23. Les fantômes de nos passés

Melek Ozkan

Je l'ai repoussé, j'ai vraiment pas eu le choix. Je lui ai dit des trucs dont je n'en pensais pas un mot pour le faire fuir. C'était moins dure que de lui avouer que je l'aimais mais qu'on ne pouvait pas être ensemble.

Je préfère qu'il ait la haine contre moi plutôt qu'il pense que c'est lui qui a merdé, parce que clairement, dans cette histoire, il a été parfait.

J'ai juste mes problèmes à régler toute seule.

Le mois dernier a été assez éprouvant, en l'espace de deux semaines j'ai parcouru trois continents différents pour divers événements. Je me suis bourrée la tête avec le travail pour éviter de penser à ce que je venais de laisser tomber. Ça a pas mal plu à Éric que je m'y remette à fond.

J'ai aussi eu la chance de faire un petit stop chez mes grands parents maternels à Antalya. C'était un week-end, mais ça m'a fait du bien d'être au pays. Mes grands parents sont des personnes simples, ils n'ont jamais eu la folie des grandeurs qui habite la plupart des membres de la famille, ils vivent dans une petite maison qu'ils possèdent depuis presque cinquante ans. J'y ai passé beaucoup de mes étés.

Ça m'a fait du bien.

Je ne vais pas mentir, j'ai fuis Paris. C'était pas une bonne solution, mais c'était plus facile.

Et quand je me suis retrouvée dans la capitale française, je me suis sentie horriblement seule. Et le seul truc que j'ai trouvé à faire, c'est d'appeler Hakim. Débile hein?

Complètement incompréhensible, mais le plus étonnant ca a été qu'il accepte de me rejoindre.

Au début j'ai cru à une blague, mais quand je l'ai retrouvé assis dans un bar un peu pourri dont il m'a texté l'adresse, j'ai halluciné. Il avait déjà un verre dans les mains, sa casquette sur le tête, et la même mine impassible qu'à l'accoutumé.

- Salut.

C'est un grognement un peu rauque qui me répond.

- Pourquoi tu voulais me voir?

C'est la question que je me suis posée durant tout le trajet. Pourquoi c'est lui que j'avais appelé?

- Je voulais boire, je répond simplement.

- Ok. J'vais pas te payer tes verres alors arrête de me mater comme si t'attendais ça.

Toujours aussi aimable, c'est fou.

- Je peux me payer mes consos, je grogne en m'installant à côté de lui.

Je fais au signe au serveur, qui me fixe de manière un peu trop insistante. J'ai vraiment horreur qu'on me prenne pour un bout de viande.

- J'croyais que t'avais fini par déguerpir, j'ai du crier victoire trop tôt apparement.

Un sourire moqueur traverse son visage.

- J'étais pas à Paris ces derniers temps, je répond en vidant d'une traite le fond de whisky pur que vient de déposer le serveur. C'était un peu le bordel, et j'avais pas mal de travail ailleurs.

C'est drôle, jamais je n'aurai pensé que la présence d'Hakim puisse être plaisante, mais à sa manière bien personnelle, elle s'avère réconfortante. Il ne cherche pas à blaguer, ou même tout simplement a me réconforter, et je crois que ça me fait du bien. Pas besoin d'apitoiement, il l'a bien comprit.

- J'te prenais pour une petite bourgeoise de merde tu sais.

- J'ai cru le comprendre ouais. J'aurai sûrement pensé la même chose si les rôles étaient inversés.

On vient pas des mêmes mondes. Et les humains ont cette sale tendance à se braquer face à l'inconnu.

- J'te prend toujours pour une petite bourgeoise.

- Et moi pour un sale con.

- Fais belek j'pourrai changer d'avis et te planter là petite.

D'ordinaire j'aurai cherché à taquiner, mais quelque chose me dit qu'il ne faudra pas grand chose pour qu'il mette à exécution ces menaces.

- Il va comment Moh? je finis par demander.

- Pas ouf, il dit que ça va mais on dirait un zombie. Il a complètement lâché les derniers détails de l'album, il a tout relégué aux mecs qui bossent avec lui.

Je m'en veux.

Je lui ai dit qu'entre nous il n'y aurait jamais rien, que je ne ressentais rien pour lui, qu'on faisait pas parti du même monde.

Je sais même pas comment j'ai pu mentir avec autant d'aplomb alors que tout ce que je voulais faire c'était le prendre dans mes bras.

- Je devrai t'en vouloir à mort pour ce que tu lui as fait.

- Pourquoi c'est pas le cas?

Le rappeur se frotte le menton avant de se tourner vers moi.

- Je t'ai poussé à le faire Melek, j'suis un connard, mais pas au point de t'incriminer pour un truc dont j'ai fais parti. Ça crève les yeux que tu l'aimes aussi.

Gênée, je concentre mon attention sur mes mains.

- T'as essayé de faire au mieux. Et il vaut mieux que vous souffriez maintenant que dans un an quand vous serez vraiment posé. T'as fais le bon truc.

Je pensais pas qu'il aurait cette vision des choses, peut être que je l'ai trop vite rangé dans la case gros connard sans cervelle.

Les minutes qui suivent, je les passe à fixer mon verre sans vraiment savoir quoi dire. J'ai mal au cœur.

Je crois qu'Hakim s'apprêtait à dire quelque chose quand le serveur m'a glissé un papier avec un autre verre.

- C'est la maison qui offre ma jolie, il dit avec un clin d'œil bien trop lubrique.

J'ai froncé les yeux sans trop piger quand j'ai compris que c'était son numéro.

Hakim, lui, a eu l'air passablement énervé par le petit numéro du serveur.

- Lève toi on s'tire, j'ai une teille de bon whisky qui traîne chez oim. J'vais pas aider à faire de l'oseille des connards pareils. J'pourrai être ton mec, putain il doute vraiment de rien ce chien de la casse.

Un regard assassin plus tard, on se retrouve à marcher dans les rues pavés de la capitale. Je suis un peu chamboulée, et je ne pensais pas trouver de réconfort auprès de ce gars un peu trop froid et ronchon.

Pourtant on en est là.

Et quand on s'installe par terre, une bouteille d'alcool entre nous deux c'est un peu comme si nos langues se déliaient. On parle de tout et de rien, il me parle des gars, de son frère Idriss beaucoup. Il me confit aussi ses regrets par rapport à Victoria, surtout de ne pas avoir transmis plus rapidement cette fameuse lettre. Je lui parle de mon enfance, de mon père trop intrusif, de ma mère complètement sous l'emprise de son mari, de mes souvenirs les plus lointain, de Natalya.

- C'était vraiment une bonne personne, elle donnait le sourire dès qu'elle entrait dans une pièce. Je te jure, c'était impressionnant, elle avait une aura incroyable. C'était un soleil cette nana. Mais elle a pas supporté la pression. Je me souviens qu'on était dans un hôtel de Boston, c'était pour un casting, je me souviens même plus pour quoi, c'était il y a si longtemps, je souffle. J'avais 19 ans, elle 21.

Y'a pas de pitié dans son regard, il m'écoute juste.

- Je voulais juste lui emprunter une paire de chaussure. Au lieu de ça je l'ai trouvé inconsciente dans la salle de bain. Les médecins ont dit que c'était une question de minutes, ils auraient peut être pu faire quelque chose si j'étais arrivé plus tôt. Au lieu de ça elle a fait une overdose de médoc, elle est morte dans l'ambulance, seule.

Natalya était ma famille à l'autre bout du monde. On était partie ensemble pour ce satané casting, mais c'est toute seule que je suis rentrée dans notre appartement.

C'est la première perte que j'ai expérimentée.

J'aurai tellement aimé que ce soit la seule.

- J'oublie sa voix, je souffle. Elle avait un accent russe à réveiller des momies, je me foutais tout le temps de sa gueule, mais maintenant je l'oublie.

- Les russes, il grogne.

Il tend son verre vers moi et je l'imite.

- À Natalya.

- À Natalya, je répète.

On boit en silence, comme pour honorer les fantômes de nos passés.

Les effets de l'alcool commencent lentement à engourdir mes sens, et ma douleur me paraît moins vive. Je me sens moins triste. Pourtant ça n'a pas l'air d'être le cas de mon collègue de beuverie.

- Elle est où Thylane?

Il lève la tête et me jette ce regard qui veut clairement dire que ce n'est pas un sujet abordable ce soir.

M'en fous, j'ai trop parlé ce soir pour le laisser lui aussi dans ses mauvaises états d'âmes.

- Quand on s'est vu il y a un mois, je te trouvais triste, pourtant c'est rien comparé à ce que je vois aujourd'hui. Et même si on se connaît pas des masses, je suis presque sûr que t'es pas du genre compatissant et que ce ne sont pas mes histoires qui te foutent dans cet état.

- Tu parles trop, il grogne en portant le goulot à sa bouche.

- Tu la vois encore? je tente.

Sa mâchoire se contracte, si lui n'a pas envie de parler son corps le fait pour lui.

- Ça veut dire non, je murmure.

- Bois et ferme là, j'ai pas envie de parler de ça. Belek si tu continues à me faire chier j'te fous dehors.

Charmant ce garçon.

Je laisse tomber ma tête en arrière et observe silencieusement le plafond. J'ai un peu mal à la tête. Ça fait des semaines que j'ai l'impression que des centaines de pensées tourbillonnent dans ma tête, j'aimerai juste qu'elles s'arrêtent pour quelques instants.

Un peu de répit ça me fait ferait du bien je crois.

- Sah les meufs vous avez aucune descente.

Je roule des yeux sans répondre. Putain l'alcool.

- Tu peux pioncer sur le canapé mais si tu beger dessus j'te tue, t'as capté?


Helloooooo, petit message rapide pour donner un peu de force à une auteure, qui m'en donne énormément sur ce tome. LettresVagabondes  a commencé il y'a peu de temps une histoire avec notre Ken national, Passion, et elle mérite amplement d'être lu et partagé. Je précise qu'elle ne m'a pas demandé de pub ou quoi que ce soit, elle n'est même pas au courant de ça, je le fais simplement par envie.
Si vous avez un peu de temps a tuer, vous allez adorer Méloé, Ken et Oana.

Voilà voilà, c'est tout ce que j'avais à dire, je vous souhaite une bonne soirée et on se retrouve vite ❤️

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