34. Déflagration

Melek Ozkan

J'ai été convoqué au commissariat. C'est arrivé quelques jours après la sortie des vidéos, un appel téléphonique d'à peine quelques secondes me priant de me rendre au commissariat le plus proche de mon domicile. Domicile que j'ai lamentablement abandonné quelques jours plus tôt.

Ça a foutu un énorme coup de pression à Moh, moi pas spécialement. Après tout ces images datent de plusieurs années en arrière.

Pendant un bon moment ils m'ont fait attendre dans une salle, avant qu'un officier rentre, me fasse la leçon, me liste les possibles chef d'accusations, et finisse par simplement me dire que je n'écoperais probablement que d'une amende.

Une après-midi gâchée.

C'est la première fois que je sors réellement à la vue de tous, et les regards accusateurs ou remplit de pitié n'ont pas arrêter de me démanger la peau. J'ai baissé les yeux et je me suis concentrée sur mes pas. Pourtant j'ai jamais été du genre à baisser la tête, mais tout est devenu difficile à supporter. J'ai l'impression que mes défenses, les murs que j'ai bâti durant des années pour me protéger du monde extérieur, ont fini par céder aux différents coups.

C'est drôle, mais je me sens comme une gamine désespérément à la recherche de protection. Je me sens atteignable.

J'ai toujours été une gamine plutôt blinder, mais là, je dois avouer que je me sens vulnérable et c'est un terrible sentiment.

En faite j'ai l'impression de me retrouver nue face à tout ces regards hautains. Les pires trucs, ces choses que je souhaitais plus que tout garder secrètes sont exposées à ma famille, mes amis, et même le monde entier. Y'a de quoi dérailler.

J'essaie de garder le sourire, d'être solide, pour Moh au moins, j'ai pas envie qu'il s'effondre lui aussi. Mais putain je sens que je suis à deux doigts de basculer dans un truc vraiment sale.

- Mel.

Je tourne vivement la tête, prête à balancer je ne sais quelle connerie pour qu'on me fiche la paix quand je reconnais un visage devenu familier.

- Rentre tes crocs le pitbull, c'est que moi.

Je grogne en jetant un coup d'œil autour de nous. Putain y'a une gamine de l'autre côté qui nous mate bizarrement.

Hakim semble lui aussi la remarquer puisque d'un coup d'épaule il me pousse vers son Audi.

- Ça s'est pas calmé, il marmonne.

Ce n'est même pas une question, alors je n'y répond pas. Non, ça ne s'est pas calmé.

- Ils t'ont dit quoi?

- Que j'allais me prendre une amende, je répond.

Un sourire s'étire discrètement dans le coin de sa bouche. On le sait tout les deux, j'ai assez de fric pour payer bien plus qu'une putain d'amende. Tout ce cirque c'est du buzz.

Ça n'a même pas de sens.

- Pourquoi Moh n'est pas là? je demande en baissant le son d'un album de rap récemment sortit.

Il chasse ma main d'un coup en me jetant un regard noir. Putain ce mec incarne l'antipathie à la perfection.

- J'ai mal à la tête, je grogne.

- Pas moi.

J'ai envie de le trucider. Vraiment ce gars est insupportable, c'est pas vivable.

Je retiens une réplique cinglante, j'ai pas envie de me lancer dans une prise de tête aussi inutile.

- Il est où Moh alors?

- Entrain d'enregistrer.

- Mais il m'a dit qu'il avait fini tout les sons.

- Du sien ouais. Il enregistre un truc avec Ken. Ça fait un moment qu'il a pas réussi à faire un truc bien, et là ça marchait alors je me suis dit qu'c'était con de le couper maintenant.

- Merci, je souffle.

- Je l'ai pas fait pour toi, il répond.

Des frères.

- Je sais, c'est pour ça que je te remercie.

Il me jette un coup d'œil, rapide, avant de fixer à nouveau la route.

Je crois que finalement je supporte ce mec.

Hakim Akrour n'est peut être finalement pas le connard que j'imaginais. Dans une autre vie on aurait peut être même pu vraiment bien s'entendre.

Quand j'entre dans le studio, un peu enfumé par ce que Doums fume dans son coin, je retiens ma respiration quelques secondes. J'aime pas spécialement cette odeur mais putain ça me rappelle des images d'un passé pas si vieux.

- Wesh Melou ça va comment? Pas trop casse couille les poulets?

Doums, les gars. Doums.

- Ils ont fait leur taff, je répond en m'installant à côté de lui.

Je suis pas une adepte de la haine anti flic, y a des pourris, comme partout, mais y'en a aussi qui sont réellement là pour faire leur taf.

Mais encore une fois, j'me sens pas de me lancer dans ce genre de débat. J'ai pas l'énergie de défendre un point de vue que je serai probablement là seule à adopter.

Ken et Moh sont dans la cabine, je ne crois pas qu'ils m'aient vu entrer.

Hugz touche à, à peu près 1000 boutons par minutes, sérieux comment il s'en sort? Je crois que je serai perdu au milieu de tout ces trucs.

- Tu veux boire un truc?

- De l'eau, merci.

Haks me tend un verre que je bois d'une traite. Depuis mon empoisonnement, je bois beaucoup, mais j'ai encore du mal à manger. Je n'ai repris que deux kilos, le médecin râle un peu. Moh aussi.

Mais c'est même plus une question de rester fine, j'en ai plus rien à faire. Le mannequinat c'est fini. Mon estomac ne supporte plus les grosses doses, trop manger me fait rendre.

J'crois que c'est plus dû au fait d'avoir peu manger pendant des années, plutôt qu'à l'empoisonnement.

- Putain les gars j'suis trop con la vie d'ma mère j'dois aller...

Mon rappeur vient de sortir en panique de la cabine, mais quand ses yeux se posent sur moi il s'arrête d'un coup.

- Comment t'es arrivé là? Putain je suis désolé j'ai oublié.

- Haks est passé, je répond, c'est rien. Tu devrais aller finir, j'aime bien ce que tu faisais.

Une accolade plus tard entre Moh et Hakim, je les regarde en souriant.

- Merci kho.

- T'inquiètes, le pitbull a été calme.

Je retire tout ce que j'ai pu dire sur Hakim. C'est le fils du diable.

- Connard, je grogne.

Moh rit avant de se glisser entre mes jambes. Le grand tabouret sur lequel je suis installée lui permet d'être à ma hauteur. Une de ses mains glisse sur ma cuisse dans un lent mouvement apaisant.

Je me sens un peu mal à l'aise, pas face à Moh, mais plutôt devant les garçons.

C'est nouveau tout ça, nous en public.

Mais rapidement je vois que les gars se désintéressent de nous pour bidouiller je ne sais quoi sur l'ordinateur.

- Alors? il demande en posant son front contre le mien.

- Pas grand chose, on en parlera ce soir, je souffle. Je ne savais pas que tu devais poser avec Ken.

J'ai besoin de faire dériver la discussion sur autre chose, juste me donner l'illusion quelques secondes que tout va bien.

Le regard que me jette Moh me fait immédiatement comprendre qu'il sait que je fuis et qu'il ne me laissera pas faire éternellement.

Mais tout ce que je lui demande c'est un petit instant de répit.

Répit qu'il m'offre à chaque fois que ses mains se posent contre moi.

- Inspi soudaine, il finit par dire.

- Ah oui? je murmure en laissant glisser mes mains le long de ses bras. Et d'où vient cette inspi soudaine?

Un petit sourire éclaire son visage. Il est tellement beau.

- D'une petite meuf que j'aime bien.

- Et tu crois qu'elle t'aime bien, elle?

Je crois que si Moh n'existait pas je serai une putain d'aigrie, j'me serai probablement renfermée sur moi-même, j'aurai tout rejeté.

Et ça en supposant que je n'ai pas sauté de ce pont ce soir là.

- J'en suis persuadé, il murmure à mon oreille en glissant une de ses mains sous mon pull.

Doucement il caresse mon ventre de son pouce, me procurant d'incontrôlable frissons.

J'ai connu quelques mecs, mais putain aucun qui me fasse ressentir tout ça avec une simple caresse.

C'est dingue.

Ce n'est que trois heures plus tard que nous sommes rentrés chez lui, accueillit par un Garfield bien trop excité. Moh est directement partit jouer avec lui, et je n'ai pas pu m'empêcher de le chambrer. Il se comporte comme un daron, et c'est marrant à voir.

Il est gaga de son chat comme un daron le serait de son gosse.

Je les observe quelques minutes avant de disparaître dans la chambre. Je suis crevée. J'ai essayé de faire comme si ma convocation au commissariat ne m'avait pas toucher mais je crois que ça m'a un peu plus impressionné que prévu.

C'est vraiment l'image à laquelle je vais être réduite?

Les gens vont-ils seulement penser à moi en tant qu'une meuf qui se drogue?

C'est cette putain de trace là que je vais laisser?

Ça m'serre le bide de me dire qu'aux yeux du monde, je ne suis réduite qu'à ça. J'ai tellement envie d'être plus. De faire plus.

Perdue et un peu déstabilisée, j'attrape mon téléphone. J'en ai acheté un nouveau mais je le laisse la plupart du temps en mode avion, ça me coupe un peu de la folie du moment. Et j'aurai probablement dû le laisser dans ce putain de tiroir.

Parce qu'aussi tôt que je l'active, une panoplie de messages s'affichent, mais un seul retient mon attention.

Un de mon père.

Mon père qui depuis mon hospitalisation n'a plus cherché à se renseigner sur mon état.

Mon putain de père qui abat définitivement le poids de l'univers sur mes épaules.

Mon père qui défonce à coup de massue les derniers remparts me protégeant de mes ténèbres.

Mon géniteur qui appuie enfin sur la détente.

Je sens toutes mes forces m'abandonner, j'ai l'impression que mon corps se vide de l'intérieur. Tout m'abandonne. Mon âme. Mon esprit. Ma vie.

J'ai l'impression de me prendre un énorme coup qui me bloque la respiration. Je ne peux plus respirer. C'est à peine si j'arrive à réfléchir. Mes pensées s'embrouillent, tout tremble.

J'crois que mon coeur tremble.

J'arrive plus à respirer.

J'arrive plus à rien.

L'ouragan de souvenir, de douleur, de tristesse et de chagrin que je tente d'étouffer depuis des mois vient de me démolir. Mon âme vient de se fracasser contre les mots tranchants de la personne qui aurait du me protéger.

Mon papa.

Et toute la douleur que j'ai tenté de nier, d'effacer, vient de m'exploser au visage. Violente. Fulgurante. Explosive.

Une déflagration.

Ma déflagration que même les larmes les plus sincères du monde ne pourront éteindre.

- Mel?

Ce n'est qu'un écho, un murmure, si lointain.

Un surnom jeté dans la tempête de mes pensées.

- Putain chat, putain qu'est ce qu'il se passe? T'as mal quelque part? Essaie de te calmer je t'en supplie. Respire doucement. Mon cœur. Respire s'il te plaît.

Tout me parait au ralenti, son corps contre le mien, ses bras autour de mes épaules et sa tête enfouie dans mon cou.

- Ça va aller, il murmure en caressant doucement mes cheveux. Respire chat, respire. Il faut que tu te calmes.

Il essuie plusieurs fois mes joues, mais ce sont ses yeux empreint d'inquiétude qui finissent par me ramener auprès de lui.

- Voila comme ça, il souffle. C'est bien.

Il balance doucement nos corps d'avant en arrière tout en murmurant contre mon oreille. J'en comprend pas vraiment le sens, je crois que j'ai même du mal à l'entendre, mais sa présence à mes côtés après un très long moment m'apaise.

Ce n'est qu'une heure plus tard, que je réussis à me détacher de lui. A quitter le confort de ses bras.

Et à me jeter une nouvelle fois dans mon propre enfer.

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