9. Mon cure dent

Melek Ozkan

Le verre un peu trop dosé que m'a servi Doums dans les mains, je regarde silencieusement Sid être Sid. Il est assis avec ses potes et arrête pas de rire. J'aime bien.

Mais même si c'est agréable de le voir avec ses potes, j'ai clairement envie de me barrer. Je suis crevée, et pour le coup j'entends mon lit m'appeler. Je me vois déjà passer ma prochaine journée à dormir, le téléphone éteint et sans aucun accès au monde extérieur.

C'est le genre de truc que je n'ai pas assez le temps de faire.

Les yeux posés sur mon téléphone, je fais défiler lascivement les storys. Si seulement les gens voyaient la moitié de l'envers du décor, tout deviendrait beaucoup moins glamour.

- Melek?

Je relève le visage, Louna, la petite blonde se tient face à moi.

- Avec Ken on va rentrer, tu veux qu'on te dépose? Moh nous a dit que t'habitais pas loin de chez nous.

Avec Ken?

Mais qu'est ce que je suis débile. Et pour confirmer ce qui était pourtant évident, le rappeur pose une main sur la taille de la petite blonde et lui colle un baiser sur la tempe.

Ok, j'ai super honte.

Et moi qui ressasse ça depuis quatre heures, je suis vraiment ridicule.

- Je vais la ramener les gars, c'est bon.

Sid vient de se taper l'incruste la plus furtive que je n'ai jamais vu. Je me relève en roulant les yeux.

- Tu sais que je peux rentrer toute seule? je demande.

- Ça sera beaucoup plus amusant avec moi.

J'hausse un sourcil.

- C'est pas avec tes petits bras que tu vas mettre KO les gars bresom qui zonent, il rajoute.

Il est trop facile, vraiment trop facile.

- Parce que toi tu serai utile avec tes deux cures dents là ?

Il mime une mine faussement offensé avant de passer son bras autour de mes épaules et me tirer contre lui pour me bousiller ma coupe.

Bien sûr, pour défendre son ego blessé de mâle il prend un malin plaisir à me coincer contre lui, et même mes coups de genoux n'y changent rien.

- C'est qui le cure dent là? il me demande avec ce sale sourire qui me donne envie de lui arracher les yeux.

Je souffle en laissant tomber ma tête contre son épaule.

- C'est bien gamine, c'est bien, t'apprends vite je suis fière de t... Oh la connasse, il s'écrit en se tenant le pied.

Oui, les talons aiguilles ça fait mal. Très mal même à le voir se rouler par terre.

Ses potes se marrent, le vannent, moi je le regarde avec un petit sourire.

- Cette go c'est un génie! s'exclame Eff déjà bien alcoolisé.

- Ça lui fera les ieps à ce con de Sneazz, il prend trop la confiance, vous allez voir le nombre de sons qu'on va s'taper sur ses aventures avec les égéries maintenant, se marre Alpha.

Les autres rigolent, mais moi ça ne me fait pas rire. Je ne serai pas l'objet romancé d'un rappeur, j'ai déjà été l'objet de bien trop d'interêt.

Je m'écarte de Sid, qui se remet a peine de mon talon pour attraper mon sac posé un peu plus loin. Je veux partir, je ne me sens plus à l'aise. J'ai l'impression d'être retournée au stade de femme objet, pourtant je commençais à apprécier leur compagnie.

Voyant ma hâte de partir, Moh se relève complètement et m'adresse un regard qui me réchauffe immédiatement le cœur.

- Ça te dérange d'aller chercher mon manteau dans la chambre de Deen, faut que je cause d'un truc à Alpha.

J'hoche la tête et me dirige vers la chambre de l'hôte. Au milieu d'une dizaine de manteau, je reconnais celui de mon ami. Son odeur de lessive est tellement forte que je pourrai le reconnaître à l'aveugle.

Mon attention est rapidement attiré par des voix sur le balcon, j'y identifie rapidement Hakim, accompagné de deux autres mecs dont je n'ai pas vraiment retenu les noms, des beatmakers il me semble.

Je comptais pas rester planter là à écouter leur conversation, c'est pas mon genre, mais alors que je m'apprêtais à faire demi tour, la voix rauque du rappeur me retient. Ou plutôt me descend.

- Putain il fait chier, j'sais pas pourquoi il ramène une meuf pareille ici, ça s'sent elle cherche du buzz, elle veut se donner une petite image de princesse bobo des quartiers riches qui traîne avec les mauvais garçons. Kho t'imagines son daron il exploite des milliers de personnes, il fait travailler des pauvres gens pour une misère pour se chopper un max de profit. Putain d'héritière.

Mon sang se glace.

C'est trop. J'ai passé ma journée à me contenir, à ne pas répondre, à servir de jolis petits sourires pour satisfaire tout le monde, mais là mon seuil de tolérance a largement été dépassé, et ce n'est pas un petit con à capuche qui croit connaître la vie qui va me faire la leçon.

Quand les trois me voient apparaître sur le balcon, ils sont d'abord surpris. Mais la surprise laisse vite place à une bataille de regard que me livre le rappeur.

- C'est pas avec des mauvais garçons que la princesse bobo des quartiers riche à trainé mais des pauvres connards frustrés, et tu sais quoi, Mekra, Hakim, ou j'sais pas quoi, je suis peut être une putain d'héritière, mais toi t'es un putain de frustré, tu crois que parce que tu rap et qu'tu joues les gros bras t'as le droit de parler des gens comme ça? Mais chéri, c'est pas parce que t'as distribué trois paires de claques et cassé deux genoux que tu me fais peur. Et tu sais quoi, mon buzz je peux le faire sur beaucoup d'truc mais sûrement pas sur ton dos, j'ai pas envie qu'ta connerie se propage.

Je n'ai pas à attendre sa réponse, enfaite j'en ai rien a foutre je crois. Je tourne les talons, la veste de Sid dans les bras et laisse les trois hommes sur le balcon.

Moh est toujours entrain de parler avec Alpha, alors je pose sa veste sur une chaise et m'éclipse. Mélanger les milieux c'est peut être pas la meilleure idée.

Le vent me claque au visage alors que j'essaie de commander un chauffeur, mais avant que j'ai pu terminé ma manipulation, l'écran s'éteint. Plus de batterie.

- Putain, je grogne.

C'est con, mais j'ai envie de pleurer.

Je pleure jamais. Mais là ce soir j'ai juste envie de m'enfoncer dans ma couette et pleurer.

- Tu te barres sans moi?

- J'essayais, je répond en me tournant vers Sid. J'ai plus de batterie alors bon, je suis partante finalement.

Il me fait un signe de tête et je le suis en silence. Je me retrouve rapidement assise sur la place passager d'une BM, la tête posée contre la vitre.

- Il s'est passé quoi avec Hakim?

Je relève ma tête un peu trop rapidement et grimace. J'ai pas envie de le mettre en porte à faux avec ses potes.

- T'as cavalé comme une folle et cinq secondes après il était entrain de se vénère sur j'sais pas quoi, il ajoute.

- Rien, je répond.

- Melek.

Je ne répond rien.

- Qu'est ce qu'il t'a dit? il reprend.

Les mots du rappeur me reviennent en tête. Il avait pas vraiment tord, du moins pour la partie sur mon père. Ozkan Industrie exploitent des milliers de personnes à travers le globle. Et je déteste y être associée.

- Chat, il souffle.

Je soupire.

J'ai pas envie de parler ça. Mais j'ai pas non plus envie de rester seule, parce que je sais parfaitement que c'est dans ce genre de moment, ce genre de soirée où la réalité me noie, que je me met à faire des trucs idiots.

Comme monter sur un pont.

- Je peux rester chez toi ce soir? je finis par demander.

Il est plutôt surpris, mais il ne tarde pas à acquiescer.

Et quelques instants plus tard je découvre un appartement un peu en bordel, avec un grand mur recouvert par une étagère remplit de CD et vinyles. Il y a aussi une affiche de cinéma avec sa grosse tête dessus, « La source ».

- C'est définitivement pas un mythe, je me souffle à moi même en souriant.

Sid réapparaît quelques minutes plus tard, avec un simple bas de jogging en guise de pyjama. Mes yeux parcourent lentement son torse, il est peut être pas si cure dent que ça finalement.

- Arrête tu vas te décoller la rétine, il se marre.

- Je vois pas de quoi tu parles, je répond en me retournant vers l'étagère.

Je vois très bien de quoi il parle en réalité, mais je compte pas flatter son égo, il a déjà la tête plus grosse qu'une pastèque.

- Je t'ai laissé des sapes pour dormir, ils sont posés sur mon lit. Tu veux manger quelque chose?

Je répond par la négative et part enfiler le tee shirt et le short qu'il a déposé sur son lit. Il me rejoint rapidement, un paquet de gâteau dans les mains.

- Ça t'arrive de ne pas manger pendant plus de deux heures?

- Mhhhh. Non, il répond.

Face à mon air un peu blasé, il rajoute:

- Faut bien nourrir ce corps d'athlète.

Je pouffe et me reçois un coussin dans la tête. C'est vraiment trop facile avec lui.

Et soudain la vérité me foudroie.

Je suis bien avec lui, je peux être moi-même, pas de chichi, pas de jeux, juste moi, Melek. Pas Melek la mannequin présente sur tout les podiums, pas Melek la fille d'un PDG d'une multinationale. Juste Melek. Et ça fait des années que je ne me suis pas sentie aussi bien au contact de quelqu'un d'autre.

Et c'est carrément flippant.

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