22. Nos choix

Melek Ozkan

J'ai beaucoup réfléchi à ce qu'Hakim m'a dit, au fait de mettre des limites, d'établir des murs précis, de ne pas laisser nos sentiments se transformer en quelque chose qui nous boufferait, et j'en suis venue à une seule conclusion.

J'arriverai jamais à être seulement la bonne copine, la pote parmi tant d'autres. C'est intenable.

J'ai eu besoin de temps pour réfléchir un peu à la situation. Mohamed a prit une place tellement important dans ma vie que ça en devient presque flippant.

Et je sais parfaitement que si lui est bien pour moi, moi je le suis pas, pas pour le moment en tout cas. J'ai trop de problèmes, trop d'idée noire, il y a pleins de choses dont je ne suis pas guérie. Et ça serait totalement injuste de faire reposer le poids de mes douleurs sur ses épaules.

La douleur ça a pas à être partagée. Pas avec les gens qu'on aime.

Alors j'ai commencé à un peu moins le voir, décliner quelques sorties, me concentrer sur le travail, le sport. J'ai aussi passé pas mal de temps avec Ali, j'ai vu mon frère et Asma sa femme.

On se connaît depuis gamine, nos pères étaient amis, associés même, et c'était dans leurs logiques que leurs gosses se marient. Ils ont eu de la chance que Samir et Asma tombent réellement amoureux, ça aurait pu faire beaucoup d'étincelle. Mon père aurait carrément pu les forcer, ça ne l'aurait pas empêché de bien dormir le soir.

Bref, tout ça pour dire que je me suis un peu plongé dans la routine pour l'éviter.

Parce que l'éviter ça me paraissait beaucoup plus facile que de devoir lui expliquer qu'on doit prendre nos distances avant que cela tourne au vinaigre.

Mais ça n'a pas eu l'air d'être de son avis, et je l'ai compris au moment précis où il a déboulé chez moi.

Ça faisait presque deux semaines.

J'ai eu l'impression d'être coupé en plein milieu d'un jeun. Un peu comme un alcoolique sobre depuis quelques temps à qui on propose un verre de whisky.

Et moi bien sûr j'ai pas réussi à le refuser.

- Qu'est ce que tu fais là? je demande en posant ma gourde sur le plan de travail de ma grande cuisine.

- Je viens te voir, vu qu'apparemment t'as l'air décidé à m'éviter.

Il est un peu froid. Il a pas dû apprécier le manège de ces derniers jours.

- J'étais occupée.

- Arrête, il grogne, t'as pas bougé de Paname depuis plusieurs semaines, tu vas pas me faire croire que t'as passé ton temps à shooter.

- J'ai passé un peu de temps avec Ali. Je repars demain à Tokyo.

C'est chiant, parce qu'à chaque fois que je le regarde, son charisme me saute aux yeux. Il est vraiment beau.

- Pourquoi t'es partie comme ça du studio? il finit par demander.

J'ai un peu paniqué après la discussion avec Hakim, et il est effectivement possible que je sois rentrée directement chez moi sans passer par la case « je passe ma journée avec Moh ». Mais je suis pas douée pour les relations aussi, ça m'a fait flipper.

- J'étais fatiguée c'est tout.

Il n'en croit pas un mot, ça se voit à sa tête. Je crois qu'il a vite compris quand je mentais ou non.

Je tourne les talons et fouille dans un placard. J'ai juste besoin de trouver un autre centre d'intérêt, parce que le voir là, à me scanner, ça me tend.

- Mel, il grogne.

- Ouais.

- Qu'est ce qui t'arrive? Me répond pas rien, ça fait deux mois qu'on passe notre temps libre ensemble et d'un coup plus rien, plus un message. Je veux pas faire le mec à fond mais te voir jouer la morte ça commence à me gaver.

Je sais pas vraiment comment lui dire qu'il faut qu'on prenne nos distances, parce qu'au fond c'est bien la dernière chose que je souhaite.

Il contourne le grand plan de travail et pose ses deux mains contre mes épaules pour me tourner vers lui.

- Parle moi chat.

Il devrait pas rester aussi près. Ça me donne juste envie de l'embrasser. J'ai envie de ressentir ses lèvres contre les miennes, comme deux semaines plus tôt.

Ça vire presque à l'obsession dans mon esprit quand sa voix me tire de ma léthargie.

- Est ce que... C'est à cause de ce qu'il s'est passé dans la rue? T'as peur de moi? il demande la mine sombre.

Quoi?

Pourquoi j'aurai peur de lui? Il n'y était pour rien.

- Bien sur que non, ça n'a rien avoir avec ça Sid. T'y es pour rien, c'était un hasard, ça aurait pu être n'importe quelle autre personne.

Il acquiesce, ses paumes toujours contre moi.

J'ai l'impression que son toucher me brûle la peau. C'est normal?

Je devrai vraiment pas avoir envie de l'embrasser comme ça, mais putain que ça me démange.

Pourtant je finis par me faire violence et m'écarter de sa prise.

J'inspire.

Putain je déteste déjà faire ça.

- Jecroisqu'ondevraitjusteresterpotec'estlemieuxàfaire.

Il fronce les sourcils. Merde ça sonne encore plus faux que dans ma tête, j'ai pas envie de le répéter.

- J'ai rien pigé, si tu pouvais t'asseoir et ralentir, tu me donnes mal à la tête à marcher comme ça.

Contrôler mes mains pour ne pas me gratter les paumes jusqu'au sang me permet de calmer un peu les battements de mon cœur. Je déteste vraiment faire ça.

J'ai tellement peur qu'il pense que je me suis servie de lui et que je le jette comme un mal propre.

- Sah arrête toi Melek, j'ai l'impression de voir un animal en cage là.

Une nouvelle fois il attrape mes épaules et me maintient face à lui, à quelques petits centimètres de lui.

Je crois qu'il veut ma mort.

- T'as l'air fatigué, il murmure en faisant passer une de mes mèches derrière mon oreille.

Il est trop beau.

- Maintenant dis moi ce qu'il se passe, et en articulant de préférence, il se moque.

- J'ai articulé, je râle, c'est toi qui a pas suivit.

Mauvaise foi quand tu nous tiens.

Son regard me fait vite comprendre que je n'ai pas intérêt à repartir dans de nouvelles divagations.

- Je... Je crois qu'on devrait essayer de prendre nos distances, je murmure. Je sais pas vraiment où on en est, mais je crois que se lancer dans un truc pas clair c'est la pire idée du monde actuellement.

- C'est ce que tu veux? il demande en se reculant un peu pour mieux me voir.

Non.

- Oui.

Il hoche doucement la tête, si ça le touche en tout cas il le masque plutôt bien.

Et dès qu'il s'écarte réellement de moi pour s'appuyer contre le placard d'en face, j'ai l'impression de vraiment ressentir son absence. Pourtant il est à côté, ça n'a pas de sens.

- Ok, il souffle. Je vais y aller alors. Tu sais que ça change pas, si t'as besoin de moi je suis là.

- Merci.

Le regarder tourner les talons et quitter mon appartement me donne envie de me gifler.

Il mérite pas ça du tout, il mérite pas d'être repoussé.

Mon choix me paraît soudainement douteux, j'sais plus vraiment si ça fait de moi une bonne ou une horrible personne. Si c'est du courage ou de l'égoïsme.

Je reste plusieurs minutes les yeux rivés sur la poche qu'il a posé sur la table en arrivant, à tout les coups c'est de la bouffe. Cette idée me fait sourire. Même remonté contre moi il a pas pu s'empêcher de ramener sa bouffe. Et même si c'est un estomac sur patte, je sais pertinemment que ce qu'il a ramené c'était en priorité pour moi.

Putain...

Les mains un peu tremblantes j'attrape les barquettes, c'est des spécialités turques. Il y a quelques semaines je lui ai dit que c'est ce que je mangeais quand j'avais un coup de mou. Ça me rappelle les vacances d'été avec mon frère et ma sœur.

C'est possible un retour en arrière?

Alors que je suis exactement à la même place, un peu paumé dans mes pensées, j'entends des bruits de pas rapide, la porte s'ouvrir, pour finalement laisser place à la personne dont j'ai le plus besoin.

- Tu sais quoi, j'en ai marre de faire semblant. Tu me plais, tu me plais vraiment. T'es la seule personne avec qui j'ai envie d'être Mel, et si tu le veux ça n'a pas à être un truc flou, ça peut même être très clair. Il suffit que tu me le dise.

- Moh...

Il fait un pas vers moi, et sans le vouloir j'en fais un vers lui.

Il dit tout ce que j'ai envie d'entendre, et ça me brise le coeur.

- Je peux être là pour toi. Je sais que tu flippes mais j'te jure qu'on peut être bien tout les deux.

- C'est plus compliqué que ça, je souffle en regardant mes pieds.

Je crois que je suis entrain de me casser le coeur toute seule, si c'est pas ironique.

- Non c'est pas compliqué, on s'attire tout les deux, c'est un truc qu'on contrôle pas, mais putain je sais que t'en as autant envie que moi alors arrête de me baratiner.

- J'te baratine pas.

Je l'entend rire, c'est nerveux.

- Arrête de mater tes baskets et regarde moi.

Pour accompagner ses mots il relève mon visage d'un pouce posé sous mon menton. C'est pas un geste spécialement doux, c'est assez autoritaire. C'est une facette de lui que j'ai rarement vu, et je déteste la voir maintenant.

- T'es la seule chose que je veux Ozkan, alors ose me dire que ce n'est pas réciproque et je laisse tomber. J't'en reparle plus jamais.

Ses iris brunes me brûlent la rétine.

J'ai ce truc au fond de moi qui commence à monter, de la panique peut être. J'ai l'impression que tout mon corps pique, c'est presque des tremblements.

Toute ma vie, j'ai voulu qu'on m'aime pour la gamine que j'étais, pas pour l'image que je renvoyais, et le jour où cela arrive, je suis obligée de repousser la seule personne qui me donne réellement envie de me battre, de peur de le blesser. Alors que ce que je vais faire va forcément le toucher.

Y'a jamais de bon choix.

Et essayer de faire au mieux c'est pas suffisant parfois.

Putain.

J'allais reculer, j'allais vraiment faire ce qui me paraissait le plus juste. J'allais lui expliquer. J'allais lui dire que je l'aimais mais que je pouvais pas être avec lui pour le moment.

J'allais essayer.

Du moins c'était le plan avant qu'il plaque ses lèvres contre les miennes. A partir de là mon cerveau a disjoncté, et j'ai perdu toute notion du temps, de l'espace ou même de la réalité.

C'est puissant. Vibrant. Et jamais je ne me suis sentie aussi vivante.

Et pour la première fois de ma vie, j'ai l'impression d'être à ma place, là où l'univers a si longtemps tarder à me mettre. Et c'est un sentiment terrible.

Ce n'est qu'une fois qu'il a eu reculé son visage de quelques centimètres que j'ai compris que je pleurais.

Parce qu'il n'y a pas de bons ou de mauvais choix, il n'y a que nos choix.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top