27. Noir

Melek Ozkan

La respiration calme et posée de Moh me fait du bien. J'aime bien sentir son souffle et son torse se soulever sous moi, ça m'apaise. Ça me fait oublier qu'aujourd'hui j'ai perdu tout mes moyens.

Il faut que j'arrête de me mentir, je me sens vraiment mal en ce moment. Physiquement et mentalement. J'ai l'impression d'étouffer sous une tonne de béton.

Tout devient trop.

Enfaite je me sens comme ce soir là, sur le pont. Et peut être que si Mohamed n'avait pas été là, j'aurai pu m'y retrouver. Encore.

Un mouvement de pouce sur ma nuque me fait relever la tête. Il a toujours les yeux fermés. Je resserre un peu ma prise sur sa chemise en inspirant. Il a dormi tout habillé, je crois qu'il a pas eu le coeur de me laisser seule, même pour simplement se déshabiller. Il a du mal dormir. Putain.

- Moh, je murmure.

C'est un grognement un peu rauque qui me répond.

- Je suis désolée pour tout ce que j'ai fait.

- Ça va, il répond simplement.

J'hoche la tête, je suis un peu stressée, mais je crois qu'il mérite la vérité, au moins concernant Éric.

Il doit se poser pas mal de questions par rapport à ce que je lui ai avoué hier. C'est dur, je sais pas vraiment comment aborder les choses. Mais je crois que j'ai besoin de le faire, pour moi, et pour lui.

Il caresse doucement mon épaule sans rien dire, et ce silence me donne le petit plus de courage dont j'ai besoin.

- Je suis partie tôt de la maison, quand je me suis faite repérée à seize ans, par Éric, en faite. J'ai été super entouré, les stylistes, les assistants, les maquilleurs, mais j'ai très vite compris que tout ça c'était une illusion. Tu sais, se retrouver seule dans une ville où tu n'as jamais mis les pieds, de l'autre côté de la planète, sans sa famille, c'est dur.

Cette vie était bien les premiers mois. Jusqu'à ce que je vois tout les mauvais côtés.

- Mon père, je souffle, il a toujours mis ma sœur et mon frère sur un piédestal. Le futur de l'entreprise, les fiertés de la famille. Moi ça m'intéressait pas, j'étais mauvaise à l'école, j'avais aucune envie de devenir une des têtes de la filiales. Ça a beaucoup énervé mon père. Ça l'enrageait, il voulait que ses trois enfants prennent sa succession. J'ai très vite affirmé que je ne le ferai pas. Et quand on m'a proposé ce contrat ça a été mon échappatoire, fin je pensais que ça pouvait l'être.

Sa main remonte sur mon crâne pour doucement me masser le cuir chevelu.

- J'ai toujours eu cette pression de ne pas être assez bien pour ma famille. Quand j'y repense, je me dit que ça aurait été presque impossible que je ne la ressente pas. Mon père c'est... C'est un requin. Et il a voulu nous transformer en requin. C'est ce que j'ai cru fuir en partant.

Respire Mel. Tu peux le faire.

- Le milieu du show-business est moche, tu le sais. J'ai été lâché dans ça, seule, en plein milieu de l'adolescence. Au départ je gardais les pieds sur Terre, j'essayais vraiment, puis y'avait Natalya, on se maintenait je pense. Mais quand elle a craqué, je suis partie complètement en couille.

Il me resserre contre lui, les yeux bien réveillés ce coup ci.

- Ça a été progressif. Un peu plus de sortie, un peu plus de connaissance, plus de travail aussi. C'est devenu la course au casting, à la gloire, à l'argent aussi, je souffle. J'ai été pris dans ce truc infernal. Je me suis mal entourée. Et puis je voulais prouver à mon père que je pouvais m'en sortir sans lui et sans mon nom de famille. J'ai repoussé peu à peu mes parents, j'ai commencé à moins voir Samir et Mina. Je me suis aussi mise avec Cameron. Il faisait attention à moi, et je crois que ça me faisait du bien que quelqu'un se soucis de moi. Puis il a commencé à m'entraîner dans de sales bails.

Je le sens se tendre sous moi alors j'attrape sa main et entrelace mes doigts aux siens. Ça me calme probablement plus à moi qu'à lui.

- La cocaïne, la MDMA, les amphét, la kétamine, j'ai pris n'importe quoi, je murmure. C'était débile et complètement inconscient, mais j'arrivais pas à refuser. Il m'amenait toujours dans des soirées plus bressom et j'arrivais pas à stopper tout ça. Je croyais que j'étais amoureuse de lui, alors je laissais passer beaucoup de truc.

J'ai honte, j'ai vraiment honte de tout ça, et je suis terrorisée qu'il ne me voit plus de la même manière.

- C'est pendant une de ses soirées où Cameron m'amenait qu'Eric à obtenu la vidéo.

- Tu consommes toujours?

Sa voix est un peu angoissée.

- Non. Non. J'ai rien touché depuis que...

Depuis que Mina est morte. Depuis que ma grande sœur est morte.

- Si tu savais comme je me suis sentie minable quand j'ai appris que tout ça, notre histoire, était fausse. C'était un putain de contrat. Un contrat qui a duré deux ans et demie. J'étais naïve, je crois que j'étais amoureuse de l'idée d'être aimée, et la chute a été violente. C'est à partir de ce moment là que j'ai vraiment commencé à m'isoler des gens.

- Pleure pas, il souffle en relevant mon visage. Ils méritent pas tes larmes.

Moh est beau. Il est horriblement beau. Je crois que c'est la plus belle personne que j'ai jamais vu.

- Je pleure pas pour eux, je répond en frottant mes joues. Je pleure pour nous. J'ai tout foutu en l'air hein?

Ses yeux s'écarquillent alors que sa main se pose sur mon menton pour m'attirer vers lui. Il encadre mon visage de ses deux paumes et me fixe plusieurs secondes.

Plusieurs secondes qui suffisent à noyer de nouveaux mes yeux.

- Arrête, il grogne. T'as rien foutu en l'air, rien du tout chat, d'accord? Je suis toujours là, et je bougerai pas.

Son pouce caresse doucement mes lèvres.

- J'ai ma part de responsabilité aussi. J'aurai jamais du faire la sourde oreille alors que je savais que t'essayais d'avancer.

Il le pense vraiment? Parce que j'ai toujours cette foutue impression de tout louper et briser qui me colle au cœur.

On se regarde pendant plusieurs secondes sans vraiment savoir quoi faire, puis naturellement nos têtes se rapprochent. Son souffle contre moi me fait un planer. Peut être qu'il n'y a pas que du mauvais. Et peut être que ça ira mieux finalement.

J'ai cette sensation qu'avec lui tout ira toujours mieux, c'est agréable.

Il finit par poser son front contre le mien et recule soudainement.

- Qu...

- Putain t'aurais du me dire que t'allais pas mieux, il souffle, t'es brûlante.

Il pose délicatement sa main contre mon front et je le vois un peu se décomposer. Il me pousse, plus très délicatement, pour s'extirper du lit.

- C'est rien Moh, je grogne, sûrement un petit état grippal, pas besoin de t'exciter.

- T'as facile 40 de fièvres alors dis pas qu'c'est rien. T'as un thermomètre?

Je roule des yeux en attrapant l'un des oreillers pour mieux le caler contre moi.

- Sale de bain, le tiroir de droite.

Il disparaît pour revenir aussi vite et littéralement se jeter sur le lit pour me coincer l'instrument dans l'oreille. Je me plains de son manque de délicatesse mais lui reste concentré sur le petit écran digital.

- Tu paniques vraiment pour rien, je grogne. J'imagine même pas ce que ça sera avec tes gosses plus tard.

- Mes gosses se seront les tiens alors reste tranquille.

Qu...Quoi?

Mon coeur vient littéralement de louper un battement. Ou dix peut être même.

Il n'a pas l'air de remarquer mon malaise, mais surtout la rougeur de mes joues. Pour le coup, j'ai vraiment l'impression d'avoir une sale bouffée de chaleur. C'est vraiment pas possible de réagir comme ça.

Mais putain aussi il vient de dire que...

- 38,7.

Il vient littéralement de dire que... Oh bordel.

- Vas-y sapes toi on va au docteur.

Je me sens bizarre. Dans le bon sens du terme je crois. Fin je sais pas, je. Wah.

- Mel! Bouge toi on va voir ton médecin.

Quoi? Le docteur? Il force pas un peu là?

- Arrête de dramatiser, file moi un médoc et ça passera.

- Mel.

- Non c'est mort, j'vais pas attendre trois heures parce que j'ai un peu de fièvre, ça va redescendre tout seul.

Il croise les bras autour de son torse et me fixe comme si je parlais une langue incompréhensible.

- Ça va beaucoup mieux qu'hier, je te jure. Je veux juste dormir un peu.

- T'es vraiment une casse couille de première, il marmonne en se relevant.

Je veux juste éviter de l'attente pour un simple doliprane. C'est logique non?

Il réapparaît dans la chambre avec un verre d'eau et un médicament. Je le remercie avant d'avaler le comprimé.

C'est vrai que je me sens un peu patraque. Ça doit être le rythme, j'ai beaucoup bougé ces dernières semaines, j'ai juste besoin d'une petite pause pour me calmer.

Et c'est de nouveau dans les bras de Moh que je m'endors.

Pourtant ce coup-ci le réveil m'apparaît cent fois moins agréable, puisque prise d'une nausée je suis obligée de courir jusqu'au toilette pour rendre le peu présent dans mon estomac.

J'essaie d'inspirer, mais j'ai cette sale impression d'avoir la gorge et les poumons brûlé.

Et peu à peu les murs se mettent à tanguer autour de moi. Beaucoup trop tanguer. Mais tanguer au ralenti, tout devient lent. Même ma vue finit par se brouiller.

La seule chose que j'arrive à distinguer, pendant un bref instant, c'est le visage paniqué de Moh.

Puis le noir.

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