4. Les gosses
Melek Ozkan
Le tournage a duré toute la journée, et même une bonne partie de la soirée, alors quand on sort de l'immeuble, la nuit est déjà tombé depuis un moment. D'un coup d'œil j'aperçois rapidement le chauffeur qu'Eric a fait appeler, une vingtaine de mètre plus loin.
Sid me tient toujours par la main, je crois qu'il flippe que je m'enfuie en courant ou un délire dans le genre.
- Passe à droite, je grogne en le poussant. Oh et putain fous ta capuche aussi. Mais c'est fou t'es sûr que t'es connu?
- Mais faut passer à gauche, qu'est ce tu me racontes, il râle.
Je plaque ma main contre sa bouche en lui faisant les gros yeux.
- Crie pas comme ça. Tu vois le mec devant la voiture là, en costume.
Il hoche la tête en jetant un coup d'œil au chauffeur devant la BM.
- Il est censé me ramener chez moi. Si il me voit avec toi, dans la minute mon manager débarque pour me casser les couilles, et là, adieu le mcdo, alors joue là discret et laisse moi faire mon détour.
L'idée de dire au revoir à son mcdo semble être assez convaincante pour qu'il me suive sans râler.
Je le presse un peu pour quitter la rue, et finalement on se retrouve à courir comme deux idiots en riant. Quand on arrive devant le fast-food, il est presque vingt-trois heures.
- Ton manager c'est Hitler ou quoi? La vie d'ma mère j'ai rouillé à force de traîner en studio, j'vaux plus rien.
- Ça doit définitivement être un petit-fils caché, je répond en appuyant mes paumes contre mes genoux pour reprendre mon souffle.
- Tu vas pas avoir des problèmes?
- Pour être partie sans prévenir? je demande. Il a vu pire, mais d'ici 10 minutes mon téléphone ne va pas arrêter de sonner.
Instantanément mon téléphone se met à vibrer.
- Il a une boule de cristal c'est pas possible, je grogne.
Sid se marre alors que j'exprime bruyamment toute mon exaspération. Je finis par éteindre complètement mon téléphone.
Non Éric, tu ne ruineras pas cette soirée là.
Le fast-food est complètement vide, et comme il l'a dit, le rappeur me commande un happy meal. Il me ré explique une nouvelle fois sa théorie selon laquelle ça ne me fera pas grossir puisque c'est le menu des enfants. Je le laisse blablater tout seul, je sais déjà que demain je vais me taper une sale séance de sport pour éliminer tout ça.
Mais j'ai envie de rester avec lui ce soir.
Je l'ai vu une seule fois, et pourtant il m'a fait plus de bien en quelques mots et sourires, que la vingtaine de personnes qui me gravitent continuellement autour.
Peut être parce qu'il agit avec moi comme il agirait avec n'importe quelle personne.
- Le happy meal de la demoiselle est servie, lance théâtralement le rappeur en faisant de grands mouvements.
Je ris avant d'attraper l'emballage.
- Ça fait une éternité que j'ai pas mangé de mcdo, ça remonte facilement à l'été dernier.
Il écarquille les yeux et moi je pique une de ses frites en acquiesçant.
- C'est pas humain.
- C'est le jeu. Putain mais c'est bon quand même, je soupire en croquant un nuggets.
- Tu m'en files un? demande Sid en commençant déjà à se servir.
- Pas touche, je grogne en poussant sa main.
- Ah ouais t'es comme ça toi?
Les sourcils froncés et la mine boudeuse, il me mitraille du regard.
- Exactement, les nuggets sont sacrés.
- Sale peste.
- Je les déguste encore plus en sachant que c'est toi qui les a payé, je rajoute en croquant dans un second.
Il marmonne vaguement un truc qui me fait rire avant de se concentrer sur son burger.
Ce mec a un truc qui me met à l'aise.
Moi qui suis tout le temps à la recherche de distance, pour le coup il me donne envie de le connaître.
C'est plutôt agréable je crois.
- Je peux te poser une question? je demande en posant mon coca.
- Tu la posera même si je te dis non.
Pas faux.
- Le soir où on s'est rencontré, t'avais un bleu là, je commence en indiquant sa mâchoire, tu m'as dis que t'avais défendu ta famille. Tu parlais des gars?
Je l'ai observé du coin de l'œil toute la journée, avec les autres mecs que m'a présenté Deen, et j'ai eu l'impression de voir une bande de frère. Il y a quelque chose entre eux d'assez inexplicable et touchant.
Ça me donnerait presque envie d'être sociable.
- Tu perds pas le nord Ozkan.
Il prend une inspiration avant de continuer. Il n'a encore rien dit, pourtant je sens déjà que c'est un sujet sensible.
- Il y a 8 mois, la meuf à Fram s'est faite agressée. Y'avait de sales histoires derrière ça, des connards qui voulaient lui faire payer d'avoir envoyer un des leurs en taule. Elle est restée plus d'un mois à l'hosto, on a vraiment cru qu'on allait la perdre.
Sa voix tremble par moment.
- Y'en a deux qui se sont fait serrer par les flics vite fait. Et y'a deux mois, je suis tombé sur le troisième.
- Comment t'as su que c'était lui? je demande.
- Je le savais pas jusqu'à ce que ce pauvre con complètement bourré commence à le déballer au serveur. Il a pas dit de nom mais j'ai vite fait le lien. Des histoires pareilles ça courent pas les rues.
- Et t'as pas eu l'idée d'appeler les flics au lieu de lui sauter à la gorge? je demande en haussant un sourcil.
Un rire coincé sort de sa gorge.
- Et toi t'aurai fait quoi si le type qui a essayé de tuer ta sœur se trouvait en face?
Il a l'air véritablement intéressé par ma réponse, pourtant il ne se doute pas une seule seconde du cataclysme qu'il vient de déclencher dans mon coeur.
- Je l'aurai planté, je finis par répondre quelques minutes plus tard.
- J'ai rarement autant eu les nerfs. Victoria a ramassé comme jamais à cause d'enculé dans son genre.
- T'as l'air de beaucoup l'aimer, je répond simplement.
Il a un petit rictus.
- C'est une chieuse mais c'est ma meilleure pote, je sais que dans la plus grosse des galère elle serait là.
- Ça doit être agréable.
Je ne connais pas ce sentiment. J'ai toujours marché seule, et les quelques personnes qui ont gravité autour de moi étaient attirés par ma notoriété et ce qu'ils pouvaient en tirer.
C'est affreusement triste quand j'y pense.
- Sid, je murmure, pour ce qu'il s'est passé l'autre soir...
- T'as pas à m'expliquer Melek, enfin, il se reprend, si t'en as envie je serai là, mais pas de pression.
J'hoche la tête en le remerciant silencieusement.
Je connais presque pas ce garçon, pourtant je crois que je pourrai lui donner le bon dieu sans confession.
Y'a pas bon.
Je plonge mon attention sur mes frites. Ce matin en me levant j'étais loin d'imaginer qu'encore une fois je passerai ma fin de soirée avec lui. Ces deux derniers mois j'ai souvent pensé à lui, et à la façon dont il était resté avec moi, à 5h du mat, pour jouer au foot comme deux gosses.
La mannequin et le rappeur entrain de se chambrer comme deux gosses au milieu d'un square.
Deux gamins normaux.
J'aime bien cette idée, elle est précieuse.
- Y'a des raclis qui te fixent là-bas.
Un coup d'œil sur le côté, et j'aperçois trois ados entrain de me regarder, leurs téléphones à la main.
- C'est pour moi ou pour toi tu crois?
- C'est toi qu'elles matent.
- J'espère qu'elles ont pas partagé la localisation, on devrait y aller.
Il hoche la tête, toujours la capuche remonté. J'attrape mon sac et il me pousse vers la sortie une main posé dans mon dos.
Ça, c'est typiquement le genre de contact que j'aurai détesté, mais encore une fois avec lui ça passe. Et ça m'étonne.
Une fois à l'extérieur, il s'arrête d'un coup.
- Bah qu'est ce t'as? je demande en fronçant les sourcils.
- J'ai oublié le jeu du happy meal.
Il a l'air ultra déçu, et c'est horriblement mignon. Je ne peux pas retenir le rire que j'ai dans la gorge et immédiatement Sid se vexe et croise ses bras sur son torse.
Putain mais j'adore ce mec.
- Boude pas, je répond en fouillant dans mon sac, je l'ai pris au début du repas.
Je lui tends la figurine schtroumpfs.
- Félicitation Sneazzy, tu es l'heureux gagnant d'un grand schtroumpfs. Prends en soin.
Il l'attrape avant de me faire un grand sourire.
- Je le vendrai quand tu seras plus connu, je vais me faire un paquet de thune sur ton dos Mel, t'es pas prête.
J'étouffe un rire.
- J'te filerai mes déchets si tu veux, tu pourras peut être tirer quelque chose d'un flacon de parfum vide ou d'une boîte de conserve, je lance en m'éloignant de lui.
Il me rattrape rapidement et pose son bras sur mes épaules.
- Tu m'as pris pour ton éboueur ou quoi?
- C'est toi qui le dit, je répond en lui faisant un grand sourire.
- Sale peste, il marmonne en me pinçant la joue. T'es vraiment une sale peste Melek.
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