Chapitre 1.2 : Keir

 — Bon sang Sio ! Comment est-ce que tu as pu louper ça ?

D'habitude, je ne m'énervais jamais après ma sœur. Mais sur ce coup-là, elle avait quand même sacrément merdé.

— Je...

En voyant son beau visage se décomposer et ses yeux se remplir de larmes, je me souvins brusquement du pourquoi je ne me fâchais jamais après elle.

Et la réponse était simple : j'étais le seul à pouvoir réellement la blesser et je détestais ça. J'étais peut-être – la plupart du temps – un connard arrogant, mais pas avec elle. Jamais avec elle. Le fait qu'elle me considérait comme une sorte de dieu vivant dont elle cherchait constamment l'approbation, me donnait une certaine responsabilité. La pression qu'elle se mettait pour "être à ma hauteur" était déjà tellement énorme, que j'évitais toujours d'en rajouter une couche.

— Siobhan, écoute je...

— Ah non ! s'exclama-t-elle avant que je ne puisse terminer ma phrase. Ne t'excuse pas ! C'est moi qui suis désolée, Keir. Mais je me suis absentée de mon poste pendant cinq minutes, grand maximum. Je ne comprends pas comment ils ont eu le temps de prendre autant de choses !

Siobhan se tourna vers la partie de notre entrepôt qui avait été pillée par nos ennemis en secouant la tête. Je fis de même en serrant la mâchoire et les poings.

J'étais dépité. Et énervé aussi. Ces enfoirés avaient volé une bonne partie de notre matériel de chasse et d'entraînement. Notamment nos arcs en carbone et les flèches qui allaient avec, ainsi que des épées ultra-légères et de vieux fusils.

Mais ils avaient aussi pris du petit matériel qu'on avait eu un mal de chien à dénicher récemment dans les ruines d'une ville voisine complètement submergée par les eaux.

Ce cataclysme aquatique s'était produit pendant la Quatrième Guerre Mondiale, autrement appelée « La Guerre des Orgueilleux » – ou des "connards mégalo" selon votre degré de rancune envers les Draoid'hean et les Scienteks – et cela avait au moins eu l'utilité de faire de cette ville une sorte de sanctuaire intouché.

Cela faisait d'ailleurs plusieurs années qu'avec quelques membres de mon clan, nous l'explorions à la recherche de denrées ou de matos capables d'améliorer un peu notre ordinaire de bannis supérieurement intelligents, mais qui s'ennuyaient facilement.

Bref.

Deux semaines auparavant, nous avions enfin réussi à dénicher deux ou trois trésors et voilà que ces espèces de mages bizarres à l'intelligence nettement inférieure à la nôtre étaient parvenus à nous les voler ?!

Mais, comme l'avait si bien dit ma sœur : comment ?

Peut-être qu'avec...

Oh et puis, sérieux ? Qu'allaient-ils bien pouvoir faire avec des altères, des punching ball, des gants de boxe, des protège-dents et... et ma superbe slackline avec laquelle j'avais passé deux semaines d'entraînements merveilleux, coupé des autres Scienteks, à plusieurs mètres du sol pendant des heures entières... et calmes... et reposantes... et...

Franchement, leur truc à eux, ce n'était pas plutôt les potions et les incantations ? Depuis quand avaient-ils décidé de se mettre au sport, nom d'un chien ? Le pouvoir des fleurs, des arbres, de dame nature et de tous leurs potes de condition végétale, minérale et animale ne leur suffisaient plus ?

— Grâce à leur foutue magie, finis-je par répondre à ma sœur en tachant de ne pas adopter un ton trop tranchant. Voilà comment ils ont réussi à pénétrer ici et à nous voler nos affaires.

Ça me faisait mal de l'avouer, mais il fallait bien reconnaître que ces Draoid'hean du clan d'Andrasta étaient doués. Ils avaient réussi à s'introduire sur notre territoire et à dévaliser l'un de nos entrepôts, sans se faire voir et sans déclencher d'alarmes.

C'était plutôt un exploit, il fallait vraiment le reconnaître. Surtout qu'ils ne connaissaient quasiment rien à la technologie que nous étions parvenus à réinventer, avec le peu de matériel que les Nations Nouvelles avaient autorisés nos ancêtres à apporter sur l'île, au moment du bannissement.

Elles s'étaient montrées plutôt indulgentes finalement, étant donné que nous étions responsables – avec les Draoid'hean – de la fin de la civilisation telle que l'humanité la connaissait avant cette fameuse guerre.

— Je suis tellement désolée, Keir. Je ne sais pas ce qui m'a pris de quitter mon poste. J'aurais dû me douter qu'ils tenteraient quelque chose. Le tournoi est dans moins d'une semaine et chaque année ils...

— C'est bon, Sio, l'interrompis-je. Ce qu'ils ont pris n'est pas non plus d'une valeur inestimable. Mais j'aimerais bien savoir ce qu'ils vont pouvoir faire du matériel d'entraînement. Les Andrasta sont des Draoid'hean plutôt traditionnels en règle générale. D'habitude, ils ne jurent que par la magie et ils refusent de se battre avec leurs poings...

Face à moi, ma petite sœur sembla prendre le temps de réfléchir à ce que je venais d'énoncer.

— Peut-être en ont-ils marre de perdre l'un des leurs tous les ans ? suggéra-t-elle en cherchant mon approbation des yeux. Surtout que cette année, on recommence le cycle et que ce sont les Vingtiales qui s'affrontent. Ils ne veulent sans doute pas que l'un de leurs jeunes soit tué ou réduit en esclavage sans tenter le tout pour le tout. Sans tenter d'allier la force brute à leurs pouvoirs ? Peut-être ont-ils enfin compris que la magie de leurs Dieux n'est pas supérieure à la nôtre et que la force de l'esprit ne suffit pas pour vaincre ?

En entendant cela, je me surpris à sourire. Ce que venait de dire Siobhan n'était pas absurde, loin de là. Peut-être que – comme elle l'avait souligné – pour une fois lors de nos affrontements annuels, le champion des Andrasta donnerait enfin au nôtre du fil à retordre ?

Et – soyons honnêtes – ce n'était pas pour me déplaire, puisque cette année, le champion du clan d'en face... c'était moi.

— N'empêche, mieux entraîné ou non, reprit Siobhan, j'espère que tu ne l'amocheras pas trop. Un esclave à la maison, ce serait quand même bien pratique, non ?

Hein ?

Comprenant soudain où ma petite sœur voulait en venir, je secouai vigoureusement la tête.

— Alors là Sio, même pas en rêve ! Il est hors de question que je l'épargne et que j'en fasse un esclave ! Je ne veux pas d'un Draoid'hean bizarre autour de moi à longueur de journée ! Non, non, et non ! Je le – ou je la – tuerai proprement. Les O'Connor seront une nouvelle fois victorieux et...

— Tu n'auras peut-être pas le choix, avança ma sœur sur un ton qui se voulait diplomate. Si ta victoire n'est pas écrasante, on ne t'accordera pas le droit de l'achever. Et puis les Andrasta ne sont pas tous bizarres, Keir. Certains sont sans doute tout à fait normaux et peut-être même très sympas.

— Mais oui bien sûr, répliquai-je légèrement sarcastique. Nos ennemis héréditaires sont sans doute des gens supers qui gagnent à être connus.

Alors que Siobhan pinçait les lèvres devant mon évidente mauvaise foi, je lui adressai mon plus beau sourire de petit con prétentieux.

— Mais ce ne sera certainement pas le cas de celui qu'on traînera de force chez nous pour en faire un esclave, sœurette. Je ne sais pas pourquoi – et arrête-moi si tu trouves que mon analyse de la situation est foireuse – mais quelque chose me dit que se montrer sympa avec nous, ne fera pas partie de ses préoccupations principales...

Alors que ma sœur haussait les épaules pour me signifier que, de toute façon, quoi que je dise, ce ne serait finalement pas à moi de décider du sort de mon adversaire et que je serai bien obligé de faire ce qu'on me demanderait, je pris soudainement conscience que notre conversation avait un peu déviée, et que Siobhan n'avait finalement pas répondu à la première question que je lui avais posée.

— Au fait Sio, tu ne m'as toujours pas dit pourquoi tu avais quitté ton poste, hier soir ?

En la voyant rougir violemment et se balancer d'un pied sur l'autre, gênée, je compris immédiatement que je ne voulais pas vraiment savoir. Au final, tout cela n'était pas si grave. Sauf pour ma slackline.

Alors, je pris la seule décision possible. Je tournai les talons pour échapper à cette conversation et j'éclatai de rire.

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