1. Illusion
Melek Ozkan
Il y a un moment dans la vie où tout devient simplement trop. C'est à ce moment précis, ce point de rupture, que même respirer devient un supplice.
Les sourires ne vous paraissent plus si authentique, les discours sonnent faux, les promesses volent aux vents, les amitiés se défont et les masques tombent.
C'est dans ce genre de moment qu'une seule idée tourne en boucle dans votre esprit. Comment en finir? Comment arrêter tout ça? Comment sortir de cette mascarade?
J'y ai pensé un long moment, assise sur le rebord de ce pont.
Nombreux idolâtres ma vie. Je crois que de l'extérieur, j'aurai typiquement été le genre de gamine à rager sur mon feed insta, devant ces fringues de hautes coutures, ces endroits exceptionnels.
Mais un cliché n'est pas la réalité. Ne vous fiez pas à mes sourires. Je suis une gamine détruite. Et je vais sauter de ce pont. Ne vous fiez pas non plus à ces pseudos moment de complicité. Non cette mannequin n'est pas ma « BFF », mais mon job c'est de vous le faire croire. C'est plus vendeur ils disent. Oh et d'ailleurs, les plats juste succulent que je mets en story, je ne les goûte même pas, parce que ça aussi ça fait parti du job. Taille 34 oblige.
J'aurai pu supporter ce monde d'hypocrisie, j'ai grandi dedans après tout. J'aurai pu continuer à endurer ça en silence, faire le taff, feindre une vie exceptionnelle, des amitiés en or. J'aurai même pu continuer à jouer le couple parfait avec Cameron, après tout je suis passée experte dans l'art de dissimuler mes émotions.
J'aurai pu continuer, j'avais les épaules pour.
Mais j'avais sûrement pas les épaules pour tout ce qui s'est passé. Et c'est trop. Trop dur, trop violent, trop triste.
Et à ce stade, je ne pense pas être capable de me reconstruire.
Alors sauter de ce pont c'est ma solution.
Quelle triste ironie, il y'a quelques mois je tournais une pub pour un parfum juste ici. La vie a un drôle d'humour.
J'ai pas du en saisir le sens.
Une légère brise balaie mes cheveux. Allez Mel tu peux le faire. C'est pas si compliqué.
Je me laisse glisser le long du parapet, une vingtaine de centimètres me séparent maintenant du vide.
Mon estomac se tord un peu dans tout les sens. Je crois que j'ai peur.
Qu'est ce que ça fait de mourir?
Cette question me fait lâcher un rire sinistre. Je crois que je suis déjà morte à l'intérieur, alors ça doit plus être si douloureux.
Je vis engourdie depuis des semaines.
Un peu comme si mon coeur et ma tête étaient anesthésiés.
D'une main je lâche le rebord. C'est fou à dire, mais j'ai plus rien à perdre. J'ai plus personne. Ou du moins je n'ai plus personne pour me retenir.
Mina aurait pu être ma bouée. Mais au final elle est ma chute.
Ma jolie Mina.
D'une main rageuse j'essuie les quelques larmes qui dévalent mes joues. Je vais sauter. Je vais le faire.
Doucement, un peu tremblante, ma dernière main lâche la rambarde. Un petit mouvement et c'est bon.
Mel t'as jamais été une flippette, c'est pas le moment de commencer. Putain fonce comme tu l'as toujours fait.
- Eh Mademoiselle.
Dans un sursaut je rattrape la rambarde. Mais c'est quel abruti ça encore.
- Vous allez bien?
Au top de ma forme, une promenade de santé.
Je ne répond rien. Je veux juste qu'il se barre.
- Je peux appeler quelqu'un pour vous si vous voulez.
Il s'est pris pour une assistante sociale ou quoi?
Je ne peux pas distinguer son visage, il est trop reculé. Mais à sa voix je devine qu'il est jeune. Je parierai peut être même sur plus jeune que moi.
- T'approches pas. Barre toi.
Il faut qu'il parte.
J'ai toujours les yeux rivés sur le vide pourtant je perçois son mouvement. Il s'avance vers moi.
- Écarte toi ou je saute.
Je crois que ma voix n'est même plus crédible, elle tremble comme pas possible.
Pour accentuer ma menace, je lâche une main. Je veux qu'il parte. J'ai pas besoin d'être sauvée. J'suis même plus sauvable.
- Ok tout doux, je reste où je suis, regarde je bouge pas.
Je veux pas que tu restes putain.
- Je m'appelle Mohamed, mais mes gars m'appellent Moh.
Rien à foutre que tu t'appelles Mohamed où Charles Henri.
- Tu t'appelles comment toi?
Il joue à quoi?
- Barre toi, je répond en fermant les yeux.
Fermer les yeux me donne des vertiges, je me ré agrippe à la rambarde. Il doit prendre ça comme une invitation à continuer la discussion puisqu'il l'ouvre encore une fois.
- T'as une tête à t'appeler Soraya.
- Et toi t'as une gueule à t'appeler « Je la ferme et j'me tire ».
- Je suis pas trop du genre à la fermer. Bon Soraya, est ce que je peux me rapprocher?
Je secoue négativement la tête.
- D'accord, je reste là, je bouge pas.
- Pars.
Mon courage est entrain de me lâcher.
- Non, je partirai pas sans toi. Je sais que la vie peut être une chienne, mais tu dois te battre.
- Je vais bien.
A la lumière des réverbères, j'aperçois mieux son visage. Il est peut être finalement un peu plus vieux que moi. Son visage m'est vaguement familier.
Son teint métisse, sa barbe et sa capuche sur la tête ont quelques choses d'assez hypnotisant.
- Peut être que tu vas bien, mais moi j'irai mieux quand tu seras sur la terre ferme.
Y'a quelque chose d'étonnement sincère dans sa voix.
Mais je les connais les gens comme ça, ils en ont rien à faire, ils ont juste besoin de calmer leur conscience. De se dire qu'ils ont essayé.
Moi aussi j'ai essayé.
- Ok, je vais te proposer quelque chose, tu me poses une question, n'importe laquelle, et je te répondrai. En échange, je te pose une question auquel tu devras répondre.
- T'as pas passé l'âge de jouer à ça?
Il a l'air de trouver la situation archi normal, comme si c'était habituel de jouer aux devinettes avec une meuf sur le point de sauter d'un pont.
Il est encore plus givré que moi.
Vu qu'il a l'air absolument sérieux, je réfléchis quelques secondes. J'en ai rien à foutre de savoir quelque chose sur lui, mais si c'est la seule façon pour qu'il se barre je vais le faire. Puis qu'est ce qu'on peut demander à une personne dont on connaît juste le nom?
J'ai envie de le gêner, de le mettre dans le malaise et qu'il finisse par se tirer, en pigeant le cas désespéré que je suis. Mais encore une fois, je le connais pas. J'ai rien pour jouer la connasse à part m'attaquer au physique. Mais ça c'est hors de question.
Je suis une peste, mais j'ai mes limites.
Je le fixe silencieusement.
- T'as la même tête que Sid.
Ouais non quoi que je reste une sale peste.
- Sid de l'âge de glace? il demande avec un sourire en coin.
- Ouais lui-même.
Il se marre. Mais what. Pourquoi il se tape une barre? Il est vraiment trop détente ce gars c'est hallucinant.
J'expire en m'accrochant un peu plus à la rambarde.
Je suis si fatiguée.
Et j'ai si mal au cœur.
Cette simple douleur pourrait me faire vaciller.
Mais le regard du brun me ramène sur terre, ou plutôt sur le pont.
- Tu t'es battu? je demande. C'est quoi le bleu sur ta mâchoire là. T'es du genre bagarreur Sid?
C'est quelque chose que j'ai remarqué quand il s'est avancé. Un bleu orne sa mâchoire. J'ai vu assez de bagarre pour savoir que cette marque est la consécration d'un beau crochet.
- J'ai défendu ma famille, il répond.
Il s'étale pas sur ça, pourtant ma question l'a tendu, il se tient plus droit, sa voix est plus forte.
La famille. La pire et la meilleure des choses. Je crois qu'ils sont en grandes partis la raison de tout ce qui arrive. Ils auraient dû me protéger. Nous protéger. A la place ils nous ont détruit.
Trop plongée dans mes pensées, je n'ai pas le temps de réellement comprendre, qu'il vient tout juste d'enjamber la rambarde. Il se trouve à deux mètres de moi, et peut être un peu trop choquée par son geste, ou totalement engourdie par ce que j'ai fumé en début de soirée, je n'ai pas le temps d'esquisser un geste qu'il est collé à moi, un bras autour de mes épaules et l'autre agrippé à la rambarde.
Il est suicidaire. C'est le seul truc qui me vient à l'esprit. Ironique pour une meuf prête à sauter d'un pont.
- Je vais pas te laisser crever ce soir Soraya.
Il est complètement tapé ce gars.
La capuche qu'il avait sur le front est tombé. Je le pensais totalement détente, mais son visage crispé m'indique que j'ai eu tord.
Il resserre son emprise sur mes épaules, et étonnamment, les contacts que j'ai tant proscrit ne me semblent plus si terrible.
Je n'ai aucune idée de qui est ce type, il ne doit pas savoir non plus qui je suis, pourtant il s'est délibérément mis en danger pour moi.
- Tu sais que si je fais un mouvement tu tombes avec moi, t'es complètement débile Sid.
Son visage est si près du mien que j'ai l'impression que sa chaleur me brûle. C'est étrange pour moi qui ai tout fait ces derniers temps pour tenir les gens éloignés de moi.
- C'est pour ça que tu vas remonter sur ce pont avec moi, et ensuite je vais te raccompagner.
Il ne me laisse pas d'autre option. Alors après plusieurs minutes a le fixer, je cède.
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