3. Crevard

Melek Ozkan

Un café à emporter dans une main, mon téléphone dans l'autre, je laisse la maquilleuse travailler sur mon visage. J'ai mal dormi cette nuit, vraiment mal dormi. Je n'ai pas arrêté de tourner, la tête beaucoup trop prise pas de sales songes. Résultat j'ai eu le droit à une remarque cinglante d'Eric mon manager concernant mes cernes.

Il s'attendait à quoi aussi, il y a à peine 24h j'étais à un événement à Los Angeles, et jusqu'à preuve du contraire je suis humaine, et j'ai besoin de dormir.

- Faudra que tu me signes le nouveau contrat avec Balmain, ils ont modifié les clauses dont je t'avais parlé, raconte Eric en entrant dans la pièce. Je t'ai réservé le vol de demain soir, et j'ai calé l'interview avec Harper's Bazaar quand tu atterris. J'ai aussi contacté Solange elle va s'occuper de...

- Demain soir? je demande. On avait dit que je restais jusqu'à la fin de la semaine à Paris, Éric. C'était le deal.

Faire des deals avec Éric c'est comme signer un pacte avec le diable. Ça vaut rien et ça ramène des problèmes.

- Je sais Melek, mais le créateur ne va pas t'attendre, et tu as besoin de ça pour lancer ta carrière en Europe. Une fois le mois passé ça sera plus calme.

Sa nouvelle obsession, lancer ma carrière européenne.

Je suis plutôt populaire outre Atlantique, même en Asie ça commence à prendre, mais le marché européen, ça reste un objectif à valider.

Un objectif qui ramènerait un paquet de fric à Éric.

Eric, a ses débuts, n'était pas le sale type qu'il est devenu. Ça a toujours été mon agent, à 16 ans, c'était lui qui passait me récupérer au lycée pour écumer mes premiers castings. C'est aussi grâce à lui que j'ai signé dans ma première agence. Mais l'argent, la notoriété et le pouvoir l'ont changé. Je crois qu'il ne me voit plus comme autre chose qu'une source de revenu.

- D'accord, mais il faut que je sois à Paris au début du mois, c'est non-négociable et tu le sais.

- Je sais ma belle, je me charge de tout, contente toi d'être belle.

Outch.

J'ai toujours les nerfs quand on me fait ce genre de remarque. Les gens ont tendance à oublier que je ne me résume pas qu'à mon physique, même si il est l'instrument principal de mon travail. Pour eux je dois me contenter de poser, défiler, être belle.

Putain comment j'ai pu en arriver à ça.

Je soupire en me frottant les yeux et immédiatement Carole, la maquilleuse me réprimande.

- Désolée, je grogne.

Une coiffeuse s'affaire sur mes cheveux, les plaquant pour faire une queue de cheval haute, pendant qu'un des stylistes me proposent plusieurs tenus.

Aujourd'hui je dois tourner dans un clip. Ça rentre dans l'objectif marché européen qu'Éric s'est fixé.

Un clip c'est pas une première pour moi, je sais faire mon taf. Mais jouer la potiche à côté d'un artiste n'est clairement pas mon activité favorite.

- Le réal va pas tarder à passer pour t'expliquer l'idée du clip, sois aimable avec lui, ce projet peut te rapporter gros.

J'ai l'impression d'être une gosse à qui on rappelle sans cesse de bien se tenir. C'est plutôt chelou à 25 ans non?

Mes derniers coup d'éclats ne m'ont pas vraiment fait une bonne pub apparemment. Rien à foutre.

Une petite heure plus tard, quelques essayage et ajustement, un rapide briefing du réal et je rentre en scène.

Mon rôle? Jouer l'inaccessible. Ça je sais le faire.

L'équipe de tournage est entrain de s'affairer sur le décor, et je me contente de les regarder silencieusement. Mon équipe elle est entrain de gérer les derniers détails un peu plus loin.

- Hey, salut, c'est toi Melek?

Je me retourne vers un gars, une casquette sur la tête surmonté d'une capuche. Il me tend sa main.

- Salut, je répond simplement sans lui serrer la main.

Il n'a pas l'air de s'en offusquer. J'aime pas les contacts.

- C'est cool qu'on t'ai sur le set. On t'a déjà fait écouté le son?

Je lui répond négativement, il me fait alors signe de le suivre. Derrière quelques caisses, pas mal de matériel et de câbles, sont assis plusieurs mecs.

J'en reconnais quelques uns, et eux aussi ont l'air de me reconnaître.

- Burb elle tourne dans ton clip mais elle a jamais entendu ton son, t'as pas honte grand-père? se moque le gars à côté de moi.

Il est si vieux que ça?

- Et t'es allé la chercher, Eff le preux chevalier, le tacle le concerné avant de se tourner vers moi, pas trop dur le décalage? J'ai entendu ton agent dire que t'avais atterris hier soir.

- Je suis habituée, je répond simplement, c'est le job.

Il acquiesce avant de se tourner vers les gars derrière lui.

- Là t'as Ken, Hakim, Théo, Doums, Idriss et Alpha, ils vont passer la journée ici.

Ils me gratifient d'un signe de tête. J'en connais quelques uns de vu.

Ils ont que ça à faire de leur journée?

- Oh Fram il est où Sneazz?

Oh putain.

Mais pourquoi j'ai pas fait la connexion directement en voyant la bande de rappeur. J'ai pas intérêt à m'éterniser ici.

- On l'a envoyé chercher à grail, il va pas tarder.

Ils parlent quelques secondes sans vraiment faire attention à moi. J'essaie de trouver une technique pour m'éclipser poliment, mais quand j'enclenche un mouvement pour rejoindre ma loge, Deen me retient et lance son son.

Ils s'excitent tous dessus, alors que le principal intéresse lui me fixe, comme pour vérifier que je valide le son.

J'ai pas réellement d'opinion à avoir dessus, je suis là pour faire mon taf et rien de plus, mais j'aime bien, et ça a l'air de faire plaisir au rappeur quand je le lui dis.

*

- Et coupé! C'était la dernière scène pour Melek.

L'équipe me remercie, je les gratifie d'un sourire avant de sortir du plateau, Éric me tend une bouteille d'eau que je bois entièrement.

On marche tout les deux jusqu'à ma loge, et même après une journée de tournage, il ne peut pas s'empêcher de me faire chier.

- T'as fais attention à ton poids? Tu dois pas dépassé les..

- Oui je sais Eric, je répond sèchement, ça fait une semaine que je mange une pomme par repas. Je serai prête.

Il acquiesce.

- Je t'ai calé quelques séances avec Tony.

Tony, ou le coach sportif qui me fait vivre un enfer.

C'est toujours la même chose à l'approche des fashion week. On se transforme en squelette. C'est devenu la routine, je n'y fais même plus attention.

- Bien je te laisse alors, je dois rejoindre Stéphanie pour négocier les contrats. Je t'ai appelé une voiture, elle t'attend à la sortie.

Sans vraiment attendre ma réponse il quitte la pièce.

Putain ce que je peux le détester par moment. L'argent déshumanise, et c'est quelque chose que j'observe tout les jours.

Je détache mes cheveux bien trop plaqué et laqué. Mon cuir chevelu et douloureux à cause de la tension alors je me contente de les laisser détacher et d'enfiler un gros sweat-shirt et une capuche par dessus.

Quand je sors de la pièce j'ai un moment de stop. Sid se trouve en face, appuyé contre le mur, et visiblement entrain de m'attendre.

- Melek Ozkan, il lance avec un petit sourire. Si tu m'avais directement dit ton nom, ça m'aurait évité de te chercher sur les réseaux pendant deux mois.

- Parce que tu m'as cherché? je demande en croisant les bras contre la poitrine. Tu veux ta revanche? Je vais encore te ratatiner Sid et tu pourras rien y faire.

Une grimace déforme son visage quand j'évoque sa lamentable défaite.

Il y a deux mois on a joué comme des gosses, dans ce square, jusqu'à l'aube. Et étonnamment, je ne m'étais pas sentie aussi bien qu'à ce moment, depuis des années.

- Ton visage me disait quelque chose, je rajoute. J'ai fait le rapprochement quand ton pote a parler de toi, Sneazzy.

- Merde t'es pas une groupie, moi qui espérait que tu rêve de moi secrètement.

Je fronce les sourcils avant de rouler des yeux.

- Je croyais que l'égo des rappeurs c'était une légende urbaine.

- Je croyais que les mannequins étaient des petites princesses qui ne jouent pas au foot de peur de se casser un ongle.

J'ai un petit rictus.

- Oh mais je suis une sale princesse crois moi.

Une sale princesse qui a voulu sauter d'un pont.

Soudainement l'idée qu'il aille balancer ça a qui veut l'entendre me traverse l'esprit, et j'ai assez fait la une de la presse people ces derniers mois pour ne pas avoir envie de gérer un nouveau scandale médiatique.

Je resserre mon sac contre moi avant de l'ouvrir à nouveau.

- Bon, je devrais y aller, je tente.

- Je te raccompagne.

- C'est pas la peine, Éric m'a appelé une voiture.

- Je te paye un domac.

Face à mon début de refus il me coupe immédiatement.

- Tututu, personne ne refuse un mcdo à Sneazzy, même pas Melek Ozkan. Pour une fois que je suis pas d'humeur crevarde, tu devrais en profiter, il rajoute.

J'aime bien ce mec. Il me fait rire.

- Tu connais mon métier?

- Bah ouais, il répond nonchalamment.

- Ce qui veut dire que je suis au régime les trois quarts de l'année, et le mcdo c'est vraiment pas le truc sain dont j'ai besoin actuellement.

Il roule des yeux avant d'attraper mon bras et me traîner avec lui dans les couloirs.

- C'est pas avec un mcdo que tu vas plus rentrer dans tes sapes, t'es une allumette. Puis au pire je te paye un happy meal, c'est tout benef pour toi et ça me revient moins chère.

Hallucinant ce gars.

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