37. Abnégation
Oui oui, je suis toujours vivante même après tant de temps. J'espère que retrouver Mel et Moh vous fait plaisir en ces temps de confinement. Prenez soin de vous et des votre, comme Moh prend soin de Mel ❤️
Melek Ozkan
Je pousse doucement cette grille que je n'ai jamais réussi à franchir, la main droite toujours serrée dans celle de Moh. Il n'a rien dit, n'a posé aucune question et m'a suivi. Au fond, je suis persuadée qu'il savait pertinemment où j'allais l'amener.
Il ne fait aucune remarque sur ma poigne toujours plus ferme, ni sur mon silence prolongé, debout, face à la tombe de ma grande sœur.
Il reste juste à côté de moi, là où j'ai besoin qu'il soit.
Ensemble on contemple l'inscription gravée dans le marbre.
« Mina Ayla Ozkan, fille et sœur aimée ».
Ma gorge serrée m'empêche de pouvoir dire quoi que ce soit, je ne m'en crois pas encore prête. Pourtant j'ai compris quelque chose aujourd'hui. Il est temps d'avancer. D'aller de l'avant. Et d'essayer de vivre pour moi, et seulement pour moi. C'est ce que Mina aurait voulu, j'en suis sure.
Son visage souriant me revient en tête. Pendant longtemps j'ai eu peur de l'oublier, d'oublier ses traits, le son de sa voix. Son sourire. Son horrible rire.
Mais j'ai compris autre chose aujourd'hui. Tant que je vivrai une part d'elle sera à mes côtés. Et je compte vivre tout le plus intensément possible.
Je veux aimer, passionnément, je veux rire à en pleurer, sourire à en avoir des crampes, chanter à m'en briser les cordes vocales.
Je veux commencer quelque chose de nouveau.
Et ça, je veux le commencer avec l'homme qui se tient contre moi.
- Elle t'aurait fait vivre la misère, je murmure avec un petit sourire.
Moh sourit à son tour en me resserrant contre lui. Sa barbe posé contre mon front me pique légèrement pourtant je n'ai aucune envie de m'en écarter.
- Deux Ozkan à gérer? Je serai probablement parti en courant au bout de deux heures.
Je souris à nouveau.
- Tu reviendras avec moi?
- Bien sur, il répond en embrassant le haut de mon crâne.
*
Je ne suis ni apprêtée ni maquillée. Je porte un vieux jogging, et mes cheveux ressemblent probablement à un nid d'oiseau. Pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi bien et fière qu'à ce moment précis, assise sur un caisson dans les coulisses, cachée à l'abris des regards du public, entourée de mes amis, à regarder Moh rapper son nouvel album comme si c'était la chose la plus facile au monde.
Il est incroyable.
Et cet album est incroyable.
Et j'ai du mal à réaliser que ce gars là, ce type exceptionnel, il est avec moi.
Les sons s'enchaînent, et l'attente valait clairement le coup. Plusieurs feats se font, avec divers artistes, et la scène est en perpétuel mouvement. De temps en temps il jette un coup d'œil dans les coulisses, et tout ce que j'arrive à faire c'est le regarder avec ces yeux débiles d'amoureuses transie.
Mais putain ce que je suis fière et heureuse pour lui. C'est une sensation bizarre qui me réchauffe le cœur et me soulève l'estomac.
Je crois qu'il n'y a pas de meilleure sensation que la fierté pour les siens.
Il est incroyable.
Et putain c'est mon mec.
Je crois que sur l'échelle de la fierté, on ne peut pas faire plus.
Il sourit, il sourit tout le temps. Et du coup je souris aussi. Je crois que je pourrais passer le reste de mon existence à le regarder sur scène. C'est un peu comme si le moindre de ses mouvements m'hypnotisait.
Putain j'ai jamais vu personne avec un charisme pareil. Pourtant j'en ai croisé du monde.
Il prend tellement de plaisir à être sur scène. Il fait parti de ces gens qui ont trouvé leur voie, leur chemin, et il n'y a nul autre endroit où il devrait être plus que sur cette scène.
Moh est né pour briller. Et ce soir il brille.
A la fin du concert, il me rejoint, une serviette sur les épaules et toujours ce sourire collé au visage. Je vous jure, j'ferai un aller sans retour aux enfers juste pour voir quelques minutes ce sourire.
- N'arrête jamais ça, je murmure quand il me tire contre lui.
Je me cale contre son torse, et il passe sa main dans mes cheveux, silencieusement. Il y a encore beaucoup de bruit autour de nous, les ingénieurs du son s'affaire à leur travail, la bande un peu plus loin chahute comme à son habitude, pourtant j'ai l'impression qu'à ce moment là, c'est juste lui et moi dans notre petite bulle.
- Moh, je souffle en relevant la tête.
Il baisse en même temps les yeux.
Mon bide se contracte. Est ce que ça fera toujours ça?
Son regard dans le mien me fait perdre pied, comme toujours. Y'a pas besoin de mot, pas besoin de discours ou de grande démonstration. Tout passe dans le regard. C'est drôle, mais j'pourrais en dire beaucoup plus sur lui en plongeant mes yeux dans les siens plutôt qu'en allait éplucher sa page Google.
Les quelques centimètres qui nous séparent, je les réduit à néant.
Et ces toujours cette même sensation, ça me tourne le bide, me renverse le coeur et me réchauffe le corps. Je crois que chaque seconde qui passe, j'aime un peu plus le mec contre moi.
C'est terrifiant, et en même temps ça me fait du bien.
C'est comme de la pommade sur les plaies, ça brûle mais ça soulage.
- On rentre? demande Moh en s'écartant un peu de moi, son front contre le mien.
- Tu veux pas aller le fêter avec les gars?
Quand je tourne la tête, j'aperçois qu'ils ont déjà déguerpi de là.
- Non, je préfère qu'on rentre. Ça a été une longue journée.
Sur le trajet, la tête posée contre l'épaule de mon ange gardien, je regarde silencieusement les rues de Paris défiler.
Qui eut cru qu'un jour je haïrai cette ville?
Moh cherche ses clés pendant que je regarde le paillasson de sa voisine. C'est une petite vieille qui lui amène souvent à manger. Elle fait beaucoup de cookie. Ça m'a toujours fait rire de la voir débarquer avec son panier.
Un « Home sweet home » orne le paillasson bien trop usé.
- Tu comptes rester sur le pallier? me lance Moh de l'intérieur de l'appartement.
Je répond seulement par un grognement. D'un coup de pied j'enlève mes baskets. J'entend Moh fouiller dans la cuisine, je le suis en me frottant les yeux.
Quand j'entre dans la pièce, il me tend une enveloppe, le visage un peu plus fermé que quelques minutes plus tôt. Instantanément je sens la panique s'insinuer dans mes veines.
- Qu'est ce que c'est? je demande.
Il inspire et me fait signe de m'asseoir. Pour une fois je n'ai aucune envie de le contredire ou de jouer la forte tête.
Je sais pas pourquoi, mais je sens pas trop ce qui va se passer.
Enfaite si, je sais très bien pourquoi, la tête de Moh.
Il a cette tête des choix déchirants.
Je vais vomir.
- Moh, je demande une nouvelle fois.
Il me fait signe d'ouvrier l'enveloppe. Les mains un peu tremblante, j'extraie de l'enveloppe blanche un billet.
Un billet d'avion.
Un billet pour la Turquie.
Je relève la tête vers lui, et voit toute la douleur du monde dans ses yeux.
- Je comprend pas. Pourquoi tu me donnes ça. J'en veux pas.
Il se frotte le visage quelques secondes. Il ouvre la bouche, puis la referme. A trois reprises.
- Ecoute chat, j'ai...
- Je m'en fout de ce que tu te prépares à dire, je le coupe. Je veux rester avec toi. Je veux pas de ce billet, prend le.
Je lui met dans les mains comme si il m'avait brûlé la peau.
- Mel, il grogne.
Je sais très bien ce qu'il est entrain de faire, et j'en ai aucune envie. Je tourne les talons, bien décidée à ce que cette conversation n'ait jamais lieu.
Malheureusement, Moh n'est pas de cette avis et me le fait très vite savoir. Je n'ai même pas atteint la chambre qu'il se tient devant moi, les mains sur mes épaules pour me bloquer.
Je relève la tête en serrant la mâchoire. Il me fixe sans ciller.
J'ai envie de lui hurler dessus que ce n'est pas la solution. Qu'il peut pas me faire ça aujourd'hui. Même jamais. Qu'il a pas le droit de lâcher.
- Ne me fait pas ça, je grogne, t'as pas le droit de me lâcher Khemissa.
Son regard s'adoucit instantanément et met un peu de baume sur mon coeur cabossé.
- Je te lâche pas Mel. Je te lâcherai jamais, il murmure en m'attirant près de lui. Mais tu sais que c'est le mieux à faire.
Je secoue la tête. Non. C'est pas le mieux à faire. Je refuse.
- Mon coeur, il souffle en posant ses mains contre mes joues.
Il rapproche tellement son visage que je sens son souffle sur chaque parcelle de mon visage. Des milliers de frissons hurlent en écho sur l'ensemble de mon corps.
- Je t'aime tellement, il chuchote.
J'ai envie de lui crier que moi aussi je l'aime à en crever. Mais ce cri de détresse reste coincé dans m gorge.
- Et c'est parce que je t'aime, que je fais ça.
Je secoue la tête encore une fois. Sauf que cette fois je pleure. Je suis prise de soubresaut.
- Je sais que tu vas me détester pour ça, mais je préfère cent fois que tu me détestes en allant mieux plutôt que de te laisser t'enfoncer en m'aimant.
Il essuie mes joues pendant qu'il parle.
- J'irai pas mieux sans toi.
Un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Ses magnifiques lèvres.
- Si Melek, tu iras mieux. Ça va être dur, mais ça ira mieux. Tu as besoin de t'éloigner de tout ça, de Paris, du monde. De moi. Je sais que t'as envie de crever rien qu'à cette idée, je ressens la même chose, crois moi.
Il colle son front contre le mien, et inspire.
- Mais j'veux pas la jouer petit con égocentrique de rappeur. Je vais penser à toi avant. Je meurs d'envie de partir avec toi mais si je le fais, tu vas te reposer sur moi. Je vais devenir le centre de ton univers et si un jour il m'arrive une merde, j'ai pas envie que tu t'effondres. T'es la femme la plus forte que je connaisse Mel, et tu n'as ni besoin de moi, ni de qui que ce soit pour vivre.
C'est comme si il venait d'ouvrir les vannes d'un putain de barrage. C'est trop violent. Trop puissant.
- Tu n'as à être dépendante de personne. C'est à toi de choisir ce que tu veux faire et être. C'est à toi, et toi seule, de décider ce que tu veux faire de ton avenir. Et je t'attendrai, il murmure, je t'attendrai ici le temps qu'il faut. Parce que j'ai hâte de savoir ce que le destin nous réserve Melek Ozkan.
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