2. Baby-sitter
Melek Ozkan
- Pourquoi t'as fais ça? Faut être complètement débile pour faire un truc pareil.
Sid, Moh, Mohamed ou quelque soit son nom m'a sauvé. Il m'a sauvé en se mettant lui même en danger. Et je comprend pas pourquoi.
- C'est un complexe du héros? T'accours devant chaque meuf en danger? Ou bien t'as fait ta BA de l'année?
Je suis dure, je sais.
J'ai grandi dans un univers où rien n'est motivé par autre chose que l'intérêt personnel. Par exemple, si mes parents m'ont poussé vers le mannequinat , à l'âge de 16 ans, c'est parce que d'après eux, je n'arriverai à faire rien d'autre. Ou du moins pas quelque chose d'assez valorisant pour eux.
La fille de M. et Mme Ozkan devait faire quelque chose de grand.
« On ne fait pas partie de la populace ». C'est ce que m'avait dit mon père quand j'avais évoqué une possible carrière dans les sciences humaines à 15 ans.
C'était pas assez bien, pas assez valorisant.
J'ai rapidement appris que les hommes se servaient des autres pour assouvir leurs intérêts. Je ne suis même pas sure que des relations sincères existent encore. Alors c'est vrai oui, l'action de Sid me paraît incompréhensible.
Qu'est ce qu'il y gagne?
De la reconnaissance? Une conscience?
Peut être qu'il attend que je l'acclame comme le sauveur qu'il est. Que je me positionne en pauvre petite fille fragile. Manque de pot, c'est pas mon genre.
- Un simple merci ça me suffit.
Après qu'il m'ait aidé à remonter il est resté un moment contre moi, à me tenir par les épaules. Je crois qu'il avait peur que je saute.
Et pour une fois, j'ai décidé de ne pas contredire le monde.
C'est quelque chose que j'ai développé avec l'âge, l'esprit de contradiction. Je me suis toujours sentie en opposition avec les gens. C'est quelque chose que j'ai cultivé à force d'expérience. C'est une carapace.
Ça tient les autres éloignés.
- Tu peux me lâcher Sid.
Il lâche mes épaules et fait un pas en arrière. Pendant quelques secondes je me demande si il m'a reconnu, puis il tourne la tête sans rien dire et se frotte le visage en inspirant.
Il fait nuit, bien nuit même. Je n'ai pas mon téléphone sur moi, mais je pense qu'il est facilement quatre heure du matin. Qu'est ce qu'il fait à quatre heure dehors?
Putain si il faut c'est un psychopathe.
Cette idée me fait frissonner et je m'écarte un peu.
J'ai envie de rentrer chez moi.
Je n'ai pas fait deux pas, que Sid est devant moi, les poings sur les hanches, et l'air pas vraiment enchanté.
- Wowowo tu me fais quoi là?
C'est drôle parce que son expression me donne juste envie de rire. Un peu comme ces cartoons qui ne sont ni menaçant, ni terrifiant.
- Je rentre chez moi, je vais pas passer ma nuit sur ce pont avec toi, bien que t'ai l'air sympa, mais j'évite de traîner avec des mecs dont j'connais rien.
Ça c'est esprit criminel qui me l'a appris.
- Ok. Mais je te raccompagne.
Je le regarde, blasée.
- Je peux rentrer seule. T'as mission s'arrête ici, je te libère, allez oust.
J'accompagne ma dernière phrase d'un signe de bras. J'ai pas besoin d'une baby-sitter.
- C'est le moment où tu déguerpis Sid, j'ajoute face à son immobilité.
Mais il bouge toujours pas. Il croise juste ses bras sur son torse et me regarde en arquant un sourcil.
Pourquoi je suis tombée sur le plus gros chieur de Paname?
Je soupire et tourne les talons, aussitôt j'entends les pas de l'homme me suivre. Fait chier.
Je pourrais mettre bien plus d'énergie pour le convaincre, mais j'ai plus la force de me battre. C'est un peu trop pour une soirée. Alors je le laisse me suivre.
Il marche à mon niveau une bonne dizaine de minutes sans l'ouvrir, et j'avoue que ce silence me fait du bien, pourtant je vois qu'il se retient. Il a pas vraiment l'air du genre à la fermer, pourtant il a la délicatesse de ne pas me brusquer, et j'apprécie.
Quand j'aperçois une petite pancarte clignotante je l'arrête.
- Attends moi là.
Quelques minutes plus tard, c'est avec un paquet de chips dans les mains que j'en ressors.
- J'ai pas mangé depuis hier soir, j'explique en ouvrant le paquet.
Je fourre quelques chips dans ma bouche avant de lui tendre le paquet. Il décline silencieusement.
La voix de mon manager me revient en tête, pour ces quelques poignées de chips il me mettrait sûrement au régime sec. J'ai un moment d'hésitation avant de me resservir, qu'il aille se faire foutre.
- Qu'est ce que tu faisais sur ce pont? je finis par lui demander.
- Je rentrais de chez une pote.
- Une pote? je demande avec un petit sourire.
- Ouais une pote, il répond avant de croiser mon regard, baaaah putain arrête de m'matter comme ça Vic c'est ma reuss. Putain dégoûtant.
J'ai un petit rire en le voyant s'exciter comme un gamin qu'on vient d'accuser d'être amoureux.
- Et toi tu faisais quoi avant?
J'étais entrain de m'embrouiller avec mes parents. Salement.
- Rien, je répond. Je traînais juste.
- T'habites loin? Je peux appeler un uber si tu veux.
Je le regarde en arquant un sourcil.
- Non j'ai envie de marcher, mais tu peux rentrer toi.
Il secoue la tête. Le plus grand chieur de Paname.
- Pourquoi? je rajoute.
- Pourquoi quoi?
Je m'arrête et lui aussi se stoppe. La lumière d'un lampadaire éclaire son visage, il a des traits assez fin. Son visage me parle, mais j'arrive pas à réellement mettre un nom dessus. J'ai rentré tellement d'homme ces 10 dernières années.
- Pourquoi t'es gentil avec moi comme ça?
Je me méfie. J'ai pas confiance en ce genre de personne.
- J'ai pas envie de voir dans le journal demain que tu t'es foutu en l'air au prochain pont. Maintenant dépêche toi, j'ai envie de dormir.
- J'allais pas vraiment sauter, je grommelle en me remettant en route.
Menteuse me souffle ma conscience.
Il n'y répond rien, je crois qu'il sait comme moi qu'un rien aurait pu me faire basculer ce soir.
Je mange aussi silencieusement mes chips que je le peux, et lui il continue à tracer, les mains dans son sweat.
J'aurai parié beaucoup que c'était pas le genre de mec à marcher silencieusement, il n'y a qu'à voir la façon dont il m'a abordé, pourtant il vient de se murait dans le silence.
Quand je m'arrête devant mon immeuble, je vois bien qu'il a l'air plutôt étonné. Il ne porte pas de regard malsain, simplement interrogateur. C'est compréhensible, peu de gens peuvent se payer des appartements dans des quartiers si huppés, encore plus en ayant moins de 30 ans.
Je me demande ce qu'il pense de moi. Si il faut il pense que je suis une michtonneuse. Pourtant dans son regard je ne vois rien d'autre que de la gentillesse.
- Bon... Je vais rentrer, je dis en agitant mes clés. Merci de m'avoir raccompagné Sid.
Il acquiesce par un simple hochement de tête et je tourne les talons. Mais quand je l'entend s'éloigner j'ai cette irrépressible envie de le rappeler.
J'ai plus envie de rester seule.
- Hey!
Il a l'air plutôt étonné, je crois qu'il est vraiment fatigué, pourtant quand je lui demande si il a quelque chose de prévu il me répond que non.
- Attend moi là j'arrive.
Quelques minutes plus tard, je sors de mon immeuble, un ballon sous le bras.
Il hausse un sourcil, sans pour autant se plaindre ou râler.
- Dis moi Sid, tu supportes quelle équipe?
- Paris logique, il répond.
J'ai un petit sourire, c'est aussi l'équipe que je supporte.
En quelques minutes on rejoint un petit square désert. Balle au pied, je fais quelques petits trucs à la con avant de lui faire la passe.
Quand j'étais gamine, le foot c'était vraiment mon truc. Avec mon frère on pouvait disparaître des heures pour jouer. Ça faisait enrager les parents, du coup ça nous plaisait bien.
Sid fait quelques jongles avant de me renvoyer la balle.
- J'adorais jouer quand j'étais petite, je me bousillais les genoux à coup sûr mais je m'amusais toujours. Ce sont mes meilleures souvenirs. Alors je me suis dit que peut être que si je revenais à ça je me sentirais mieux.
Je ne sais même pas pourquoi je lui raconte ça. Je suis émotionnellement trop faible ce soir, c'est impressionnant. Ça ira mieux demain.
Il me fixe silencieusement, je ne vois pas de pitié dans ses yeux et ça me fait du bien. Il est juste là, et ça me fait du bien, même si je n'ai aucune idée de qui il est.
- Files moi la balle, il finit par dire.
J'obtempère et il prend le ballon sous son bras. Il fait un tour sur lui-même avant de poser les yeux sur un banc bordé à sa gauche d'un lampadaire.
- J'fais le gardien, mais je te préviens après on échange hein, moi aussi je veux te terminer.
Il est absolument sérieux et ça me fait rire.
- Vraiment? je demande en souriant.
- Allez montre moi ce que t'as dans le bide Mbappé.
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