14. Sous pression
Melek Ozkan
- T'as décidé de plus parler? je demande en tournant ma tête vers lui.
Il a les doigts serrés sur le volant et évite soigneusement de croiser mon regard depuis qu'on est parti. En faite, il agit comme si je n'étais pas là.
- Moh!
Toujours rien. Il a enclenché le mode silencieux.
- Sid!
Il ne sourcille même pas.
J'ai horreur qu'on m'ignore.
- Moh! Arrête de m'ignorer! je crie. Arrête toi, arrête ta caisse et regarde moi!
Il freine brusquement et j'écarquille les yeux, je n'attendais pas une réaction aussi rapide. Je jette un coup d'œil dans le rétro intérieur, la rue est vide.
- C'est pour ce putain de connard que tu t'empêches de manger? C'est parce que ce mec te fous la pression pour des conneries de défilé?
- Moh, je... J'ai oublié, c'est tout.
- Arrête de te chercher des excuses, tu crois que je vois pas que tu picores à peine. T'as même pas toucher à ta pizza. Putain tu me fais flipper j'te jure.
J'ouvre la bouche, mais je ne sais pas vraiment quoi répondre.
- Tu peux pas jouer avec ta santé parce que ce mec te mets la pression Mel, t'es plus forte que ça.
- Je...
Il me coupe en détachant ma ceinture et me maintient par les épaules face à lui.
- La Melek que je connais c'est une putain de battante qui n'a aucun problème à dire à un putain d'enculé d'aller se faire foutre quand elle en a envie.
J'ai l'impression de me faire sermonner par mon père. Sauf que mon paternel lui appréciait particulièrement me comparer à ses autres enfants, histoire de me démontrer par A + B que j'étais le vilain petit canard de la famille.
- Mais la meuf que je vois en face de moi, elle se laisse faire. Elle laisse un sale con lui dicter son comportement, et ça pour quoi, un peu plus de reconnaissance? Du fric? Pourquoi tu fais ça Mel, pourquoi?
- Je fais pas ça pour l'argent, je murmure.
Je le fais parce qu'au fond de moi, j'espère encore que mon père verra un jour en moi ce qu'il voyait en Mina.
Dans un soubresaut, je sors de la voiture, j'ai besoin d'air, j'ai besoin de respirer. J'pourrais même me mettre à chialer si j'avais pas appris au fil des années à me retenir.
Je m'éloigne de la voiture en me griffant l'intérieur de la main.
Pleure pas Mel, pleure pas.
C'est le claquement de la portière qui m'indique qu'il me suit. Et à peine quelques secondes plus tard, je sens sa présence, juste derrière moi.
- Chat...
Sa voix est un peu rauque. Peut être que lui aussi il a un peu la gorge serrée.
Je suis dos à lui, et son souffle chatouille un peu ma nuque. Ça me donne des petits frissons.
- Retourne toi, il murmure.
Mon esprit de contradiction s'est clairement barré. La dernière fois que je me suis sentie aussi faible, c'était sur ce pont.
Et c'est lui qui m'a retenu.
Alors je me retourne vers lui.
Il pose une main contre ma nuque, l'autre sur ma taille et m'attire contre lui. Sa barbe me pique le nez pourtant je n'ai aucune envie de reculer. Je passes mes bras dans son dos et respire son parfum.
- Tu dois faire gaffe, il murmure.
Je ferme les yeux. J'aimerai graver cet instant dans ma mémoire. J'aimerai me souvenir éternellement de son souffle dans mon cou et de sa main dans mes cheveux.
- Il faut que tu me le promettes Mel, il faut que tu me jures que tu vas faire attention à toi.
Je peux pas promettre beaucoup de chose, mais ça je crois pouvoir le faire. Tant qu'il est là je peux le faire.
Alors j'acquiesce.
Son torse se soulève doucement, avec son pouce il relève mon visage et me fixe pendant plusieurs secondes.
Il est beau. Pas d'une beauté qu'on verrait en première page de magazine, mais il a un truc. Un truc qui me pousse à attirer ses lèvres contre les miennes. Un truc qui me laisse échapper une larme alors qu'il répond à mon baiser.
Ce même truc qui me pousse à m'éloigner de lui.
Il est beau. Il est trop beau.
Et j'suis trop foutue.
- Je... Je... Euh je...
- On est pas obligé d'en parler, il murmure.
- Ok.
Respire Mel, respire.
- Allez viens, je te ramène.
Dans la voiture je pose ma tête contre la vitre. J'crois que j'ai le cerveau retourné. Peut être même que mon coeur aussi.
Ça fait des mois que j'essaie de retenir ce truc en moi, que j'essaie de la jouer femme forte, j'ai toujours plutôt bien réussi d'ailleurs, pourtant il a suffit de quelques phrases de sa part pour que toute la mascarade que j'ai monté se casse la gueule.
Je ne sais même pas si ça me soulage.
Mais peut être que pour ce soir, je peux profiter de ce répit. Juste être Melek.
Quand il éteint le moteur face à mon immeuble, je me dépêche de sortir. Je suis un peu gênée. Pourtant des mecs j'en ai embrassé. Mais là c'est pas pareil, je veux qu'il continue à voir en moi ce qu'il a vu dans ce square, quand on jouait comme des gosses. Pas la pseudo star au bord du gouffre, sans limite.
Pourtant quand je pose ma main sur la porte d'entrée, je me retourne. Il est toujours là, dans sa voiture. Alors je retourne sur mes pas.
- Tu peux rester avec moi ce soir? je finis par demander.
Mes ongles grattent l'intérieur de ma paume, j'ai l'impression de me transformer en petite gamine de quinze ans. Même à quinze ans j'agissais pas comme ça.
Il hoche la tête.
Quelques minutes plus tard il s'allonge à côté de moi. Je fixe le plafond, il me parait complètement vide comparé au sien.
- Merci, je murmure.
Il tourne la tête vers moi et fronce les sourcils.
- D'être là.
Il hoche la tête et m'attire contre lui. Je cale ma tête dans son cou et pose ma main contre ses côtes. Un de ses bras entoure ma taille alors que l'autre dessine de petit cercle dans mes cheveux.
Et je m'endors bercé par sa respiration.
*
Je me suis levée tôt ce matin, j'avais pas mal de truc à faire alors j'ai laissé Moh pioncer dans mon lit. Puis c'était aussi une manière d'éviter une situation gênante. Je l'ai embrassé merde. Je sais même pas ce qui m'a pris, j'aurai pas du.
Je suis un désastre ambulant c'est hallucinant.
J'veux pas foutre en l'air ma relation avec lui pour ça.
Il est trop important.
Quand il finit par se lever, je suis installée sur le canapé, mon ordinateur sur les genoux. J'ai un peu la pression.
- T'es allée chercher à manger? il demande en fixant une poche poser sur la table.
J'acquiesce et il sourit en en sortant un croissant.
- T'as mangé?
- Non. Je t'attendais.
Un autre sourire.
- C'est bien tu piges.
Il me tend la deuxième viennoiserie et se laisse tomber à côté de moi. Avec beaucoup de délicatesse bien sur.
J'essaie de me détendre, faire comme si rien ne s'était passé.
- Tu bosses sur quoi? il demande en regardant mon ordi ouvert sur la page d'une assoc.
- Rien, je répond en fermant mon mac. C'est rien de concret pour le moment.
- Pour le moment? Allez crache le morceau Mel, qu'est ce t'es entrain de nous pondre?
- Et toi? je demande. Il arrive quand ton album? Non parce que là t'es absent depuis un bail quand même. Tu crois qu'les gens ils se souviennent encore de ta tronche?
- Sale peste.
Je lui fais un grand sourire et il m'attire contre lui pour frotter mon crâne comme si j'étais une gamine de 10 ans. Ça me fait rire.
Je finis la tête contre ses cuisses à regarder ses grosses narines pendant qu'il me parle de je ne sais quel rappeur qui vient de sortir un album qui apparemment est vraiment super nul. Il enchaîne sur le fait que ses gars à lui ils font que des choses lourdes, et qu'il est archi fière.
Et jamais il n'évoque le baiser. Et ça me rassure un peu je crois.
Moi je le laisse parler, il part dans des délires dont je ne pige pas grand chose, le rap c'est vraiment pas mon truc et je me dis que je devrai peut être faire des efforts et me renseigner.
- Moh, je le coupe.
- Quoi? il demande, vexé que je l'ai coupé.
- Tu peux me montrer des vidéos?
Il acquiesce et attrape mon ordinateur. Il tape quelques trucs et rapidement une vidéo démarre. La suite, 1995.
Très vite je ne peux m'empêcher de me moquer, il a vraiment une tête de gosse.
- Mais c'est toi? Oh merde mais t'as vraiment une tête de gamin, je me marre. Putain t'as l'air du gosse insupportable qui arrête pas de casser les couilles à tout le monde. Mais pourquoi tu cours partout comme ça?
- C'était y'a 8 ans aussi, il grogne. Moi j'le kiff ce clip.
- C'est Ken ça? Oh mais cette tête de marmot.
- Arrête de te moquer, il râle.
Je lève ma tête vers lui et me retiens de rire.
- Mais je constate juste Sid, putain pourquoi tu te fous à poil là? Eh, mais t'avais qu'à te coller encore plus à la meuf là non?
Un sourire et un petit rictus plisse son visage, alors qu'il alterne entre l'écran de mon ordi et mon visage un peu outré. Outré par sa ridiculité je tiens à préciser.
- Jalouse?
- Tu crois vraiment qu'j'suis jalouse d'une meuf cul nu et de ta tête à trois centimètre de son derrière?
Et bah ouais peut être un peu.
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