champion des O'Connor ne me tue pas. Et réussir à pénétrer chez eux après avoir couru plusieurs heures, sans me faire repérer et en réussissant à leur piquer deux ou trois trucs au passage, me font me dire que je suis sans doute au top de ma forme. Et la seule capable de faire ce que vous voulez.
Non mais ! C'est qu'elle commençait à m'énerver cette vieille chouette aigrie !
Alors qu'elle ouvrait des yeux ronds comme ceux de son animal fétiche, je lui adressai mon plus beau sourire de jeune fille innocente. Ce qui la fit trembler d'indignation.
— Tss tss tss... tant d'arrogance ne te mènera à rien, Teaghan.
Je tournai vivement la tête vers Rob, le membre le plus ancien du conseil. Mon vieux professeur était-il en train de se moquer de moi ?
— De l'arrogance ? Mais...
— Rob, me coupa ma mère en s'adressant à l'homme qui me fixait d'un regard indéchiffrable. Je ne pense pas que...
Pendant qu'elle parlait, je ne quittai pas mon vieux maître des yeux. Ce qui ne m'empêcha pas de tendre l'un de mes bras dans un geste souple et rapide, puis le second.
L'instant d'après, l'arc en matériau bizarre des Scienteks se tenait dans ma main, l'une de ses flèches dans l'autre.
Aucun des membres du conseil n'avait eu le temps de réagir et quelques hoquets de surprise se firent entendre.
Pendant que j'encochais la flèche et que je bandais la corde, je vis le regard stoïque de Rob ciller légèrement.
J'hésitai pendant un instant à l'armer réellement et à tirer en direction des membres du conseil – sans les viser véritablement – comme l'une des héroïnes d'un roman que j'avais volé aux O'Connor lors d'un de mes raids précédents. Mais je m'abstins. Après tout, j'avais face à moi sept Draoid'hean qui n'avaient pas un sens de l'humour très développé et qui étaient déjà en train – je le sentais – de faire appel à leur magie pour créer une sorte de bouclier.
Un bouclier qui renverrait le projectile en plein dans la tête de son envoyeur – en l'occurrence, moi. J'en aurais mis ma main à couper. Et je tenais beaucoup à mes mains. À ma tête aussi, cela dit.
Bref.
— Ce n'est pas de l'arrogance, dis-je en abaissant mon arc, juste l'énoncé d'un fait. Je suis bien entraînée. J'ai développé mon endurance, mon agilité, ma force physique, ma rapidité et mon équilibre. Je ne suis certainement pas l'égale d'un Scientek dans ce domaine – encore moins d'un O'Connor – mais je suis douée. Grâce aux objets que je leur ai volés, j'ai aussi appris à me servir de leurs armes.
— Tu n'avais pas besoin de toutes ces... choses, grommela Shona en prenant un air dégoûté. Leur technologie est mauvaise Teaghan. Elle a détruit notre monde bien avant le début de la Quatrième Guerre Mondiale. La magie de la nature aurait dû te suffire. Tu aurais dû travailler plus dur dans ce domaine. C'est avec ça, avec les dons que tu as reçus à la naissance, que tu devrais résister face aux Scienteks !
— Va dire ça à tous les Tiales qui sont morts ces dernières années, répliquai-je en tentant de garder mon calme, mais en ne pouvant retenir un petit sourire méprisant.
— Co... comment oses-tu ? hoqueta-t-elle en posant ses deux mains sur son cœur.
Bon... C'est vrai que j'y étais peut-être allée un peu fort. Après tout, le champion des Septiales de notre clan l'année passée, était son frère. Mais il n'avait pas tenu très longtemps face à celui des O'Connor. Même s'il était un Draoid'hean très puissant...
Oh bon sang ! C'était un fait dont nous avions déjà discuté, pourtant ! La magie seule ne faisait pas le poids face à ces humains génétiquement modifiés. Car en plus d'être forts, résistants et rapides, les Scienteks possédaient eux aussi une certaine forme de magie. Alors, pourquoi étais-je en train de me justifier encore une fois devant le conseil ?
— Je pense que nous ferions mieux de tous garder notre calme, intervint ma mère. La question de l'entraînement du champion a déjà été débattue et nous ne sommes pas ici aujourd'hui pour remettre en cause la décision qui a été prise à la majorité. À partir de cette année, la force physique ne sera plus délaissée.
Alors que nous hochions tous la tête pour approuver ce que notre chef venait de dire, Shona me jeta tout de même un regard mauvais que je n'hésitai pas à lui retourner.
— Néanmoins Teaghan, je t'interdis de retourner chez ces Scienteks avant le tournoi, sous peine de te disqualifier. Me suis-je bien faite comprendre ?
Ma mère bluffait, je le savais. Notre clan ne pouvait pas se passer de moi. Pas s'ils voulaient que leur vieille rancune envers les O'Connor soit enfin vengée.
Néanmoins, j'acquiesçai sans protester. En plus, elle m'avait interdit d'y retourner, pas d'utiliser les objets que j'avais déjà volés.
— Très bien, approuva-t-elle avec un hochement de tête dans ma direction, tu peux disposer Teaghan. Mais n'oublie pas que nous comptons tous sur toi. N'oublie pas le but de la communauté et le rôle qui t'a été confié.
Ouais... En même temps, comment aurais-je pu l'oublier ?
Car le but de la communauté et ma propre destinée étaient intimement liés. Il fallait que je sois assez forte pour que le champion des O'Connor ne me tue pas, c'était un fait. Mais il fallait surtout qu'il soit obligé de faire de moi son esclave.
Une fois que cela serait fait, il m'emmènerait chez lui.
Et je pourrai enfin venger mes grands-parents. Je le tuerai lui, ses chefs et tous les Scienteks de son clan que je croiserai.
Avant qu'ils ne parviennent à m'arrêter et que je ne quitte ce monde, l'affront fait aux Tel'Andrasta serait payé...
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