24. Maintenant ou jamais

Melek Ozkan

- Bah qu'est ce qu'elle fout sur ton canap? Tu recueilles les chiens errants maintenant gros?

- Un truc comme ça, grogne vaguement le rappeur.

- Tu devrais la réveiller avant que les autres débarquent.

Les autres? C'est qui les autres?

Je suis tellement dans le pâté que mes neurones ont vraiment du mal à se connecter. Et j'aurai sûrement même dormi un long moment si Hakim et je ne sais lequel des garçons n'avaient pas décidé de se taper leur meilleure conversation à trente centimètres de mes oreilles.

Il y a clairement une volonté de me faire souffrir.

Et la bouteille en plastique vide qui rebondit sur mon crâne ne fait que le confirmer.

- Vasy lève toi j'ai l'impression d'être à la SPA.

Je me retiens de lui balancer deux trois insultes, pour le remercier de ce réveil tout à fait sympathique, mais c'est une voix que je commence à reconnaître qui me coupe dans mon élan.

- Haks y'a ta voisine elle se promène à poil c'est normal? Elle devrait nous épargner ça sérieux c'est aff..

Deen se tient au milieu du salon, l'air un peu perdu. Mon regard croise celui de l'homme sombre et je commence à paniquer.

- Commence pas à casser les couilles bigo, j'te vois avec ta tête de fouine. On a bu et elle a créché sur le canapé.

- J'confirme, elle bavait sur son bras quand je suis arrivé. Ça pète pas mal le mythe de la meuf classe, il ajoute en se marrant.

Je roule des yeux en me relevant. Le marteau piqueur dans ma tête m'enlève tout sens de la répartie.

- Tiens bois de l'eau et casse toi, y'en a un que t'as pas envie de croiser crois moi, marmonne Hakim en me tendant une bouteille.

J'obéis simplement sans prêter grande attention à la conversation dans laquelle se lancent les trois rappeurs. J'ai vraiment super mal à la tête. J'ai une réunion en début d'après-midi, je vais annuler.

Il est quelle heure d'ailleurs?

9h.

Ils sont par archi matinaux comparé à d'habitude? Non, parce que quand Moh trainait à l'appart, il décollait jamais avant 11h bien tassé...

Et merde.

J'essaie de ne pas trop y penser, mais j'ai l'impression de le voir dans tout. Tout me ramène à lui. Ça pourrait presque virer à l'obsession, un peu comme un drogué en plein sevrage.

Descendre les cinq étages s'avèrent un supplice, mais un supplice carrément minime comparé au moment où je me retrouve nez à nez avec Alpha et Moh.

Mon rappeur me fixe plusieurs secondes sans réagir, alors qu'Alpha, lui, fronce les yeux. Il semble rapidement se rendre compte de la tension entre nous deux et trouve un moyen de disparaître en lâchant un « les couples putain ».

La quantité astronomique d'alcool présente dans mon organisme disparaît d'une seconde à l'autre pour lâchement me laisser seule face au garçon que j'ai bien trop blessé. J'aurai tellement aimé ressentir l'effet de l'alcool dans mon sang, il m'aurait sûrement donner un peu de force et de courage. Au lieu de ça je me terre dans ma peur.

Il a coupé ses cheveux, ils ne bouclent plus sur le haut de son crâne. J'aimais bien. Mais je crois que j'aime bien comme ça aussi.

Respire, reprend toi Mel.

Son regard me serre le cœur, je crois qu'il me déteste vraiment. C'est mérité. Amplement mérité. Maintenant pour lui je ne dois être que la connasse qui a joué avec ses sentiments.

Comment on en est arrivé là?

- J'savais pas que t'étais pote avec Hakim, il finit par dire. Lui aussi tu vas le lâcher comme une merde?

Sa voix est rauque. Je connais pas vraiment ce timbre là, mais je suis prête à parier qu'il a la gorge aussi serré que moi.

- C'est pas ce que tu crois, on...

- T'as pas à te justifier, on est rien tout les deux, il crache en me contournant.

Y'a tellement de dédain et de haine dans sa voix que ça m'en retourne l'estomac.

Waouw. Je ne pensais pas ça aussi douloureux.

- Moh, je souffle en attrapant son poignet.

Le regard qu'il me lâche est empreint de tellement de colère, de rancune et de douleur que j'ai presque l'impression de ne pas le reconnaître. C'est moi qui ai créé ça?

- J'ai rien à te dire Melek, alors lâche moi. T'as été plutôt clair la dernière fois.

D'un geste sec il se libère de mes doigts.

- Je voulais pas ça, je souffle.

- Tu voulais pas quoi? il demande en haussant le ton.

Ça me coupe le souffle, j'ai l'impression de perdre mes mots, ma langue, peut être même mon coeur aussi.

- Tu sais quoi, réponds pas, j'ai pas envie de t'entendre me baratiner une nouvelle fois. C'est fini, j'en ai marre.

Je devrais le laisser partir, au fond c'est peut être la meilleure des solutions. Mais je suis égoïste, et l'avoir là, en face de moi, me rappelle tout ce qui m'a manqué ces dernières semaines.

- Je voulais pas mentir, je murmure.

Pendant plusieurs secondes je me demande si il a entendu ce que je viens de dire. Il reste planté là, dos à moi, alors j'en profite. J'en profite pour cracher tout ce qui m'étouffe depuis plusieurs semaines.

- J'aurai pas du mentir mais je l'ai fait. J'ai pas menti sur le fait que c'était compliqué, et qu'être ensemble c'était une mauvaise idée pour le moment. Par contre j'ai menti quand je t'ai dit que je ressentais rien pour toi.

Il bouge un peu mais je le coupe immédiatement.

- Bouge pas s'il te plaît, je murmure, je suis pas sûr de réussir à parler si je croise ton regard.

Il obéit et reste de dos.

J'inspire longuement, je suis pas une grande courageuse, pas que j'ai peur de grand chose, je suis même plutôt une tête brûlée, mais putain parler de sentiment c'est horrible. J'ai l'impression de me foutre à poil.

Mais je sais que si je n'exprime pas ce que je ressens maintenant, je n'aurai probablement plus jamais la chance de le faire. Et il mérite au moins cette vérité.

- Je crois que je t'aime Moh. C'est pour ça que j'ai pas arrêté de te repousser. J'ai pleins de problèmes, je suis bousillée et j'essaie de me reconstruire.

Des aiguilles me lacèrent la gorge. Mes yeux piquent.

- On s'est rencontré alors que j'allais sauter d'un pont, tu t'en rends compte? Je suis pas encore assez bien pour m'engager dans quelque chose d'aussi important, je le serai peut être jamais. Je foutrais tout en l'air en prenant un coup de flippe, je finirai par te blesser, et je refuse que ça se passe comme ça. Je peux pas me permettre ça tant que je ne suis pas totalement honnête avec moi-même mais surtout avec toi.

Ma trachée est beaucoup trop serrée. J'ai l'impression d'avoir le coeur dans la gorge.

- T'es trop important pour que je te foute en l'air alors j'ai préféré te mentir et prendre la fuite, ça me paraissait la bonne chose à faire, mais quand je vois les conséquences, je me dis que... putain j'ai été conne.

Ça y est je pleure.

Je voulais trouver une solution, faire au mieux pour lui et pour moi, au final je l'ai laissé dans le doute et la confusion et je me suis perdue. Je crois que je nous ai perdu aussi au passage.

- J'aurai jamais dû te faire croire que tu représentais rien pour moi. C'est le contraire, et c'est ça le problème, je murmure en me tordant les doigts. Je peux pas me permettre de t'aimer autant.

Il reste silencieux un moment, le seul bruit qui comble l'espace entre nous deux est sa respiration.

C'est flippant de se dire que tout est parti si vite en live.

Dans une autre vie on aurait peut être pu tomber amoureux tranquillement. Mais pas dans celle là.

- T'aurai du m'en parler, il finit par dire.

En relevant la tête je me rend compte que mes mains tremblent, je les cache dans les grandes poches de mon sweat.

- C'est pas si facile à faire, je répond en le fixant.

Quand son regard finit par croiser le mien je meurs d'envie de le prendre dans mes bras. La dernière fois qu'on s'est vu, il m'embrassait. Et moi je nous brisais le cœur.

Je le sens réticent, je le sens flippé. Il a tellement raison. Peut être qu'il vient enfin de se rendre compte d'à quel point je suis foutue.

Soudainement je me sens mal, vraiment mal, j'ai l'impression d'être submergée par toutes mes émotions, tout m'arrive décuplé, plus puissant, plus douloureux. Et son regard me devient insupportable à supporter.

- Je vais y aller, je murmure. Les gars vont finir par t'attendre.

Oui je prend la fuite, encore. Mais je suis au bord de la crise de nerf, j'ai besoin de m'isoler. J'ai besoin de penser, et je n'y arrive pas quand il me regarde comme si il cherchait à sonder mon arme.

J'enclenche un mouvement vers la porte quand il me coupe.

- On est quoi nous deux?

Si je ne le connaissais pas autant, j'aurai été vexé par son ton froid et distant. Mais la seule chose qui me fait réellement tilter c'est la douleur dans sa voix.

- Je sais pas, je souffle. Je vais pas être très présente les prochaines semaines, j'ai de gros projets ailleurs.

Je me mord la lèvre pour ne pas pleurer. C'est pas possible de se mettre dans des états pareils.

- Je... Si t'as envie qu'on essaie d'en parler, appelle moi. Je trouverai toujours du temps pour toi.

Il acquiesce et je tourne les talons.

Si seulement j'avais su ce qui allait se passer, je l'aurai embrassé avant de partir.

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