35. Mina
Mohamed Khemissa
Elle tremble. Elle tremble tellement que j'ai peur de lui faire mal en la tenant. Je ne l'ai jamais vu dans cet état. C'est bien pire que lors de la fuite des vidéos. Elle est dévastée. La fille dans mes bras ne ressemblent plus en rien a la petite nana qui jouait au foot avec moi, encore moins a celle qui quelques heures plus tôt me regardait les yeux brillants pendant que j'enregistrais.
Non. Face à moi, ce n'est que le fantôme de Melek, une pâle imitation cramponné à moi comme si sa vie en dépendait.
Et putain je sais pas quoi faire à part lui murmurer que ça va aller.
Nek il saurait quoi faire j'suis sur, moi je flippe juste ma grande race de raconter d'la merde, d'empirer le truc parce que putain j'ai aucune idée de ce qu'il se passe.
Le premier truc qui m'est passé par la tête, c'est qu'elle se sentait pas bien, je redoute a mort une rechute ou je ne sais quelle connerie du à la prise de DNP. Après tout cette merde ça laisse forcément des traces sur l'organisme. Mais plus elle pleure contre moi, plus je capte que c'est autre chose. Et qu'c'est peut être pire.
Et finalement, quand elle réussit à s'écarter de moi, une chose me frappe.
Elle ne sera jamais heureuse ici. Pas avec tout ce qu'il s'est passé.
Elle s'enferme depuis plusieurs semaines dans une sale spirale, elle feint d'aller bien, elle essaie de rire, mais putain le soir elle reste des heures sans réussir à dormir. Elle tourne, sans réussir à trouver le sommeil. Et quand elle sourit, je sais qu'elle se force, parce que je sais ce que valent les vrais sourires de Melek. Elle a un tellement beau sourire qu'elle vous amène avec elle dans un autre univers, un truc bien à elle où elle vous permet, pendant ces quelques secondes, de la voir. De vraiment la voir. Pas là mannequin, pas la fille brisée. Juste elle. Et ces précieuses secondes sont à chérir pour l'éternité.
Le peu de maquillage qu'elle portait à couler sur ses joues laissant de longues traces noir strier sa peau parfaite.
- J'avais l'impression de plus réussir à respirer, elle murmure après de longues minutes de silence.
Ce genre de crise de panique me font flipper à mort.
Je me relève doucement, mais à peine j'amorce mon mouvement que ses yeux se remplissent à nouveau de larmes et que sa voix s'étouffe dans une plainte a peine contenue.
Je déteste la voir comme ça. Elle a l'air si fragile. Si brisée.
Alors pour la rassurer je dépose un baiser sur son front avant de lui murmurer que je vais lui chercher un verre d'eau.
Et quand je reviens quelques secondes plus tard, ses yeux brillent toujours beaucoup trop. Elle attrape fébrilement le verre que je lui tend, dépose à peine ses lèvres dessus avant de le reposer au sol. Son regard erre dans un endroit où je ne suis pas invité, perdu dans les méandres d'une histoire probablement trop sombre pour la lumière qu'elle est.
C'est inéluctable, elle est brisée. Je l'ai su au moment même où je l'ai vu sur ce pont. Et j'crois que j'ai eu ce genre de complexe du héros ou j'sais pas quelle merde, j'me suis mis en tête que je pouvais sauver cette petite meuf. Parce que putain, j'ai pas fait grand chose de bien dans ma vie, mais ça m'est paru évident. Et quand elle s'est avérée être la mannequin du clip du bigo, ça a confirmé pas mal de truc. Je sais pas vraiment pourquoi elle m'a laissé si simplement entrée dans sa vie, peut être qu'elle aussi elle a ressenti ce truc.
Mais huit mois plus tard elle est toujours aussi triste. Et moi j'suis bien trop amoureux d'elle pour la retenir.
Ça fait quelques jours que j'y pense, j'arrivais pas à m'y résoudre, ça me faisait trop mal au coeur, mais la voir comme ça, c'est mille fois pire. Alors j'crois que je vais pas me la jouer connard de première. J'vais faire ce qu'il y a à faire. Pour elle.
Pas pour moi, parce que putain je sais que je vais en chier à mort, mais pour elle. Et c'est le plus important.
- T'as envie d'en parler? je souffle en l'attirant à nouveau contre moi.
Elle se laisse glisser entre mes jambes et colle son dos contre mon torse. J'écarte quelques mèches collés à son front et à ses joues humides.
La brune respire doucement, je sais qu'elle se force à se calmer.
Quelques minutes passent avant qu'elle me tende son téléphone. Et sur l'écran du dernier iPhone s'affiche un message.
« Ta pauvre sœur se retourne dans sa tombe, tu fais honte à la famille. »
Je prend quelques secondes à réaliser l'ampleur de ces quelques mots. Pourtant quand je le relis pour la dixième fois, j'ai encore du mal à réellement croire qu'un père puisse envoyer ça à sa fille.
Melek finit par lâcher le téléphone en retenant un spasme, les yeux fermés.
Elle ne m'a jamais réellement parlé de sa famille, je sais que c'est un terrain compliqué, que son daron s'est comporté comme un putain de tyran avec elle toute sa vie, et que le mannequinat c'était une manière pour elle de s'émanciper.
- J'ai... Je. Putain.
Elle se frotte les yeux étalant un peu plus son maquillage.
Je sais qu'elle est sur le point de m'expliquer les raisons de beaucoup de choses, alors je n'ose pas la couper. Je pose simplement mon menton sur le sommet de mon crâne. Je suis là.
- T'as déjà tapé mon nom sur Wikipedia? elle finit par murmurer.
- Non.
Et c'est la vérité. Je sais que les mecs ont un peu fouillé mais c'est pas mon délire.
- J'ai une sœur. Mina, elle souffle. Elle était... Je sais pas vraiment comment la décrire, c'était probablement la meilleure personne sur terre, et je pèse mes mots. Elle était lumineuse, pétillante, tellement intelligente et souriante. Elle faisait toujours attention au bien être de tout le monde. Elle était solaire. Elle était incroyable. Tellement incroyable Moh je te jure. Tu l'aurais tellement aimé.
Sa voix se brise et m'entaille le cœur.
- C'était mon modèle. Je l'aimais tellement.
De grosses larmes dévalent à nouveau son visage.
- Elle m'a toujours défendu. Contre mon père, contre ma mère. Même à l'école. Enfaite avant toi, ça a été la seule personne à réellement faire attention à moi. A me supporter. A m'aimer.
Elle s'arrête quelques secondes.
- Je l'aimais tellement. Plus que tout.
Je resserre mon étreinte sur elle. Je crois que j'en ai autant besoin qu'elle.
- On s'est disputé un jour, c'était par rapport à Cameron, elle arrêtait pas de me dire qu'il y avait un truc bizarre avec lui, qu'il avait une mauvaise influence sur moi, qu'elle me reconnaissait pas. On s'est disputé très fort. J'crois qu'on s'est rarement autant engueulé. J'étais tellement en colère contre elle, qu'elle remette en question ma relation, ma vie. J'étais totalement aveuglée. Après ça on s'est plus jamais parlée. Au début elle essayait de m'appeler, je déclinais tous les appels. Puis il y en a eu de moins en moins. Jusqu'à ce qu'elle n'essaie même plus de me joindre. J'étais si énervée que ça m'a même pas paru suspect. Putain ce que j'ai pu être conne. Ça a duré trois mois. Puis un matin mon père m'a appeler pour m'annoncer que ma sœur venait de mourir d'un cancer des poumons.
Je crois que j'ai plus envie de comprendre. J'vais éclater son père putain.
- Elle avait été diagnostiqué le mois d'avant, dit-elle la voix tremblante, je sais pas vraiment comment mes parents se sont débrouillés mais ils l'ont empêché de me parler. Jamais elle ne m'aurait abandonné comme ça Moh, jamais. Je peux pas croire ça. Et moi j'avais aucune idée de ce qu'il se passait... J'crois que le pire au fond, c'est que mes parents lui ont probablement dit que je ne voulais pas lui parler, que j'en avais rien à faire. Ils nous ont volé nos adieux. Elle était condamnée, et ils m'ont volé ce dernier moment. Je vivrai jamais en paix, pas en sachant que la dernière chose que j'ai dite à ma sœur c'est que je la haïssais.
J'ai l'cœur qui pleure.
Comment on peut faire endurer ça à ses enfants? Comment on peut priver ses enfants d'une dernière fois?
J'ai envie d'exploser d'un truc, peut être la tête de ce fils de pute qui leur sert de daron.
- Ils m'ont appelé le jour de l'enterrement, elle pleure. J'ai pas eu le temps de rentrer. J'crois qu'ils voulaient éviter un scandale, toujours cette putain d'histoire d'image. J'ai jamais réussi à rentrer dans le cimetière. Ça rendrait les choses trop réelles, j'ai jamais eu la force de le faire. Et quand j'ai eu la force de confronter mes parents, tu sais ce qu'ils m'ont dit?
Je répond par la négative.
- Ils m'ont dit que je ne devais pas laisser mes états d'âmes altérer mon travail et ma concentration, crache t-elle.
Sa voix se fait plus forte, elle finit même par crier une haine bien enfouit.
- Putain mais il s'agissait de ma grande sœur! Pas d'un jouet, d'une peluche ou d'un caprice! Ma sœur est morte en pensant que je la détestais...
Elle s'effondre sur cette dernière phrase, qui sonne le renouveau d'un flot de larmes bien plus violent.
J'ai besoin de la serrer contre moi, de la sentir. Elle ne mérite pas toutes ces merdes. Elle ne mérite pas cette famille de merde, et encore moins la douleur d'avoir perdu la chose la plus importante de sa vie.
Et je crois que c'est seulement à ce moment là que je réalise l'ampleur de la souffrance contenu dans le cœur de ma copine. J'la comprend parce qu'elle me déchire le coeur à moi aussi. Et elle me fout la haine.
Elle me donne juste envie de crever tous les connards qui ont pu lui faire du mal.
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