Chapitre 13.2 : Keir

— Où est Safia ?

Moira Tel'Andrasta fit claquer sa langue. Elle semblait agacée et furieuse, mais masquait tout de même ses émotions de façon remarquable. J'étais presque impressionné.

— Tu n'as rien à faire ici, Keir O'Connor. Retourne immédiatement d'où tu viens.

Je la dévisageai avec un air inexpressif et me rapprochai de Teaghan, toujours prisonnière.

— Où est Safia ? réitérai-je sur un ton dangereusement bas.

Je n'aimais pas spécialement me répéter.

Moira prit une inspiration sifflante et sa mâchoire se contracta.

— Tu ne crois pas que Teaghan et toi avez déjà fait assez de dégâts ? Ah, les Vingtiales... soupira-t-elle de plus en plus agacée. Vous ne savez pas vous contrôler. Retourne dans ta cellule, Keir.

Moira Tel'Andrasta incarnait l'image de cheffe de clan dans toute sa splendeur. Elle ne me sous-estimait pas, mais imaginait sans doute que puisqu'elle me donnait un ordre, je devais lui obéir. Elle se fourrait le doigt dans l'œil.

— Dites-moi où est Safia et ce que votre monstre lui a fait, sinon...

— Sinon quoi, Keir ?

Ma main se posa immédiatement sur la gorge de Teaghan qui eut un mouvement de recul. Elle eut toutefois le bon goût de ne pas couiner pathétiquement. À la place, elle marmonna un truc sur la foutue prévisibilité de mon geste. J'en fus légèrement vexé. Je n'étais absolument pas quelqu'un de prévisible. Si ?

— Sinon je serre très fort et je la tue.

Bon, peut-être que si. C'était effectivement la troisième fois que j'essayais de l'étrangler depuis que je la connaissais. Je tenterai une autre méthode pour la menacer de mort la prochaine fois. Parce que prochaine fois il y aurait. Je n'allais évidemment pas tuer Teaghan maintenant. Je m'interrogeai tout de même sur l'évidence que je ressentais, justement. Ma volonté de l'épargner n'était pas censée en être une.

La cheffe des Andrasta tressaillit imperceptiblement en entendant mon avertissement. Encore une fois, je devais reconnaître que les femmes de cette famille étaient impressionnantes de sang-froid.

Elle fit un pas de plus dans la pièce et arqua ses sourcils. Malgré son masque de froideur, ses yeux turquoise brillaient dans la faible luminosité des torches. Elle me prenait donc au sérieux. Cela n'aurait pas dû m'émouvoir outre mesure. Qu'une Draoid'hean me croie capable d'ôter la vie sans que cela ne me cause le moindre remords était normal et dans l'ordre des choses. Pour Teaghan et les siens, nous n'étions que des blocs de glace dépourvus d'émotions. Je n'en avais rien à foutre qu'elles me prennent pour le monstre de leurs cauchemars. Sauf que je trouvais cela particulièrement hypocrite quand on savait en quoi l'un des leurs s'était transformé pendant les Jeux. En quoi ma façon d'agir était-elle pire que ce que Sam avait fait ? Et pourquoi est-ce que je me posais subitement ce genre de foutues questions existentielles, nom de nom ?

La fille que je m'apprêtais à étrangler avait dû me contaminer avec ses pseudo-idéaux égalitaires. Je ne voyais pas d'autres explications. C'était fâcheux. Et complètement idiot. Sauf que... elle me faisait penser à Siobhan. Ma sœur aussi avait des rêves qui relevaient de l'utopie.

Bon sang ! Je m'égarais complètement là ! Si je voulais que l'un des rêves de ma sœur au moins devienne réalité, je devais retrouver ma meilleure amie.

— Où est Safia ? grondai-je donc une nouvelle fois en commettant l'erreur de montrer ainsi une infime parcelle de mes émotions.

Moira tiqua et ses traits semblèrent s'adoucir. J'espérais qu'elle ne voyait pas en moi l'un de ces Scienteks capables de sentiments amicaux envers ses ennemis qu'elle avait connus pendant son adolescence. Des Scienteks comme... mon père. Je n'arrivais toujours pas à comprendre pourquoi, ni comment cela était possible.

Je resserrai ma prise sur la gorge de Teaghan. Je sentis son pouls s'affoler sous mes doigts et cela remua un truc dans mon bide. Ma colère redoubla.

— Safia va bien, déclara finalement Moira en lançant une œillade inquiète à sa fille.

Une vague de soulagement m'étreignit. Je la refreinai. Je ne pouvais pas faire confiance à un membre de son espèce. Une espèce capable de faire appel à une magie noire néfaste et nauséabonde. Le visage hideux et dépourvu d'humanité de Sam lorsqu'il s'en était pris à mon amie en était la preuve. Je devais voir de mes yeux l'état dans lequel se trouvait mon amie.

— Où est-elle ?

J'étais fier de rester aussi concis. L'envie de rajouter un « putain de bordel de merde » à la fin de mes questions commençait à me démanger sérieusement.

— Je ne peux pas te le dire, répliqua posément la cheffe du clan d'en face. Relâche ma fille maintenant, si tu ne veux pas t'attirer plus d'ennuis.

Je laissai échapper un ricanement sec et tranchant.

— Je me moque du sort que vous et le conseil me réservez, Moira. Mais vous pourrez en décider beaucoup plus rapidement si vous répondez à ma question. Ce qui permettra également à Teaghan de rester en vie.

En parlant de ma meilleure ennemie, je la trouvais bien éteinte tout à coup. Elle ne m'avait pas habitué à ça. Je lui jetai donc un rapide coup d'œil. Non pas que je m'inquiétais réellement pour elle puisque c'était moi qui menaçais de la tuer. Or, je n'avais absolument pas l'intention de le faire véritablement pour le moment. Dans cette partie de notre « histoire », Teaghan et moi étions, en quelque sorte, des alliés. Enfin, pas vraiment, mais disons... à peu de chose près. Il se passait des choses étranges parmi les clans. Je voulais découvrir quoi et j'avais la certitude que Teaghan aussi.

Le visage de cette dernière était crispé et ses mâchoires contractées. Toutefois, elle ne me regardait pas. Ses iris turquoise étaient vrillés sur sa mère. La cheffe des Andrasta était d'ailleurs en train d'avancer vers moi, les bras légèrement relevés.

Merde ! Mon intérêt pour le « bien-être » de Teaghan m'avait distrait. Je dus donc faire appel à tout mon self-control pour ne pas sursauter en voyant la magie qui ondulait par vague dans la pièce. Une énergie translucide aux reflets argentés tournoyait autour des mains de Moira. Je plissai les paupières et m'apprêtai à lui ordonner d'arrêter ce bordel – d'une façon un poil plus diplomatique – quand je sentis un souffle tiède m'effleurer le visage et les mains. C'était... plutôt agréable de prime abord. Enfin... jusqu'à ce que cela se mette à me picoter plutôt... eh bien... désagréablement.

— La plaisanterie à assez durer, Keir, déclara Moira d'une voix presque douce. Relâche Teaghan, maintenant. Nous sommes tous attendus au conseil et ton inconséquence risque de vous nuire, mon garçon.

Mon garçon ?  Sans déconner, elle me prenait pour qui ?

J'allais rétorquer, mais les picotements commençaient à devenir franchement déplaisants. Quand l'un de ces « souffles » repassa sur ma main – celle qui retenait la gorge de Teaghan prisonnière – mon bras se mit à trembler. Alors ouais... J'étais le plus fort et tout et tout, et je pouvais gérer la douleur, mais... pas éternellement. Et pas une si dérangeante. J'avais l'impression que quelque chose rampait sur ma peau. Quelque chose de pas naturel et qui provoquait en moi un sentiment de rejet viscéral. Je déglutis.

Mes muscles étaient en train de se contracter. Tout comme mes doigts. Mes doigts... qui se trouvaient toujours autour du cou de Teaghan. Je ne voulais pas la tuer, bordel ! Sauf que c'était ce qui allait arriver si je continuais à serrer comme ça. Je grimaçai sous l'effort, mais ma main finit par se décrisper légèrement. Puis ma vision se brouilla. La douleur reflua... avant d'être remplacée par une autre beaucoup plus intense au niveau de mon avant-bras.

Mes yeux plongèrent immédiatement dans les iris bleu turquoise qui me fixaient avec intensité. Par je ne sais quel tour de passe-passe, Moira était parvenu à détacher les liens de Teaghan. Cette dernière se trouvait à présent libre de ses mouvements et sa première action avait été de se venger de ma prise d'étranglement. Je ne pouvais décemment pas l'en blâmer, même si j'allais – sans nul doute – sacrément morfler.

Sa paume aussi chaude que du métal en fusion appuya plus intensément sur mon bras. La douleur se propagea jusqu'à mon épaule, me donnant l'impression que du magma en fusion courrait dans mes veines et se mélangeait à mon sang.

Bon sang ! Son pouvoir était bien plus puissant que ce à quoi je m'attendais. Ses précédentes attaques sur ma petite personne ressemblaient à des petits claques comparés au gros coup de poing brûlant et métaphorique qu'elle venait de m'asséner. Je serrai les dents pour ne pas hurler, mais je sentis ma vision se brouiller sous des larmes de douleur que je ne pouvais pas contrôler. D'un mouvement sec du poignet, elle me tordit finalement le bras qui la retenait toujours plus ou moins prisonnière et je lâchai complètement prise. La douleur cuisante était en train de m'étourdir et l'odeur de chair brûler me donna envie de vomir. Incapable de maintenir mon niveau de concentration habituel, je baissai ma garde. Je ne vis pas le coup de genou partir et je n'eus donc pas le temps de contracter mes magnifiques abdos. Son attaque surprise me coupa le souffle et je me pliai en deux. Elle me relâcha complètement et je ramenai mon bras meurtri contre mon torse. J'étais en train de douiller sérieusement. Je relevai mes yeux larmoyants et un poil admiratifs vers elle. Personne n'avait jamais réussi m'atteindre comme elle venait de le faire. Bien sûr, je n'était pas vraiment en mode machine de guerre, mais cela restait néanmoins un exploit. Ses iris turquoise me lancèrent des éclairs.

— Si tu m'étrangles une quatrième fois avant notre affrontement final, je te jure que je te transforme en poulet rôti, O'Connor. C'est compris ?

Je tentai de lui adresser un petit sourire moqueur malgré la douleur. Je guérissais vite, mais ma peau avait tout de même considérablement noircie. Je devrais sans doute attendre quelques heures avant de retrouver ma peau parfaite. Pour les poils virils, ça mettrait sans doute plus de temps à repousser. Peut-être garderai-je une cicatrice ? Je n'étais finalement pas contre l'idée de conserver un souvenir de Teaghan après sa mort.

— Reçu cinq sur cinq, Tel'Andrasta. L'étranglement, c'est fini. Je trouverai un autre moyen pour te montrer ma supériorité. Peut-être un truc avec ma langue, ajoutai-je en chuchotant pour que sa mère ne m'entende pas.

Je lui offris un petit clin d'œil arrogant tandis qu'elle se raidissait et me dévisageait froidement. Le problème, c'était que cette idée de « châtiment » ne me déplaisait pas des masses finalement et qu'au vu de la légère rougeur qui venait d'apparaître sur les joues de ma colocataire, je n'étais probablement pas le seul à penser à l'aspect légèrement salace et excitant de ma « proposition ». Mon visage se ferma immédiatement et Teaghan inspira en serrant les lèvres.

J'étais en train de dérailler complet.

— Si vous avez fini votre petit règlement de compte... intervint soudain Moira.

Teaghan et moi sursautâmes et tournâmes de concert la tête dans sa direction.

— J'aimerais m'entretenir seule à seule avec ma fille avant le début du conseil. Je réitère donc ma demande, Keir. Si tu veux bien retourner de là d'où tu viens...

Ses mains, croisées bien sagement devant elle, ne brillaient plus du tout. Une ombre de sourire flottait encore sur ses lèvres mais son visage avait repris cet air altier qui la définissait en tant que cheffe de son clan. Je ressentis malgré moi un élan d'admiration pour cette femme qui avait réussi à détourner suffisamment mon attention pour libérer sa fille grâce à sa magie. Les Draoid'hean n'étaient peut-être pas les insectes insignifiants que j'avais voulu écraser toute ma vie. Bien sûr, cela coulait de source puisque je venais de m'imaginer faire courir ma langue sur la peau de l'une d'entre eux.

Mon ventre se contracta et je secouai légèrement la tête pour faire disparaître cette pensée dérangeante.

Je devais me recentrer, car malgré la pointe de respect que je nourrissais à présent pour cette femme, elle n'avait toujours pas répondu à ma question concernant mon amie et c'était ça l'important. Son foutu conseil censé décider de mon sort et de celui de Teaghan pouvait bien attendre.

Je m'apprêtais à lui dire le fond de ma pensée, mais Teaghan me devança.

— Où se trouve Safia, maman ? Et surtout, qu'est-il arrivé à Sam et que lui a-t-il fait ?

Tenant toujours mon bras brûlé – qui commençait d'ailleurs à me picoter en signe de cicatrisation – je lui jetai un coup d'œil étonné. Le fait qu'elle englobe Safia – une Scientek – dans ses questionnements était légèrement déroutant. Personnellement, je n'en n'aurais rien eu à faire d'un Draoid'hean blessé si la situation avait été inversée. Sentant sans doute mon regard peser sur elle, Teaghan ne prit pas la peine de me le retourner, mais m'adressa tout de même un charmant doigt d'honneur destiné à me faire fermer mon clapet.

Moira soupira.

— Teaghan, écoute...

— Il a invoqué le dieu Balor, n'est-ce pas ?

Même si je ne compris pas de quoi elle parlait exactement, ni de quel dieu de leur panthéon bizarre il s'agissait, voire la cheffe des Andrasta blêmir et vaciller ne me rassura pas des masses.

— Comment... où as-tu entendu ça ?

Ouais... Le tremblement dans sa voix n'était pas très rassurant non plus. 

Alors...

Putain de bordel de merde... C'était qui ce Balor, nom de nom ? Et que venait-il bien foutre là-dedans?

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